ALCHIMIE
L'alchimie fait partie du "patch" de l'occultisme, de par son hermétisme aussi bien que par son sens. Son hermétisme est là fois présent dans sa doctrine et dans le groupe qui la véhicule, ce qui en fait une forme d'ésotérisme. Mais c'est son sens profond, sujet à de nombreuses interprétations, qui intéresse ceux qui font appel au Grand Œuvre dans leurs "théories". Je parle en particulier de la Franc Maçonnerie. Le fait est que l'alchimie telle qu'on l'imagine actuellement, mélange de physique et de philosophie, - à tord d'ailleurs - , répondait à la transition de société de croyance à une société de science à l'époque des Lumières. Si aujourd'hui, l'alchimie a perdu de ses lettres de noblesse auprès du grand public, c'est justement parce que le divorce a été consommé entre Eglise et Science, et qu'il n'était pas dans les projets des alchimistes se disant tels de faire de la vulgarisation afin de maintenir quelque lien entre les deux, et par là même, d'assurer la pérennité de sa doctrine. Cette erreur aboutit au constat actuel : les loges maçonniques et autres mouvements se référant à l'alchimie n'envisage plus cette dernière comme une forme de recherche, mais plutôt comme un amas de doctrines. Ainsi, le mot "alchimie" et ses dérivés semblent morts au présent, puisqu'ils s'accompagnent aujourd'hui inévitablement d'une connotation passéiste : le XIXème siècle (au mieux), ses forges à l'ancienne, ses toges de Kukux Clan, ses outils un peu vieux jeu (l'équerre, le compas et le fil à plomb), et sans doute celui de légendes : transformer le plomb en or, la Pierre Philosophale, accéder à l'immortalité. Ces quelques mots ont été repris, vulgarisés de force, et déviés de leur sens originel. Oui, l'alchimie est devenue immortelle, mais ses créateurs ne la reconnaîtrait pas.
Je tiens aussi à insister sur un point : le côté exagérément scientifique de l'alchimie. En général, pour ne pas dire toujours, nos contemporains saisissent l'alchimie comme une préchimie. Le côté spirituel ne rentrant évidemment pas une ligne de compte, un peu comme s'il avait été inventé par les détracteurs même des débuts de la chimie, c'est-à-dire les religieux eux-mêmes. Je prendrai pour cela un scène d'un film à succès, scène qui n'aura choqué personne : dans Angélique Marquise des Anges (dans le deuxième film), l'amant de l'héroïne, boiteux et le visage défait par une cicatrice, un peu comme ses nains forgerons de l'antiquité, Hephaistos, etc., pratiquait l'alchimie, c'est-à-dire une chimie rudimentaire, celle de la fonte des métaux et de l'extraction de l'or dans ses mines. Quelque chose de fort simple en fait était présenté : ne plus avoir besoin de trouver des pépites, mais créer des lingots en partager le minerai de fines particules d'or par un procédé "chimique". Ainsi, l'alchimiste n'était qu'un précurseur. Ainsi, l'hermétisme de cette science n'était due qu'au procès de sorcellerie qui s'ensuivrait si l'homme se retrouvait riche sans raison (et ce qui se passa effectivement dans le dit-film). On en revient donc à la sacro-guerre des convictions science/religion.
Ceci n'est pas un cas séparé, mais un exemple représentatif. Il suffirait pour le prouver, d'ajouter le plus récent Au Nom de la Rose (inspiré du livre d'Umberco Ecco), où les livres sacrés, érudits et interdits, livres d'alchimistes par excellence dans l'imagerie, sont des livres de médecine, de botanique, de physique, etc. De science, en fait. Des précurseurs, encore une fois occultés par l’Eglise. Ajoutons encore quelques films ou livres qui présentent Merlin l'Enchanteur comme un alchmiste-chimiste, et on comprendra que le sujet n'est pas clos. Alors peut-être verra-t-on là le début d'une explication du renouveau du secret à notre époque : l'ésotérisme est une recherche spirituelle, et en tant que telle, elle ne peut s'inscrire dans la Science acceptée; elle doit donc restée cachée.
Dans le même ordre d'idée, ceux qui s'intéresse à la métaphysique, qui refont la synthèse personnelle et contemporaine de leur connaissance, que j'ai nommé SR (syncrétisme religieux), ne s'inscrivent pas dans le cliché social d'une science positiviste. S'intéresser à un Dieu purement abstrait et totalement coupé du monde est acceptable, mais toute autre forme de religiosité - c'est-à-dire la religiosité en tant que telle, en tant que pratique - fait "folklore" ou "superstition". Là aussi, les exemples abondent : des scientifiques de renom, comme Hubert Reeves (remarquez cependant l'image - mythique à défaut d'être mystique - de vieux sage ou de père Noël qu'il véhicule), produisent des livres à succès, grands publics, où un Dieu abstrait devient une hypothèse favorable, où tout va bien, et même mieux, quand on sépare la Science et la Religion : "que chacun fasse son boulot et ne s'occupe pas de l'autre". Cf. Dieu et la Science (Claude Allègre, Ministre de l'Education Nationale), L'Infini des Philosophes, ...
On pourrait même aller plus loin, en faisant un pont avec d'autres domaines de notre culture - ou en tissant un autre fil, pour garder l'image de toile culturelle. Tout ce qui appartient au domaine du mystique, du mal compris, de la réflexion à un niveau élevé, de l'hypothétique et du spéculatif, tombe dans le Secret. Je parle ici de la notion de complot gouvernementale chez les Américains, de complot Lepeniste en France, de complot extra-terrestres pour certains ufologues, etc. La société de médias supporte mal le secret : ou elle trouve la vérité, ou elle tourne la chose en ridicule - parfois les deux. L'affaire Monica Lewinsky - pour y apporter ma participation - ne réchappe pas à la règle : le média cherche le secret, s'en joue, puis le jette. Elle aura quand même duré un an, ce qui est rare dans notre société de consommation accélérée. Mais le dégoût a très vite eu lieu, de l'opinion même des Américains qui gardent à la Clinton plus de 70% de leurs intentions de votes : c'est que le secret s'arrête au niveau du tabou, or il s'est confronté à celui de la vie privée. N'oublions pas que la notion de famille remonte aujourd'hui de manière phénoménale, alors qu'il s'effrite dans la réalité. Dernier sursaut avec l'effondrement final, ou contre-réaction positive? C'est là où je voulais en venir : on pourrait dire la même chose de l'ésotérisme, donc de l'alchimie. Notre époque perd ses repères, d'où sursaut ou renaissance de la spiritualité, donc aussi de l'ésotérisme. Si on bien suivit, on devrait savoir bientôt si cette remontée était éphémère ou fertile. Si elle est fertile, on assistera sans doute à un renouveau de l'alchimie, sous une autre forme mais ayant le même but : trouver un terrain d'entente entre le savoir scientifique et les principes spirituels. Un nouveau de terrain de recherche en somme, pour les alchimistes en herbe ou pour les futurs universitaires. Si je dis "bientôt", c'est parce que l'an 2000, ou approximativement l'an 2000, est une date phare, comme chacun sait. L'idée d'apocalypse est très connue, mais peu y croient. Sauf si la Science s'y met : l'idée d'un météore venant bientôt percuter la terre comme elle l'aurait fait il y a quelques millions d'années pour les dinosaures ressort souvent dans les magazines, même sérieux (Science & Vie). Au niveau du monde, un film américain, grande production, grand acteur, grand succès, n'aurait pas dû nous surprendre : Armaggedon, c'est bien de lui dont je parle, suivi de près par Météore, n'aborde pas n'importe quel sujet à n'importe quelle époque. Il est, comme Godzilla au Japon, la traduction d'une peur traditionnelle, d'un sentiment, ou au moins d'une attente. C'est pour cela qu'un "deuxième an 1000" a des chances de se (re)produire, c'est-à-dire, une fois la peur passée, un renouveau du religieux (peut-être dû au soulagement), aussi apparemment paradoxal que ça paraisse : c'est après l'an 1000 que l’Eglise a particulièrement prospéré : fidèles, idées, thèmes artistiques, et surtout cathédrales. D'ailleurs, à propos de ces dernières, avez-vous bien écouté la chanson-générique de Notre-Dame de Paris (complet jusqu'à l'an 2000), je veux parler de Le temps des cathédrales. Au début, deux phrases : C'est le temps des cathédrale, et Le monde est entré dans un nouveau millénaire. A la fin, deux autres phrases : Il est foutu le temps des cathédrales, et la fin de ce monde est annoncée pour l'an 2000. A vérifier.
Mais revenons à notre sujet.
C'est parce qu'avec le temps, la culture s'adapte, la langue se transforme et les époques ne se comprennent plus (d'où la notion d'époques justement), qu'il est important d'opérer un retour historique, en particulier sur l'alchimie.
Histoire de l'alchimie
Je citerai pour cela l'Encyclopedia Universalis :
" L'alchimie a longtemps été confondue avec l'occultisme, la magie et même la sorcellerie. Au mieux, on la réduisait à un ensemble de techniques artisanales préchimiques ayant pour objet la composition des teintures, la fabrication synthétique des gemmes et des métaux précieux. Au siècle dernier encore, Marcelin Berthelot ne voyait dans les opérations alchimiques que des expériences de chimie, dont l'objet principal était la recherche de la synthèse de l'or. Afin d'échapper aux enquêtes de police ou pour masquer leurs échecs, les alchimistes auraient usé d'un langage chiffré dont seuls les adeptes possédaient la clef. On en faisait ainsi soit des faux-monnayeurs soit des imposteurs. La découverte des textes alchimiques chinois, en particulier, est venue ruiner cette conception.
" Ces erreurs d'interprétation des textes et cette méconnaissance des doctrines provenaient principalement des difficultés de déchiffrement du langage symbolique des alchimistes. En effet, la lecture de ces traités constituait, à dessein, une épreuve initiatique. (...) L'alchimiste a renoncé à la gloire, il devient anonyme. Il recrée et il tente de perfectionner par l'art ce qui a été créé avant lui et laissé imparfait par la nature.
" L'alchimie, aussi bien que l'astrologie et la magie, doit être considérée comme une science traditionnelle. Elle doit être définie en fonction de ses rapports avec les structures et les valeurs des sociétés et des civilisations de type traditionnel, orientales et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et où elle s'est développée. Il faut donc la considérer en fonction de ses propres critères et se garder de la réduire à nos systèmes.
" L'alchimie ressemble à une science physico-chimique, mais elle est aussi et surtout une mystique expérimentale. Sa nature est à la fois matérielle et spirituelle, et elle observe principalement les relations entre la vie des métaux et l'âme universelle. Elle désire délivrer l'esprit par la matière et délivrer la matière par l'esprit. Par de nombreux aspects, elle s'apparente à l'art, mais à un art suprême: le traditionnel "Art d'Amour". Elle propose à l'homme de triompher du temps; elle est une recherche de l'absolu.
" Le mot "alchimie" provient de l'arabe al-kimiya, conservé dans le provençal alkimia et dans l'espagnol alquimia. Les noms anglais et allemand ont gardé une dérivation médiévale, attestée aussi dans les anciens noms français "alquémie" et "arkémie" (XIIIesiècle).
" La signification du substantif préarabe kimiya, précédé de l'article défini al, est encore controversée. Littré a rapproché les mots "chimie" et "alchimie" du grec Humia, de Humov, "suc", supposant que l'on désignait ainsi primitivement "l'art relatif aux sucs". Diels a proposé d'y reconnaître plutôt le grec huma, "fusion", lequel indiquerait le caractère métallurgique de ces techniques antiques. Von Lippmann et Gundel ont rejeté l'hypothèse de Diels. Le mot kimiya, par l'intermédiaire du syriaque, dériverait du grec et il aurait été formé sur l'égyptien kam-it ou kem-it, "noir"; il évoquerait soit la "terre noire", nom traditionnel, selon Plutarque, de l'Égypte, pays qui aurait été le berceau des arts chimiques et alchimiques, soit la "noirceur" caractéristique de la décomposition de certains métaux.
" L'Encyclopédie de l'Islam mentionne cette dernière hypothèse. Elle rappelle, toutefois, que le mot al-kimiya est synonyme d'al-iksir. Le français "élixir" en dérive. Les Mafatih-al-Ulum ont rapproché kimiya de kama, "tenir secret". Selon al-Safadi, kimiya serait d'origine hébraïque et signifierait que cette science vient de Dieu vivant. Dans le corpus alchimique de Jabir ibn Hayyan, al-iksir est aussi conçu comme une émanation de l'esprit divin.
" Festugière a rappelé que les plus anciens alchimistes grecs "rapportaient le nom et la chose à un fondateur mythique appelé Chémès, Chimès ou Chymès". La première mention de cette origine apparaît au IVe siècle après J.-C. dans les œuvres du plus célèbre alchimiste alexandrin, Zosime de Panopolis, selon lequel Chémès aurait été un "prophète juif". Cet auteur, selon un procédé fréquent dans la littérature hermétique, voile ainsi une précieuse indication philosophique par un fait pseudo-historique: la légende a ici son sens premier et révèle exactement "ce que l'on doit lire", c'est-à-dire ce que l'initié doit entendre.
" Ayant vécu longtemps à Alexandrie qui comptait alors de nombreux savants juifs, Zosime ne pouvait ignorer qu'en hébreu Chemesch est le nom du Soleil. Afin de préciser son propos, Zosime, dans ses Instructions à Eusébie, déclare: "Le grand Soleil produit l'Œuvre car c'est par le Soleil que tout s'accomplit." Cet enseignement fondamental est confirmé par les derniers mots de la Tabula Smaragdina, la Table d'émeraude, célèbre "codex" alchimique attribué à Hermès Trismégiste lui-même: "Complet (achevé, accompli) est ce que j'ai dit de l'Opération du Soleil."
" Selon ces données traditionnelles, l'indication d'al-Safadi sur l'origine hébraïque de kimiya peut d'autant mieux éclairer cette étymologie que le synonyme iksir a conservé aussi un nom antique du Soleil, le grec Seir. Enfin, on observera que le turc chems signifie également "soleil" et que, dans cette langue, chami désigne adjectivement ce qui est d'origine "syrienne". ".
Cham est aussi le nom d’un des fils de Noé.
" On peut restituer ainsi au mot "alchimie" son premier sens probable. Les anciens savants juifs, grecs, syriens et arabes ont vraisemblablement donné ce nom à un savoir sacré, à un ensemble de connaissances ésotériques et initiatiques, à l'antique "art sacerdotal" dont l'enseignement était fondé sur les mystères du Soleil, source de la lumière, de la chaleur et de la vie. ".
On m'excusera la longueur de cette définition, mais quand on doit combattre un préjugé, la méthode philosophique doit précéder la méthode ethnologique : définir d'abord de quoi l'on parle avant d'essayer de le comprendre.
Ainsi, dans les passages que j'ai surligné, on aura pu s'apercevoir que l'alchimie a une tendance universaliste et qu'elle remonte à des sources très anciennes. L'origine même du mot semblerait montrer que les Anciens eux-mêmes connaissaient l'étendue de leur doctrine. Ou qu'ils soient les auteurs de cette diffusion - les recherches sur l'histoire de l'architecture en Méditerranée ont montré que l'antiquité connaissait beaucoup plus de voyages et d'échanges qu'on ne pensait - , ou qu'ils en soient les dépositaires - du monde Perse, peut-être - , ou qu'ils ne fassent que partager les mêmes intérêts - ce qui serait aussi une preuve de leurs échanges fructueux. Indépendamment de la cause, on peut s'interroger sur cet état de fait : pourquoi ce succès ? Pourquoi pendant si longtemps ? Peut-être parce que les recherches des premiers alchimistes, les alchimistes de l'antiquité, prônaient la domination du spirituel au matériel dans leurs recherches, peut-être aussi parce qu'elles s'inséraient dans le courant de pensée religieuse de l'époque. Ces peut-être ne sont évidemment que rhétoriques. Il faudrait les remplacer par des sans doute, car l'étymologie même de cette "science" nous apporte la preuve : tout tourne autour du mot "soleil". Le dieu-soleil. Chez les hellénistes, Apollon, son char et son art, en référence à l'Art d'Amour de l'alchimie, cité plus haut. Chez les égyptiens : Rê ou Aton, selon l'époque. Etc. C'est là où le lien ésotérique est flagrant : le soleil y joue là aussi un rôle principal. Le soleil est à l'Est, source de la magie positive, et il est aussi celui qui "fait se réaliser les rêves dans la réalité". Ce ne sont que des rappels. Ces points sont explicités dans une autre partie. Je me contenterai de souligner que nous de parlons pas ici du soleil tel qu'on le voit dans le ciel, mais du soleil symbolique, des caractéristiques physiques et spirituelles qu'il représente. Certes, ces images peuvent paraître subjectives et incompréhensibles d'une époque à l'autre, seulement, n'a-t-on pas appelé, des siècles plus tard, le siècle de la Renaissance l'époque des Lumières, de manière tout aussi imagée et subjective? Même les juifs comme Zosime le Panopolis sus-cité vénéraient sans le savoir le soleil : l'Ancien Testament utilise un nombre de fois incalculable l'analogie dieu-soleil. On retrouve ce "pouvoir dans la lumière" dans les premières auréoles, de forme pleines (des disques, par des cerceaux). Ces points communs font de l'alchimie une science large, ce qui excuse peut-être le flou de sa définition. En tout cas, ils devraient faire sentir au lecteur la nécessité de citer l'alchimie dans tout livre sur l'occultisme.
L’influence égyptienne
On trouve une autre origine du mot dans un autre livre, d’un autre auteur. L’origine est égyptienne et implique nécessairement certaines connotations. Mais le tracée étymologique est le fait d’un spécialiste, Idries Shah, et son livre, La magie orientale, est publié à la Petite Bibliothèque Payot, ce qui exclut toute " spéculation " à ses recherches :
" La pratique de la magie était si florissante en Egypte vers 3000 av. J.C. que le nom même du pays devint en notre langue synonyme du mot magie. De même que l’ancien mot sémite imga engendra le terme français magie, un des plus anciens noms désignant l’Egypte (keml – sombre, noir) fut traduit par " (magie) noire ", au lieu de " (magie) égyptienne ". Ce n’est pas à cause du caractère diabolique de sa magie que l’Egypte était appelée " pays noir ", mais à cause de la couleur de sa terre qui devient noire lorsqu’elle est inondée par le Nil (…). Le deuxième terme, " alchimie ", (en arabe al-kimyya), provient également du même nom. En d’autres termes, les deux expressions " alchimie " et " art noir " signifient en réalité " Art Egyptien ". ".
On peut dès lors affirmer que l’Egypte a influencé la formation du nom d’une doctrine qui se voulait aussi mystique et puissante que le paraissait cette nation bâtisseuse de pyramides. Mais que ce soit ses doctrines magiques qui aient influencé cette autre doctrine, il n’existe pas de preuve concrète. Nous laisserons donc cette piste à ce point mort jusqu’à ce qu’un autre la poursuive.
C’est ce genre de phrase, d’aveu d’impuissance, qui manque à beaucoup d’ésotéristes, mystiques et magiciens. Les alchimistes, étrangement, se sont limités à quelques buts et beaucoup de méthodes. Ce n’est pas une religion. L’alchimie n’est pas une affaire de croyance mais de pratique. Du moins au départ, et dans notre idée de départ. Mais on verra qu’elle sera beaucoup chahutée…
En annexe : quelques précisions
L'Encylopedia Universalis, toujours :
" Marcelin Berthelot fut le premier à entreprendre la traduction et la publication de collections manuscrites qui n'avaient pas encore été sérieusement étudiées par les historiens des sciences. Ignorant le syriaque et l'arabe, ne connaissant qu'imparfaitement le grec, Berthelot fit appel à des collaborateurs érudits. Ceux-ci, malheureusement, n'étant point informés de la nature des opérations décrites par les textes obscurs et souvent cryptographiques qu'ils devaient traduire, s'en remettaient à la seule autorité de Berthelot afin de décider du sens qu'il convenait de donner à des passages difficiles. Dans ces conditions, on comprend que divers historiens spécialisés et, en particulier, von Lippmann, aient jugé sévèrement la singulière méthode critique de Berthelot. Malgré ces réserves, ses célèbres collections publiées voici près d'un siècle n'ont pas encore été revues ni corrigées philologiquement ni scientifiquement, et l'on continue parfois de tenir pour sérieuses des thèses sur les origines de l'alchimie dont les sources documentaires ont été justement contestées.
" Sans doute la perspective générale de Berthelot avait-elle l'avantage d'être simple et claire. Bornée par l'horizon culturel méditerranéen des "humanités classiques", en un temps où l'on ne soupçonnait point l'existence d'une alchimie chinoise et indienne bien antérieure à celle de l'école d'Alexandrie, l'explication de l'origine de ces théories et de ces pratiques se réduisait aisément à l'interprétation de ce que l'on croyait avoir été leurs plus anciennes structures.
" À notre époque, cette interprétation positiviste de l'alchimie est devenue elle-même illusoire, historiquement et scientifiquement. Les travaux considérables des orientalistes et, principalement, des sinologues ont révélé la haute antiquité et l'universalité des théories et des pratiques alchimiques traditionnelles, en montrant leur caractère sotériologique fondamental. D'autre part, contrairement aux dogmes lavoisiériens enseignés par les universités occidentales au XIXesiècle, les physiciens nucléaires modernes ont décomposé tous les corps que l'on croyait simples, et vérifié ainsi la théorie alchimique traditionnelle de l'unité de la matière. De plus, la réalisation expérimentale de la transmutation du mercure en or a révélé que la prétendue chimère des alchimistes était singulièrement proche de la nature réelle de la structure atomique de ces deux métaux qui se suivent dans la classification périodique. Aussi d'éminents physiciens, comme Jean Perrin, n'ont-ils pas hésité à reconnaître dans les anciens maîtres de l'alchimie "les précurseurs géniaux des magiciens modernes de l'atome".".
" Toutefois, si l'alchimie n'a pas été une préchimie, elle ne fut pas davantage une "préphysique nucléaire". En réalité, les sciences traditionnelles, par leur langage, leurs principes, leurs méthodes, leurs critères, leurs moyens et leurs buts, ne présentent aucun rapport avec les sciences modernes.
" L'un des premiers historiens de l'alchimie, Lenglet-Dufresnoy, a dit des maîtres de cette science traditionnelle qu'ils sont "les plus illustres rêveurs dont l'humanité ait connaissance".
" Ce monde se donne simultanément pour imaginaire et pour réel, pour spirituel et pour matériel, pour subjectif et pour objectif. À la limite, ses symboles se confondent avec des phénomènes matériellement observables, si bien que la clef de ce vaste code apparemment abstrait est concrète car le seuil d'intelligibilité des textes répond rigoureusement au seuil expérimental du Grand Œuvre.
" En raison des difficultés des problèmes posés par les études alchimiques depuis que l'on a mieux discerné la complexité de leurs données, elles en sont venues à constituer une discipline historique, philologique et philosophique spécialisée. À partir des années vingt, les travaux considérables de von Lippmann, de Ruska, de Holmyard, de Thorndyke, les importantes contributions de Singer, de Taylor, de Read, de Hopkins, de Hartlaub, ont renouvelé tout l'état des connaissances en ce domaine. Des recherches plus générales, comme celles de Jung, d'Eliade, de Needham, ont montré l'intérêt de l'alchimie pour la psychologie des profondeurs, pour l'histoire des religions et des civilisations.
" Plus récemment, ces investigations se sont étendues à l'histoire de l'art, de la peinture et de la littérature grâce aux analyses critiques et aux thèses de nombreux chercheurs parmi lesquels on doit mentionner spécialement de Solier, Combe, Vernet, Sterling et Van Lennep. On peut prévoir que l'aspect sociologique de la situation des alchimistes eux-mêmes par rapport aux diverses communautés historiques de croyances et de valeurs qui, le plus souvent, les exclurent et les condamnèrent, ne manquera pas de retenir l'attention de futurs chercheurs. ".
Le voeu est pieux. Voilà qui est fait.
Les alchimistes d'hier et d'aujourd'hui
C'est ici que j'étudie le problème humain de manière diachronique puis synchronique.
" Les alchimistes ont formé, comme en marge de l'histoire, un groupe humain peu nombreux, souvent suspect, ayant son jargon, son code et ses signes, ses mythes et ses mystères. Ils se cachaient dans les ermitages, dans les montagnes ou dans les déserts. Parfois errants, ces solitaires aimaient se prétendre des "habitants de l'univers", des "cosmopolites", et dissimulaient jusqu'à leur nom véritable, rompant ainsi le pacte social sacro-saint du domicile fixe et de l'état civil. Dans les temps modernes, les alchimistes subsistent encore, perdus en des foules qui n'attendent rien de leurs recherches ni de leur industrie et qui leur ont enfin apporté la sécurité que procure l'indifférence.
" Dans ces conditions, les biographies des alchimistes, et même des plus illustres adeptes, soulèvent des problèmes de critique historique à peu près insolubles. Si, par exemple, on sait que Nicolas Flamel a vécu réellement à Paris, rien ne prouve, en revanche, qu'il soit l'auteur véritable du traité qu'on lui attribue. Inversement, si l'existence d'un moine nommé Basile Valentin est imaginaire, il demeure que le style et la science de l'auteur de ses œuvres suffisent à faire apparaître une personnalité originale et attachante.
" (...) L'alchimie a édifié, au cours des siècles, une puissante synthèse du savoir ésotérique et elle représente ainsi, par excellence, une recherche de l'absolu.
" Peu de systèmes de l'Univers ont témoigné d'une confiance aussi entière et d'un espoir aussi constant dans les pouvoirs par lesquels l'homme, en triomphant du temps, est capable d'accélérer l'évolution des individus et des espèces, en achevant et en perfectionnant sans cesse l'œuvre de la nature. Mais si l'alchimie, par la voix de l'un de ses maîtres, Synésius, a osé prétendre que "rien n'est impossible à la science", en un temps où des bûchers s'allumaient encore pour le nier, c'est qu'elle attendait tout de l'exemple moral et spirituel du vrai savant, exigeant de ses adeptes l'humilité, l'anonymat et le renoncement à la gloire terrestre. En une brève formule, un alchimiste, Nicolas Valois, a rappelé cet idéal aristocratique du savoir: "En perdant la pureté du cœur, on perd la science.". ".
On aura du mal à contredire que la science peut être la pire des choses (les guerres, le nucléaire, la vache folle, ...). Logiquement, elle pourrait aussi être la meilleure. Il faudrait pour cela réintroduire dans les sciences une forme d'éthique qui ne se baserait plus comme aujourd'hui sur la morale humaniste, insoutenue car insoutenable. En quelque sorte, il faudrait réintroduire l'alchimie dans la chimie. C'est là où les leçons du passé peuvent porter les fruits au présent. Là où la compréhension de la Différence peut transformer un sentiment de largesse d'esprit en une largesse effective. L'alchimie recherchait l'absolu dans la matière, comme Hermès Trismegiste qui prétendait que ce qui est en haut est comme ce qui est bas, comme lorsque Baudelaire cherchait dans Les Fleurs du Mal le paradis qui est au bout de l'enfer. Des renversements, somme toute, très taoïstes. Ceci pour dire qu'on ne s'éloigne pas vraiment de la pensée archaïque : voir du mystique partout, du surnaturel dans chaque chose, du sens dans chaque événement. Je simplifie, bien évidemment, mais l'idée est là : accepter l'irrationnel de la pensée humaine et vivre en équilibre plutôt qu'en conflit avec 90% de l'espèce humaine. Rappelons que la rationalité sur laquelle de nous basons, la rationalité des penseurs grecs, était baigné dans un bain d'irrationalité complètement intégré. Lire pour cela les Grecs et l'irrationnel d'E. R. Dodds. Voir notre science ne manière moins scientifique connaît déjà quelques tentatives. Hubert Reeves, pour revenir à lui, introduit déjà quelques éléments de poésie. Cela pour dire que les alchimistes n'ont pas tout à fait disparus : il existent encore, sous la forme de physiciens rêveurs. Souvenons-nous : Einstein, le si grand et si célèbre Einstein, était un cancre à l'école. Il passait son temps à rêver...
L'alchimie chinoise
" La Chine n'a pas connu de solution de continuité entre le stade technico-magique de la métallurgie et l'apparition de l'alchimie.
" Les confréries de forgerons chinois, détenteurs du plus prestigieux des arts magiques, ont exercé, comme l'a montré Granet, une influence directe et profonde sur les premières conceptions alchimiques taoïstes. Par leurs principaux aspects, ces théories et ces pratiques remontent à la lointaine préhistoire. L'art du feu a formé, pendant des millénaires, l'essentiel du savoir humain. Les confréries qui mirent en œuvre les métaux, après celles qui taillèrent et polirent les pierres, s'étaient transmis initiatiquement l'héritage magique et technique ancestral. Des pratiques protochamaniques de danses mimétiques immémoriales ont été conservées dans les exercices étranges des taoïstes qui se proposaient de retrouver la spontanéité première en même temps que les pouvoirs perdus par l'homme civilisé. ".
Ici, le taoïsme, ou la réunion de opposés, accrédite la thèse que j'énonçais ci-avant. Quant au lien alchimie-art magique, il ne fait que renforcer le lien alchimie-ésotérisme. Remarquez ce termes "confrérie", qui n'est que le synonyme de "loge".
" Chez les taoïstes, comme le souligne Kaltenmark, "si le fourneau alchimique est l'héritier de la forge magique, l'immortalité n'est plus, du moins depuis les seconds Han, le résultat d'un sacrifice à la forge, de la fonte rituelle. Elle est acquise à celui qui sait produire le "divin cinabre". À partir de ce moment, on eut un nouveau moyen de se diviniser: il suffisait d'absorber l'or potable ou le cinabre pour devenir semblable aux dieux".
" (...) Cette solidarité des thèmes fondamentaux apparaît de façon claire dans un texte de Sima Qian relatant la recommandation du magicien Li Shaojun à l'empereur Wudi, de la dynastie Han: "Sacrifiez au fourneau (zao) et vous pourrez faire venir des êtres (transcendants); lorsque vous aurez fait venir ces êtres, la poudre de cinabre pourra être transmuée en or jaune; quand l'or jaune aura été produit, vous pourrez en faire des ustensiles pour boire et pour manger. Alors votre longévité sera prolongée, vous pourrez voir les bienheureux (xian) de l'île Ponglai qui est au milieu des mers. Quand vous les aurez vus, et que vous aurez fait les sacrifices feng et shan, alors vous ne mourrez pas.". ".
L'or et l'immortalité : les deux thèmes principaux se retrouvent et en Occident et en Orient. L'or, parce que le matériau est pu et qu'il faut devenir pur à son tour. L'or aussi, parce que l'on fait référence à l'Age d'Or, une notion grecque inséparable de l'ésotérisme. Quant à l'immortalité, elle représente le symptôme de cette transformation, non pas un but en soi. L'immortalité est l'attribut de la divinité. La Genèse et les textes babylonien ne disent pas autre chose. Le but est de devenir une sorte de dieu, de retrouver cette faculté, ou, par parler de manière clairement ésotérique : révéler le Dieu-qui-est-en-soi. Encore une fois, répétons-le : l'alchimie et l'ésotérisme ont des manifestations différentes, mais leurs bases sont identiques.
" Mais, en réalité, le problème est moins de savoir si des intuitions rencontrées à l'état élémentaire dans les mythologies et les rites des fondeurs et des forgerons ont été reprises et interprétées par les alchimistes, que d'essayer de comprendre pourquoi cette interprétation est demeurée relativement stable et cohérente dans une société donnée. Seule, la structure féodale permet d'expliquer qu'une distribution des valeurs et un mode de cohésion logique typiques d'une représentation des structures de l'univers aient été ressentis et expérimentés aussi bien par les premiers alchimistes chinois que par les anciens forgerons.
" Dans la Chine antique, toute ville seigneuriale avait deux fondateurs: l'ancêtre du seigneur et le "saint patron" du prévôt des marchands, qui avaient défriché ensemble le domaine, à l'imitation du laboureur divin, de l'inventeur de l'agriculture, Shennong. Or ce démiurge était aussi un dieu du feu, le "saint patron" de tous les arts du feu et, à ce titre, particulièrement révéré par les forgerons.
" En effet, toute campagne agricole était inaugurée par un incendie et par des travaux de défrichement car, selon l'antique technique, "on labourait par le feu et on sarclait par l'eau". Les premiers maîtres des confréries métallurgiques s'étaient recrutés primitivement parmi ces défricheurs. Ils bénéficiaient ainsi du prestige des fondateurs du domaine et, à la différence de beaucoup d'artisans, les forgerons et les charrons exerçaient des arts nobles qui étaient indispensables, magico-techniquement, à la défense de la seigneurie.
" (...) Eliade fait observer que les trois éléments à partir desquels l'alchimie chinoise se constitue en tant que discipline autonome: les principes cosmologiques, les mythes des bienheureux immortels et de l'élixir d'immortalité, les techniques poursuivant à la fois le prolongement de la vie, la béatitude et la spontanéité, appartiennent à l'héritage culturel de la protohistoire chinoise. Ce serait donc une erreur de croire que la date des premiers documents qui les attestent nous livre leur âge. ".
Le Feu et l'Eau, les deux éléments primordiaux desquels découlent les deux autres. Le concept des quatre éléments, air, terre, feu, eau, est non seulement commun à l'alchimie et à l'ésotérisme, mais au monde occidental et au monde oriental. Sans aller jusqu'à l'universalité, là aussi, on est en droit de se demander pourquoi, pourquoi tant de liens et de rapports ? Il semblerait bien que l'ésotérisme, d'une culture à une autre, soit bien moins "hermétique" que ces cultures elles-mêmes...
Apparition et développement de l'alchimie chinoise
L'histoire et la physique nous apprennent que les mêmes causes engendrent - souvent - les mêmes effets. Le développement de l'alchimie chinoise ne fait pas exception. Les recherches alchimiques connaissent leur apogée à une époque équivalente en Occident et en Orient, c'est-à-dire à l'apparition d'une religion révélée, une religion à "salut", chrétienne pour l'une, bouddhiste pour l'autre. Je dis "apogée" parce que c'est de cette époque que datent les textes les plus anciens. En fait, il serait plus juste de présumer d'une nécessité de la transmission d'un savoir oral en savoir écrit, et ce, parce que cette religion à tendance universaliste refuse la "concurrence" de pratiques magiques et a fortiori alchimiques. Nous en avons la confirmation orientale ci-dessous. Du côté occidentale, on ne rappellera pas la vengeance tardive des premiers chrétiens martyrisés, qui, une fois le pouvoir atteint, ont martyrisé à leur tour les détracteurs des cultes minoritaires, dit "païens". Menace politique, d'une subjectivité religieuse face à une autre, ou menace plus concrète, d'une forme de croyance face à une forme de science ?
" Les aspects les plus anciens de l'alchimie taoïste participent encore de la nature concrète et positive des manipulations magico-techniques des métallurgiques de l'époque féodale. Un édit impérial, en 144 avant J.-C., menace d'exécution publique tous ceux qui seront surpris en flagrant délit de contrefaire l'or. Taylor donne la date de 175 avant J.-C. pour une loi analogue. En 60 avant J.-C., un maître célèbre, Liu Xiang, échoua dans sa tentative de préparation d'or alchimique destiné à la prolongation de la vie de l'empereur.
" Mais l'aspect le plus important de l'alchimie taoïste, son intégration à une religion de salut, se développa surtout à l'époque où l'antique religion agraire, achevant de se dissoudre avec la société féodale, cessa de satisfaire aux besoins des fidèles. Maspero a montré comment, en Chine, aux environs de l'ère chrétienne, les longs efforts du sentiment religieux personnel pour s'exprimer furent bien souvent analogues à ceux de l'Occident, à la même époque. ".
L'apparition, cependant, reste d'origine mystérieuse. D'où tenaient-ils leur savoir métallurgique, et leurs opérations sur l'or ? Car on peut imaginer, avec les (re)découvertes récentes, qu'ils aient utilisés des bactéries pour dissoudre les minéraux et récolter les fines particules d'or restants dans les carrières, par exemple, car c'est une nouvelle technique dont viennent juste d'avoir l'idée certains chercheurs - cf. Science & Vie. Ce ne sont évidemment que des hypothèses, mais pour revenir à notre "théorème" de départ, rappelons que ces opérations sur l'or, multiplier l'or sur terre, fait étrangement référence à l'Age d'Or. De là à y voir une survivance plus concrète que le simple symbolisme nostalgique...
Les miroirs magiques
Donnons l’exemple d’un mystère scientifique qui apparaît d’emblée comme un mystère alchimique : parce qu’il s’agit d’une création de forgeron, parce qu’il utilise le symbolisme de la lumière, de l’or et du rond (voir le chapitre sur le SOLEIL), parce qu’il provient de Chine – et du Japon. La date, le XIXème siècle, est postérieure à l’alchimie chinoise traditionnelle – celle du moyen-âge – mais ces " miroirs magiques ", puisque c’est de ça qu’il s’agit, apparaissent comme des survivances d’un art oublié ou caché. Cela rejoint la notion de secret ou d’hermétisme propre à l’alchimie ou à l’ésotérisme. Mais puisqu’objet et technique il y a, alors il ne s’agit pas d’ésotérisme, qui reste confiné au monde des idées, mais d’alchimie au sens concret du terme. Voici le texte, entièrement reproduit, paru dans Science Illustrée :
" Rien ne distingue dans l’aspect ce miroir d’un autre. Pourtant, lorsqu’il reflète la lumière sur un mur, une image apparaît. Le plus souvent, il s’agit du motif sculpté au dos de la surface réfléchissante, mais d’autres fois, apparaît une image surgie de nulle part. Comment la surface brillante et lisse peut-elle renvoyer cette image ? Venus de Chine et du Japon ces miroirs magiques ont connu un vif succès en Europe au XIXème siècle sans pour autant qu’ait pu être décelé leur procédé de fabrication.
" Réalisés dans un alliage de cuivre, de plomb et d’étain, ils sont très soigneusement polis ensuite. Comme ils sont relativement minces, l’explication la plus simple consiste à penser que le polissage du décor en relief situé à l’arrière de l’objet, laisserait sur la surface réfléchissante des marques invisibles à l’œil nu après son polissage, mais suffisante pour que le rayon de lumière se reflète et fasse apparaître le motif. Une autre possibilité serait que les miroitiers asiatiques aient pu imprimer le motif qu’ils souhaitaient voir se réfléchir dans le miroir avant le polissage. Il ne resterait alors rien de visible mais le métal réfléchissant refléterait la lumière différemment à l’endroit de l’empreinte du tampon imprimant. Ces explications ne sont que des suppositions. Rien ne prouve que les miroirs chinois étaient fabriqués de cette façon. ".
Passons sur les tentatives d’explication et intéressons-nous à ce qui aurait dû sauter aux yeux, l’expression même de " miroirs magiques ". Il semblerait qu’un procédé de fabrication inconnu allié à un effet spectaculaire ne trouvent d’explication que dans la " magie ". Nous ne connaissons malheureusement pas le nom que les chinois et les japonais leur donnaient. Si lien avoir la " magie " il y a cependant, on pourrait imaginer que l’alchimie primordiale était celle de forgerons, et que les buts magiques (de l’or à profusion) ou spirituels (l’immortalité) n’aient été que postérieures, inventés par le peuple ou par les " alchimistes " soucieux de préserver leur secret – ou même par les deux à la fois. Précisons que ceci n’est conforté par aucun élément supplémentaire. Ce n’est donc qu’un hypothèse de travail – sans doute condamnée à en rester là.
Refermons la parenthèse et intéressons-nous à ces " buts dérivés " où les éléments abondent. Nous avons déjà parlé de l’or, nous parlons à présent de l’immortalité.
Une constante théorique de l'alchimie chinoise : l'immortalité
La quête de l'immortalité est une spécificité du monde antique. Alors que dans nos cultures modernes, on entend de plus en plus parler du carpe diem, de vivre peu, mais vivre intensément, de "vieillir jeune" en somme, l'époque préindustrielle – toutes les époques préindustrielles - était dominée par des mythes et des divinités tournant autour de l'idée de l'immortalité.
En Grèce, la seule différence entre les dieux et les hommes semblaient être la force et l'immortalité des premiers, mais leur comportement ne laissait rien à envier aux mortels. Les mythes babyloniens, d'une façon toute aussi frappante, font valoir la plante d'Immortalité dans la quête de Gilgamesh, le Noé babylonien. Les dieux, là aussi, se comportent comme des êtres humains gâtés par le pouvoir. Les Egyptiens se momifiaient pour être immortels. Pourtant, ils n'étaient que des hommes. Etc. L'immortalité semble concrétiser le lien humain/divin. Il est à la fois la récompense et la preuve d'une certaine maîtrise. Etre immortel, ou revenir à la vie, c'est avoir terminé son initiation ou sa quête, obtenir un certain statut que ne nierait pas Jésus-Christ. On lit en effet dans l'Evangile que si Jésus n'était pas revenu, et qu'on avait pas pu lui parler, le toucher, il serait toujours resté un doute parmi ses disciples.
En ces temps où l'on pouvait mourir jeune, pour mille raisons différentes, le désir de vivre longtemps s'était transmué en désir de vivre toujours. C'est du moins ce qu'on pourrait supposer si ce désir n'était pas si intégré dans les mythes, et surtout si spirituellement intégré. Durant l'antiquité, l'immortalité semblait réalisable. Il était une promesse des dieux. On avait même des "alchimistes" pour cela.
Revirement de situation avec la diffusion des religions à salut. Car le salut est dans l'au-delà, pas sur Terre. Dans la Genèse, on lit bien que l'Eden contient et l'arbre de la connaissance, celui du futur serpent, et l'arbre de l'immortalité, tout aussi interdit. Dieu dit même, texto, qu'il aurait été mauvais que l'homme goûta à ce fruit, sans quoi il serait devenu comme nous. On ne polémiquera pas sur ce célèbre "nous", mais disons simplement que les dieux semblaient avoir changé d'avis. Même chose dans le bouddhisme. Avant de s'attaquer à la religion traditionnelle du Tibet, il quitta l'Inde qui ne voulait pas de lui pour faire croire aux asiatiques que les dieux aussi étaient une illusion, que le samsâra était une mauvaise chose, et qu'il ne restait plus qu'une chose à faire : sortir du cycle infernal des morts et des renaissance et ne plus revenir. L'immortalité devint la pire des choses. On comprendra mieux alors pourquoi l'alchimie fut combattue ici comme là-bas. Elle était une émanation plus technique d'un désir d'Immortalité que prônaient les mythologies anciennes. L'alchimie, vu sous cet angle, serait comme l'adaptation, ou la survivance sournoise - selon le point de vue - de la religion précédente. Elle pouvait s'intégrer à la nouvelle religion et si coller sans trop faire de remous, puisqu'elle ne véhiculait plus d'idées, mais seulement un désir...
" Cependant les taoïstes, à la recherche de la "Longue-Vie", ont conçu l'immortalité de façon spécifiquement chinoise, c'est-à-dire sans la moindre discontinuité entre le corps et l'esprit vivants. Ainsi, la conservation et la prolongation de l'existence physique furent-elles toujours considérées par les taoïstes comme le moyen normal d'acquérir l'immortalité spirituelle. Il suffisait donc de remplacer un corps mortel par un corps immortel obtenu en "nourrissant le corps" matériellement, et en "nourrissant l'esprit" par l'unification de ses puissances, grâce à la concentration et à la méditation. En effet, à la différence de ce que nous appelons l'âme, cet esprit, formé de l'essence et du souffle universels, est temporaire. À la mort, il se dissout par la séparation de ses deux principes constituants. On peut donc le renforcer, le "cristalliser", en quelque sorte, en accroissant le souffle et l'essence par des pratiques adéquates. Alors, on ne meurt pas, on "monte au ciel en plein jour".
" Les procédés qui permettent de détruire les causes de la décrépitude et de la mort, ainsi que de créer l'embryon du corps immortel, sont nombreux, mais on peut les répartir tous en trois classes: alimentaires et hygiéniques, respiratoires et mimétiques, alchimiques. Ces derniers sont considérés comme les plus puissants. Au IVesiècle de notre ère, Ge Hong déclare formellement que sans l'alchimie on arrivera peut-être à prolonger la vie, mais jamais à la rendre éternelle. Ultérieurement, la difficulté et les prix des opérations alchimiques diminuèrent l'importance pratique, sinon théorique, de ces techniques. ".
Revenons à l'ésotérisme. La description de ce corps immortel, émané de l'esprit, ressemble quelque peu au "corps spirituel" qu'utilisent les voyageurs astraux et autres médiums. Les Tibetains voyagent eux aussi dans de tels corps. Les chamans, pas moins. Les témoins de NDE (Near Dead Expérience) affirment eux aussi avoir vu leur corps flotter, au-dessus de leur corps mort, mais heureusement relié par une sorte de cordon ombilical. L'alchimie tente de faire de ce corps une réalité. Ce qui ne choquera pas les lamas, les bouddhistes tibétains (héritiers de l'ancienne religion Bon), pour qui il est possible de visualiser un être et de le rendre réel, puisque tout est illusion. Même système et même logique pour ceux qu'on dit avoir vu à plusieurs endroits au même moment. Même principe aussi, peut-être, pour la téléportation de manière non scientifique. Je n'affirme rien et ne cherche pas à démontrer ; je constate seulement que l'ésotérisme, dans son ensemble, historique, culturelle et théorique, reste dans une logique intérieure qui ne faillit pas. Une logique dont l'alchimie est une sœur partisane.
Une similitude flagrante
Le texte parle clairement :
" Elles étaient, en effet, compliquées et dispendieuses, en dépit de leur simplicité apparente : la préparation et l'absorption du cinabre (dan), un sulfure naturel rouge de mercure. À vrai dire, l'expression même de cinabre mâle (yangdan) qui désignait le procédé alchimique par différence avec le nom de cinabre femelle (yindan), donné aux procédés alimentaires et respiratoires, suffit à montrer que l'on doit se méfier d'une traduction chimique sommaire du mot dan. Taylor a observé que si les instructions données pour la préparation de l'"élixir d'immortalité" sont obscures, on peut constater, en revanche, que la progression des couleurs observée par les alchimistes chinois au cours des opérations est la même que celle de la préparation de la "pierre philosophale" par les alchimistes occidentaux et qu'elle passe du blanc au rouge. De même, la notion d'une substance dont une quantité infime transforme en or ou en argent une masse importante de métal ordinaire et, principalement, de mercure, est commune à la Chine et à l'Occident. De plus, l'une et l'autre alchimie ont décrit de façon similaire les effets de l'absorption de la "médecine universelle", autre nom de l'élixir. La comparaison de l'éloge de cette drogue par Wei Boyang, en 142 après J.-C., et par un alchimiste occidental, Salomon Trismosin, au XVIesiècle de notre ère, est caractéristique de ces analogies. Le premier dit: "Le vieillard ramolli devient un jeune homme plein de désirs", et le second: "Car vieux estoient les philosophes qui l'avoient. Pourtant, en leurs vieux jours, ils jouirent encore de leurs amours...". ".
Ces points communs sont à l'origine de l'utilisation commune du mot "alchimie" pour l'Occident et l'Orient. Nous avons déjà débattu des raisons de cette origine sans trouver de solution efficace - je veux dire : "avec des preuves". On peut cependant arguer que le commun de leur origine ne se trouvait pas éloigné dans le temps, et ce au regard de l'évolution, ou plutôt de la dégradation de l'alchimie au cours des âges pour en arrivant au point mort où elle en est aujourd'hui. Oui, vous avez bien lu, le point mort pour une recette de l'immortalité. Qui a dit que l'Histoire n'était pas ironique ?
" L'évolution de l'alchimie chinoise se déroula de façon comparable à celle de l'alchimie européenne, à des époques différentes. À partir du VIesiècle après J.-C., l'alchimie taoïste s'orienta vers un mysticisme fort éloigné des pratiques positives et concrètes de ses premiers maîtres. On interpréta les textes anciens comme des allégories concernant des vérités purement intérieures. Un texte cité par Stein, et qui appartient au taoïsme moderne syncrétiste, est significatif: "C'est pourquoi le (Buddha) Rulai (Tathâgata), dans sa grande miséricorde, a révélé la méthode du travail (alchimique) du feu et a enseigné à l'homme de pénétrer de nouveau dans la matrice pour refaire sa nature (véritable) et (la plénitude de) son lot de vie."
" Eliade a proposé de voir dans ce "retour à la matrice" le développement d'une conception archaïque : la guérison par un retour symbolique aux origines du monde, c'est-à-dire par une "réactualisation de la cosmologie".
" Quand l'alchimie mystique s'est orientée, au XIe siècle après J.-C., dans une direction contemplative et s'est transformée, au XIIIesiècle, en une technique ascétique, principalement sous l'influence du bouddhisme zen, cette élaboration relativement tardive fut l'œuvre de pieux lettrés et elle ne présente plus, dès lors, les caractères traditionnels de l'alchimie chinoise archaïque. ".
Répertorions dans ce texte les ennemis de l'alchimie traditionnelle (chinoise) : la taoïsme, le bouddhisme, le zen, le mysticisme, le symbolisme, les pieux lettrés (les membres du clergé officiel, les représentants du Pouvoir en somme), les contemplatifs, et pour finir en beauté... le syncrétisme. Le SR peut se réaliser du moment où une culture (religieuse) en crise a la capacité de s'ouvrir sur d'autres. Les termes susnommés sont justement ceux de notre SR actuels : le mysticisme des sectes, les contemplatifs du Yoga et de toute la tendance New Age, le Dalaï-Lama et le bouddhisme à la mode (c'est-à-dire ce qu'on appelle le Grand Véhicule, la religion du peuple), les livres ésotériques ou prétendument "alchimiques"... La dégradation du savoir ancien a commencé depuis longtemps et ne s'est pas achevée. Les mêmes facteurs, donc les mêmes effets. CQFD. Pas étonnant, dans cette perspective, que la réalité du mot "alchimie" ait pris un sens galvaudé dans l'imaginaire des générations qui ont suivi. Le mot, certes, lui, n'a pas disparu. Il s'est adapté, ou il a été adapté aux besoins et aux désirs de cultures et d'époques différentes. Les alchimistes sont avant tout des hommes, et ils ont eux aussi suivi le fleuve du temps... et ils se sont perdus dans ses remous.
De fait, on est en droit de se demander si d'autres termes de l'ésotérisme n'ont pas subi le même sort. Si l'ésotérisme d'aujourd'hui est bien l'ésotérisme d'hier, SR mis à part, et si des théories, aussi farfelues soit-elles, ne cacheraient pas quelque réalité antique et universelle - ou presque. On tentera d'y répondre plus loin, mais le débat reste ouvert.
L'alchimie indienne
J'ai surligné les habituels points communs, car il est désormais inutile de les nommer : on aura compris que ces similitudes sont la raison même du mot "alchimie" diversement employé.
" Bien que l'alchimie, comme technique spirituelle fondée sur des pratiques physiologiques particulières, principalement tantriques, semble avoir été connue de l'Inde antique, peut-être à une époque plus ancienne que celle où elle le fut en Chine, le problème de ses origines historiques n'a pas encore reçu de solution définitive. On a supposé que ces théories et ces pratiques indiennes auraient une origine arabe, mais un traité de Nâgârjuna, traduit en chinois par Kumârajîva trois siècles avant l'essor de l'alchimie arabe, fait état de la transmutation en or par deux procédés distincts, soit par la puissance des drogues, soit par la force développée par le yoga.
" Mircea Eliade a bien montré ces convergences entre le yoga, surtout le Hatha-yoga tantrique et l'alchimie: "C'est tout d'abord l'analogie évidente entre le yogin qui opère sur son propre corps et sa vie psycho-mentale d'une part, et l'alchimiste qui œuvre sur les substances, d'autre part: l'un comme l'autre visent à "purifier" ces matières impures, à les "perfectionner" et, finalement, à les transmuer en "or". Car l'or, c'est l'immortalité, répètent les textes indiens; il est le métal parfait et son symbolisme rejoint le symbolisme de l'Esprit pur, libre et immortel, que le yogin s'efforce, par l'ascèse, d'extraire de la vie psycho-mentale, "impure" et asservie."
" Ainsi l'alchimiste, selon Eliade, espère-t-il arriver aux mêmes résultats que le yogin en "projetant" son ascèse sur la matière: "Au lieu de soumettre son corps et sa vie psycho-mentale aux rigueurs du yoga, pour y séparer l'Esprit (purusha) de toute expérience appartenant à la sphère de la substance (prakriti), l'alchimiste soumet les métaux à des opérations chimiques assimilables aux "purifications" et aux "tortures" ascétiques. Entre le plus vil métal et l'expérience psycho-mentale la plus raffinée, il n'y a pas de solution de continuité."
" Dans les deux cas, Tantra-yoga et alchimie, le processus de la transmutation du corps "mortel et corruptible" en un "corps parfait" (siddha-deha), incorruptible et "divin" (divya-deha), corps du "délivré dans la vie" (jivan-mukta), comporte une expérience de mort et de résurrection initiatiques. On serait ainsi fondé à voir dans le tantrisme et dans l'alchimie un enseignement parallèle, ayant pour but d'affranchir l'homme des lois du temps, de "déconditionner son existence" et de conquérir la liberté absolue.".
Avant de continuer notre lecture suivie, remarquons ici ces expériences de mort et de résurrection. Ce n'est pas uniquement chrétien. C'est bien plus ancien et universel. Je n'ajouterai pas "presque" ici, car c'est réellement universel. Les chamans du monde entier connaissent ce type d'initiation. Etre déchiqueté par les esprits pour être mieux reconstruits par eux. C'est un travail de désossage : les membres, puis les nerfs, puis les os. C'est très méthodique, presque... alchimique. Tous les mythes de l'antiquité ont aussi leur héros qui va mourir, qui jusqu'aux Enfers, pour faire un pacte, revenir à la vie ou tenter de ramener l'Anima personnifié, la femme de leurs rêves. Ce sont là les mystères d'Orphée et d'Eleusis, pour ne citer qu'eux.
" Cette thèse d'Eliade est irréfutable en ce qui concerne l'alchimie sotériologique, c'est-à-dire celle qui s'est élaborée en tant que technique mystico-religieuse du salut ou de la "délivrance". En revanche, elle ne rend pas compte de l'alchimie magico-expérimentale archaïque à laquelle il semble que ces considérations métaphysiques subtiles aient été étrangères. ".
L'alchimie était peut-être unique dans la pratique, mais elle répondait à un esprit des religions, une façon de voir et de penser, très spirituelle ou très inconsciente, qui n'a presque pas changé durant des millénaires. Remarquable.
Les textes alexandrins
On observera ici deux choses capitales. Premièrement, l'alchimie alexandrine ne domine le monde de l'alchimie que du point de vue occidental - ce qui n'étonnera personne. En réalité, l'alchimie qui nous est parvenue de ces sources provient d'une autre alchimie, plus précise dans ses termes, plus ancienne et peut-être étrangère. Deuxièmement, décadence et industrie des faux du monde antique des premiers siècles après Jésus-Christ ont touché la culture alchimique et perturbé ses doctrines. On remarquera encore l'effet néfaste d'une certaine vulgarisation des connaissances. Ou les théories deviennent floues et disparates, ou les pratiques deviennent de la pure technique, vite oubliée au vue des techniques nouvelles et de leur plus grande efficacité. L'alchimie telle qu'elle a été reprise et modifée par le peuple, ses désirs et ses besoins, n'est donc pas celle que connaissaient les Initiés ou Alchimistes. Il ne faudrait donc pas parler de l'alchimie, mais des alchimies.
" Loin d'être l'origine de l'alchimie, comme l'a cru Berthelot, la Grèce égyptienne, entre le IIIème siècle et le VIIIème siècle après J.-C., n'a connu que la fin de l'évolution des communautés alchimiques et métallurgiques de la haute Antiquité. Ruska souligne les traces sensibles de cette décadence déjà chez Zosime de Panopolis, l'auteur le plus fécond de la littérature alexandrine hermétiste, au IVesiècle.
" Cette littérature est indigente et pompeuse, dénuée de cohérence, même sur le plan allégorique et symbolique. Les noms d'Agathodémon, d'Hermès et de Thot, d'Isis, d'Osiris et d'Horus, d'Orphée, d'Ostanès ou de Moïse, de Marie la Juive ou de Cléopâtre, de Démocrite ou d'autres, témoignent assez clairement de son origine culturelle probable : la bibliothèque d'Alexandrie. L'industrie des faux a été pratiquée, avec virtuosité parfois, pendant toute l'histoire de la littérature alchimique. Ce fut l'une des principales ressources des scribes antiques et médiévaux.
" La décadence de l'alchimie grecque reflète, en réalité, un phénomène plus général : celui de la lente dissolution des structures religieuses et sociales du monde antique. Quand l'ordre des institutions et des valeurs change, la cohésion logique des représentations scientifiques de l'univers se modifie.
" La société grecque du IIIesiècle accueillait le mysticisme pseudo-alchimique avec intérêt précisément parce qu'il était pseudo-religieux et pseudo-philosophique, comme elle-même était pseudo-hellénistique. Ces contrefaçons exotiques et syncrétistes s'accordaient avec son cosmopolitisme, ses confusions et ses curiosités culturelles. Elle voulait savoir parce qu'elle ne pouvait plus croire; elle se fiait au miracle, car elle doutait de sa propre réalité.
" Aussi l'élaboration alchimique littéraire de l'"hermétisme" alexandrin ne peut-elle être confondue avec la gnose alchimique islamique : synthèse universelle opérée par des conquérants et pour des conquérants, "guerre sainte" pour la délivrance de l'âme, dont l'aspect historique était transcendé par une quête spirituelle, essentiellement chevaleresque. ".
Les noms cités sont de nature purement syncrétique. Hermès est un dieu grec, Osiris un dieu égyptien, Moïse un personnage juif (mais égyptien aussi, il est vrai), et Marie chrétienne ou judéo-chrétienne. Dieux et héros s'entremêlent. Malheureusement, il n'est rien dit de l'utilisation de ces noms, du contexte et du sens qui leur est donné. Dans la vision de l'Encylopedia Universalis, le syncrétisme est un signe de décadence. De là l'idée que le syncrétisme est décadence en lui-même, il n'y a qu'un pas qui est vite franchi dans la recherche des origines, des "pures" origines de la tradition ou de l'Age d'Or. C'est là où l'ethnologue a le droit, le devoir et j'espère le pouvoir de s'interposer, car les différences ont la capacité innée de nous enrichir. Offrir une comparaison avec l'autre, l'étranger, permet de changer son regard sur le monde dans son entier, sur notre propre société, sur nous-mêmes et notre vision des choses. C'est pourquoi la recherche des sources ne doit pas oublier qu'elle est aussi recherche syncrétique par excellence, puisqu'elle compare les connaissances actuelles ou connaissances antiques, la vision d'une époque à la vision d'une autre donc. Obtenir des informations est intéressant, mais quelque peu futile si c'est pour les garder enfermées. Le SR propose de faire travailler les doctrines sur leurs points communs. La "décadence" n'est pas à nier, elle est juste plus subtile que susnommée : ce n'est pas le syncrétisme qui est nuisible, c'est de vouloir considérer l'alchimie que du point de vue théorique - afin d'être plus malléable dans le monde des idées, plus facilement comparables avec d'autres philosophies et d'autres alchimies. L'alchimie est un tout. Un Tout comparable, mais dans une comparaison correcte, il est nécessaire de garder la mesure de chaque chose. On ne peut pas se permettre de ne comparer que l'aspect théorique sans comparer l'aspect technique. Cette primauté du monde des idées au monde physique n'était pas un hasard : il est dans la philosophie platonicienne du monde grecque, et donc alexandrin. Ainsi, ce n'est pas seulement l'alchimie qui a perdu de son unité, et donc de son sens logique, mais aussi le syncrétisme, en tant que méthode efficace ou enrichissante. Or, c'est justement le terrain sur lequel j'entends me battre.
L'alchimie arabe et persane
Les Arabes aussi développèrent l'alchimie, ce faisant c'est devenu une alchimie arabe à part entière. Mais il semble que l'alchimie grecque passa aux Arabes par l'intermédiaire des Persans. Il faudra donc chercher la source ailleurs.
" Les travaux de Ruska ont établi que les Syriens n'ont pas été les seuls médiateurs entre la science grecque et la science arabe. Ils ont joué, sans doute, un rôle important et même capital en philosophie et en médecine, mais, en fait, les Persans (les Iraniens) furent les premiers maîtres des alchimistes et des hermétistes islamiques.
" On peut situer cette transmission entre 750 et 800. L'ancêtre de la dynastie des Abbassides, qui régnaient alors, portait le titre héréditaire de grand prêtre d'un temple bouddhiste de Balkh, "la mère des cités", qui fut réédifié magnifiquement en 726. Là s'étaient conservées des traditions grecques et chrétiennes nestoriennes, mais aussi des traditions zoroastriennes et manichéennes. ".
Le SR n'est pas récent. Il existait déjà en Chine et en Perse antiques. La mythologie iranienne possède beaucoup de corrélations avec celle de l'Inde. C'est ce qu'on appelle l'aire indo-européenne. De nature beaucoup plus abstraite, les religions qui s'y sont développées étaient les premières à développer l'idée d'un dieu unique, créateur et tout-puissant. De manière toute aussi originale, le syncrétisme s'y est développé dans la tolérance - qui trouve moins son explication dans la domination de la Perse que dans son aspect de "plaque tournante" de l'Europe à cette époque. Un exemple historique qu'une telle société est possible, même si elle est éphémère. Mais ce qui nous intéresse est cette ouverture aux croyances étrangères et cette tendance à vouloir réunir et comparer celles-ci, sans pour autant vouloir en faire les preuves de l'universalisme de sa religion et de ses dieux, comme on pu le faire César et plus tard les évangélistes. L'alchimie, de même, a pu servir d'outil à la conquête romaine, et plus tard donner un exemple de paganisme infernal (alchimie = forges = feu = enfer).
La situation est différente en Perse : les alchimies qui y sont recueillies reforment peut-être cette alchimie primordiale dont l'esprit et la méthode avaient été séparés.
La gnose alchimique islamique
Entre parenthèses : ici encore, on utilise de manière péjorative ce douteux syncrétisme, alors qu'il n'est justement rien d'autre que cette complexité d'apports et d'influences.
" Cette complexité d'apports et d'influences a fait de l'alchimie arabe une gnose ésotérique et initiatique d'une ampleur et d'une profondeur que l'on ne saurait comparer au douteux syncrétisme de l'hermétisme alexandrin.
" On doit éviter de rapporter à des origines grecques ou égyptiennes littéraires un ensemble de connaissances transmises à la chrétienté médiévale et dont les origines initiatiques sont incontestablement islamiques. En effet, si la partie magico-expérimentale de l'alchimie est archaïque, si elle remonte à la protohistoire, sa partie gnostique, telle qu'elle a été conservée par la tradition occidentale, est relativement récente puisqu'elle ne saurait être antérieure à l'élaboration de la gnose jâbirienne. ".
Ici s'installe l'idée d'une coupure entre le monde protohistorique et l'antiquité. Dans le premier, l'alchimie est essentiellement magique, dans le second, elle devient bien plus abstraite. C'est peut-être le seul défaut du syncrétisme : à trop y regarder les points communs et à comparer les systèmes, on en oublie les détails, et parmi eux, des points qui ne sont peut-être pas moins importants que des articulations logiques en grammaire. C'est la différence entre l'autodidacte et l'expert. On passe ainsi de l'alchimie des praticiens à l'alchimie des théosophes. Même si l'idée est extrême, l'idée est là. Les alchimistes persans ont eu le recul suffisant pour comprendre et expliciter les phénomènes dont ils étaient témoins, mais de fait, ils en ont - en toute probabilité - perdu la pratique et donc la maîtrise. De la perte de maîtrise, on en vient à la nécessité de spéculer. De la spéculation, on arrive aux erreurs de jugement. Jusqu'à aujourd'hui.
" C'est à Geber (Abu 'Abd Allah Jabir ibn Hayyan al-Sufi), "roi des Arabes et prince des philosophes", que l'alchimie arabe a dû son renom extraordinaire, pendant tout le Moyen Âge. Les incertitudes d'attribution de ces œuvres à un auteur mettent en évidence le fait caractéristique d'une chaîne initiatique située sous un "saint patronage gnostique". Corbin a bien montré que, parmi les rédacteurs possibles du corpus jabirien, "chacun avait à reprendre, authentiquement sous le nom de Jâbir, la geste de l'archétype". ".
Ce côté initiatique est le propre de l'ésotérisme : un cercle fermé, qui se poursuit dans le temps, et qui garde autant qu'il pratique. Dans d'autres textes, le mot "ésotérique" est d'ailleurs utilisé, et ce sont toutes ces alchimies postérieures, fausses et décadentes qui rejoignent le domaine de l'exotérisme.
La science de la Balance jabirienne
Trois mille traités. Voici ce qu'aurait écrit à lui seul l'Arabe Jabir - héritier du savoir persan. Ce serait ignorer qu'il est coutumier de voir un nom célèbre repris par ses successeurs - anonymes. On a vu ce phénomène pour des noms de seigneurs, pour des noms de héros, pour toutes les grandes figures en fait. Les prénoms célèbres ont donné les prénoms d'aujourd'hui. Un alchimiste occidental pris même le nom de Geber à une époque - Geber étant le nom latin de Jabir. Evidemment, rien est impossible, surtout quand on parle d'immortalité. Que Jabir ait écrit trois mille traités est quelque part possible, mais il est encore plus probable que ce nombre participe du mythe - ou du message que veut faire passer le mythe.
" L'œuvre considérable de Jabir ibn Hayyan, Geber en latin, compterait trois mille traités, s'il fallait en croire la tradition et même certains orientalistes. On a supposé que Jabir dont la naissance et la mort se situent, approximativement, entre 730 et 804, aurait été le nom choisi par les Ikhwan al Safa, les "Frères de la Pureté et de la Fidélité", qui eurent leur centre à Basra et y rédigèrent, au Xème siècle, une encyclopédie. Traduite en persan et en turc, elle eut une influence considérable sur les penseurs et les mystiques de l'Islam. On retrouve, chez les Frères, la tendance à élever la conception néoplatonicienne des "nombres-idées" au rang d'un principe métaphysique, nommé la "Balance" (mizan), bien que, chez Jabir, cette notion soit, à vrai dire, plus complexe, et plutôt ésotérique que philosophique. Ce mot est l'origine d'un ancien nom de l'alchimie, en langue franque, maza, cité par Berthelot, devenu massa, dans le Theatrum chymicum. ".
Nous entrons ici dans les détails de la "science" jabirienne. Le mot "science" est ici employé au sens prémoderne du mot, et entendu dans le sens moderne. Car il serait péjoratif d'utiliser une expression comme "pseudo-science", même s'il est vrai qu'on ne peut pas considérer des traités de "métaphysique appliquée" comme une science.
" Selon la "science de la Balance", à toute genèse correspond une exégèse. Au "Livre du Monde", le Liber Mundi qu'est l'univers créé, matériel, élémentaire, répondent des "niveaux de signification". À partir de ceux-ci, de proche en proche, l'exégèse spirituelle (ta'wil), en découvrant la relation qui existe entre le manifesté, l'exotérique (zahir) et le caché, l'ésotérique (batin), en "occultant l'apparent et en faisant apparaître l'occulté", en s'élevant des sens au Sens, ouvre enfin le "Livre du Glorieux" (Kitab al-Majid) et s'éveille à Sa Splendeur. Là, seulement, la transmutation du monde s'achève en transfiguration.
" Ainsi l'opération alchimique, réellement accomplie sur une matière réellement donnée, faute de quoi l'ascension ultérieure ne serait ni comprise ni fondée, n'est pas allégorique mais exégétique.En répétant une genèse, non seulement elle l'explique vraiment, mais encore elle est guidée hors de cette première genèse vers une seconde naissance : elle y trouve l'initiation. ".
On trouve ici un système de correspondances entre l'âme et le métal. L'un participe du domaine de l'invisible, l'autre du visible. Au niveau théorique, c'est l'invisible qui prime, puisque les liens unissant les deux parties sont eux aussi du domaine de l'invisible. Mais au niveau pratique, c'est la transmutation du métal qui permet la seconde naissance de l'âme, et non pas l'inverse, même si le lien est étroit. L'immortalité n'est donc pas un but, mais un effet. C'est la découverte du sens de l'univers via la matière qui importe, et au final, l'application de cette découverte sur soi-même.
Au fil de notre avancée, l'alchimie perd son sens en français, où l'on entend précisément le préfixe arabe "al" et le mot "chimie". Or, les Arabes ne sont que les dépositaires de l'alchimie (comme ils l'ont été du 0 découvert par les Chinois avant eux) - même si c'était pour l'améliorer ensuite comme le fit Jabir - , et la chimie est un terme réductif, surtout au vu de la chimie moderne, scientifique et industrielle. C'est ce qu'en linguistique, on serait en droit d'appeler un "faux ami".
" Mais la force même (quel que soit le nom qu'on lui donne) de cette opération n'a pu s'en dégager que parce qu'elle était déjà engagée dans son sujet matériel, réel, qui, nécessairement, ressentait un désir d'interpénétration entre ses propres qualités et les natures élémentaires primordiales. C'est du désir éprouvé par l'âme pour les éléments que dérive le principe qui est à l'origine des Balances (mawazin).
" Les phases du retour de l'âme à elle-même sont donc aussi légitimement décrites par les étapes et les états de la progression matérielle de l'Œuvre, qui peuvent, inversement, mesurer à tout moment les divers degrés de ce retour. On voit qu'il s'agit bien d'une subtile "Balance" et d'une mystique positive et presque quantitative, ce qu'a souligné Corbin: "La Balance de Jabir était alors la seule algèbre qui pût noter le degré d'"énergie spirituelle" de l'Âme incorporée aux Natures, puis s'en libérant par le ministère de l'alchimiste qui, en libérant les Natures, libérait aussi sa propre âme.".
" Les alchimistes arabes ont développé une véritable énergétique de l'âme du monde. Leur conception des déséquilibres métalliques, analogues à des maladies guérissables, n'est pas absurde scientifiquement, car ils l'ont fondée sur de patientes observations des gîtes miniers. Selon l'impureté des matrices, les accidents de leur milieu naturel, les métaux, "vils" par leur naissance première, pouvaient devenir "nobles" par leur mort et leur résurrection. ".
Nous répertorions ici, dans le sacro-saint de l'alchimie, les thèmes communs à l'ésotérisme en général : les natures élémentaires (Feu, Eau, Air, Terre), la mort et la résurrection, et plus loin un lien avec l'astrologie. Ces rapports thématiques sont bien plus intéressants que les précédents rapports de forme. Ils nous donnent à penser : l'alchimie ne serait-elle pas la branche coupée d'un grand arbre théorique et magique que nous appellerons Esotérisme ? Si cet arbre n'est en pas l'origine, il se pourra, à l'inverse, qu'il en soit sa finalité, espérée à défaut d'être accomplie.
" Ce fut dans une direction bien différente de la gnose jabirienne, sinon opposée, que s'orienta l'œuvre alchimique de Muhammad ibn Zakariyya Razi (en latin Rhazes), né en 864 à Razy, près de Téhéran, mort vers 932. Ce médecin et philosophe, opposé au prophétisme et farouchement hostile à toute idée d'élection divine, professant un irréductible égalitarisme, confiait seulement aux philosophes la charge d'éveiller les âmes et de les délivrer de leurs erreurs. Ses œuvres alchimiques, nettement préchimiques, mentionnent la préparation de l'acide sulfurique, du zinc, de l'eau-de-vie, des aluns (qui sont, en réalité, des sulfates, des "atraments") et des sels. D'après Abou Obaiah, Rhazès aurait composé 226 volumes dont la plupart sont perdus. C'est Rhazès qui a donné à l'alchimie, semble-t-il pour la première fois, le nom d'"astronomie inférieure" ou terrestre, afin de montrer ses rapports avec l'astronomie "supérieure" ou céleste : l'astrologie. ".
Précision sur le dénommé Rhazès : sans doute influencé par les notes persanes désignant les éléments chimiques, il fonda ou participa à une alchimie exotérique de type préchimique. Il est important parce qu'il est Persan et qu'en tant que tel, il avait accès à de nombreux manuscrits, il l'est moins parce qu'il ne connaissait pas tout et qu'il a reformulé non seulement les termes de l'alchimie, mais l'alchimie elle-même. Vouloir son nom, c'est vouloir laisser sa trace, donc être original, nouveau et ce faisant réformateur des idées anciennes, donc "périmées". Cette déformation, même légère, est un risque fréquent quand on obtient un nom, surtout quand il est célèbre, à une époque où l'on n'avait pas l'habitude de signer ses textes. C'est pour cela que l'alchimie originelle, les mythes, les rituels et les chansons populaires sont toutes anonymes. Peut-être aussi pour cela que la tradition orale primait sur l'écriture, et que l'écriture symbolique (pictogrammes, hiéroglyphes, ...) primait sur l'écriture alphabétique, et ce à des époques très tardives. Enfin une explication plausible des l'hermétisme des écrits et des symboles alchimiques.
Les premiers textes de l'alchimie occidentale
" On admet généralement que, comme en médecine, en mathématiques, en astronomie, les premiers monuments de l'alchimie occidentale ont été des traductions d'ouvrages arabes, par exemple, le Livre des Septante de Geber, ou la Turba philosophorum.
" Les connaissances métallurgiques étaient cependant plus développées en Occident avant le XIIème siècle, époque probable de l'apparition de l'alchimie arabe, que les historiens ne semblent le supposer. Ganzenmüller a rappelé que le célèbre traité, Schedula diversarum artium, du moine Théophile, contient la plus ancienne formule connue d'alchimie occidentale. Ce recueil technique, l'un des plus précieux du Moyen Âge, date de la fin du XIème siècle. Il mentionne le traitement des métaux pour fabriquer l'or "arabe" et l'or "espagnol". À vrai dire, ce procédé n'est point "alchimique", comme le dit Ganzenmüller, mais chimique: il s'agit d'alliages. Néanmoins cela prouve que ce genre de recherches a été connu par les artisans, bien longtemps avant les premières traductions d'ouvrages arabes. "
Ne retombons pas dans la confusion : le travail des artisans n'a rien avoir avec le travail des alchimistes. Ne collons donc pas cette étiquette à des gens qui ne connaissaient pas encore mot - puisqu'il est d'origine arabe, justement.
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