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Napoléon Ier
« Napoléon » redirige ici. Pour les autres significations, voir Napoléon (homonymie) et Bonaparte (homonymie).
Napoléon Bonaparte | |
Nom de naissance | Napoleone Buonaparte |
---|---|
Naissance | Ajaccio Royaume de France |
Décès | Île Sainte-Hélène Royaume-Uni |
Origine | Corse |
Allégeance | Royaume de France République française Empire français |
Grade | Général de division |
Années de service | 1785 – 1815 |
Commandement | Armée de l'Intérieur Armée d'Italie Armée d'Orient Commandant en chef de l'armée napoléonienne |
Conflits | Guerres de la Révolution française Guerres napoléoniennes |
Faits d'armes | Siège de Toulon Insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV Bataille du pont d'Arcole Bataille de Rivoli Bataille des Pyramides Bataille de Marengo Bataille d'Austerlitz Bataille d'Iéna Bataille d'Eylau Bataille de Friedland Bataille de Leipzig Bataille de Waterloo |
Autres fonctions | Premier consul (1799 – 1804) Empereur des Français (1804 – 1814 ; 1815) |
Généraux de la Révolution et du Premier Empire | |
modifier |
Napoléon Bonaparte, né le à Ajaccio et mort le sur l'île de Sainte-Hélène, est un militaire et homme d'État français, premier empereur des Français du au et du au , sous le nom de Napoléon Ier.
Second enfant de Charles Bonaparte et Letizia Ramolino, Napoléon Bonaparte devient en 1793 général dans les armées de la Première République française, née de la Révolution, où il est notamment commandant en chef de l'armée d'Italie puis de l'armée d'Orient. Arrivé au pouvoir en 1799 par le coup d'État du 18 Brumaire, il est Premier consul — consul à vie à partir du — jusqu'au , date à laquelle l'Empire est proclamé par un sénatus-consulte suivi d'un plébiscite. Il est sacré empereur, en la cathédrale Notre-Dame de Paris, le , par le pape Pie VII, en même temps que son épouse Joséphine de Beauharnais.
En tant que général en chef et chef d'État, Napoléon tente de briser les coalitions montées et financées par le royaume de Grande-Bretagne et qui rassemblent, à partir de 1792, les monarchies européennes contre la France et son régime né de la Révolution. Il conduit les armées françaises d'Italie au Nil et d'Autriche à la Prusse et à la Pologne : les nombreuses et brillantes victoires de Bonaparte (Arcole, Rivoli, Pyramides, Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland), dans des campagnes militaires rapides, disloquent les quatre premières coalitions. Les paix successives, qui mettent un terme à chacune de ces coalitions, renforcent la France et donnent à Napoléon un degré de puissance jusqu'alors rarement égalé en Europe, lors de la paix de Tilsit (1807).
Napoléon réforme durablement l'État, en restaurant son autorité et sa primauté. La France connaît d'importantes réformes, qui font de Napoléon l'un des pères fondateurs des institutions contemporaines françaises. En ce sens, les codifications napoléoniennes, dont le Code civil de 1804, permettent de renforcer les libertés individuelles ou l'égalité des citoyens devant la loi, en opérant une synthèse par la garantie de certains acquis révolutionnaires et la reprise de principes traditionnels issus de l'Ancien Régime. L'administration française est réorganisée, avec la création des préfets dans les départements. De même, une nouvelle monnaie émerge, le franc, tandis qu'est instaurée la Banque de France. Le Conseil d'État est également créé, tout comme les lycées.
Napoléon tente également de renforcer l'empire colonial français de l'Ancien Régime en outre-mer. Alors que la révolution haïtienne tourne à la sécession dans cette colonie, Napoléon rétablit l'esclavage en 1802, rétablissement qu’il souhaite provisoire, notamment pour empêcher l’indépendance proclamée de l'île par le général Toussaint Louverture. Toujours pour des raisons politiques, Napoléon revend paradoxalement la Louisiane aux États-Unis, en 1803. Il perd cependant la plupart des colonies qui l’intéressaient face aux Britanniques, et perd Saint-Domingue à la suite de l'échec de l'expédition militaire préalable (1802-1803), visant à combattre les indépendantistes.
Napoléon porte le territoire français à son extension maximale en Europe, avec 134 départements en 1812, transformant Rome, Hambourg, Barcelone ou Amsterdam en chefs-lieux de départements français. Il est aussi président de la République italienne de 1802 à 1805, roi d'Italie de 1805 à 1814, médiateur de la Confédération suisse de 1803 à 1813 et protecteur de la confédération du Rhin de 1806 à 1813. Ses victoires lui permettent d'annexer à la France de vastes territoires et de gouverner la majeure partie de l'Europe continentale en plaçant les membres de sa famille sur les trônes de plusieurs royaumes : Joseph à Naples puis en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie et son beau-frère Joachim Murat à Naples. Il crée également un duché de Varsovie, sans restaurer formellement l'indépendance polonaise, et soumet temporairement à son influence des puissances vaincues telles que le royaume de Prusse et l'empire d'Autriche.
Alors qu'ils financent des coalitions de plus en plus générales, les alliés contre la France finissent par remporter des succès décisifs en Espagne (bataille de Vitoria) et en Allemagne (bataille de Leipzig) en 1813. L'intransigeance de Napoléon devant ces revers lui fait perdre le soutien de pans entiers de la nation française, tandis que ses anciens alliés ou vassaux se retournent contre lui. Amené à abdiquer en 1814 après la prise de Paris, capitale de l'Empire français, et à se retirer à l'île d'Elbe, il tente de reprendre le pouvoir en France, lors de l'épisode des Cent-Jours en 1815. Capable de reconquérir la France et d'y rétablir le régime impérial sans coup férir, il amène pourtant, à la suite de diverses trahisons et dissensions de ses maréchaux, le pays dans une impasse avec la lourde défaite de Waterloo, qui met fin à l'Empire napoléonien et assure la restauration de la dynastie des Bourbons. Sa mort en exil, à Sainte-Hélène, sous la garde des Britanniques, fait l'objet de nombreuses controverses.
Objet dès son vivant d'une légende dorée comme d'une légende noire, il doit sa très grande notoriété à son habileté militaire, récompensée par de nombreuses victoires, et à sa trajectoire politique étonnante, mais aussi à son régime despotique et très centralisé ainsi qu'à son ambition, qui se traduit par des guerres meurtrières (au Portugal, en Espagne et en Russie) avec des millions de morts et blessés, militaires et civils pour l'ensemble de l'Europe. Il est considéré comme l'un des plus grands commandants de l'histoire, et ses guerres et campagnes sont étudiées dans les écoles militaires du monde entier.
Une tradition romantique fait de Napoléon l'archétype du « grand homme » appelé à bouleverser le monde. C'est ainsi que le comte de Las Cases, auteur du Mémorial de Sainte-Hélène, tente de présenter Napoléon au Parlement britannique dans une pétition rédigée en 1818. Élie Faure, dans son ouvrage Napoléon, qui a inspiré le film d’Abel Gance, le compare à un « prophète des temps modernes ». D'autres auteurs, tel Victor Hugo, font du vaincu de Sainte-Hélène le « Prométhée moderne ». L'ombre de « Napoléon le Grand » plane sur de nombreux ouvrages de Balzac, Stendhal, Musset, mais aussi de Dostoïevski, de Tolstoï et de bien d'autres encore. Par ailleurs, un courant politique français émerge au XIXe siècle, le bonapartisme, se réclamant de l'action et du mode de gouvernement de Napoléon.
Situation personnelle
Naissance
Napoléon Bonaparte naît à Ajaccio le , jour de la Sainte-Marie (patronne de la Corse), dans la maison familiale, aujourd'hui transformée en musée1. Napoléon naît un an après le traité de Versailles, par lequel la république de Gênes cède la Corse à la Francea ; l'île est donc récemment française. Ondoyé à domicile, il a pour nom de baptême Napoleone Buonaparte (prénom donné en mémoire d'un oncle décédé à Corte en 1767)2, et n'est baptisé à la cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption d'Ajaccio que le . La famille Bonaparte est d'origine italienne et passée en Corse à la fin du XVe siècle. Jean Tulard3 écrit que, depuis 1616, les Bonaparte sont membres du conseil des Anciens d'Ajaccio ; ils sont essentiellement notaires, hommes de loi, avocats, et sont alliés à d'anciennes familles seigneuriales insulaires4,5.
Napoléon est le quatrième enfant (second des enfants survivants, après Joseph) de Charles Bonaparte, avocat au Conseil supérieur de l'île et greffier au tribunal, et de Maria Letizia Ramolino, dont le mariage avait été célébré en 1764.
Plus tard, Napoléon fera de sa date de naissance, le , un jour férié : la Saint-Napoléon6.
-
Maison de la famille Bonaparte à Ajaccio.
-
Le blason de la famille Bonaparte (avant Napoléon Ier).
Enfance et formation militaire
La famille Bonaparte vit à Ajaccio, rue Malerba (rue de la Mauvaise-Herbe, aujourd'hui rue Saint-Charles), dans une petite maison traditionnelle du XVIIIe siècle, que Napoléon qualifiera lui-même de « misérable ». La Casa Buonaparte est habitée au rez-de-chaussée et au premier étage par les Bonaparte et au deuxième étage par leurs cousins, les Pozzo di Borgo. Ce voisinage est insupportable et les deux familles vivent dans une brouille continuelle. On raconte qu'un jour, une Pozzo di Borgo aurait jeté le contenu d'un pot de chambre par la fenêtre, sur Madame Letizia7.
Les Bonaparte ne sont pas une famille riche. Dans ce milieu rural, les ressources matérielles de la famille sont essentiellement fondées sur les récoltes et les échanges. À l'école, Bonaparte est un enfant turbulent et bagarreur avec ses camarades, mais sera très vite reconnu comme étant un enfant avec de grandes capacités, notamment pour le calcul.
Le , Charles Bonaparte est élu député de la noblesse aux États de Corse. En cette qualité, il fait partie de la députation que l’Assemblée générale des États de la Corse envoie à Versailles auprès du roi Louis XVI. Le , il part pour Versailles où Louis XVI le reçoit en audience une seconde fois8, la première rencontre avec le roi datant de 1776. À cette occasion, le comte de Marbeuf, gouverneur de l'île, fait obtenir, auprès du ministre de la guerre, le prince de Montbarrey, une bourse pour faire entrer le deuxième fils de Charles à l'école militaire, l'aîné Joseph étant destiné à suivre une carrière ecclésiastique9.
Arrivés en France le , c'est le que Charles Bonaparte fait entrer provisoirement ses deux fils Joseph et Napoléon au collège d’Autun. Napoléon y reste trois mois, le temps pour son père de faire les démarches permettant de le faire admettre à l'école militaire. Pour obtenir une bourse du roi, il faut fournir les preuves de sa noblesse et de quatre degrés d'ancienneté10. De plus, c'est à Autun que réside Mgr Alexandre de Marbeuf, évêque d'Autun et neveu du gouverneur de la Corse2.
Arrivé au collège d'Autun, Napoléon ne sait pas parler français, il ne parle qu'un dialecte corse. La légende veut qu'à ce moment là, Napoléon ait appris le français en trois mois11, ce qui est très peu probable. Napoléon gardera toute sa vie son accent italien et sa mauvaise orthographe2. Après trois mois et vingt jours passés à Autun, il ira à l'école militaire de Brienne, où il restera cinq ans. C'est un épisode douloureux pour Napoléon qui devra se séparer de son frère.
École royale militaire de Brienne (1779-1784)
Charles Bonaparte ayant fourni les preuves de noblesse de la famille, Napoléon est agréé par le ministère de la Guerre pour entrer au collège royal et militaire de Thiron-Gardais, mais, à la suite de défections, il est finalement admis à l’école royale militaire de Brienne-le-Château (aujourd’hui dans l'Aube)12. Napoléon y entre le en classe de septième13 étant âgé de presque 10 ans. C’est l’un des douze collèges de France qui accueillent les enfants de la petite noblesse. Il va y rester cinq ans.
Bonaparte n’aurait pas été très apprécié de ses camarades, souffrant de moquerie à cause de son fort accent, faisant des fautes de langage, il vivra dans un isolement presque total et en gardera un souvenir assez malheureux2. De plus, Bonaparte ne cache pas son admiration pour Pascal Paoli14. Selon Jacques Godechot, les témoignages sur le séjour de Brienne sont contradictoires et sujets à caution15. Élève assez moyen en général, bon en mathématiques, il montre tout de même déjà une propension à l’art du commandement, en organisant des jeux militaires dont il prend la tête. Une bataille de boules de neige, qu'il aurait dirigée un hiver, fait partie de sa légende16. Son frère Joseph, ayant abandonné son projet d'entrer au séminaire, étudie le droit, Lucien entre au séminaire d’Aix-en-Provence et ses sœurs sont éduquées par Mme Campan.
Le de la dernière année, le sous-inspecteur des écoles, Marie-Antoine-Sérapion Reynaud des Monts, fait passer aux élèves cadets de Brienne l'examen d'entrée à l'École militaire de Paris, où après un an d'études ils pourront être affectés à un régiment d'artillerie, du génie ou de la marine17. Napoléon est jugé apte à y entrer ainsi que quatre de ses condisciples.
École militaire supérieure de Paris (1784-1785)
Il quitte l'école de Brienne à l'âge de quinze ans, le 1784, et arrive cinq jours plus tard à Paris, où il intègre la compagnie des cadets gentilshommes18 de l'école militaire de Paris. Le jeune Napoléon est très impressionné par les magnifiques bâtiments de l'école et par les appartements.
Napoléon se distingue en mathématiques en maîtrisant en dix mois « le fameux Bezout », traité de mathématiques étudié habituellement en trois ans. Doué en mathématiques, il ne présente aucune disposition pour les langues vivantes en négligeant les cours d'allemand. Comme à Brienne, Napoléon, petit noble, souffre des inégalités et va même jusqu'à proposer au directeur de l'école un projet de règlement qui interdirait les démonstrations liées aux privilèges de la fortune2.
Le , Charles Bonaparte meurt d'un cancer de l'estomac dans d'atroces souffrances ; le rôle de chef de la famille échoit alors à l'aîné Joseph, mais Napoléon le juge d'un caractère trop faible pour diriger la famille19. En , il passe l'examen de sortie de l'école, interrogé par le mathématicien Pierre-Simon de Laplace ; il est jugé apte à être affecté à un régiment de la marine, mais la mère de Napoléon s'y oppose et il est finalement intégré à un régiment d'artillerie20.
Affectation au régiment d'artillerie de la Fère (1785-1791)
Il est reçu sous-lieutenant (42e sur 58), à l’examen de l’artillerie. Il reçoit son ordre d'affectation, comme lieutenant en second, au régiment d'artillerie de La Fère, alors en garnison à Valence20,21, qu'il rejoint le .
L'été suivant, il obtient un congé de six mois à partir du . Le , sept ans et neuf mois après son départ, il repose les pieds sur l’île de Corse à l’occasion de son congé de semestre. Il ne rejoindra son régiment que treize mois plus tard, le . Dès , il demande un nouveau congé de six mois, qu'il obtient. Il ne réintégrera son régiment que le . Le , il s’embarque pour rejoindre son régiment de La Fère en garnison à l’École royale d’artillerie à Auxonne depuis le mois de décembre 1787 et, apprendre son métier d’artilleur. Dans ses loisirs, il travaille assidûment. Ses nombreuses lectures (Plutarque, Tite-Live, Cicéron, Montaigne...), qu’il accompagne de Notes22, témoignent du sens dans lequel il a dirigé ses études et des sujets qui l’ont particulièrement attiré.
Le , il quitte Auxonne pour un nouveau congé de six mois. Il ne réintègre son régiment que le ou . Le , il devient lieutenant en premier avec rang au et, il est transféré à la 1re compagnie de canonniers du capitaine de La Catonne, du 2e bataillon du 4e régiment d'artillerie, qui tient garnison à Valence. Il quitte Auxonne le et entre de nouveau en garnison à Valence le . Il obtient difficilement un nouveau congé de trois mois et départ de Valence le , et ne réintègrera que le son régiment à Nice avec le grade de capitaine.
Premières armes (1788-1799)
Lorsque la Révolution éclate en 1789, le lieutenant Bonaparte a dix-neuf ans. Il est présent depuis le au régiment de La Fère, alors à l'école royale d'artillerie à Auxonne dirigée par le maréchal de camp Jean-Pierre du Teil. Ce dernier lui confie la répression de la première émeute de la faim qui éclate dans la ville le .
En 1791, le lieutenant Bonaparte répond à l'ouverture de l'armée russe aux émigrés français ordonnée par la tsarine Catherine II. Son offre est rejetée car la tsarine, qui se méfie des républicains, est également rebutée par le caractère prétentieux du lieutenant qui demande son intégration dans son armée avec le grade de major23 (Майор/Mayor, c’est-à-dire « commandant » ou « chef de bataillon »).
Napoléon retourne à plusieurs reprises en Corse, où les luttes de clans avaient repris, les paolistes soutenant la monarchie à l’anglaise, et les Bonaparte la Révolution. Napoléon se fait élire, dans des circonstances floues (522 voix sur 492 inscrits), lieutenant-colonel en second du 2e bataillon de volontaires de la Corse à Ajaccio le 24. Les troubles qui suivent cette élection amènent les autorités de l'île à éloigner Bonaparte en lui confiant une mission sur le continent au moment où la France déclare la guerre à l'Autriche. Présent ponctuellement à Paris, le jeune officier est spectateur de l’invasion des Tuileries par le peuple le et aurait manifesté alors son mépris pour l'impuissance de Louis XVI. Ce dernier signe, quelques jours plus tard, son brevet de capitaine ; ce sera l'un de ses derniers actes publics.
De retour à Paris, Bonaparte est nommé capitaine le , dans le contexte de la guerre, où l'on a besoin de soldats. De plus, il ne reste que 14 officiers sur 80 dans son régiment, le 4e d'artillerie. La guerre prend de l'ampleur à l'automne 1792 avec la constitution d'une coalition des monarchies européennes contre la toute nouvelle République française, coalition à laquelle participe le royaume de Sardaigne. C'est à son poste de commandant en second du bataillon Quenza-Bonaparte que ce dernier fait ses premières armes en , participant à la tête de l'artillerie à l'expédition de La Maddalena. Malgré l'efficacité et la détermination de Napoléon, l'opération commandée par Colonna Cesari, un proche de Paoli, est un échec cuisant. Cet événement et l’exécution du roi en attisent la division avec les paolistes, provoquant une révolte des indépendantistes.
Les désaccords entre Paoli et Bonaparte s'accentuent à la suite d'une lettre de Lucien Bonaparte à la Convention pour dénoncer Paoli. Paoli l'apprend, et c'est la rupture entre lui et Bonaparte. La famille de Napoléon, dont la maison a été mise à sac et incendiée le 20 par les paolistes, est contrainte de se réfugier dans une autre résidence, leur petite ferme des Milelli. Quelque temps plus tard, le , ils décident de quitter l'île précipitamment à destination de la France continentale, Napoléon déclarant « Ce pays n'est pas pour nous », en parlant de la Corse. Cela va faire naître chez Napoléon une véritable rancune envers les Corses, qu'il évitera tout au long de sa vie. Il déclarera, quelques mois avant sa mort en 1821 au maréchal Bertrand : « La Corse n'est pour la France qu'un inconvénient, une verrue qu'elle a sur le visage ».
Débarqués en France le , les Bonaparte s'installent d'abord près de Toulon, puis dans la région de Marseille, en pleine guerre fédéraliste. La famille qui vient de quitter sa Corse natale a beaucoup de mal à vivre en France, sans argent, sans aucune situation stable. Napoléon Bonaparte, ce jeune capitaine en garnison à Nice, obtient un rappel de solde de 3 000 livres. Il est affecté auprès de l'armée chargée de mater l'insurrection fédéraliste du Midi. Il s'active à approvisionner l'artillerie de Nice en munitions et en poudres durant l'été 1793, ce matériel étant bloqué à Avignon par les girondins.
Le , Bonaparte est à Beaucaire, et c'est à cette période qu'il rédige le fameux Souper de Beaucaire, pamphlet politique pro-jacobin et anti-fédéraliste, dans lequel un militaire discute avec des bourgeois, en leur disant qu'ils doivent se rallier à la Convention nationale. Ce pamphlet sera d'ailleurs utilisé comme instrument de propagande de la Convention. Le 28 , alors que Marseille vient d'être reprise par les jacobins et que la famille Bonaparte s'y installe, Toulon, tenue par les fédéralistes et les royalistes, se livre aux troupes britanniques et espagnoles. L'arsenal et la flotte française sont livrés aux Anglais.
Siège de Toulon (1793)
Bonaparte est capitaine d’artillerie lorsqu'il se présente au général Carteaux chargé de diriger le siège de la ville. Celui-ci ne l'écoute pas et ne suit pas ses conseils20. Bonaparte obtient, à la demande des commissaires Augustin Robespierre et son compatriote Salicetti, le commandement de l'artillerie, avec le grade de chef de bataillon. Bonaparte s'oppose aussi à Louis Fréron, qui, par sa mauvaise gestion des affaires militaires, contribue au lancement de sa carrière. Il rencontre lors de ce siège de jeunes officiers comme Marmont ou Victor et le sergent Junot20 qui accompagneront la suite de sa carrière. L'artillerie est dirigée par Dommartin, mais Bonaparte est nommé commandant à sa place, le . Le , il parvient, avec ses hommes, à capturer le général anglais Charles O'Hara20.
Après l'échec d'un assaut contre Toulon, Napoléon soumet un plan d'attaque au général Dugommier, qui a pris le commandement du siège. L'application de ce plan permet la reprise de la ville aux troupes royalistes et britanniques le , après la prise du Petit Gibraltar20. Ses ordres contribuent à forcer la flotte britannique à quitter la rade de Toulon et à priver ainsi les insurgés d'un soutien précieux. Il est fait général de brigade le 25 et refusera au commissaire Augustin Robespierre (frère de Maximilien de Robespierre), son protecteur, le commandement de l'armée de Paris20. Augustin dira d'ailleurs à son frère, par une lettre, que Bonaparte est « un mérite transcendant et Corse ». Le nom de « Bonaparte » est désormais connu de Maximilien de Robespierre.
Bonaparte, jeune général victorieux
Après cette victoire, Bonaparte suscite l'admiration auprès de la Convention, mais aussi auprès de la gent féminine. Il se met à fréquenter Désirée Clary, qui devient officiellement sa fiancée2 le (2 floréal de l'an III)25.
Il obtient une mission de ravitaillement à Gênes le , visant à se renseigner sur les forces militaires de la république de Gênes. Le (9 thermidor de l'an II), il rentre à Paris, le jour de la chute de Robespierre. Ses amitiés avec les jacobins lui valent d’être brièvement arrêté le à Antibes, au fort Carré20. La situation reste mauvaise pour Bonaparte. Il remonte ensuite à Paris, et se présente au ministère de la Guerre qui lui propose d'aller faire de la répression en Vendée, mais Bonaparte refuse, car il a l'esprit tourné vers l'Italie. Pour éviter d'y aller de force, il se présentera malade de la gale, accompagné d'un certificat médical.
Au mois de , il espère aller en Turquie à la demande du sultan pour devenir officier instructeur. Cela échouera, il n'est pas retenu.
Le , il est renvoyé brusquement — ou il démissionne, la cause reste encore floue. Désormais sans affectation et sans solde, c'est une catastrophe pour lui. Mais Bonaparte ne tardera pas à reparaître, un certain , le 13 vendémiaire an IV.
Insurrection royaliste de 1795
Une fois Bonaparte libéré, François Aubry, membre du comité militaire, lui propose en 1795 un commandement en Vendée mais il refuse et lui dit même « on vieillit vite sur le champ de bataille et j'en arrive »20. Aubry le met alors en congé, mais sans solde. Par la suite, il erre à Paris sans commandement effectif ; sans argent, il va souvent dîner chez Bourrienne ou chez Mme Panoria Comnène, épouse Permon, une connaissance de Corse, avec Junot, les deux étant devenus inséparables depuis le siège de Toulon20.
Le 13 vendémiaire an IV (), Barras, à qui revient la charge de commander les opérations de défense, demande à Bonaparte de réprimer l’insurrection royaliste contre la Convention nationale20. En effet, 25 000 royalistes préparent une insurrection à Paris. À cette occasion, Bonaparte a sous ses ordres un jeune officier, Joachim Murat, chef d'escadron, son futur beau-frère. Ce dernier joue un rôle déterminant, en transférant à temps les canons indispensables depuis les Sablons jusqu'aux abords des Tuileries. La canonnade de Saint-Roch — où les boulets ont été remplacés par de la mitraille plus efficace — disperse les forces royalistes, faisant trois cents morts26.
Quelques jours plus tard, Bonaparte est promu général de division, le 24 vendémiaire an IV ()25, puis nommé général en chef de l’armée de l'Intérieur, le 3 brumaire an IV ()25, succédant à Barras qui devient l’un des cinq membres du Directoire, régime qui succède à la Convention le 4 brumaire an IV (). Il s'installe alors à Paris, à l’hôtel de la XVIIe division, rue des Capucines20. Bonaparte fait ici une ascension extraordinaire et fulgurante en devenant, en quelques semaines seulement, un personnage très important de la capitale.
Bonaparte et Joséphine
Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie est veuve d’Alexandre de Beauharnais, général de l’armée du Rhin, accusé de s’être rendu au siège de Mayence de 1793 : il a été guillotiné en 1794, tandis qu'elle a été emprisonnée. Alexandre lui avait donné deux enfants : Eugène et Hortense. Joséphine est née en Martinique en 1763 : son père y possédait une plantation de cannes à sucre.
Après une première rencontre entre Bonaparte et Joséphine le 25, une véritable passion naît entre les deux amants. Très rapidement ils décident de se marier. Bonaparte s'empresse donc d'écrire une lettre de rupture à Désirée Clary, dont la sœur Julie a été mariée à Joseph le . Le , en retard à la cérémonie, Bonaparte arrive et s’écrie auprès du commissaire chargé de remplacer le maire « Mariez-nous vite », en le réveillant. Le mariage républicain a lieu à Paris dans la mairie du IIe arrondissement (l’ancien) ; il n'y a pas de mariage religieux. Paul Barras, l'ancien amant de Joséphine, est présent. Sur leur certificat27, les époux falsifient leur âge, effaçant quasiment leur différence qui est de six ans : Joséphine se donne quatre ans de moins et Bonaparte dix-huit mois de plus. En outre, le mariage n'est pas réglementaire car le commissaire n’est pas habilité à en célébrer6. Deux jours plus tard, Bonaparte rejoint son armée d’Italie à Nice, en passant par Marseille pour annoncer à sa mère la nouvelle de son mariage.
Campagne d’Italie (1796-1797)
Le , Bonaparte avait obtenu sa promotion de général en chef de la petite armée d'Italie, appelée en principe à ouvrir un simple front de diversion20. Officier d’artillerie de formation, il innove à cette époque dans l’utilisation de l’artillerie (canon de Gribeauval) comme force mobile d’appui des attaques d’infanterie. Il sait motiver ses hommes28 et fait, sur le terrain qu'il avait reconnu en 1793-94, une campagne d’exception qui reste étudiée dans toutes les écoles de guerre.
C'est la première grande campagne de Bonaparte, à laquelle il attachera beaucoup d'importance tout au long de sa vie. Stendhal dira même qu'il s'agit de la période la plus brillante de la vie de Bonaparte. L'armée que l'on confie à Bonaparte n'est pas censée être très importante ; il s'agit d'une campagne de diversion, tandis que deux armées du Rhin bien plus puissantes contournent les Autrichiens par le nord. Il remportera victoire sur victoire et réorganisera le nord de l'Italie29.
En un peu plus d’un an, il bat cinq armées autrichiennes, fréquemment à un contre deux, et décide seul du sort de la guerre, les armées françaises du Rhin étant battues par les Autrichiens qui doivent affaiblir leurs troupes sur ce front pour envoyer des renforts en Italie. Il bat séparément quatre généraux piémontais et autrichiens (dont Colli, von Beaulieu et Argenteau à Millesimo, Montenotte), après s'être emparé du massif de l'Authion avec Masséna, là où les généraux Gaspard Jean-Baptiste Brunet et Jean Mathieu Philibert Sérurier avaient échoué, à la baisse de Turini-Camp d'argent, et signe l’armistice de Cherasco avec le royaume de Sardaigne.
Dans une deuxième phase, il bat une nouvelle armée autrichienne envoyée en renfort et commandée par Sebottendorf à Lodi et Beaulieu à Borghetto. Le , le jeune Bonaparte entre dans Milan, à la tête de son armée.
Dans une troisième phase organisée autour du siège de Mantoue, il bat deux nouvelles armées autrichiennes commandées par Quasdanovich et Wurmser dans sept batailles, dont Castiglione et Roveredo. Enfin, les renforts commandés par Alvinczy sont à nouveau battus au pont d’Arcole et à Rivoli. C'est le que Bonaparte, âgé de 27 ans se bat aux côtés de ses soldats à la fameuse bataille du pont d’Arcole. Les soldats surprennent l’ennemi autrichien, en marchant au pas de charge. Muiron, l'aide de camp de Bonaparte, mourra à Arcole à l’âge de 22 ans30.
Tout en organisant l’Italie en républiques sœurs sur le modèle de la République française, il marche sur l’Autriche et signe seul les préliminaires de paix de Leoben. La rue qu'il habitait à Paris, qui s'appelait rue Chantereine, fut rebaptisée rue de la Victoire, nom qu'elle a conservé à ce jour.
Pendant cette campagne, Joséphine s’est rapprochée d’un nouvel homme, le capitaine Hippolyte Charles, qui devient son amant peu après son mariage avec Bonaparte.
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Bonaparte au pont d'Arcole, par Antoine-Jean Gros (ca. 1801), musée du Louvre, Paris. -
Napoléon Bonaparte à la bataille de Rivoli par Philippoteaux, 1844, château de Versailles.
Campagne d’Égypte (1798-1801)
À son retour d’Italie, en , Bonaparte est accueilli comme un héros par le Directoire qui organise une cérémonie officielle pour célébrer la paix de Campo-Formio. Sa popularité auprès des Français est de plus en plus importante et le , il est élu membre de l'Institut dans la section des arts mécaniques de la classe des sciences physiques et mathématiques. En , le Directoire soumet à Bonaparte le projet d'une invasion de l'Angleterre. Celui-ci inspecte alors les côtes françaises de Boulogne, Calais et Dunkerque, en vue de la réalisation du projet. Le , le gouvernement abandonne le projet d'invasion de l'Angleterre sur les conseils de Bonaparte, qui, lui-même influencé par Talleyrand, persuade alors le Directoire de porter la guerre en Égypte, où il pourra couper la route des Indes à la Grande-Bretagne. Le , le rapport est présenté à Barras. Le , inquiet de la popularité de Bonaparte, le Directoire le charge de mener l'expédition en Égypte, avec l'arrière-pensée de s'en débarrasser. De même, l'assemblée électorale des Landes l'ayant choisi pour député en avril 1798, son élection est invalidée le 22 floréal an VI (), avec celle de cent cinq autres députés, pour l'essentiel jacobins31.
En est créée l’armée d’Orient, placée sous les ordres de Bonaparte. Le général Bonaparte organise son état-major et choisit, comme en Italie, huit officiers comme aides de camp : Duroc, Beauharnais, Jullien32, le polonais Sulkowski, Croizier, Lavalette, Guibert et Merlin. Les généraux Kléber, Desaix, Murat, Lannes, Davout, Menou, Caffarelli, Jullien, Andréossy et Dumas l'accompagnent, ainsi que des scientifiques qui formeront l’Institut d'Égypte.
Le , Bonaparte quitte Toulon avec le gros de la flotte française et parvient à échapper à la poursuite de la flotte britannique de Nelson. Les Français s’emparent d'abord de Malte, les et , pour assurer les communications ultérieures entre la France et l’Égypte. Le , après avoir laissé une garnison de 3 000 hommes sur place, la flotte met le cap sur Alexandrie qu’elle atteint le . Après une courte résistance, la ville est prise le lendemain33[source insuffisante].
Bonaparte laisse trois mille hommes à Alexandrie et se dirige vers l’est, en longeant le delta du Nil jusqu’au fleuve qu’il remonte ensuite vers Le Caire. Le premier véritable combat de la campagne d'Égypte a lieu à Chebreiss le où les cavaliers mamelouks sont défaits, grâce à l’artillerie de l’armée d’Orient. Le , à la bataille des Pyramides de Gizeh, Bonaparte bat à nouveau l’armée des mamelouks. Le , Bonaparte et son armée entrent en vainqueurs au Caire. Les et , la flotte française est presque entièrement détruite à Aboukir par la flotte de l'amiral Nelson. Désormais, les Britanniques sont maîtres de la Méditerranée et Bonaparte est prisonnier de sa conquête. À la suite de cette défaite, les Turcs déclarent la guerre à la France le , car l'Égypte fait partie de l'Empire ottoman, comme la majorité du Proche-Orient.
Pendant qu’il décide de faire de l'Égypte un véritable État capable de vivre en autarcie, Bonaparte envoie le général Desaix poursuivre Mourad Bey jusqu’en Haute-Égypte, complétant ainsi la soumission du pays. Poussés par les Britanniques et les Turcs, les mamelouks survivants influencent la population du Caire qui se révolte le contre les Français. Cette révolte est impitoyablement réprimée par les troupes françaises. Le calme revient et Bonaparte rétablit la situation en décrétant finalement une amnistie générale, non sans avoir fait couper bon nombre de têtes, exhibées à la foule terrorisée, et canonner la grande mosquée Al-Azhar.
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Bonaparte haranguant l'armée avant la bataille des Pyramides, par Antoine-Jean Gros, 1810, château de Versailles. -
Napoléon et ses généraux en Égypte par Jean-Léon Gérôme, 1867, musée de l'Ermitage. -
Bonaparte devant le Sphinx par Jean-Léon Gérôme, 1867-1868, Hearst Castle.
Expédition de Syrie
En , Bonaparte se déplace en Syrie pour affronter les troupes ottomanes que le sultan a envoyées pour attaquer les Français en Égypte. Le , Bonaparte quitte Le Caire avec son armée et bat les Turcs aux combats d’El-Arich et de Gaza. Le , la ville de Jaffa est prise et pillée par les Français. Napoléon ordonne l'exécution de quelque deux mille cinq cents prisonniers turcs qui sont fusillés ou égorgés faute de munitions34. Par ce massacre, il espère impressionner ses adversaires. C’est à ce moment-là que la peste apparaît dans les rangs français. Napoléon est favorable à l'euthanasie des soldats agonisants à l'aide de fortes doses d'opium (utilisé pour calmer la douleur), mais son médecin, le baron Desgenettes, s'y oppose énergiquement.
Le , Bonaparte met le siège devant Saint-Jean d’Acre. Le , les cavaliers de Junot mettent en déroute les cavaliers ottomans à la bataille de Nazareth et le , Bonaparte et Kléber écrasent l’armée turque de secours envoyée par le sultan pour libérer le siège de Saint-Jean d’Acre à la bataille du Mont-Thabor. Bien que victorieuse à cette bataille, le , l’expédition en Syrie est ensuite décimée par la peste puis arrêtée à Acre.
De retour à Acre, Bonaparte essaie, en vain, du au , de prendre la ville. Le , il décide d’abandonner le siège et retourne en Égypte. Le , il arrive au Caire et, dans un retournement de situation, bat les Turcs le à la bataille terrestre d'Aboukir.
La situation du Directoire lui paraissant favorable à un coup de force, Bonaparte, qui n’a plus qu’une armée de terre affaiblie, ayant perdu sa marine, abandonne le commandement de l’armée d’Égypte à Jean-Baptiste Kléber.
Lors de cette campagne, Bonaparte va être accompagné d’un mamelouk qui le suivra pendant de nombreuses années. Il s’agit de Roustam Raza.
Retour à Paris, situation de la France
Le , il embarque à bord de la frégate La Muiron pour rentrer discrètement en France, abandonnant au général Kléber une armée diminuée et malade. Il débarque à Saint-Raphaël le après avoir échappé aux escadres britanniques pendant les 47 jours de la traversée. Sur le chemin qui le mène à Paris, il est acclamé par la population.
Jean-Baptiste Kléber se révèle un excellent administrateur et parvient, le , à vaincre les Turcs à la bataille d'Héliopolis. Cette victoire permet à la France de conserver l’Égypte, mais Kléber meurt assassiné, le au Caire, le jour même de la victoire de Bonaparte en Italie à la bataille de Marengo. Le successeur de Kléber, le général Menou, capitule le devant les forces turco-britanniques après avoir perdu 13 500 hommes, principalement victimes des épidémies au cours des négociations de paix. Les soldats français restants sont rapatriés sur les vaisseaux britanniques vers la France.
Premier consul (1799-1804)
Coup d’État de 1799
Arrivé dans la capitale, le général s’entretient avec Talleyrand, homme politique d’expérience et fin connaisseur des forces en jeu. Le schéma du coup d'État du 18 Brumaire () prévoit les opérations suivantes : Bonaparte aura le commandement en chef de l’armée pour le maintien de l’ordre dans Paris et dans les assemblées. On envisage de déplacer les assemblées au château de Saint-Cloud sous le prétexte d’un péril jacobin. En effet, depuis 1789, les assemblées se trouvent toujours sous la menace de la population parisienne.
L'essentiel des événements se déroule le 19 brumaire à Saint-Cloud. Les révisionnistes avaient envisagé une démission collective des cinq directeurs, mais les assemblées ont du retard car cette idée ne fait pas l’unanimité ; Bonaparte s’impatiente et décide d’intervenir. Il tient un discours maladroit devant le Conseil des Cinq-Cents, discours hué par les députés qui l’accusent de vouloir instaurer la dictature. Bonaparte est alors contraint de quitter l’assemblée. Mais il prend rapidement la situation en main avec l’aide de son frère Lucien qui préside les Cinq-Cents. Lucien évite que Napoléon soit mis en cause par les députés qui veulent voter pour mettre hors-la-loi Bonaparte. Lucien retarde le vote et va chercher Murat, qui vient avec la troupe et met de l’ordre dans les assemblées, disant que certains députés voulaient poignarder Bonaparte pour justifier une intervention de l’armée. Les représentations des députés sortant par les fenêtres et voulant poignarder Napoléon sont très répandues. Bonaparte est de fait l’homme fort de la situation, qui fait basculer un coup d’État parlementaire en un coup d’État militaire. Mais Bonaparte reste attaché aux formes juridiques et, dans la soirée du 19 brumaire, les députés restent à Saint-Cloud pour voter la décision de nommer deux commissions pour préparer une nouvelle constitution. On constate alors une volonté d’appuyer le régime sur le vote des représentants du peuple.
Le 20 brumaire, les trois consuls sont désignés : Bonaparte, Sieyès et Ducos. C’est le début du Consulat.
« La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie36. »
— Bonaparte, 20 brumaire an VIII
Roger Ducos est tout acquis à Bonaparte, alors que Sieyès lui n’entend pas se résigner à abandonner le pouvoir à Bonaparte seul. Il entend bien jouer un rôle dans le gouvernement du Consulat. Pour contrecarrer son encombrant collègue, Bonaparte, multipliant les provocations, maintient aux portefeuilles ministériels les ennemis de Sieyès en offrant les Relations extérieures à Talleyrand et celui de la Police à Fouché.
Le travail de rédaction de la Constitution est confié officiellement à deux commissions législatives formées de députés des Cinq-Cents et des Anciens. Mais c’est Sieyès qui va proposer un projet. À l’examen, le projet s’avérera trop complexe, voire irréaliste. En effet, il prévoit l’instauration d’un régime démocratique fondé sur un pouvoir législatif fort représenté par trois chambres. L’exécutif sera, quant à lui, réduit à une magistrature à vie purement honorifique et à deux consuls aux fonctions limitées. Bonaparte profite des faiblesses de ce plan pour imposer son propre projet et se débarrasser de son encombrant rival. Du au , il réunit ainsi les deux commissions dans son bureau pour élaborer le texte de la nouvelle constitution.
La Constitution de l’an VIII est adoptée en comité restreint le . Elle s’inspire en partie du projet de Sieyès, mais intègre les idées politiques de Napoléon Bonaparte, notamment concernant le pouvoir exécutif. Sieyès, lui-même, est chargé de désigner les trois consuls de la République : Bonaparte comme Premier consul, puis Cambacérès et Lebrun, comme respectivement 2e et 3e consuls de la République. Sieyès, quant à lui, est « relégué » au poste de président du Sénat.
Constitution de l'an VIII
La Constitution de l’an VIII entre en vigueur le . Bonaparte établit la Constitution sous des apparences démocratiques, mais organise un pouvoir autocratique. Toutes les évolutions du régime ne feront qu’accentuer le caractère autocratique du pouvoir.
Le pouvoir législatif est divisé en trois assemblées (tricamérisme) :
- le Tribunat discute les lois sans les voter ;
- le Corps législatif (ou « Corps des muets ») adopte ou rejette les lois ;
- le Sénat conservateur est chargé de vérifier que la loi est conforme à la constitution.
La préparation de la loi appartient à l'exécutif, par le biais du Conseil d’État, chargé de rédiger les textes législatifs. Le pouvoir fonctionne de manière autoritaire, les procédés de démocratie semi-directe (quelque peu fictive) sont soigneusement organisés et contrôlés. Le consul corrige lui-même les résultats s’ils ne sont pas satisfaisants.
De la fonction de consul à celle d'empereur
En 1800, Bonaparte attaque et vainc l’archiduché d'Autriche une nouvelle fois. Battus à Marengo par Napoléon et à Hohenlinden par Moreau, les Autrichiens doivent signer le traité de Lunéville le , ce qui amène les Britanniques à signer la paix d'Amiens le (4 germinal an X, contresignée deux jours plus tard). Si son pouvoir était fragile au lendemain de Brumaire, la victoire de Marengo et ses suites consolident fortement la situation de Bonaparte.
Le , alors que le Consul et sa famille étaient en route pour aller à l'opéra, ils sont victimes d'une « machine infernale » (bombe) qui les attend rue Saint-Nicaise. Le cocher du Premier consul passe au grand galop. La bombe explose trop tard et seules les vitres du véhicule sont soufflées. Sur place, en revanche, c'est le carnage. On dénombre 22 morts et une centaine de blessés. Fouché, alors ministre de la Police, réussit à prouver que l’attentat est l’œuvre des royalistes, dirigé par un certain François-Joseph Carbon, alors que Bonaparte est persuadé d'avoir affaire aux jacobins.
En mars 1802, la paix d'Amiens met fin à la guerre entre la France et l'Angleterre.
Projet colonial et rétablissement de l'esclavage
Bonaparte met en branle son grand dessein pour l'Amérique. Il s'agit pour lui, profitant de la désormais libre circulation de la flotte française dans l'Atlantique, de développer la Louisiane, cet immense territoire qui s'étend sur la rive droite du Mississippi et qui revient de droit à la France depuis la signature secrète du traité de San Ildefonso en 1800.
Pour ce faire, il lui faut une base d'opérations sûre. La colonie de Saint-Domingue est tout indiquée. De cette tête de pont de la France dans le Nouveau Monde, il pourra reprendre pied en douceur à La Nouvelle-Orléans sans brusquer le jeune État américain qui verrait son expansion vers l'Ouest définitivement circonscrite au Mississippi.
Mais à Saint-Domingue, Toussaint Louverture est un obstacle à ce plan. Le général noir est gouverneur général de la colonie au nom de la France depuis 1797 et il est suspecté de connivences avec les États-Unis avec lesquels, au mépris du principe de l'Exclusif, il commerce ouvertement depuis que la prospérité est revenue. D'ailleurs, l'année précédente il a fait voter par les grands planteurs, ses alliés objectifs, une constitution autonomiste qui le proclame gouverneur général à vie et a eu l'outrecuidance de l'envoyer en France pour simple ratification, une fois le fait accompli. Cet acte de rébellion ouverte d'un chef de guerre réputé invincible et fermement accroché à son île tombe à pic pour justifier l'importance des forces commises à l'expédition qui se prépare. Et la raison d'État, froide et impérieuse, justifie également le rétablissement de l'esclavage dans les colonies du Nouveau Monde, étant argué que la grande Louisiane française devra se développer rapidement pour prendre de vitesse Anglais et Américains, ce qu'elle ne saurait faire sans la main-d'œuvre servile qui a si bien fait ses preuves à Saint-Domingue.
Voilà pourquoi deux flottes font voile vers les Antilles, Leclerc, propre beau-frère de Bonaparte, vers Saint-Domingue avec 20 000 hommes et Richepanse vers la Guadeloupe avec 3 400 hommes. Ces chefs sont munis d'instructions secrètes fort explicites rédigées de la main même de Bonaparte. Ils doivent prendre le contrôle militaire des deux colonies et désarmer les officiers indigènes avant de rétablir l'esclavage. Des proclamations sont prêtes, en français et en créole, qui visent à rassurer les populations indigènes de l'attachement personnel de Bonaparte à la liberté. Cette pléthore de précautions démontre que ce dernier avait compris que le succès ou l'échec dépendrait du secret et les faits lui donnèrent raison.
Après une résistance acharnée de trois mois, le vieux Toussaint Louverture, trahi par ses officiers généraux habilement entrepris par Leclerc, dépose les armes. Capturé et déporté en France, il y mourra quelques mois plus tard, au fort de Joux près de Pontarlier. Leclerc peut passer à la deuxième phase du plan et désarmer les officiers de couleur mais Richepance à la Guadeloupe a rétabli l'esclavage sans attendre et la nouvelle de cette trahison de la parole du Premier consul fait basculer Saint-Domingue dans l'insurrection. Le corps expéditionnaire, affaibli par une épidémie de fièvre jaune, recule partout. Leclerc obtient bien près de 20 000 hommes de renfort mais la maladie fauche un tiers des Européens qui touchent ces rivages. Le général en chef succombe lui-même le . Dos à la mer, les débris de son armée seront bientôt contraints à la reddition par les soldats du général Dessalines qui proclamera l'indépendance de l'ancienne colonie sous son ancien nom indien d'Haïti.
Le temps de l'Amérique française est déjà passé. En ce début 1803, la paix avec l'Angleterre vacille et l'océan Atlantique est redevenu une mer hostile. Déclarant forfait, le , Bonaparte solde la Louisiane aux États-Unis pour quatre-vingt millions de francs37.
Mise en place de l'Empire
Après que Bonaparte eut étendu son influence sur la Suisse (qui retourne à une organisation décentralisée, après la tentative unitaire de la brève République helvétique (1798-1803) et sur l’Allemagne, une dispute à propos de Malte sert de prétexte aux Britanniques pour déclarer une nouvelle fois la guerre à la France en 1803, et pour soutenir l’opposition royaliste à Bonaparte. Des agents royalistes, dont Charles Pichegru, sont débarqués clandestinement en France et se mettent en rapport avec Georges Cadoudal et Jean Victor Moreau.
Le complot est rapidement éventé et ses membres arrêtés. Pichegru meurt étranglé dans sa cellule ; les autres sont jugés et condamnés. Cadoudal est exécuté, Moreau banni. Mais le complot fait aussi une victime collatérale : le duc d’Enghien, prince du sang. Le Premier consul le fait enlever en territoire étranger, juger sommairement par une commission militaire et exécuter, à la suite de déclarations recueillies auprès de Cadoudal après son arrestation. L’exécution qui se déroule à Vincennes ne suscite pas d’autres protestations que celles du Royaume-Uni, de la Russie et de l’Autriche.
Empereur des Français (1804-1815)
Couronnement
Napoléon se couronne empereur le . À proprement parler, l'Empire naît à la demande du Sénat. L'historien Steven Englund se rallie à l'opinion selon laquelle il s'agissait, initialement, de « protéger » la République. Le Consulat abattu, l’ordre se serait effondré avec lui. L'Empire, lui, était une institution scellant la pérennité des valeurs républicaines. Napoléon Bonaparte pouvait mourir : l'hérédité du titre était censée protéger le pays des bouleversements et de la perte des acquis révolutionnaires. C’est ainsi que les monnaies impériales portèrent la mention « Napoléon Empereur - République française » jusqu'en 1808. En outre, une observatrice avisée de la mise en place du Consulat et de l’Empire, la comtesse de Rémusat, explique comment des « hommes fatigués des troubles révolutionnaires » aient vu en Bonaparte celui qui les « sauverait des dangers d’une anarchie tumultueuse » et leur apporterait « le repos sous la domination d’un maître habile, que d’ailleurs la fortune semblait déterminée à seconder »38.
Symboles impériaux
Le sacre impérial, événement unique dans l’histoire de France, représenté sur le tableau de Jacques-Louis David, Le Sacre de Napoléon, est lourdement chargé en symboles. Le passage de la République à l’Empire nécessite la création d’armoiries impériales, ainsi que la création d’objets symboliques destinés à établir une tradition auparavant inexistante. Napoléon, qui se veut rassembleur, décide d’associer aux symboles de son règne les images qui ont pu représenter auparavant la France, ainsi que les pouvoirs forts européens.
L’aigle est choisie en référence aux aigles romaines, portées par les légions, mais elle est également le symbole de Charlemagne, l’aigle éployée. La couleur rouge du manteau impérial est une référence directe à la pourpre de l’imperium romain. Napoléon se pose ainsi en héritier de l’Empire romain et de Charlemagne.
Les abeilles sont censées rappeler les Mérovingiens (des broches les représentant ayant été retrouvées dans des tombeaux de cette époque), et leur disposition sur les armoiries et le manteau impérial doit rappeler les fleurs de lys des Capétiens. La main de justice, utilisée par les Capétiens lors des sacres royaux, doit faire apparaître que l'Empereur est l’héritier de leur pouvoir. Napoléon veut montrer qu’il est le fondateur de la « quatrième dynastie », celle des Bonaparte, après les Mérovingiens, les Carolingiens, et les Capétiens. D’autres symboles utilisés pendant le sacre sont chargés de valeurs morales. Ainsi Napoléon tient-il un moment le globe de Charlemagne ; il porte la couronne de ce même empereur (ces deux éléments ayant été forgés de toutes pièces avant le sacre). Son épée et son sceptre sont dits « de Charlemagne » : ils ont été en réalité utilisés depuis plusieurs siècles par les Valois puis les Bourbons lors de leurs sacres.
Le pape, présent à la cérémonie n'est ici que pour bénir son règne.
Relations avec l'Église
La signature du Concordat par le Premier consul en 1801 reconnaît le catholicisme comme la religion « de la majorité des Français », et non plus comme religion d’État. Les prêtres reçoivent désormais un traitement de la part de l’État. Afin de montrer sa puissance, Napoléon ne va pas se faire sacrer à Rome, comme autrefois Charlemagne et les empereurs germaniques (jusqu'au XVe siècle) ; c'est le pape Pie VII que l’on fera venir à Paris. Napoléon l’accueille en forêt de Fontainebleau, à cheval et en habit de chasse, voulant faire croire au caractère fortuit de la rencontre.
Le rapprochement entre Napoléon et l’Église est le fruit d’un calcul politique de la part de l'Empereur. Au-delà de la valeur morale qu’a pu avoir un sacre religieux aux yeux des catholiques, de la valeur symbolique d’un couronnement pontifical rappelant le sacre des empereurs germaniques, Napoléon se place à l’égal, voire au-dessus des rois européens comme successeur de Charlemagne et des empereurs de la Rome antique. La présence du pape au sacre donne une dimension morale et légitime supplémentaire à l’Empire. Celui-ci n’est plus simplement le fruit d’une révolution, c’est un couronnement divin comme celui des autres souverains européens mais qu’aucun d’eux ne peut égaler. Napoléon se place au même niveau que le souverain du Saint-Empire romain germanique avant de le dépasser pour devenir l'unique empereur en Europe. François II l'avait d'ailleurs bien compris puisqu'après la proclamation de l'Empire français, il décrète que l'Autriche, alors archiduché, devient aussi un empire.
La présence du pape est donc davantage un message aux pays européens qu’une profession de foi catholique de la part de Napoléon. Napoléon, d’ailleurs peu sensible au sort du pape, le retient plus tard prisonnier à Fontainebleau. Dans l’idée d’affirmer la puissance de la France dans le domaine spirituel, il envisagea même de transférer la résidence du pape de Rome à Paris, avant d’abandonner cette idée. À la fin de sa vie, Napoléon recevra l'extrême-onction des mains de l'abbé Jean-François de Kermagnan.
Politique économique
Napoléon met en place de nombreuses réformes dans les domaines sociétal et économique. Il est à l'origine de la construction de la Bourse de Paris et de ses principales réglementations. Il institue en particulier le Code civil, appelé aussi « Code Napoléon », promulgué le (30 ventôse an XII), qui reprend une partie des articles de la Coutume de Paris et du droit écrit du Sud de la France, en protégeant le droit des obligations et des contrats.
C'est l'industrie qu'il souhaite encourager le plus. Il pousse au développement des usines de coton, installées dans les biens nationaux, alors que les guerres ont suscité un besoin de textiles pour habiller les armées. Proche de Gabriel-Julien Ouvrard, un prestigieux négociant et munitionnaire, qui exploite à Nantes des licences d'importation, ses projets industriels subissent cependant les conséquences du blocus continental, décret napoléonien qui prétend interdire le continent européen à tout navire ayant touché un port anglais. Alors que le Portugal, pays neutre, permet de se procurer du coton brésilien, via des négociants français39 l'émigration au Brésil de la famille royale portugaise, en 1807, pour fuir l'armée française de 30 000 hommes commandée par Jean-Andoche Junot qui fait marche sur le Portugal, a déclenché des mesures de rétorsion contre la France, privée du coton brésilien.
Napoléon soutient également les industries d'art. Il recrée en 1804 le Garde-Meuble, institution chargée de l'ameublement des palais impériaux, et, par son entremise, il fait travailler menuisiers et ébénistes parisiens. Il se montre particulièrement attentif à eux lors des crises de 1807 et de 1810-181140.
Victoires de l'Empire
En 1804, l’heure n’est donc pas encore aux vastes conquêtes, et, persuadé depuis longtemps que le seul moyen d’obtenir une paix définitive est de neutraliser le Royaume-Uni, Napoléon met au point, avec l’amiral Latouche-Tréville (qui mourra avant d’avoir pu l’exécuter), un plan visant à l’invasion du Royaume-Uni. Cette ambition sombre définitivement à la bataille de Trafalgar, où la flotte franco-espagnole commandée par l’amiral de Villeneuve est détruite par celle de l’amiral Nelson. Le Royaume-Uni y gagne la domination des mers pour le siècle à venir.
En 1805, la Troisième Coalition se forme en Europe contre Napoléon. L’Empereur qui, à Boulogne, supervisait les préparatifs en vue de l’invasion du Royaume-Uni, doit faire face à une guerre soudaine, et à l’autre bout de l’Europe. Il mène une offensive immédiate, acheminant la Grande Armée en Autriche à marche forcée, et s’assure une brillante victoire contre l’Autriche et la Russie le à la bataille d’Austerlitz, dite « bataille des Trois-Empereurs ».
En 1806, la Prusse provoque un nouveau conflit. La campagne que mène Napoléon (« l’Esprit en marche », selon Hegel) est impressionnante de rapidité : il balaie l’armée prussienne à la bataille d'Iéna (doublée de la victoire de Davout à Auerstaedt où, avec 30 000 hommes, le Maréchal Davout bat les 63 500 Prussiens qui l'assaillent). L’année suivante, Napoléon traverse la Pologne, remporte une victoire sur les Russes à Friedland et finit par signer, à Tilsit, au milieu du Niémen, au cours d'une entrevue dont la mise en scène est conçue pour frapper les esprits, un traité avec le tsar Alexandre Ier, qui divise l’Europe entre les deux puissances.
Pourtant formé dans les écoles et par les maîtres de l’Ancien Régime, officier de l’armée royale, Napoléon brise les anciennes conceptions militaires. Il ne s’agit plus pour lui de livrer une guerre de siège à l’aide de 30 000 à 50 000 hommes, mais de rechercher la bataille décisive, engageant plus de 100 000 hommes s’il le faut. Son objectif n'est pas de rester maître du champ de bataille, mais d’anéantir l’ennemi.
En 1808, Napoléon crée la noblesse d’Empire : bientôt ses maréchaux et généraux arboreront des titres de comte d’Empire, prince de Neuchâtel, duc d’Auerstaedt, duc de Montebello, duc de Dantzig, duc d’Elchingen, roi de Naples.
Du au , Napoléon donne rendez-vous à Alexandre Ier à Erfurt, pour un nouveau traité, afin qu’ils s’unissent contre l’empire d'Autriche qui menace de redéclarer la guerre à la France. Le tsar refuse en préférant que ce traité soit établi dans le but de renouveler l’alliance qui s’était forgée entre eux l’année précédente à Tilsit ; cela permet en fait à Napoléon de s’assurer encore plus longtemps de la fidélité d’Alexandre. Mais c'est un échec car l'empereur s'aperçoit bientôt de la trahison de Talleyrand, qui avait approché le tsar en lui conseillant de résister à Napoléon, même s'il était séduit.
Campagnes de la péninsule Ibérique et d’Autriche
Guerre d'Espagne
En réponse à l’attitude britannique vis-à-vis des navires de commerce français, Napoléon tente d’imposer le blocus continental, qui vise à asphyxier l’industrie et le commerce britanniques, par le décret de Berlin du . Le Portugal, vieil allié des Britanniques depuis le traité de Methuen (1703), est resté neutre depuis la rupture de la paix d'Amiens. Au travers de pressions diplomatiques, d'alliance resserrée avec l'Espagne voisine, et de concentration de troupes sur les Pyrénées durant l'été 1807, Napoléon menace le Portugal d'invasion s'il n'applique pas le blocus continental. Devant le silence portugais, les armées françaises envahissent le Portugal (), commandées par le général Junot et s'installent également en Espagne, en allié, pour assurer un appui à cette opération selon le traité de Fontainebleau. La cour et le gouvernement portugais se réfugient à Rio de Janeiro avec le soutien de la flotte britannique et le Brésil devient le siège du royaume jusqu'en 1821.
À partir de l'automne 1807, des tensions augmentent à la tête du royaume d'Espagne : le roi Charles IV menace son fils et héritier Ferdinand, qui est opposé à la mainmise du chef du gouvernement, Manuel Godoy, sur le couple royal et sur la politique de l'Espagne. Napoléon considère alors l'Espagne, alliée décevante dans la guerre contre la Grande-Bretagne, comme mûre pour un changement dynastique. Cette perspective panique la monarchie espagnole et Godoy. En , le soulèvement d'Aranjuez place Ferdinand sur le trône, à la suite de l'abdication forcée de son père. Napoléon se positionne alors en arbitre de la famille des Bourbons d'Espagne, et profite de leur querelle pour leur imposer à Bayonne leur abdication complète. Napoléon place sur le trône espagnol son frère Joseph, remplacé à Naples par Joachim Murat, époux de Caroline Bonaparte. La population espagnole se soulève : la guerre d'Espagne commence et va durer six ans. L'armée britannique commandée par le futur duc de Wellington débarque au Portugal et les Français connaissent des revers sérieux (capitulation de Baylen en Espagne, bataille de Vimeiro au Portugal) durant l'été 1808. Avec l’aide des patriotes espagnols, les Anglo-Portugais poussent peu à peu l’armée française hors de la péninsule Ibérique.
Napoléon a reconnu par la suite qu'il avait commis une grave erreur en lançant la campagne d'Espagne : « Cette malheureuse guerre m'a perdu ; toutes les circonstances de mes désastres se rattachent à ce nœud fatal. Elle a compliqué mes embarras, divisé mes forces, détruit ma moralité en Europe »41. De même, concernant Joseph, incapable d'être chef d’État et de maintenir l'ordre : « C'était l'homme le plus incapable et précisément l'opposé de ce qu'il fallait »42.
Guerre contre l'Autriche
Alors que les meilleures troupes de l’armée française sont engagées en Espagne, l’empire d'Autriche attaque une nouvelle fois la France en Allemagne et en Italie. Le maréchal Lannes, compagnon et ami de Napoléon, périt à la bataille d'Essling qui apparaît comme le premier grand revers de Napoléon, puisque ses troupes doivent abandonner le champ de bataille pour se réfugier sur l'île de Lobau, sur le Danube, pour se reposer et se renforcerc. L'armée autrichienne est finalement vaincue lors de la bataille de Wagram en .
Cette année 1809 a augmenté le sentiment de vulnérabilité du régime impérial : Napoléon a d'abord été blessé — légèrement au pied — à la bataille de Ratisbonne, en , rappelant sa vulnérabilité comme commandant en chef lors d'une bataille, puis a échappé à une tentative d'assassinat par Frédéric Staps lors d'une revue des troupes à Schönbrunn, le , à l'époque de la conclusion de la paix avec l'empire d'Autriche. La vulnérabilité du souverain français renforce le principe d'assurer un héritier direct à l'Empire. Le divorce de Joséphine est alors inéluctable, d'autant que Napoléon sait que la stérilité du couple n'est pas de son fait, depuis la naissance du petit Léon, fruit d'une liaison en 1806, et de la grossesse toute récente de Marie Walewska, autre liaison initiée lors de la campagne de Pologne en 1807, venue à Vienne lors des négociations de paix (l'enfant, Alexandre Walewski, naît en ).
Napoléon, souverain du « Grand Empire »
Quelques mois après la paix de Schönbrunn, le , Napoléon épouse l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche, fille aînée de son dernier ennemi. Le , elle lui donne un fils, au terme d'un accouchement long et douloureux. Cet enfant est baptisé « Napoléon François Charles Joseph » et on lui donne le titre de « roi de Rome ».
Au début de l'année 1812, le « Grand Empire » compte 134 départements, de Hambourg à Rome et Barcelone, ainsi que les Provinces illyriennes et une population de 70 millions d’habitants (dont 30 seulement sont de la France de 1793), et compte plusieurs états vassaux (le royaume d'Italie, le royaume de Naples, le royaume d'Espagne, la confédération du Rhin avec le duché de Varsovie, la Confédération suisse, la principauté de Lucques et Piombino, la principauté d'Erfurt, la ville libre de Dantzig et enfin Corfou, île de république des Sept-Îles encore sous contrôle français). L’Empire est alors à l'apogée de son extension territoriale, bien que ses colonies outre-mer soient tombées sous le contrôle des Britanniques.
Campagnes de Russie et d’Allemagne
Alexandre Ier, poussé par la noblesse russe acquise aux Britanniques, refuse de coopérer avec Napoléon pour porter le coup final au Royaume-Uni. Napoléon, croyant la guerre inévitable, envahit la Russie en 1812. La Grande Armée, grossie de contingents italiens, allemands et autrichiens, devient gigantesque : ce sont 600 000 hommes qui franchissent le Niémen. Les Russes, dirigés par Koutouzov, appliquent la stratégie de la « terre brûlée », reculant sans cesse devant les troupes françaises. La bataille de la Moskova, le , est indécise. Bien que les Russes abandonnent le terrain, les pertes sont presque équivalentes dans les deux camps.
Dès le lendemain de l’entrée des troupes françaises dans Moscou, les Russes incendient la ville. Napoléon, espérant une démarche de la part d’Alexandre, s'attarde à Moscou. Lorsqu'il donne le signal de la retraite, l'hiver est dangereusement proche. La Grande Armée entame une course désespérée vers l’Allemagne à travers les régions dévastées qu’elle a parcouru à l’aller. Le froid, la neige et les Cosaques provoquent d'effroyables pertes. Des 600 000 hommes qui entrèrent en campagne, seuls quelques dizaines de milliers franchissent la Bérézina. La Grande Armée est détruite.
Encouragés par ce dramatique échec, les rois reprennent les armes contre la France. Malgré deux victoires remportées en Allemagne (Bautzen et Lutzen), une partie de ses alliés allemands trahit Napoléon sur le champ de bataille même de la bataille de Leipzig, aussi appelée « bataille des Nations », qui voit s’opposer 180 000 Français à 300 000 alliés (russes, autrichiens, prussiens, suédois). La défaite subie ce jour-là est décisive. Le maréchal Poniatowski, prince polonais et neveu de Stanislas II, dernier roi de Pologne, y perd la vie en tentant de traverser l’Elster avec ses hommes. On dénombre 100 000 morts et blessés.
Campagne de France et première abdication
En 1814 se forme une alliance entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, l'Empire russe, le royaume de Prusse et l’empire d'Autriche. Malgré une série de victoires (batailles de Champaubert, Montmirail, etc.) remportées par Napoléon à la tête d’une armée de jeunes recrues inexpérimentées (les « Marie-Louise »), Paris tombe le et les maréchaux forcent l'Empereur à abdiquer. L’intention de Napoléon était de le faire en faveur de son fils (Napoléon II), mais les puissances alliées exigent une abdication inconditionnelle, qu'il signe le .
Napoléon, qui pense que les alliés vont le séparer de l’impératrice Marie-Louise d'Autriche et de son fils le roi de Rome, prend, dans la nuit du au , une dose du « poison de Condorcet » qui doit lui permettre de se suicider. On a longtemps cru qu'il s'agissait d’opium dans un peu d’eau, le docteur Hillemand pensant qu'il s'agit d'une absorption accidentelle trop grande d'opium destinée à calmer les douleurs abdominales44 mais il semblerait que ce ne soit pas le cas45. Les troubles et la nature du malaise de Napoléon ne correspondent pas à une intoxication par l'opium. S'il choisit cette façon de mourir, c'est qu'il pense que son corps sera par la suite exposé aux Français : il veut que sa garde reconnaisse le visage calme qu’elle lui a toujours connu au milieu des batailles. Toujours est-il qu'il fait appeler Armand de Caulaincourt pour lui dicter ses dernières volontés46.
En plein malaise, l’Empereur se plaint du lent effet de la substance qu’il a avalée. Il déclare à Caulaincourt : « Qu’on a de peine à mourir, qu’on est malheureux d’avoir une constitution qui repousse la fin d’une vie qu’il me tarde tant de voir finir47 ! » Les nausées de Napoléon sont de plus en plus violentes, il se met à vomir. À la venue du docteur Alexandre-Urbain Yvan, Napoléon lui demande une dose de poison supplémentaire mais le docteur refuse, en disant qu’il n’est pas un assassin et qu’il ne fera jamais une chose allant à l'encontre de sa conscience. Le docteur a lui-même une crise de nerfs, s'enfuit à cheval, et personne ne le revoit plus. L’agonie de l’Empereur se poursuit, Caulaincourt sort de la pièce pour demander au valet de chambre et au service intérieur de garder le silence. Napoléon rappelle Caulaincourt en lui disant qu’il préfère mourir plutôt que de signer le traité. Les effets du poison se dissipent et l’Empereur peut reprendre ses activités normalesf.
Il est, par la suite, déchu par le Sénat le et exilé à l’île d’Elbe, selon le traité de Fontainebleau signé le , conservant le titre d’Empereurg mais ne régnant que sur cette petite île. Son convoi de Fontainebleau jusqu'à la Méditerranée avant son embarquement pour l'île d'Elbe passe par des villages provençaux royalistes qui le conspuent, il risque d'être lynché à Orgon, ce qui l'oblige à se déguiser48.
Période des Cent-Jours (1815)
Retour de Louis XVIII au pouvoir
En France, Louis XVIII écarte « Napoléon II » et prend le pouvoir. Napoléon s’inquiète du sort de sa femme et surtout de son fils qui est aux mains des Autrichiens. Le gouvernement royaliste refuse bientôt de lui verser la pension promise et des rumeurs circulent quant à sa déportation vers une petite île de l’océan Atlantique sud. Napoléon décide donc de retourner sur le continent pour reprendre le pouvoir.
Route Napoléon et « vol de l’Aigle »
Le , débarqués à Golfe-Juan, Napoléon et sa petite troupe gagnent Cannes, où ils arrivent tard et d’où ils repartent tôt. Le lendemain, voulant éviter la voie du Rhône qu’il sait hostile, Napoléon fait prendre alors la route de Grasse pour gagner, par les Alpes, la vallée de la Durance. Au-delà de Grasse, la colonne s’engage dans de mauvais chemins muletiers et s’arrête à Saint-Vallier, Escragnolles, et Séranon.
Le , après une nuit de repos, la troupe gagne Castellane ; dans l’après-midi, elle atteint Barrême. Le , Napoléon trouve à Digne la route carrossable et fait étape le soir au château de Malijai, attendant avec impatience des nouvelles de Sisteron dont la citadelle, commandant le passage étroit de la Durance, peut lui barrer la route.
Le , Napoléon trouve Sisteron pas gardée et il y déjeune, puis quitte la localité dans une atmosphère de sympathie naissante. Le soir, il arrive à Gap et y reçoit un accueil enthousiaste. Le , il couche à Corps.
Le , il gagne La Mure, puis trouve en face de lui, à Laffrey, des troupes envoyées de Grenoble. C’est ici que se situe l’épisode fameux que commémore aujourd’hui un monument dans la « prairie de la Rencontre ». Le soir même, Napoléon fait son entrée à Grenoble aux cris de « Vive l’Empereur ».
Les armées envoyées pour l’arrêter l’accueillent en héros partout sur la route qui porte aujourd'hui son nom. Le maréchal Ney, qui avait juré à Louis XVIII de lui ramener Bonaparte dans une cage de fer, s’incline devant son ancien souverain, ce qui lui vaudra d’être le seul maréchal exécuté pour trahison lors de la Seconde Restauration. Napoléon arrive sans coup férir à Paris. Cette montée à Paris est connue comme le « Vol de l’Aigle », inspiré des paroles de Napoléon : « L’Aigle volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ». En 1932, la route Napoléon sera inaugurée entre Golfe-Juan et Grenoble. Des aigles volants jalonnent ce parcours.
Retour au pouvoir et défaite finale
La fuite de Louis XVIII et le retour de Napoléon aux Tuileries le marquent le début de la période dite des Cent-Jours. Napoléon fait établir l’Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire (rédigé le , approuvé le ). Une Chambre des représentants est élue.
Bataille de Waterloo
Sur le plan international, Napoléon affirme d'emblée ses volontés pacifiques. Il fait savoir aux puissances alliées qu'il reconnaît le traité de Paris. Il envoie également des émissaires au tsar et à l'empereur d'Autriche, mais en vain. Les alliés n’acceptent pas ce retour et reprennent les armes contre la France50.
Les grandes puissances européennes telles que l'Angleterre, la Prusse et l'Autriche, dont les représentants s'étaient réunis à Vienne, décident de relancer la guerre contre l’Empereur qu’elles considèrent comme « Hors la loi des Nations ». Les Alliés envoient massivement des troupes en Belgique.
Le a lieu la bataille de Waterloo, au sud de Bruxelles, où Napoléon se prépare à affronter la coalition. Napoléon doit battre les armées prussiennes de Blücher et les armées anglaises de Wellington30. Napoléon donne à Grouchy la mission de s'occuper des Prussiens, et à Ney de s’occuper des Anglais. Les deux commandants auront du mal à s'entendre dans leur stratégie, et enchaîneront les erreurs. La jonction des armées prussiennes et britanniques, que ne peut empêcher le maréchal Grouchy, a raison des troupes impériales. Ney, lent, et mauvais dans ses choix, va faire perdre la cavalerie. Napoléon sent que l’issue de la bataille est la défaite. Après dix heures de bataille51, les Français reculent. L'armée française organise sa retraite par la route de Charleroi30. Cette défaite oblige Napoléon Ier à abdiquer pour la seconde fois, le .
Abdication et départ de la France
Il rentre à l'Élysée le . Le 22, il abdique, déclarant par écrit : « Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France », et « je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des Français »52. Devant le rapprochement de Paris des armées de la Septième Coalition, il quitte le palais le 25 pour le château de Malmaison puis le 29 prend la route incognito en calèche isolée (habillé en bourgeois) pour Rochefort, puis Fouras, où l'attendent deux frégates La Saale et La Méduse, souhaitant rejoindre les États-Unis. Le , il embarque pour l'île d'Aix et monte à bord de La Saale. François Ponéeh, commandant de La Méduse, offrit à l'empereur de combattre le HMS Bellerophon, pendant que La Saale commandée par Pierre Philibert passerait53,54. Mais Philibert refusa de jouer ce rôle qui lui était réservéi. Joseph Fouché, président du gouvernement provisoire, alerte les Britanniques sur les risques de fuite de Napoléon. Plusieurs corvettes anglaises escortant le vaisseau le Bellerophon sont dépêchées dans le pertuis d'Antioche, contraignant Napoléon à négocier.
Demandant l'asile au « plus constant de ses ennemis », l'Angleterre, il est d'abord pris en charge par le Bellerophon, puis transféré le sur le Northumberland qui le dépose sur l'île de Sainte-Hélène, au milieu de l'océan Atlantique. On ne lui donne pas l'occasion de poser le pied en Angleterre, les ministres britanniques voulant absolument éviter que Napoléon puisse demander le droit d'asile en invoquant l’Habeas corpus.
Le retour de Napoléon et sa défaite finale rendent encore plus précaire la situation internationale de la France. Celle-ci est traitée plus durement par les alliés en 1815 que lors des traités de Vienne. Napoléon laisse en effet une France exsangue. Démographiquement, elle a perdu environ 1 700 000 hommes depuis 1792, dont la majorité pendant les guerres napoléoniennes. Elle est économiquement ruinée. Ses ports et ses arsenaux le sont également. Le pays a perdu toutes les colonies qui lui restaient de l’Ancien Régime. Son influence internationale, mise en place depuis Richelieu et Louis XIV, est réduite à néant. Le territoire national est ramené à une étendue moindre que sous Louis XVI. Sarrelouis, Mariembourg, Philippeville et Landau, acquises sous Louis XIV, sont cédées aux coalisés. De plus ce territoire est occupé, et le pays doit payer une lourde indemnité de guerre pour l’entretien des troupes étrangères établies sur son sol.
Dernières années (1815-1821)
Vie à Sainte-Hélène
Napoléon est déporté et emprisonné par les Britanniques sur l’île Sainte-Hélène, commandée d'abord par l'amiral Cockburn puis par Sir Hudson Lowe. L'Empereur est accompagné d'une petite troupe de fidèles, parmi lesquels le grand maréchal du palais Bertrand, le comte de Las Cases, le général Montholon, et le général Gourgaud. Il se consacre à l’écriture de ses mémoires qu'il dicte à Las Cases. Il essaye aussi d’apprendre l’anglais ; il reçoit plusieurs visiteurs de passage à Sainte-Hélène, qui est alors une escale importante pour tout navire contournant l'Afrique. Une fois installé à Longwood, il évite de sortir car Lowe a donné l’ordre que l’empereur doit être partout sous garde.
Sur ce rocher, Napoléon se lie d'amitié avec une jeune Anglaise d'une quinzaine d'années, Betsy Balcombe. Elle fait partie des derniers amis de l'Empereur, avant son retour en Angleterre en 1818. Elle emporte avec elle une mèche de ses cheveux55.
Dès cette époque, des escrocs usurpent l'identité de l'empereur et prétendent être de retour pour reconquérir le pouvoir56.
Dégradation de sa santé
Napoléon tombe progressivement malade et s’affaiblit. Dès , son état est critique, mais plus ou moins bien diagnostiqué et soigné par les médecins présents sur l'île57. Dans la seconde moitié du mois d’, il écrit lui-même ses dernières volontés et plusieurs codicilles, une quarantaine de pages au total.
Mort
Napoléon meurt à l'âge de 51 ans, le , « à 17 heures et 49 minutes », rendant ainsi « le plus puissant souffle de vie qui eut jamais agité l'argile humaine » (Chateaubriand). Ses derniers mots sont : « France, armée, Joséphine », ou, selon les mémoires de Sainte-Hélène : « tête… armée… Mon Dieu ! » Nerval, dans son poème À la mort de l’Exilé, note : « Les dernières paroles de Napoléon mourant furent : « Mon Dieu et la nation française… française… mon fils… tête armée ». On ne sait ce que signifiaient ces mots. », et une version courante affirme qu’il aurait dit en fait : « tête d’armée », ce qui est bien moins énigmatique.
Hudson Lowe, gouverneur anglais de l’île Sainte-Hélène et geôlier de Napoléon, déclara devant son lit de mort :
« Messieurs, c’était le plus grand ennemi de l’Angleterre, c’était aussi le mien. Mais je lui pardonne tout. À la mort d’un si grand homme, on ne doit éprouver que tristesse et profond regret. »
Les causes de sa mort ont immédiatement fait l'objet d'une controverse : les médecins anglais ont officiellement conclu à une mort des suites d'un cancer de l'estomac, mais François Antommarchi, médecin corse arrivé sur place en 1819, refusa de souscrire à ces conclusions après son autopsie détaillée — laquelle avait été commandée à l'avance par L'Empereur — qui montra, entre autres, une rate, un foie et une vésicule biliaire très dégradés, un estomac plein d'ulcères et un ulcère perforé miraculeusement obturé par le foie58. La mort de Napoléon résulterait donc de la combinaison d'une hépatite chronique ancienne, d'un ulcère de l'estomac lié au stress évoluant jusqu'à la perforation, d'une dégénérescence de cet ulcère en carcinome et, cause immédiate, l'aggravation du tout par une médication aberrante (antimoine et mercure) , le coup de grâce ayant été porté par le médecin anglais Arnott qui inflige au malade une dose extravagante de 10 grains de calomel alors que la dose normale est de un ou deux grains, ce qui provoque une sévère hémorragie stomacale qui sera fatale57. Une vive discussion oppose alors les différents médecins et les officiels, dont résulte une sorte de compromis politique présentant « le squirre cancéreux au pylore » comme la cause de la mort, ce qui permet d'imputer la mort de Napoléon à une prédisposition familiale, donc à une mort des plus naturelles, puisque son père et sa sœur Élisa sont morts de cette même maladie57.
En raison des divergences d'opinions qui se manifestent dans les récits ultérieurs des uns et des autres, la cause de la mort de Napoléon a fait l'objet de diverses théories. Une hypothèse fréquemment avancée est celle d'un empoisonnement délibéré de Napoléon au trioxyde d'arsenic. Cette théorie, avancée pour la première fois par le stomatologue suédois Sten Forshufvud est rejetée par un grand nombre d’historiens57. L’historien médiéviste Michel Pastoureau avance par exemple que de l'arsenic était présent dans les papiers peints et tentures teintes en vert qu'affectionnait l'Empereur et utilisées à Longwood59. Toutefois, à la suite de nouvelles analyses, le Dr Pascal Kintz, président de l’Association Internationale des Toxicologues de Médecine Légale, écrit dans son article Trois séries d'analyse des cheveux de Napoléon confirment une exposition chronique à l'arsenic (24/01/2008) que « Compte tenu de ces données scientifiques, nous pouvons conclure que Napoléon a bien été la victime d'une intoxication chronique à l'arsenic minéral, donc à la mort-aux-rats ». Ces conclusions sont également partagées par l’International Museum of Surgical Sciences et l’International College of Surgeons de Chicago60.
Sa mort, en 1821, ne met pas fin à sa légende. En effet, des historiens ont montré l'existence d'une rumeur, persistante jusqu'au début de la Troisième République, selon laquelle l’Empereur ne serait pas mort61. Signe de l'attachement du monde rural au mythe d'un Napoléon Sauveur, d'incessantes rumeurs parcourent en effet les campagnes françaises depuis la fin de la Restauration jusqu'à 1870, accréditant le bruit que l'Empereur, toujours en vie, serait sur le point de revenir au pouvoir pour préserver les acquis égalitaires de la Révolution française62,63.
État de santé
Si la mort de Napoléon a mis en avant les problèmes de santé dont il souffrait durant son exil à Sainte-Hélène, toute sa vie cependant fut marquée par des désordres pathologiques plus ou moins graves.
Lors de son autopsie on mesura sa taille qui était de 5 pieds, 2 pouces, 4 lignes, ce qui correspond à 1,69 m64. De constitution robuste et endurante, il pouvait monter plusieurs heures à cheval sans éprouver de fatigue65. Le général Bonaparte apparaît dans sa jeunesse maigre et élancé, les années venant il s'empâte devenant presque obèse à l'époque de son exil.
En 1785, il souffre de fièvre alors qu'il se trouve à Auxonne comme lieutenant66. À partir de 1786, il est atteint de paludisme et souffre de fièvre par crises intermittentes jusqu'en 179666,67. En 1793, il contracte la gale lors du siège de Toulon dont il garde des séquelles durant toute sa vie, l'obligeant à prendre des bains pour calmer des démangeaisons68. Talleyrand et la comédienne Mademoiselle George ont été témoins de crises qui furent assimilées à l'épilepsie69.
Il souffre principalement de problèmes abdominaux dont une douleur chronique au côté droit, et hépatiques, ainsi que de dysurie dont l'aggravation est constatée lors de la campagne de Russie70. Napoléon ne portait pas la main dans son gilet pour soulager une douleur à l'estomac68. Ce geste rencontré dans les portraits officiels, était une posture inspirée de l'attitude oratoire du philosophe Eschine, et que l'on retrouve dans d'autres portraits du XVIIIe siècle71. C'était ainsi une posture régulièrement adoptée par les officiers dans leurs portraits officiels pour ne pas avoir les bras ballants, comme le recommande Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, livre écrit en 1702 par Jean-Baptiste de La Salle72.
Retour de ses cendres en France
Napoléon demanda à être enterré sur les bords de la Seine, mais lorsqu’il mourut en 1821 il fut inhumé à Sainte-Hélène.
Dix-neuf ans après la mort de Napoléon, le roi Louis-Philippe Ier put obtenir du Royaume-Uni la restitution des cendres de Napoléon. L’exhumation du corps eut lieu le et Napoléon quitta définitivement l'île de Sainte-Hélène le dimanche 73. Son corps fut rapatrié triomphalement à Paris, le 15 décembre 1840, au milieu d'une foule innombrable74, et enterré aux Invalides, dans « un grand sarcophage […] de porphyre rouge — en fait du quartzite aventuriné de Finlande, proche du porphyre — posé sur un socle de granit vert des Vosges »75,j. Le socle en marbre noir provient de la carrière de marbre de Sainte-Luce. Le transport de ce bloc de 5,5 mètres de long, 1,20 mètre de large et 0,65 mètre d'épaisseur, ne se fit pas sans peine76.
Après 1854, l’empereur Napoléon III négocia avec le gouvernement britannique l’achat de Longwood House et de la vallée du Tombeau (Sainte-Hélène), qui devinrent propriétés françaises en 1858 et sont gérées depuis par le ministère des Affaires étrangères.
À l'occasion de la célébration du bicentenaire de la naissance de Napoléon, le journaliste-photographe Georges Rétif de la Bretonne publia en mars 1969 l'ouvrage Anglais, rendez-nous Napoléon dans lequel il développait la thèse substitutionniste (substitution de cadavre). Le roi d'Angleterre George IV, aurait fait exhumer secrètement le corps de l'empereur vers 1824 ou 1825 puis substitué celui-ci avec celui de son maître d'hôtel Cipriani qui se trouverait dans le sarcophage. Cette thèse reprise depuis par d'autres auteurs ne repose que sur des spéculations77.
Héritage napoléonien
Peu de personnages ont laissé une trace aussi importante que Napoléon Bonaparte dans l'historiographie et la pensée politique françaises. Cette empreinte semble due pour une grande part au Mémorial de Sainte-Hélène, essai publié par Las Cases en 1823 deux ans après la mort de l'empereur, qui connut un grand succès éditorial. Pour Jean Tulard, le Mémorial devint le bréviaire du bonapartisme78. En 2014, quelque 80 000 titres ont été consacrés à l'Empereur, ouvrages laudateurs à quelques exceptions près même si actuellement il est abordé avec plus de recul critique79.
Héritage politique
Au milieu de l'année 1799, l’état de la France est catastrophique. Le gouvernement français est secoué par des problèmes internes, les impôts n’arrivent pas dans les caisses de l’État, le brigandage s’est développé, les routes sont défoncées, les régions récemment conquises et les États satellites de la République française sont menacés du fait de l'offensive générale des armées de la Deuxième Coalition en Suisse, Italie, Allemagne du Sud et Hollande, le commerce est au plus mal, l’industrie (notamment celle de la soie à Lyon) ruinée, le chômage fait une percée, le prix du pain est trop élevé pour les ouvriers, les hôpitaux ne marchent pas… C’est le moment que Bonaparte, qui est à l’époque encore un général révolutionnaire, choisit pour abandonner son armée en Égypte et monter à Paris, fomenter un coup d’État, le . Entouré d’une auréole de prestige (il vient de sortir vainqueur de la campagne d’Italie et la campagne d’Égypte est, pour le moment, encore une réussite), il ne trouve que peu de résistance et l’opinion publique ne le désavoue pas. Mais les républicains sont inquiets : Napoléon incarne-t-il l'avènement définitif des valeurs de la Révolution, ou promet-il, au contraire, la destruction de la pensée révolutionnaire ? On peut considérer aujourd'hui que Napoléon solidifiera à plus d'un titre l’héritage de la Révolution ; s'il en finit avec la République et arrête le mouvement révolutionnaire, il restera fidèle aux principes de la Révolution qu'il cherchera à exporter à l'échelle européenne voire mondiale. Le Consulat, en somme, objective ce mouvement.
Le Consul Napoléon Bonaparte, grâce à une série de mesures, permet à la Révolution de s’installer dans le temps. Bonaparte va d'abord s'employer à créer des institutions neuves, lesquelles perdureront jusqu'à nos jours. La nouvelle constitution qu’il fait rédiger renforce le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif, crée une administration centralisée, organisée en directions et ministères (dont le nouveau ministère de l’Intérieur, confié à Fouché) spécialisés et uniformisés. Il garde les divisions administratives créées lors de la Révolution. Ces institutions solides permettent un renforcement de l’autorité de l’État, font revivre le pays et éloignent un peu plus le risque de retour à l’Ancien Régime. Les caisses de l’État sont renflouées. Napoléon décide également de pacifier certaines zones conflictuelles en développant une politique de la ville novatrice. Ainsi, Pontivy fut agrandie et la ville de La Roche-sur-Yon est créée en 1804. La préfecture de la Vendée reste la seule ville entièrement de création napoléonienne.
Ensuite, Napoléon Bonaparte s’inscrit dans la lignée de la Révolution. Après le coup d’État, les institutions changent, mais la majorité des personnes qui vont occuper des postes étaient déjà en place lors du Directoire : dans les assemblées créées par la Constitution de l'an X, la plupart des sénateurs, tribuns ou membres du Conseil d’État avaient déjà des postes à responsabilité sous le régime précédent, les préfets sont choisis dans les assemblées révolutionnaires… Cela permet à Bonaparte de mieux contrôler l’opposition. Les réformes qu’il met en place sont la suite logique de celles déjà entreprises sous la Révolution. Les réformes financières et commerciales qui lui sont attribuées ont, pour une partie d’entre elles, été imaginées par les membres du Directoire.
Ceux-ci avaient déjà tenté le blocus continental que Napoléon mettra en œuvre contre le Royaume-Uni en 1806. Même certaines techniques de guerre utilisées par Napoléon et dont il est considéré comme l’inventeur avaient déjà été mises en application sous la Révolution. La rédaction d’un Code civil français elle-même avait déjà été entreprise sous la Révolution. De plus, il stabilise le paysage politique en pacifiant le pays et garantit ainsi l’inscription dans la durée de son gouvernement. La paix signée avec les royalistes vendéens et chouans, en , marque un grand pas en avant dans l’apaisement du pays, aucun gouvernement auparavant n’avait réussi à l’obtenir.
La signature du Concordat en 1801 permet à Napoléon de s’assurer le soutien de beaucoup de catholiques qui étaient hésitants jusqu’alors, et les royalistes en perdent autant, l’une des raisons fondamentales de l’appui de la population à ce mouvement étant le caractère anti-catholique de la Révolution. Ce Concordat, qui n’instaure pas le catholicisme comme religion dominante et qui aurait pu être vu comme une volonté de retour à l’Ancien Régime, permet à Bonaparte d’obtenir une nouvelle légitimité et d’asseoir un peu plus son autorité. Le Concordat maintient la vente des biens nationaux. Grâce à ces deux traités, Bonaparte neutralise l’opposition royaliste et semble s’inscrire dans l’héritage révolutionnaire.
Finalement, le Code civil français est un ouvrage révolutionnaire. Commencé en 1800 et publié finalement en 1804, il remplace tout le droit antérieur, et conserve la méritocratie, l’impôt égalitaire, la conscription, la liberté d’entreprise et de concurrence ainsi que de travail, consacre la disparition de l’aristocratie féodale, et en principe l’égalité devant la Loi. En conservant et en inscrivant dans le Code tous ces acquis de la Révolution, Bonaparte leur permit de traverser les régimes et rassura une grande partie de la population.
Mais Napoléon a aussi supprimé bon nombre d’acquis révolutionnaires. Tout d’abord, les cultes révolutionnaires sont abolis. Les libertés d’expression, de réunion, de circulation et de presse sont supprimées au profit d’un État autoritaire et d’une surveillance accrue de la population, orchestrée par Fouché. L’égalité proclamée dans le Code civil n’est pas respectée : la femme dépend de son mari ; les patrons ont un très grand pouvoir sur les ouvriers, le livret ouvrier les réduisant à être des quasi-serfs ; l’esclavage est rétabli dans les colonies ; les fonctionnaires sont privilégiés en matière de Justice… Ensuite, l’instauration des préfets, qui sont l’équivalent des intendants, la création du conseil d’État, équivalent du conseil du roi, d’une nouvelle noblesse basée sur la notabilité, les faux plébiscites organisés (des votes sont inventés, il n’y a pas de secret de vote, on ratifie un fait déjà accompli…) font redouter le pire aux jacobins. Le spectre du retour à la monarchie les hante.
Finalement, en devenant tour à tour Premier consul, consul à vie puis empereur, il en finit avec la République. La faveur publique lui permet de rédiger la Constitution de l’an VIII, qui lui donne la réalité des pouvoirs et surtout ne fait pas mention de la souveraineté nationale. Cette constitution divise le pouvoir législatif, qui à partir de ce moment, perdra toute influence. C’est au cours de l’an X que s’est opérée la transformation du régime encore républicain en un despotisme auquel ne manquait qu’une couronne. Le poste de Premier consul à vie sonne le glas de la République. Ces changements de régime permettent surtout à Napoléon d’être de moins en moins dépendant de ses succès ou échecs et lui donnent une autre dimension vis-à-vis des autres dirigeants européens. Napoléon a donc aussi supprimé bon nombre d’acquis révolutionnaires.
Napoléon arrête le mouvement révolutionnaire mais non la Révolution. En obtenant la confiance des bourgeois (grâce à la vente des biens nationaux, à la paix maritime et continentale, à la création d’une noblesse méritocratique…), grâce au prestige de grandes victoires (Marengo, 1800), à la bonne résolution des crises telle celle de 1802 (disette et chômage), Napoléon obtient le soutien populaire et s’affranchit peu à peu du processus révolutionnaire, qui ne lui est plus nécessaire. Au fil des années, alors que sa popularité ne va cesser de croître, il va monter en puissance et s’éloigner de la République. En 1804, après divers complots visant son assassinat et la reprise des hostilités avec le Royaume-Uni, il est perçu comme le seul rempart face aux ennemis de la Révolution, et la question de l’hérédité devient un sujet de préoccupations. Il en profite pour se faire sacrer Empereur (ou plutôt, se sacrer). Ce qui pourrait être vu comme l’aboutissement du projet d’un tyran ne l’est pas. En effet, lors du sacre, Napoléon déclare être dans la continuité de la Révolution, et est soutenu par les révolutionnaires eux-mêmes, malgré la fin du processus révolutionnaire.
Les guerres impériales ont perpétué la Révolution. Dans tous les pays conquis, Napoléon Ier impose le Code civil et par conséquent toutes les notions révolutionnaires qui en font partie. Il est considéré dans un premier temps comme le libérateur de l’Europe. Mais à partir de la Quatrième Coalition, qui commence en 1806, le but de ces guerres ne sera plus la propagation des idées révolutionnaires. Malgré la défaite napoléonienne de 1815, les idées de liberté et d’égalité resteront fermement implantées dans les pays qui avaient été conquis, et de nombreux bouleversements au fil du XIXe siècle en découleront.
Grâce à la modernisation des institutions françaises et européennes, à la pacification du pays, à ses victoires militaires et la conquête de la majeure partie de l’Europe, Napoléon a permis l’expansion et la perpétuation de la Révolution. Ainsi, malgré les nombreux changements de régime lors du XIXe siècle, le Code civil français restera en vigueur dans l’Europe entière, et les nombreux principes révolutionnaires qu’il contient. Napoléon est donc plus le continuateur que l’assassin de la révolution, malgré l’impasse qu’il fit sur la République. En supprimant les cultes et autres acquis révolutionnaires qui mettaient en danger l’œuvre de la révolution elle-même, il permit aux autres de traverser les époques.
Rétablissement de l'esclavage
La première abolition de l'esclavage, dans les colonies le et ses conséquences économiques et politiques amènent le Premier consul à se saisir de la question. Dès leur entrée en fonction, les trois Consuls assurent aux anciens esclaves que la liberté qui leur a été accordée par la Convention sera respectée. C'est le cas jusqu'en 1802, avec la signature de la paix d'Amiens le , quand le Royaume-Uni doit rendre à la France les colonies occupées. Parmi celles-ci se trouvent notamment Sainte-Lucie et la Martinique qui n'ont pas bénéficié de l'application de la loi d'abolition de l'esclavage. Face à cet imbroglio entre colonies avec et colonies sans esclavage, le pouvoir consulaire décide du statu quo : les colonies où il n'y a plus d'esclavage resteront libres, en revanche celles jusque-là occupées par l'Angleterre conserveront les lois antérieures à l'abolition, c'est-à-dire le Code noir. Une commission composée de Cambacérès et des trois conseillers d'État Dupuy, Regnaud de Saint-Jean d'Angély et Bruix travaille sur un projet qui allait dans le sens désiré par Bonaparte. Mais il apparaît difficile de faire cohabiter deux principes opposés dans le même projet de loi. Il est alors décidé de ne mentionner que le cas des territoires récupérés à l'occasion du traité d'Amiens, et de ne rien mentionner pour les colonies où l'esclavage était déjà aboli. Dans le maintien de l'esclavage en Martinique, le Premier consul est poussé notamment par ses ministres (tels Decrès et Talleyrand) et l'Intendant général aux colonies Guillemin de Vaivre, originaire de Saint-Domingue, mais aussi par son épouse Joséphine, Martiniquaise dont la famille et plusieurs amis avaient de nombreux intérêts en Martinique. « L'esclavage ainsi que la traite des Noirs et leur importation dans les colonies restituées par le traité d'Amiens auront lieu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789 ».
Début , il fait arrêter et déporter Toussaint Louverture (qui s'était distingué pendant la révolte des esclaves de Saint-Domingue onze ans plus tôt et qui, convaincu par l'abolition de l'esclavage de 1794, avait gardé la colonie à la France) après que celui-ci a proclamé une Constitution autonomiste et envahi la partie espagnole au moment où Napoléon souhaite apaiser la situation en Europe80. L'Antillais devait mourir de froid un an plus tard au fort de Joux, dans le Doubs, département réputé pour la rigueur de ses hivers. Avec l'expédition de Saint-Domingue, une deuxième phase de la guerre de Saint-Domingue débute ; elle provoque bien des massacres de part et d'autre. Ce sont les Noirs et les Mulâtres de Saint-Domingue qui sortent victorieux de ces terribles combats et créent, en , la première République noire indépendante Haïti.
À la fin de 1801 en Guadeloupe, le capitaine général Lacrosse inquiète en particulier la population noire jusqu'alors libre. Finalement, les troupes noires se révoltent, évincent Lacrosse et s'opposent ensuite à l'armée commandée par le général Richepanse venue rétablir Lacrosse. Ces événements finissent en par la résistance de Louis Delgrès, vivement réprimée et qui se termine par le suicide collectif des insurgés au Matouba. Lacrosse et son successeur Ernouf réintroduisent progressivement l'esclavage sous la forme d'un travail forcé, puis de l'esclavage lui-même par le biais d'un arrêté de police rural du qui fait référence à certains articles du Code noir, et enfin avec l'adoption du décret du Premier consul81, daté du , qui énonce que « La Colonie de la Guadeloupe et Dépendances sera régie, à l'instar de La Martinique, de Ste-Lucie, de Tabago et des Colonies orientales, par les mêmes loix qui y étoient en vigueur en 1789 »82,83. De 1802 à 1803, la Guadeloupe est passée d'un régime qui reconnaissait la présence de généraux et officiers noirs et mulâtres dans l'armée française à un régime qui n'accordait la citoyenneté qu'aux seuls Blancs.
Abolition de la traite des Noirs par l'empereur
Lors des Cent-Jours en 1815, Napoléon décrète l'abolition de la « traite des Noirs » (le commerce, mais pas l'esclavage en soi), notamment afin de complaire en particulier à l'opinion publique britannique largement traversée par le courant abolitionniste[réf. nécessaire], mais aussi par conviction. Comme l'indique l'historien Jean-Joël Brégeon, Napoléon n'était initialement pas favorable au rétablissement de l'esclavage6. Il imaginait un nouveau statut transitoire adapté à chaque colonie. Néanmoins, l'état d'insurrection de Saint-Domingue imposait d'y remettre de l'ordre. Par ailleurs, tout un « parti créole » exigeait le retour des esclaves dans les plantations6. L'historien Jean-François Niort explique : « Manipulé par le lobby esclavagiste, Bonaparte pense que la Guadeloupe est à feu et à sang – ce qui est faux – et que le rétablissement de l’ordre passe par le rétablissement de l’esclavage »84.
Napoléon abolit donc officiellement la « traite des Noirs », par son décret du 29 mars 1815, dans un contexte où son retour de l'île d’Elbe a mobilisé l'ensemble des États européens contre lui. Napoléon tente de perturber la coalition en acceptant des résolutions prises par les puissances européennes durant le congrès de Vienne. La traite est illégale en France depuis cette abolition. La décision est en effet confirmée par Louis XVIII, notamment par le traité de Paris le , qui reprendra à son compte l'abolition de Napoléon.
Bicentenaire de la mort de Napoléon Ier
À l'occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, le 5 mai 2021, des cérémonies commémoratives sont prévues en France ainsi qu'à Sainte-Hélène86,87. De nombreux événements (expositions, conférences, concerts…) sont également prévus à travers le monde au cours de l’année 2021. Mais en raison de la Pandémie de Covid-19, un certain nombre d'événements sont cependant susceptibles d'être adaptés ou reportés à une date ultérieure88,89. L’organisation de cérémonies afin de commémorer la mort de Napoléon fait l'objet de nombreux débats en France, que ce soit parmi les historiens ou au sein de la classe politique90.
Réalisations de Napoléon Bonaparte
Sous le Consulat
Le Consulat est essentiellement une période de pacification et de stabilisation de la France, après la décennie révolutionnaire. De nombreuses institutions sont fondées, qui vont ensuite survivre longtemps à leur créateur ; elles reprennent certains acquis de la Révolution et existent encore au début du XXIe siècle en France.
Ainsi dès le (22 frimaire an VIII), la Constitution de l'an VIII rédigée par Daunou sur la base des principes énoncés par Sieyès et Bonaparte, crée en son article 52 le Conseil d’État. Cet organe est au départ chargé de rédiger les lois pour décharger les ministères et doit conseiller le gouvernement sur la législation à entreprendre. Dans cette Constitution, Napoléon Bonaparte crée également le Sénat, s'inspirant du Sénat romain, il est chargé de veiller au respect de la Constitution et ses membres sont nommés par le Premier consul, puis par l'Empereur. En 1800, le Premier consul Bonaparte crée deux institutions importantes, existant toujours : d'une part, le (24 pluviôse an VIII), il instaure la Banque de France ; d'autre part, le (loi du 28 pluviôse an VIII), Bonaparte crée les préfectures avec à leur tête un corps préfectoral nommé par le Premier consul puis par l'Empereur et représentant de l'État. Toutes ces institutions permettent de réorganiser l'administration en France, qui ne fonctionnait plus depuis le début de la Révolution en 1789[réf. nécessaire]. Cette réorganisation permet de ramener l'ordre et de relancer l'économie. Mais l'ordre intérieur sera totalement ramené le , quand Napoléon Bonaparte signe avec le pape Pie VII le Concordat réconciliant la France avec l'Église, tout en maintenant la liberté de cultes établie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Bonaparte souhaite réorganiser la société française dans de nombreux domaines :
- Éducation : il lance une grande réforme qui aboutit le (11 floréal an X) à la création des lycées et de l'École militaire Saint-Cyr.
- Économie : le , il instaure les vingt-deux chambres de commerce et institue une nouvelle monnaie, le franc germinal le (17 germinal an XI).
- Justice et droit : Bonaparte métamorphose le système judiciaire français, il instaure les cours d'appel et le Tribunal de cassation devient la Cour de cassation. Il réorganise les études de droit avec la création des écoles de droit et un diplôme accessible à tous, la capacité en droit le (22 ventôse an XIII). Enfin, le (30 ventôse an XII), Napoléon Bonaparte promulgue le Code civil français qui définit de nouveaux droits et obligations pour les Français. Par la loi du , Napoléon Bonaparte instaure également la Légion d'honneur91, décernée aux personnes militaires et civiles que l’État souhaite récompenser par cette distinction, au titre de services rendus.
Sous l’Empire
- En 1806, l’empereur Napoléon Ier commande l’arc de triomphe de l’Étoile.
- Le (21 germinal an IX), le premier conseil de prud’hommes est créé à Lyon.
- Le , l’Université est recréée, après son abolition par la Révolution, sous une forme qui conduit aux actuelles universités.
- En 1807, Napoléon confie à Alexandre-Théodore Brongniart la construction de la future Bourse de Paris.
- Le , il ressuscite la fonction de Grand Sanhédrin (ce qui facilite l’assimilation des juifs dans l’Empire). Napoléon a poursuivi l’œuvre de tolérance à l’égard des juifs amorcée par la Révolution.
- Le , Napoléon crée la Cour des comptes.
- 1808 :
- le , Napoléon crée par décret le baccalauréat.
- 1810 :
- le , le Code pénal est promulgué.
Œuvre législative
Bonaparte opère dès les débuts du Consulat de nombreuses réformes dans l’éducation, la justice, la finance et le système administratif. Son ensemble de lois civiles, rédigé par Portalis, Maleville, Bigot de Préameneu et Tronchet et connu sous le nom de Code Napoléon de 1804, a encore une forte influence dans de nombreux pays de nos jours. Il est assez largement influencé par les projets de Code civil qu'avait présentés Cambacérès pendant la Révolution, alors qu'il n'était pas encore second consul. Bonaparte a présidé beaucoup des séances d'élaboration du Code civil[réf. nécessaire]. Il le considérait avec fierté comme son œuvre majeure : « Ma gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles […] Ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil, ce sont les procès-verbaux du Conseil d’État. »92.
Le Code civil français est toutefois très largement inspiré d’un éventail de lois et coutumes diverses déjà existantes sous l’Ancien Régime qu’il unifia. Son œuvre administrative se prolongea jusqu’en 1814. Entre autres réformes, il commencera le travail de cadastrer le territoire français.
Ce Code civil a été largement exporté, ce qui a constitué un phénomène majeur de l'histoire juridique universelle93.
En architecture et urbanisme
À Paris
Napoléon fit ériger à Paris de nombreux monuments dont plusieurs à la gloire de la Grande Armée et de ses victoires. Il a fait construire après la victoire à la bataille d'Austerlitz deux arcs de triomphe après avoir déclaré à ses soldats : « Vous ne rentrerez dans vos foyers que sous des arcs de triomphe ». Le premier à être ordonné est l'arc de triomphe de l'Étoile en 1806 pour en faire le point de départ d'une avenue triomphale traversant le Louvre et la place de la Bastille, il ne sera achevé qu'en 183694. Le deuxième est l'arc de triomphe du Carrousel, construit de 1806 à 1808 et situé sur la place du Carrousel, à l'ouest du Louvre95. La bataille d'Austerlitz est aussi commémorée par la colonne Vendôme, anciennement appelée colonne d'Austerlitz puis colonne de la Grande Armée, construite entre 1805 et 1810. Elle est surmontée d'une statue de Napoléon96.
L'église de la Madeleine devait être elle aussi un temple à la gloire de la Grande Armée, comme prévu en 1805. En 1812, après la campagne de Russie, Napoléon changea d'avis pour revenir au projet d'une église. Elle fut finie en 184297. Napoléon fit aussi construire de 1807 à 1825 le palais Brongniart de style corinthien pour accueillir la Bourse de Paris98. Il fit aussi construire le palais d'Orsay de 1808 à 1840, où s'installe le Conseil d'État99.
Napoléon fit aménager la capitale. Il fit percer les rues de Rivoli, de Castiglione et des Pyramides ainsi que numéroter les immeubles de Paris. Il ordonna la liaison entre le Louvre et le palais des Tuileries et la finition de la cour carrée du Louvre (construction de l’aile ouest et sud) qui devient un musée. Il offrit au palais Bourbon une nouvelle façade, érigée entre 1806 et 1810. Il fit construire trois ponts (le pont des Arts (1801-1803)100, d’Austerlitz (1802-1806) et d’Iéna (1808-1814)) et plusieurs dizaines de fontaines comme l’éléphant de la Bastille. Il fit embellir le jardin du Luxembourg et créer le jardin des Plantes, le canal de l’Ourcq, de Saint-Martin et de Saint-Denis. Enfin, Il fit aménager le cimetière du Père-Lachaise101.
En dehors de Paris
- La fondation de Napoléon (l'actuelle ville de La Roche-sur-Yon).
- La transformation de la place Bellecour à Lyon.
- La colonne de la Grande Armée près de Boulogne-sur-Mer.
- Le pont de pierre à Bordeaux.
- La construction de la place de la Paix (Milan) à Milan.
- La construction du Fort Napoléon à La Seyne-sur-Mer.
- Le canal de Nantes à Brest et de Mons-Condé.
- Le bassin Bonaparte et le bassin Guillaume dans le port d'Anvers102.
- Le Canal de Damme.
- Le Pont de Sèvres, ceux de Tours, de Roanne, de Lyon, de Turin (Pont Mosca), de l'Isère, de la Durance, le Pont de pierre (Bordeaux), celui de Rouen102.
- Le Canal de navigation d'Arles
- Le canal Naviglio Pavese
- Le canal Cavo Napoleonico
Titres et honneurs
Titulature
- 15 août 1769 - 16 octobre 1795 : Monsieur Napoléon Bonaparte
- 16 octobre 1795 - 10 novembre 1799 : Monsieur le Général Napoléon Bonaparte
- 10 novembre 1799 – 18 mai 1804 : Monsieur le Général Napoléon Bonaparte, Premier Consul de la République française
- 18 mai 1804 – 6 avril 1814 : Sa Majesté Impériale l'Empereur des Français
- 17 mars 1805 – 11 avril 1814 : Sa Majesté le Roi d'Italie
- 12 juillet 1806 – 19 octobre 1813 : Sa Majesté Impériale l'Empereur des Français, Protecteur de la confédération du Rhin
- 14 avril 1814 – 26 février 1815 : Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain de l'Ile d'Elbe (exil)
- 20 mars 1815 – 22 juin 1815 : Sa Majesté l'Empereur des Français (Cent-Jours)
Décorations étrangères
- De 1805 à 1811, Napoléon Ier reçoit plus de quatorze décorations étrangères. La liste suivante exhaustive présente tous les ordres dont l'empereur a été décoré par date d'obtention :
- 1805 : chevalier de l'ordre de Saint-Hubert Bavière
- 1805 : chevalier de l'ordre de l'Aigle noir Royaume de Prusse
- 1805 : cordon de l'ordre du Christ, Portugal
- 1805 : cordon de l'ordre d'Aviz Portugal
- 1805 : cordon de l'ordre de Saint-Jacques Portugal
- 1805 : chevalier de l'ordre de la Toison d'or Royaume d'Espagne
- 1805 : chevalier de l'ordre de l'Aigle d'or Wurtemberg-Hohenzollern
- 1806 : grand-croix de l'ordre de la Fidélité Wurtemberg-Bade
- 1806 : Grand maître de l'ordre de la Couronne de fer Royaume d'Italie
- 1807 : grand-croix de l'ordre de Saint-Joseph Grand-duché de Wurtzbourg
- 1807 : chevalier de l'ordre de Saint-André Empire russe
- 1806 : chevalier de l'ordre de Saint Alexandre Nevski Empire russe
- 1806 : chevalier de l'Ordre de Sainte-Anne Empire russe
- 1807 : chevalier de l'ordre de la Couronne des diamants Royaume de Saxe
- 1807 : grand-croix de l'ordre du Mérite Hesse
- 1808 : chevalier de l'ordre de l'Éléphant Danemark
- 1809 : dignitaire de l'ordre des Deux-Siciles Royaume des Deux-Siciles
- 1809 : Grand Commandeur dans l'Ordre de la Couronne Royaume de Westphalie
- 1810 : chevalier de l'ordre du Séraphin Suède
- 1810 : grand-croix de l'ordre de Saint-Étienne Royaume de Norvège
- 1810 : grand-croix de l'ordre de Léopold Autriche
- 1810 : grand croix de l'ordre de l'Union Royaume de Hollande
- 1811 : Grand Maître de l’ordre de la Réunion La Réunion
Surnoms
- Nabulio : surnom donné quand il était enfant par sa mère Letizia Ramolino ;
- La Paille-au-nez : surnom donné par les camarades de Napoléon à l'école de Brienne. En effet, avec son accent corse, Napoléon prononçait son prénom Napoillioné ;
- Le Général Vendémiaire : surnom donné par d'autres généraux de la République en signe de mépris pour ce fait d'armes de répression intérieure de civils royalistes, après l'intervention de Bonaparte lors de l'insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV ;
- Le Petit Caporal : surnom donné par les soldats au soir de la bataille du pont de Lodi, en 1796. Le grade de caporal utilisé comme surnom lui a été attribué selon un usage militaire d'affection pour saluer un comportement de bravoure103 ;
- Boney : sobriquet donné par les caricaturistes britanniques, diminutif de « Bonaparte ». Par référence au mot anglais « bone » (os), il peut ainsi être traduit par « l'osseux ». Ce surnom visait la maigre silhouette du général Bonaparte dans les premières années de sa carrière militaire jusqu'au Consulat. Ce surnom jouait sur le contraste avec le ventru John Bull, symbole de l'Anglais et de son opulence face à une France perçue comme ruinée et affamée durant la Révolution ;
- Le Petit Tondu : surnom donné par les soldats à partir du Consulat et du début de l'Empire après que Bonaparte eut fait couper ses cheveux (au retour de l’expédition d’Égypte, en 1799) et eut fait appliquer un nouveau règlement pour la coupe de cheveux des militaires (abandon des cheveux longs et des perruques au profit de la « coupe à la Titus »k) ;
- Buonaparte : reprise du nom corse orthographié ainsi dans les premières années de la vie de Napoléon Bonaparte, par ses adversaires royalistes français et par les Britanniques qui ne reconnaissaient pas sa dignité impériale acquise après la rupture de la paix d'Amiens (1803) et refusant ainsi de n'utiliser que son prénom, signe de sa titulature ;
- L'Usurpateur : surnom provenant des milieux royalistes, à partir de l'établissement de l'Empire et de la prétention de Napoléon Bonaparte d'accaparer le pouvoir souverain. Le terme est surtout utilisé quand le rétablissement des Bourbons est réaliste, puis effectif, en 1814 puis en 1815 lors des Cent-Jours ;
- Le Tyran, l'Ogre : surnoms couramment donnés par ses adversaires et ses caricaturistes, en particulier à la fin de l'Empire quand l'effort militaire de la conscription pèse de plus en plus fortement sur la population ;
- Le Père-la-Violette : la violette est la fleur de l'amour caché. Après sa première abdication, on croyait qu'il reviendrait à l'époque où fleurissent les violettes, chose qui se réalisa ; la violette devint un signe de ralliement des bonapartistes après la Seconde Restauration ;
- Jean de l'Epée : sobriquet donné par les soldats de la Grande Armée, en particulier au sein de la Garde impériale au moment du retour de l'île d'Elbe104 ;
- Nicolas : surnom utilisé particulièrement par les royalistes du Midi de la France, où le Diable est parfois dénommé ainsi105. Des caricatures de l'époque désignent ainsi Napoléon par cet autre prénom, avec l'effet renforcé par leur même lettre initiale « N » ;
- Lou Castagnié (« Le Châtaigner »), surnom donné dans le Midi de la France et qui fait référence aux origines corses de Napoléon, les châtaignes en étant une spécialité fameuse106.
Vie privée
Influences historiques
Durant sa jeunesse, Bonaparte se montre admiratif envers certains hommes d’État, notamment Pasquale Paoli, indépendantiste corse, et Mirabeau, révolutionnaire modéré. Il a aussi beaucoup admiré Rousseau, disant même : « Oh ! Rousseau ! Pourquoi faut-il que tu n'aies vécu que soixante ans ! Dans l'intérêt de la vérité, tu aurais dû être immortel ! » Il a par la suite renié ces idées, les idées de Rousseau s'avérant peu conformes au système consulaire puis impérial. Pendant la Révolution, il a l'espoir de pouvoir dépasser ses conditions de vie modeste grâce au nouveau régime mis en place et se montre donc favorable à cette évolution. Il écrit même sur une banderole tendue sur sa maison natale : « Vive la Nation ! Vive Paoli ! Vive Mirabeau107 ! »
Il est aussi reconnaissant envers les frères Robespierre, Augustin et Maximilien, auxquels il doit en partie sa montée en grade rapide. Il envoie par la suite une pension à leur sœur. Il a écrit à Tilly : « J'ai été un peu affecté de la catastrophe de Robespierre que j'aimais et que je croyais pur, mais fût-il mon frère, je l'eusse moi-même poignardé s'il aspirait à la tyrannie »108.
Napoléon voue une grande admiration pour le génie militaire de Turenne. En 1800, il fait transférer son tombeau sous le dôme des Invalides109.
Bonaparte témoigne de plus d'une admiration pour de grands conquérants et des empereurs. Il se fait représenter coiffé d'une couronne de lauriers et vêtu d'une toge, pour se montrer tel que Jules César et qu'Auguste par exemple. Il est également fasciné par Frédéric II.
Napoléon et les femmes
Bien que marié deux fois, Napoléon cultive tout au long de sa vie plusieurs maîtresses (cinquante-et-une d'après certains historiens) qui lui donnent des enfants illégitimes. Cette descendance a une importance à ses yeux, le confortant dans son idée qu'il n'est pas stérile. Deux maîtresses vont jouer un grand rôle dans sa vie.
La première grande maîtresse de Napoléon est Éléonore Denuelle, dame du palais et lectrice de sa majesté impériale Joséphine : elle lui donne son premier enfant le , qui est prénommé Léon30.
La seconde, il la rencontre pendant la campagne de Pologne. Le , l'Empereur entre à Varsovie, une jeune femme se fraie un chemin jusqu'à lui, il s'agit de Marie Laczynska, comtesse Waleswka, âgée de vingt-six ans, épouse d'un vieil homme, Anastase Walewski2. Lors d'un bal donné en l'honneur de l'Empereur, les Polonais souhaitent que Marie Walewska se retrouve dans son lit : ils forment ainsi le vœu que le sort de la Pologne, partagée entre la Russie, la Prusse et l'Autriche, puisse changer avec l'aide de Napoléon. D'abord très réticente, elle finit par être amoureuse de l'Empereur et lui donne un fils, Alexandre, né le 110.
Quant à ses épouses, il en a deux : l'une dont il est très amoureux, Joséphine de Beauharnais, et une autre, Marie-Louise d'Autriche, qui n'est qu'une épouse politique, chargée de lui donner un héritier pour le trône impérial. Aux dires de Joséphine, Napoléon n'a aimé que deux femmes : elle-même et la comtesse Walewska2.
Napoléon et la spiritualité
Napoléon et le catholicisme
Napoléon est né dans une famille catholique et est baptisé le 112.
Sa position envers le catholicisme semble parfois plus tenir du calcul politique que d'un choix personnel113, mais il déclare avoir un réel attachement pour sa religion natale114.
Selon André Palluel-Guillard, « jusqu'à Sainte-Hélène, il fera profession sinon d'athéisme, du moins d'un solide matérialisme et de beaucoup d'indifférence vis-à-vis des grands mystères du monde et de la foi115. »
Pourtant, à la fin de sa vie, Napoléon reçoit l'extrême-onction des mains de l'abbé Vignali. En outre, l'article 1 de son testament, rédigé le à Sainte-Hélène, mentionne sans ambiguité : « Je meurs dans la religion apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je suis né il y a plus de cinquante ans »116.
De son vivant, l'empereur se pose en messie politique, mythe repris par la propagande napoléonienne et l'iconographie impériale117. Les thèses empoisonniste et substitutionniste, sans bases historiques solides, ont séduit l'opinion parce qu'elles renvoient à deux mythes chrétiens fondamentaux, celui du martyre et celui de l'immortalité, Napoléon ayant été assimilé au Christ dans les années qui ont suivi sa mortm.
Napoléon et l'islam
L’intérêt de Napoléon pour l’islam semble être dicté par le contexte. La campagne d'Égypte a été préparée sur le même mode que celle d’Italie, c’est-à-dire en espérant provoquer un ralliement des populations locales à la cause française. Dans l’objectif de ce ralliement, tout est fait pour que les Égyptiens en majorité musulmans se sentent valorisés. Pour le général Dupuy qui accompagnait Napoléon durant la campagne d'Égypte cet intérêt pour l'islam est simulé pour des raisons politiques : « Nous trompons les Égyptiens par notre simili attachement à leur religion, à laquelle Bonaparte et nous ne croyons pas plus qu'à celle de Pie le défunt »119.
Pour Henry Laurens, si l'intérêt de Napoléon envers l'islam a été inspiré par des préoccupations politiques, il a néanmoins été « réellement fasciné par l'islam et par l'Orient [et] son admiration pour l'islam se porte essentiellement sur ce créateur de sociétés qu'est le prophète Mahomet »120.
Napoléon et la franc-maçonnerie
Parmi l'entourage militaire et intellectuel proche de Napoléon beaucoup sont francs-maçons (le général Kléber qui fonde la loge « Isis » au Caire, Dominique Vivant Denon, membre de l'Ordre sacré des Sophisiens et de la loge « La Parfaite Réunion », Gaspard Monge membre notamment de la loge militaire « L'Union parfaite »). Il est louveteau, c'est-à-dire fils du franc-maçon Charles Bonaparte, et ne conteste pas de se faire par la suite appeler « frère » par différents membres des 1 200 loges maçonniques qui se développent pendant le Premier Empire121, néanmoins les critiques envers les francs-maçons qu'il tient lors de son exil à Sainte-Hélène semblent prouver le contraire122.
Correspondance
Napoléon Bonaparte a entretenu une abondante correspondance, en partie à usage privé, mais surtout une importante correspondance officielle. De son vivant, quelques-unes de ces lettres ont été publiées, soit isolément, soit en recueils, mais souvent dans un but d’exaltation ou au contraire de polémique. Par exemple ses 75 notes et lettres au comte Lazare Carnot, son ministre de l'Intérieur pendant les cent jours parues à Bruxelles en 1819123.
Dans les années 1850, l’empereur Napoléon III fait publier la correspondance de son oncle. Si cette nouvelle publication a aussi un but de propagande, elle sera plus sérieuse que ce qui avait été fait jusque-là. Toutefois, certaines lettres n’ont pas été retrouvées, d’autres ont été volontairement omises, et le texte a parfois été expurgé sous divers prétextes. Lorsque paraît en 1869 le dernier volume de la correspondance de Napoléon Ier, l'officier Louis Rossel démontre que les livres de stratégie attribués à ce dernier par la commission chargée de publier la correspondance, ne sont pas et ne peuvent pas être de lui. Dans les années suivantes, de nouvelles lettres ont été publiées, souvent sous la forme de recueils spécifiques (lettres de Napoléon à un même correspondant). D’autres réapparaissaient ponctuellement.
La Fondation Napoléon a entrepris depuis 2002 une vaste entreprise de publication scientifique de l’ensemble de la correspondance de l’empereur. Elle a lancé pour cela un appel afin de récupérer les documents qui pourraient se trouver dans différents dépôts d’archives ou bibliothèques, et surtout chez des particuliers.
Pour les références des éditions, voir plus bas.
Famille
Ascendance
Parents
Frères et sœurs
Neveux et nièces
La liste ci-dessous donne les noms des 26 enfants légitimes des frères et sœurs de Napoléon, par ordre de naissance. D'autres enfants, ceux morts en très bas âge ou issus de relations hors mariage, ne sont pas indiquésn.
- Filistine Charlotte Bonaparte (1795-1865), fille aînée de Lucien ;
- Dermid Leclerc (1798-1804), fils unique de Pauline ;
- Christine-Egypta Bonaparte (1798-1847), fille cadette de Lucien ;
- Achille Charles Louis Napoléon Murat (1801-1847), fils aîné de Caroline ;
- Zénaïde Bonaparte (1801-1854), fille aînée de Joseph ;
- Maria Letizia Joséphine Murat (1802-1859), fille de Caroline ;
- Napoléon Louis Charles Bonaparte (1802-1807), fils aîné de Louis ;
- Charlotte Bonaparte (1802-1839), fille cadette de Joseph ;
- Lucien Charles Joseph Napoléon Murat (1803-1878), fils de Caroline ;
- Charles-Lucien Carlo Jules Laurent Bonaparte (1803-1857), fils de Lucien (zoologiste) ;
- Napoléon Louis Bonaparte (1804-1831), fils cadet de Louis ;
- Lætitia Bonaparte (1804-1871), fille de Lucien ;
- Louise Julie Caroline Murat (1805-1889), fille de Caroline ;
- Élisa Napoléone Baciocchi (1806-1869), fille aînée d’Élisa ;
- Jeanne Bonaparte (1807-1829), fille de Lucien ;
- Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873), fils de Louis, empereur des Français (1852-1870) ;
- Paul Bonaparte (1809-1827), fils de Lucien ;
- Louis-Lucien Bonaparte (1813-1891), fils de Lucien ;
- Jérôme-Frédéric-Félix-Napoléon (1814-1834), fils d’Élisa ;
- Jérôme Napoléon Charles Bonaparte (1814-1847), fils aîné de Jérôme ;
- Pierre-Napoléon Bonaparte (1815-1881), fils de Lucien ;
- Antoine Bonaparte (1816-1877), fils de Lucien ;
- Marie-Alexandrine Bonaparte (1818-1874), fille de Lucien ;
- Mathilde-Létizia Wilhelmine Bonaparte (1820-1904), fille de Jérôme ;
- Napoléon Joseph Charles Paul Bonaparte (1822-1891), fils de Jérôme ;
- Napoléon-Jérôme Bonaparte (1822 - 1891), fils de Jérôme Bonaparte ;
- Constance Bonaparte (1823-1876), fille de Lucien ;
- Roland Bonaparte (1858 - 1924), petit-fils de Lucien ;
- Victor Napoléon (1862 - 1926), fils de Jérôme Bonaparte ;
- Marie Bonaparte (1882 - 1962), première psychanalyste française, arrière-petite-fille de Lucien ;
- Louis Napoléon (1914 - 1997), fils de Victor Bonaparte ; il donna ainsi quatre enfants :
- Charles Marie Jérôme Victor Bonaparte, homme politique, né le 19 octobre 1950,
- Catherine Élisabeth Albérique Marie Napoléon Bonaparte, sa sœur jumelle ;
- Laure Clémentine Généviève Napoléon Bonaparte née le 8 octobre 1952 ;
- Jérôme Xavier Marie Joseph Victor Napoléon Bonaparte, né le 14 janvier 1957, bibliothécaire ;
- Caroline Marie Constance Napoléon Bonaparte, née le 24 octobre 1980, diplômée de l’European Business School de Paris, fille aînée de Charles Marie Jérôme Victor Bonaparte ;
- Jean-Christophe Napoléon, né le 11 juillet 1986, banquier d'affaires, fils de ce dernier ;
- Sophie Catherine Bonaparte née le 18 avril 1992, sœur consanguine des deux derniers ;
- Anh Letizia Bonaparte, née le 22 avril 1998, d'origine vietnamienne, sœur adoptive des trois derniers.
Deux neveux moururent du vivant de Napoléon (Dermid Leclerc et Napoléon Charles Bonaparte, ce dernier ayant été considéré comme héritier présomptif de la couronne impériale entre 1804 et 1807 selon la constitution), et deux naquirent après son décès.
Oncle
- Joseph Fesch, cardinal, évêque de Lyon et primat des Gaules. Il est en fait frère utérin de la mère de Napoléon, Maria Letizia Ramolino. La mère de celle-ci, Angèle-Marie Pietra-Santa, veuve de Jean-Jérôme Ramolino, se remaria avec François Fesch, officier suisse au service de la république de Gênes.
Mariages et enfants
Napoléon s’est marié deux fois :
- une première fois le avec Joséphine de Beauharnais, qui est ensuite couronnée impératrice ; ce mariage restant sans enfants, il se conclut par un divorce, prononcé par un sénatus-consulte le ;
- une seconde fois, le o avec l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche, qui lui donne un fils onze mois plus tard : Napoléon François Joseph Charles Bonaparte (-), roi de Rome, duc de Reichstadt, connu également sous le nom de Napoléon II, bien qu’il n’ait jamais régné qu’en théorie et ce pendant quinze jours, entre la deuxième abdication de Napoléon et la Seconde Restaurationp.
Napoléon s'était fiancé le à Désirée Clary (1777-1860), sœur de Julie Clary elle-même mariée en 1794 avec Joseph Bonaparte. Mais Napoléon rencontre Joséphine de Beauharnais à Paris, le , par le biais de son ami Paul Barras, et le fait renoncer au projet de mariage avec Désirée, non sans mauvaise conscience comme en témoigne sa correspondance avec Désirée.
Napoléon a également eu au moins deux enfants naturels, qui tous les deux ont eu des descendants :
- Charles, comte Léon (1806-1881), fils de Éléonore Denuelle de La Plaigne (1787-1868).
- Alexandre, comte Walewski (1810-1868), fils de la comtesse Walewska (1789-1817).
Et selon des sources plus ou moins contestées :
- Napoléon Louis Charles Bonaparte (1802-1807), fils aîné de Louis Bonaparte.
- Jules Barthélemy-Saint-Hilaire (1805-1895) dont la mère reste inconnue.
- Émilie Louise Marie Françoise Joséphine Pellapra (1806-1871), fille de Françoise-Marie Leroy, épouse Louis Marie Joseph de Brigode, et postérité ;
- Eugen Alexander Megerle von Mühlfeld (de)(1810-1868), fils de l'autrichienne Victoria Kraus (de).
- Auguste Alfred le Pelletier de Bouhélier (1816-1868)125, employé, d'où deux enfants :
- Edmond (1846-1913), journaliste, député de la Seine, maire-adjoint de Bougival, dont postérité : l'écrivain Saint-Georges de Bouhélier et Isabelle, qui devient l'épouse de René Viviani.
- Laure (née en 1852), qui épouse Alphonse Humbert (1844-1922), député de la Seine, et postérité.
- Joséphine de Montholon, fille de la comtesse Albine de Montholon (née à Sainte-Hélène le , morte à Bruxelles le )126.
Conservation des archives personnelles de Bonaparte et sa famille
- Les papiers personnels de la famille Bonaparte, dont la correspondance de Napoléon Ier, sont conservés aux Archives nationales sous la cote 400AP (Fonds Napoléon)127 et 176AP (Fonds Bonaparte)128.
Notes et références
Notes
- Plusieurs auteurs (Mme de Staël, Chateaubriand), s'appuyant sur la brochure d’Eckhard Question d'état civil et historique : Napoléon Bonaparte est-il né français ?, affirment que Napoléon est né le afin de dresser un portrait du « fatal étranger ». Cette soi-disant falsification de sa date de naissance s'explique par le fait que Napoléon a utilisé en de multiples occasions « les papiers de son frère Joseph (né en 1768) lorsqu'il avait besoin de se vieillir en vue d'obtenir quelque avantage de l'administration, ou lors de son mariage avec Joséphine ». Source : Thierry Lentz, 100 questions sur Napoléon, Éditions La Boétie, , p. 2.
- Cette recommandation s'explique pour deux raisons : « D'abord, il est en ce temps-là malséant de laisser pendre ses bras le long de son corps, sans trop savoir qu'en faire. Par ailleurs, les culottes ou les pantalons étant dépourvus de poches — et il serait inconfortable et tout aussi mal élevé d'y fourrer ses mains —, il est fréquent de tenir ces dernières dans son dos ou, variante médiane jugée plus élégante, d'en placer une dans son gilet et l'autre derrière le dos. Les nombreux témoignages du temps nous informent que notre homme opte alternativement pour l'une ou l'autre solution, comme de très nombreux hommes du XVIIIe siècle — quantité de portraits le montrent — et de son époque35 ».
- La bataille d'Eylau, en , avait pu apparaître victorieuse pour l'armée française, malgré les pertes importantes, par le simple fait de l'occupation du champ de bataille à la fin de ce combat.
- Cette redingote, choisie comme capote pour résister aux intempéries, est souvent en drap de Louviers ou d'Elbeuf. Meissonier ajoute dans sa composition une cravache suspendue au poignet droit et une lorgnette dans la main gauche pendante.
- Déboutonnée dans plusieurs portraits, cette simple capote de laine grise laisse entrevoir l'uniforme de petite tenue des chasseurs à cheval de la Garde. Cette tenue est un habit avec collet et parements rouges, un gilet et une culotte de casimir blanc, des bottes à l'écuyère. Napoléon réserve l'uniforme des grenadiers (habit en drap bleu avec collet, parements et retroussis blancs) surtout pour Paris le dimanche ou pour les jours de réception.
- On ne sait pas exactement comment Bonaparte a survécu à la dose de poison qu’il avait ingérée, et deux hypothèses existent : soit son estomac s'est révulsé, ce qui expliquerait les vomissements, soit le poison avait perdu de sa force.
- La Grande-Bretagne n'étant pas signataire du traité de Fontainebleau, elle n'a pas reconnu ce titre d'Empereur à Napoléon, cause du conflit futur à Saint-Hélène entre celui-ci et son gardien Hudson Lowe, qui le considère seulement comme général.
- François Ponée (1775-1863) est ensuite cassé de son grade et remplacé comme commandant de La Méduse par Hugues Duroy de Chaumareys, célèbre par le naufrage et le radeau immortalisés par Théodore Géricault.
- Pierre Philibert (1774-1824) reçoit ensuite de Louis XVIII la rosette de la Légion d'honneur puis est nommé capitaine de vaisseau de 1re classe.
- La carrière de Carélie dont la pierre avait été extraite, au prix de grandes difficultés, appartenait au tsar Nicolas Ier ; il en coûta environ 200 000 francs, payés par la France (L. Léouzon Le Duc, Études sur la Russie, p. 12, cité par : Octave Aubry, Sainte-Hélène, Paris, Flammarion, coll. « L’histoire », 1973, p. 461, no 3). Contrairement à ce qu’on lit un peu partout, cette roche très dure et quasiment inaltérable n’est pas du marbre, encore moins du porphyre, mais un grès métamorphisé.
- Le terme « coupe à la Titus » désigne une coupe masculine ou féminine aux cheveux courts. C'est l'acteur Talma qui popularisa cette coupe en jouant dans des pièces portant sur des sujets de l'époque antique romaine. Titus désigne soit l'un des fils de Lucius Junius Brutus, sujet d'une pièce de Voltaire jouée par Talma en 1787, soit l'empereur de la dynastie des Flaviens selon la mode antiquisante de l'époque (il existe également une coupe de cheveux dite « à la Caracalla »).
- « Sous un tunnel de saules, auréolé de lumière et couronné de lauriers, Napoléon, frontal, repousse la dalle de pierre de son tombeau de Sainte-Hélène. Son uniforme évoque celui des fidèles « grognards » du 1er régiment des grenadiers à pied de la garde. Sa poitrine est barrée du grand cordon de la Légion d’honneur, dont il arbore la plaque et la croix à côté de l’insigne de la Couronne de fer. Les bottes de cheval sont celles du conquérant qui passa plus de temps sur les routes d’Europe que dans ses palais. Sur son épaule, à la fois linceul et manteau impérial, se déploie la redingote grise du « petit caporal ». Devant une épée rappelant celle d’Austerlitz, il tient un rameau d’olivier. Ce n’est pas dans cette tenue qu’il a été enterré dans la vallée du Géranium, en 1821. C’est une image de légende, qui emprunte autant aux portraits officiels qu’aux images religieuses111 ».
- « Le martyre de Napoléon renvoie au mythe du Sauveur auquel on n'a pas laissé le temps de parachever son œuvre… La thèse de la substitution […] fait disparaître le corps, disparition qui ne peut manquer de rappeler celle du corps de Jésus après la crucifixion et renvoie donc à l'idée d'un retour possible »118.
- Les enfants de Lucien, nés de son deuxième mariage, ont été reconnus princes français en 1815 par Napoléon lors de sa réconciliation avec leur père et apparaissent donc dans la liste, bien qu'ils n'entrent pas dans la succession. En revanche, le fils de Jérôme né de son mariage américain, dissous pour illégalité (minorité du marié, absence d'autorisation du parent tuteur), n'apparaît pas.
- Un premier mariage a lieu par procuration en l'église des Augustins, le ; le mariage civil se tient le au château de Saint-Cloud, puis la cérémonie religieuse dans le Salon carré du Louvre transformé en chapelle, le 124.
- Son surnom L’Aiglon lui vient de poèmes de Victor Hugo écrits en 1852.
Références
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- Voir aussi Valynselee, Le sang des Bonaparte, 1954.
- « Étude sur l'ADN de Napoléon et ses sources ancestrales » [archive], sur www.lautresaintehelene.com (consulté le ).
- Auger et al., bloc1769, « Le sang des Bonaparte ».
- Auger et al., bloc 1770, « Une existence quasi autarcique ».
- Joseph Valynseele, Le Sang des Bonaparte, préface de Raoul de Warren, 1954, p. 23 et 25.
- J. Tulard, L. Garros, Itinéraire de Napoléon, p. 13.
- André Castelot, Bonaparte, p. 30.
- « Il apprit le français en trois mois, au point de faire librement la conversation et même de petits thèmes et de petites versions » — Abbé de Chardon, professeur de Napoléon au collège d'Autun.
- J. Tulard, L. Garros, Itinéraire…, p. 15.
- J. Tulard, L. Garros, Itinéraire…, p. 16.
- Mémoires de Bourrienne, tome premier, p. 33.
- Jean Mistler (dir.), Napoléon, t. I : Naissance d'un empire, , p. 35.
- Longtemps attribué à Bourrienne, en fait, selon J. Tulard et L. Garros, Ibid., p. 17, cet épisode provient d'une brochure anglaise traduite sous le titre de Quelques notions sur les premières années de Bonaparte, parue en l'an VI et reprise dans les Mémoires de Bourrienne sur Napoléon (1829), tome premier, p. 25.
- A. Castelot, Bonaparte, p. 47.
- J. Tulard, L. Garros, Itinéraire…, p. 21.
- Jean Massin, Almanach du Premier Empire, p. 3.
- Octave Aubry, Napoléon, Flammarion, 1961.
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- F. Masson et Guido Biagi, Napoléon, Manuscrits inédits 1786-1791.
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- Arthur Chuquet (1853-1925), La Jeunesse de Napoléon (2e éd. rev. et augm.) Arthur Chuquet (1898-1899), t. II, p. 248-249. En ligne sur Gallica : tome 2 [archive].
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- « Soldats ! Vous êtes nus… » Bonaparte auprès de son armée d'Italie en 1796.
- Napoléon Bonaparte : la campagne d'Italie (1796-1797), Patrice Gélinet.
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- Michel Massie, « Sieyès et Roger Ducos se sont-ils partagé devant Bonaparte le trésor du Directoire ? », Annales historiques de la Révolution française, no 257, , p. 404-417.
- Laurent Jullien, Campagne d'Égypte de Bonaparte - L'affaire Alqam, ou l’assassinat de Thomas Prosper Jullien, aide de camp de Bonaparte en Égypte, Éditions Universitaires Européennes, novembre 2016.
- Frans Sammut, Bonaparte à Malte, 1997/2008.
- Cf. dossier de presse de l'exposition « Bonaparte et l'Égypte » à l'Institut du monde arabe.
- Thierry Lentz, Napoléon, La Boétie, , p. 114.
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- « Pour la Guadeloupe, Napoléon est l'homme qui a rétabli l'esclavage », AFP - Outre-mer la 1ère, (lire en ligne [archive])
- Jean-François Niort et Jérémy Richard, « A propos de la découverte de l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et du rétablissement de l’ancien ordre colonial (spécialement de l’esclavage) à la Guadeloupe », Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe, janvier–avril 2009, p. 36 (lire en ligne [archive] [PDF])
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- Général de Montholon, Récits de la captivité de l'Empereur Napoléon à Sainte-Hélène, éd. Paulin, Paris, 1847, T.I, p. 401.
- Michel Grimaldi, L'exportation du Code Civil in Le Code Civil, revue Pouvoirs, Le Seuil, (lire en ligne [archive]), p. 80 à 96.
- Michel Gallet, Les Architectes parisiens du XVIIIe siècle : Dictionnaire biographique et critique, Paris, Mengès, , 494 p. (ISBN 2-85620-370-1), p. 110-116.
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- « Cimetière du Père Lachaise – Paris » [archive], sur www.napoleon.org (consulté le ).
- Napoléon Bonaparte, Entre l'éternité, l'océan et la nuit (Correspondance de l'Empereur), Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1220 p. (ISBN 9782221188903), pp 1145-1146
- Cf. note de bas de page, dans Norvins, 1827, Histoire de Napoléon. Cf. Histoire de Napoléon (21e éd.), p. 55 [archive] sur Gallica.
- Cf. Anonyme, 1815, Une année de la vie de l’empereur Napoléon, Paris, p. 109, cf. Une année de la vie de l'empereur Napoléon, p. 109 [archive] sur Gallica.
- Amédée Pichot, 1873, Napoléon à l'île d'Elbe : chronique des événements de 1814 et 1815… [archive] sur Gallica, E. Dentu, Paris, p. 33. Cet auteur rappelle que les Anglais désignent également le Diable « Old Nick », Nick étant un diminutif de Nicolas dans la langue anglaise.
- Chansons Provençales, Victor Gelu, notes sur la chanson Felipo.
- André Castelot, Bonaparte, Librairie académique Perrin, p. 85.
- André Castelot, Bonaparte, Librairie académique Perrin, p. 138.
- Musée de l'armée, Invalides - Tombeau du marachal de Turenne (1611-1675) [archive].
- Octave d'Aubry : Maria Walewska, le grand amour de Napoléon, Paris, A. Fayard, 1951.
- « Exposition Napoléon n'est plus, musée de l'Armée, 2021 » [archive] [PDF], sur www.musee-armee.fr.
- Cf. « Napoleon Ier (1769-1821), Empereur » [archive], sur www.napoleon.org (consulté le ).
- « Les Articles organiques de 1802 : l’égalité entre les religions (Notes) » [archive], sur www.napoleon.org (consulté le ).
- Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, t. II, p. 180.
- Histoire et dictionnaire du consulat et de l'Empire. Par Alfred Fierro, André Palluel-Guillard et Jean Tulard, Éditions Robert Laffont, 1995, page 43.
- Napoléon Ier (1769-1821 ; empereur des Français) Auteur du texte, Testament de Napoléon. [15-25 avril 1821.], (lire en ligne [archive]).
- Marie-Paule Raffaelli, Napoléon et Jésus. L'avènement d'un messie, éditions du Cerf, , 267 p..
- Jacques-Olivier Boudon, Les habits neufs de Napoléon, Bourin, , p. 126.
- Jacques Bainville, Napoleon Ier, p. 94.
- Henry Laurens, « Napoléon et l'Islam » dans Orientales, CNRS, 2007, 2e partie, p. 157-164.
- François Collaveri, Napoléon franc-maçon ?, Paris, Tallandier, , 300 p. (ISBN 2-84734-072-6).
- Roger Dachez, Histoire de la franc-maçonnerie française, PUF, , p. 81.
- Lettres et notes de Napoléon Bonaparte à Carnot, son ministre de l'intérieur pendant les cent jours, P. J. De Mat, imprimeur de l'Académie royale et de l'université de Louvain, Bruxelles, 1819.
- « Exposition La pourpre et l'exil, château de Compiègne, 2004-2005 » [archive] [PDF], sur www.musee-chateau-compiegne.fr.
- Voir sur la base de roglo – Napoléon Ier : il aurait été conçu lors des Cent-Jours.
- Jacques Macé, Dictionnaire historique de Sainte-Hélène, Paris, Tallandier, 2004, 543 p.
- « Archives nationales » [archive].
Annexes
Bibliographie
Littérature jeunesse
- Les Misérables (1862), roman de Victor Hugo dans lequel il évoque la bataille de Waterloo (dans le Tome II. « Cosette » – Livre Premier : « Waterloo » – chapitre I à XIX).
- Napoléon Bonaparte, pièce d'Alexandre Dumas.
- La Mort de Napoléon, roman de Simon Leys.
- Le cochon Napoléon dans La Ferme des animaux de George Orwell. Ce cochon est l'allégorie de Joseph Staline.
- Napoleon Bonaparte, policier métis aborigène créé par l'auteur australien Arthur Upfield.
- Napoleone, ou Napoleone di Carlo, personnage de Carlo Ambrosini.
Filmographie sélective
Jeux vidéo
- Napoleon's Campaigns: 1813 and 1815, Strategic Simulations, 1981 ;
- Fields of Glory, Microprose, 1993 ;
- Napoléon 1813, Empire Interactive, 1999 ;
- Waterloo: Napoleon's Last Battle, Breakaway Games, 2001 ;
- Imperial Glory, Eidos Interactive, 2005 ;
- Age of Empires III, Microsoft Games, 2005 ;
- Cossacks II: Napoleonic Wars, GSC Game World, 2006 ;
- Cossacks II: Battle For Europe, GSC Game World, 2006 ;
- Crown of Glory, Western Civilization Software, 2006 ;
- Europa Universalis III: Napoleon's Ambition, Paradox Interactive, 2007 ;
- Napoleon in Italy, Hussar Games, 2007 ;
- Les Campagnes de Napoléon, AGEOD, 2007 ;
- Commander: Napoleon at War, Slitherine Software, 2008 ;
- Napoleon: Total War, The Creative Assembly, 2010 ;
- Assassin's Creed Unity, Ubisoft, 2014 ;
- The Council, Focus, 2018.
Jeux de société
- Aux échecs, l'ouverture Napoléon (dame f3), et le mat de Napoléon (mettre à l'échec et mat à l'aide d'un fou et d'une dame) ;
- Le Napoléon se joue de deux à sept joueurs, avec un jeu de 52 cartes. Ce jeu aurait été introduit à Devon, dans le sud-ouest de l'Angleterre, par des prisonniers français durant l'une des guerres napoléoniennes, emprisonnés dans la prison de Dartmoor entre 1805 et 1816 ;
- Risk édition Napoléon (1999) (il existe plusieurs versions) ;
- Bohnaparte (2003), Uwe Rosenberg et Hanno Girke, une extension sur le thème de Napoléon, où les joueurs jouent à Bohnanza pour financer la campagne militaire afin de conquérir le royaume des Haricots ;
- Dschingis Bohn (2003), Hanno Girke, une autre extension militaire où les Mongoles attaquent le royaume des Haricots (cf. Gengis Khan). Dschingis Bohn peut être combiné avec Bohnaparte pour pouvoir jouer à 7 joueurs ;
- Napoleon Saga: Waterloo (2016), jeu de stratégie pour deux joueurs, permettant de simuler des batailles de la campagne de Belgique en 1815, opposant les troupes françaises à celles de la Coalition. S'ajoutent deux extensions supplémentaires, Napoleon Saga - Enemies of the Empire - Prussia, et Napoleon Saga - Enemies of the Empire - Austria & Russia ;
- Napoléon 1806 (2018), Shakos, jeu destiné à simuler la célèbre campagne de 1806, où les troupes françaises seront victorieuses des forces prussiennes lors des batailles d'Iéna et Auerstaedt ;
- Napoléon 1807 (2020), Shakos, jeu destiné à simuler la campagne Pologne de 1807, où les troupes françaises affronteront les dernières troupes prussienne et l'armée russe.
Musiques
- Charles-Simon Catel
- Hymne sur la reprise de Toulon, pour chœur d'hommes et orchestre (1793)
- Chant triomphal pour la paix et l'anniversaire du sacre, à 4 voix, chœur à 5 voix et orchestre (1809)
- Étienne-Nicolas Méhul :
- Domine salvum fac republicam, salvos fac consules, en ut majeur, pour 2 chœurs et 2 orchestres (1800)
- Le Pont de Lodi, opéra en 1 acte, livret de M Delrieu (1797)
- Chant lyrique pour l'inauguration de la statue de Napoléon (1807)
- Chant du retour pour la Grande armée (1808)
- Giovanni Paisiello, Messe en Pastorale pour le 1er Consul, de (1802)
- Messe du Sacre de Napoléon Ier (2 décembre 1804) :
- Jean-François Le Sueur, Marche Triomphale
- Giovanni Paisiello, Messe
- Jean-François Le Sueur, Unxerunt Salomonen (motet)
- Nicolas Roze, Vivat in æternum (motet)
- Jean-François Le Sueur, Tu es Petrus (motet)
- Giovanni Paisiello, Te Deum
- Ludwig van Beethoven
- Le Concerto Empereur (vers 1808-1809), dédié au général Bonaparte lors de la campagne d'Allemagne et d'Autriche.
- La Bataille de Vitoria (1812)
- Johann Nepomuk Hummel, Cantate pour le mariage de l'empereur Napoléon avec Marie-Louise d'Autriche, pour solistes, double chœur et orchestre (1810)
- Hector Berlioz, Le Cinq mai, cantate sur la mort de l'empereur Napoléon pour basse, chœur mixte et orchestre H74, sur un poème de Beranger (1831 - 35)
- Hector Berlioz, Te Deum (inspiré par Napoléon Ier)
- Adolphe Adam, Marche funèbre pour les funérailles de l'Empereur, pour 63 parties d'instruments à vents, (1840)
- Piotr Ilitch Tchaïkovski, Ouverture solennelle de 1812, (1880)
- Jules Massenet, Brumaire, Ouverture, pour orchestre (1900)
- Arnold Schoenberg, Ode pour Napoléon Bonaparte pour voix, piano et quatuor à cordes (1942)
- Prokofiev, Guerre et Paix, opéra en 2 parties et 13 scènes (1942)
- Napoléon, spectacle musical de Serge Lama.
Musées
- Musée de l'Armée, musée militaire hébergé au sein de l'Hôtel des Invalides. La sépulture de Napoléon Ier repose sous le Dôme des Invalides ainsi que celles de deux de ses frères (Jérôme et Joseph) et de son fils, l'Aiglon, et de certains généraux d'Empire tels que Duroc, Bertrand et Lasalle.
Musée de l'armée, « Le Dôme des Invalides et ses richesses » [archive] (consulté le ).
- Château de Fontainebleau, ancien lieu de résidence de la cour impériale et haut lieu de décision politique de l'Empire (concordat de Fontainebleau (1813), premier acte d'abdication etc.) ; s'y trouve la salle du trône et la bibliothèque de travail de l'empereur.
- Musée Napoléon, sur l’île d'Aix (Charente-Maritime).
- Château de Malmaison, ancienne demeure de Joséphine de Beauharnais, devenu un musée.
- Château de Bois-Préau, annexe de celui de Malmaison, il est consacré à la captivité et à la mort de Napoléon à Sainte-Hélène ainsi qu'au retour des cendres et à la légende napoléonienne.
- Musée Napoléon, du château de la Pommerie à Cendrieux (Dordogne), est un musée privé appartenant à un descendant de Jérôme et rassemblant des souvenirs de la famille impériale.
- Musée du château de Compiègne permet, en visite libre, de visiter les grands appartements restaurés, généralement, premier empire.
- Musée Naval et Napoléonien d'Antibes, aménagé dans l’ancienne casemate de la batterie côtière du Graillon qui surplombe l’un des accès de la plage de Golfe-Juan où Napoléon, quittant l’île d’Elbe, débarquait le .
- Palazzina dei Mulini, sur l'île d'Elbe, érigé en musée, fut la résidence officielle de Napoléon et de sa sœur Pauline. Au même titre que sa résidence de campagne, la villa San Martino, située à 5 km de Portoferraio et devenue elle aussi un musée.
- Musée et parc Noisot, du grognard Claude Noisot (1757-1861) à Fixin près de Dijon en Bourgogne.
- Mémorial Waterloo 1815 est un ensemble muséal belge situé sur le site du champ de bataille de Waterloo en Belgique et qui regroupe un musée inauguré en 2015, la butte du Lion, le panorama de la bataille de Waterloo et la ferme d'Hougoumont.
- Fondation Napoléon, reconnue d'utilité publique le , œuvre pour la sauvegarde du patrimoine napoléonien et la connaissance historique des Premier et Second Empires.
- Maison Napoléon, maison de style Art nouveau à Anvers.
Le musée de la Révolution française situé à proximité de la route Napoléon expose quelques objets liés à Napoléon, notamment des caricatures anglaises sous forme de céramiques ou d'estampes.
Marine
De 1797 à 2020, au moins 95 navires associés au nom de l'empereur français sont identifiés comme Napoléon ou Corse (goélette) (en) (1840-1902), navire français
- Napoléon (navire de ligne) (1850-1876), navire de la Marine française
- Napoléon (ferry de 1959) (1959-1988), ferry de la Compagnie générale transatlantique
- Napoléon (ferry de 1976) (1976-2015), ferry de la SNCM
Au XXIe siècle, au moins 18 navires opèrent en Indonésie, en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Australie, en Argentine, en Inde, aux Pays-Bas et en France.
Articles connexes
Politique
Régimes et évènements
Autres
Armée
Campagnes
- Siège de Toulon ;
- Vendémiaire ;
- 1re campagne d’Italie ;
- Campagne d'Égypte ;
- 2e campagne d’Italie ;
- 1re campagne d'Allemagne ;
- Campagne de Prusse et de Pologne ;
- Guerre d’Espagne ;
- Campagne d'Allemagne et d'Autriche ;
- Campagne de Russie ;
- 2e campagne d’Allemagne ;
- Campagne de France (1814) ;
- Campagne de Belgique (1815).
Autres
Vie privée
Arts et culture
Tableaux
Patrimoine
Autres
Divers
- Fondation Napoléon ;
- Institut Napoléon ;
- Ouverture Napoléon ;
- Problème de Napoléon ;
- Théorème de Napoléon ;
- Le Feld-Maréchal von Bonaparte (roman uchronique de Jean Dutourd)
Liens externes
- « Site de la Fondation Napoléon » [archive], sur napoleon.org (consulté le ).
- Napoléon 1er magazine [archive] (existe depuis 2000) sur http://www.napoleon1er.fr/ [archive].
- « Napoléon Prisonnier » [archive], sur www.napoleonprisonnier.com, site qui retrace la vie de Napoléon de 1814 à 1821. (consulté le ).
- « Chronologie illustrée de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène » [archive], sur www.lautresaintehelene.com (consulté le ).
- « Napoléon 1er Forum » [archive], sur forum.napoleon1er.net (consulté le ).
- « Napoleon & Empire » [archive], sur www.napoleon-empire.net (consulté le ).
- « Le Souvenir napoléonien, société française d’histoire napoléonienne » [archive], sur www.souvenirnapoleonien.org (consulté le ).
- « Brown University Library, Napoleonic Satires » [archive], sur library.brown.edu (consulté le ).
- « Les archives de gestion des travaux aux résidences et palais impériaux sous Napoléon Ier » [archive], sur siv.archives-nationales.culture.gouv.fr (consulté le ).
- « Les minutes des lettres de Napoléon Ier, Premier Consul, puis Empereur » [archive], sur www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr (consulté le ).
- Plateforme Google Arts&Culture [archive]
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Charles de Gaulle
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Charles de Gaulle
Charles de Gaulle en 1961.Fonctions Président de la République française –
(10 ans, 3 mois et 20 jours)Élection Réélection Premier ministre Michel Debré
Georges Pompidou
Maurice Couve de MurvillePrédécesseur René Coty (IVe République) Successeur Alain Poher (intérim)
Georges PompidouPrésident du Conseil des ministres –
(7 mois et 8 jours)Président René Coty Gouvernement De Gaulle III Législature IIIe législature
(Quatrième République)Prédécesseur Pierre Pflimlin Successeur Michel Debré (Premier ministre) Ministre de la Défense nationale –
(7 mois et 8 jours)Président René Coty Président du Conseil Lui-même Gouvernement De Gaulle III Prédécesseur Pierre de Chevigné
(ministre des Forces armées)Successeur Pierre Guillaumat
(ministre des Armées)Président du gouvernement provisoire de la République française
(chef de l’État de facto à partir du )–
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De Gaulle IIPrédécesseur Philippe Pétain (chef de l'État)
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Lui-même (CFLN)Successeur Félix Gouin Président du Comité français
de libération nationalen 1 –
(1 an)Gouvernement CFLN Prédécesseur Lui-même (CNF-France libre)
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(1 an, 8 mois et 10 jours)Gouvernement Comité national français Prédécesseur Conseil de défense de l'Empire Successeur Lui-même
Henri Giraud (CFLN)Chef de la France libre –
(2 ans, 11 mois et 16 jours)Gouvernement Conseil de défense de l'Empire
Comité national français
CFLNSous-secrétaire d'État à la Guerre et
à la Défense nationale–
(10 jours)Président Albert Lebrun Président du Conseil Paul Reynaud Gouvernement Reynaud Prédécesseur Hippolyte Ducos Successeur Fonction supprimée Biographie Nom de naissance Charles André Joseph Marie de Gaulle Surnom Le Général
L'Homme du 18 juin
Général micro
Le Grand Charles
Le Connétable de France1Date de naissance Lieu de naissance Lille, France Date de décès (à 79 ans) Lieu de décès Colombey-les-Deux-Églises, France Nature du décès Anévrisme Sépulture Colombey-les-Deux-Églises Nationalité Française Parti politique RPF (1947-1958)
UNR (1958-1962)
UDR (1967-1970)Conjoint Yvonne Vendroux Enfants Philippe de Gaulle
Élisabeth de Boissieu
Anne de GaulleDiplômé de ESM Saint-Cyr Profession Militaire
ÉcrivainReligion Catholicisme Président du Comité français de libération nationale
Chefs du gouvernement français
Présidents de la République françaisemodifier Charles de Gaulle (/ʃaʁl də ɡol/n 2 Écouter), communément appelé le général de Gaulle ou parfois simplement le Général, né le à Lille et mort le à Colombey-les-Deux-Églises, est un militaire, résistant, homme d'État et écrivain français.
Il est notamment chef de la France libre puis dirigeant du Comité français de libération nationale pendant la Seconde Guerre mondiale, président du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946, président du Conseil des ministres de 1958 à 1959, instigateur de la Cinquième République, fondée en 1958, et président de la République de 1959 à 1969, étant le premier à occuper la magistrature suprême sous ce régime.
Élevé dans une culture de grandeur nationale, Charles de Gaulle choisit une carrière d'officier. Au cours de la Première Guerre mondiale, il est blessé et fait prisonnier. Par la suite, il sert et publie dans l'entourage de Philippe Pétain, prônant auprès de personnalités politiques l'usage des divisions de blindés dans la guerre contemporaine. En , alors colonel, il est placé à la tête d'une division blindée et mène plusieurs contre-attaques pendant la bataille de France ; il est dans la foulée promu général de brigade à titre temporaire. Pendant l'exode qui suit, il est sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale dans le gouvernement Reynaud.
Rejetant l'armistice demandé par Pétain à l'Allemagne nazie, il lance de Londres, à la BBC, l'« appel du 18 Juin », qui incite le peuple français à résister et à rejoindre les Forces françaises libres. Condamné à mort par contumace et déclaré déchu de la nationalité française par le régime de Vichy, il entend incarner la légitimité de la France et être reconnu en tant que puissance par les Alliés. Ne contrôlant que quelques colonies, mais reconnu par la Résistance, il entretient des relations froides avec Franklin Roosevelt, mais bénéficie généralement de l'appui de Winston Churchill. En 1943, il fusionne la France libre au sein du Comité français de libération nationale, dont il finit par prendre la direction. Il dirige le pays à partir de la Libération ; favorable à un pouvoir exécutif fort, il s'oppose aux projets parlementaires et démissionne en 1946. Il fonde l'année suivante le Rassemblement du peuple français (RPF), mais son refus de tout compromis avec le « régime des partis » l'écarte de toute responsabilité.
Il revient au pouvoir après la crise de mai 1958, dans le cadre de la guerre d'Algérie. Investi président du Conseil, il fait approuver la Cinquième République par un référendum. Élu président de la République par un collège élargi de grands électeurs, il prône une « politique de grandeur » de la France. Il affermit les institutions, la monnaie (nouveau franc) et donne un rôle de troisième voie économique à un État planificateur et modernisateur de l'industrie. Il renonce par étapes à l'Algérie française malgré l'opposition des pieds-noirs et des militaires, qui avaient favorisé son retour. Il poursuit la décolonisation de l'Afrique subsaharienne et y maintient l'influence française. En rupture avec le fédéralisme européen et le partage de Yalta, de Gaulle défend l'« indépendance nationale » : il préconise une « Europe des nations » impliquant la réconciliation franco-allemande et qui irait « de l'Atlantique à l'Oural », réalise la force de dissuasion nucléaire française, retire la France du commandement militaire de l'OTAN, oppose un veto à l'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne, soutient le « Québec libre », condamne la guerre du Viêt Nam et reconnaît la Chine communiste.
Sa vision du pouvoir, à savoir un chef directement approuvé par la Nation, l'oppose aux partis communiste, socialiste et centristes pro-européens. Ces formations critiquent un style de gouvernance trop personnel, voire un « coup d'État permanent », selon la formule du socialiste François Mitterrand, contre lequel de Gaulle est réélu en 1965 au suffrage universel direct — un mode de scrutin qu’il a fait adopter par référendum en 1962 à la suite de l’attentat du Petit-Clamart le visant. Il surmonte la crise de Mai 68 après avoir semblé se retirer, convoquant des élections législatives qui envoient une écrasante majorité gaulliste à l'Assemblée nationale. Mais en 1969, il engage son mandat sur un référendum (sur la réforme du Sénat et la régionalisation) et démissionne après la victoire du « non ». Il se retire dans sa propriété de Colombey-les-Deux-Églises, où il meurt dix-huit mois plus tard.
Considéré comme l'un des dirigeants français les plus influents de l'histoire, Charles de Gaulle est aussi un écrivain de renom. Il laisse notamment des Mémoires de guerre, où il affirme s'être toujours « fait une certaine idée de la France », jugeant que « la France ne peut être la France sans la grandeur ». Si sa présidence ne fut pas exempte de contestations, il apparaît, plus d'un demi-siècle après sa mort, comme une figure morale toujours omniprésente dans la vie politique de la Cinquième République, la quasi-totalité de la classe politique lui rendant hommage et revendiquant à divers degrés son héritage, au-delà de la seule droite gaulliste.
Biographie
Origines familiales
Charles André Joseph Marie de Gaulle naît le à 4 heures du matin, au 9 rue Princesse à Lille2. Il est baptisé quelques heures après sa naissance en l'église Saint-André de Lille3 : son parrain est son oncle Gustave de Corbie et sa marraine sa tante Lucie Maillot née Droulers4. Charles est le troisième enfant d'Henri de Gaulle (1848, Paris - 1932, Sainte-Adresse, Seine-Inférieure) — précepteur, fonctionnaire, enseignant puis fondateur d'établissement d'enseignement privé — et de son épouse, Jeanne Maillot (1860, Lille - 1940, Paimpont, Ille-et-Vilaine), qui est également sa cousine issue de germain. Il est le petit-fils de Julien-Philippe de Gaulle (1801, Paris - 1883, Paris), historien, et de Jules Maillot (1819, Lille - 1891, Lille), entrepreneur manufacturier textile dans le Nord.
Les de Gaulle sont une famille de juristes parisiens originaires de la province de Champagne, et dont le patronyme pourrait être une déformation du néerlandais de Walle. Dans ses travaux de généalogie, le grand-père de Charles de Gaulle faisait l'hypothèse d'une lointaine ascendance noble5, bien que la famille ne figurât dans aucun nobiliaire6 et qu'il n'existât aucune preuve à l'appui de ces prétentions7. L’arrière-grand-père, Jean-Baptiste de Gaulle (1759-1832), est avocat ; fils d'un procureur au parlement de Parisn 3 né en Champagne11, il échappe de peu à la guillotine devant le Tribunal révolutionnaire pendant la Terreur12 et devient directeur des Postes militaires de la Grande Armée. Il meurt du choléra en 1832. Son fils, Julien-Philippe enseigne alors à Lille, où un de ses oncles a un poste à la manufacture des tabacs. Julien de Gaulle y épouse la fille d'un administrateur de la manufacture, Joséphine Maillot. Le pensionnat qu'ils créent à Valenciennes fait faillite. Ils s'installent à Paris pour écrire ; il rédige deux études (sur un peintre paysagiste et sur un biographe de Saint Louis). Sa vaste Histoire de Paris et de ses environs d'inspiration monarchiste et catholique est préfacée par Charles Nodier. Elle, prolifique, collabore à des revues littéraires et écrit plus de 70 ouvrages dont certains dénoncent la pauvreté ouvrière du Nord.
Ils ont trois fils. Les deux oncles du général sont des chercheurs érudits : l'aîné, Charles, son homonyme, paralysé par la poliomyélite, étudie les langues celtes, et le cadet, Jules, est entomologiste. Henri, père du général, naît en 1848, un comme son fils. Formé par le jésuite Olivaint, il se lie aux milieux monarchistes et catholiques sociaux, et entre au secrétariat de Talhouët-Roy dont il est précepteur des enfants. Admissible à Polytechnique, il s'engage et est blessé au cours de la guerre de 1870. Il s'inscrit au barreau et dans un cercle jésuite influent. Mais, pour entretenir la famille, il renonce à une carrière militaire ou politique et fait partie de l'administration du ministère de l'Intérieur jusqu'en 1884. Il a ensuite trois doctorats (lettres, sciences, et droit) et enseigne lettres, histoire et les mathématiques au collège de l'Immaculée-Conception de Paris, tenu par les jésuites. À trente-sept ans, il épouse Jeanne Maillot, une petite-cousine de sa mère.
Charles de Gaulle est ainsi doublement issu de la famille Maillot, par sa mère et sa grand-mère paternelle. Originaires de la Flandre française, ces industriels catholiques descendent d'administrateurs de la manufacture des tabacs.
Le grand-père maternel de Charles de Gaulle, Jules-Émile Maillot (mort l'année de sa naissance), est un entrepreneur qui a rapporté une nouvelle machine à tisser le tulle d'Angleterre. Il était issu de l'union de deux familles des manufactures du tabac, les Maillot et les Kolb. Louis Philippe Kolb, grand-père de Jules-Émile Maillot, luthérien du duché de Bade, était, avant 1791, sergent major au régiment de Rheinach. Marié à Maubeuge en 1790 avec une certaine Marie Nicot13, il avait réorganisé des manufactures de tabac, en particulier à Lille. Ses deux fils y réussissent : l'un, Henri, est urbaniste ; l'autre, Charles Kolb-Bernard, industriel sucrier, devient sénateur chrétien social et légitimiste14.
La grand-mère maternelle du futur « homme de Londres », Justine Maillot-Delannoy, reçoit jusqu'à sa mort en 1912 ses enfants et petits-enfants. Elle était la fille d'un avocat et d'une Britannique. Son grand-père maternel descendait d'un membre du clan irlandais MacCartan (en) qui, jacobite, s'était réfugié en France après la Glorieuse Révolution15 ; sa grand-mère maternelle, quant à elle, était issue d'une famille écossaise et protestante, les Fleming.
Enfance et éducation
Charles de Gaulle est marqué par les valeurs familiales : catholicisme légitimiste, goût des études et du service de l'État (droit, administration des tabacs ou de l'armée).
Ses parents forment une famille catholique qui réside à Paris au 15 de l'avenue de Breteuil. Bien que la famille de Gaulle vécût à Paris, la mère du général de Gaulle se rendit dans sa famille à Lille pour donner naissance à son fils, en accord avec la tradition familiale de la famille Maillot16. La famille se rend régulièrement à Lille pour voir la grand-mère Julia Delannoy-Maillot. Toute sa vie, Charles de Gaulle garde une relation particulière avec sa région d'originen 4.
Charles de Gaulle a trois frères et une sœur :
- Xavier de Gaulle (1887-1955), ingénieur, prisonnier de guerre, puis résistant pendant la Seconde Guerre mondiale ; il est notamment le père de Geneviève de Gaulle-Anthonioz ;
- Marie-Agnès de Gaulle (1889-1982) ;
- Jacques de Gaulle (1893-1946), handicapé en 1926 à la suite d'une encéphalite, père de quatre fils — François (père blanc), Bernard (), Jean et Pierre () ;
- Pierre de Gaulle (1897-1959), résistant, homme politique et administrateur de sociétés.
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Henri de Gaulle vers 1890.
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De gauche à droite : Xavier, Marie-Agnès, Charles, Jacques et Pierre de Gaulle vers 1899.
Très tôt, son père lui fait découvrir les œuvres de Maurice Barrès, Henri Bergson et Charles Péguy. Henri de Gaulle se dit monarchiste de regret et lit L'Action française, mais finit par douter de la culpabilité du capitaine Dreyfus ; pour autant, malgré des témoignages ultérieurs, rien n'indique qu'il se soit engagé politiquement dans le combat dreyfusard18. Jeanne de Gaulle est davantage passionnée de politique : dès la première page des Mémoires de guerre, Charles de Gaulle rend hommage à sa mère admirée, « qui portait à la patrie une passion intransigeante à l'égal de sa piété religieuse ».
Charles de Gaulle fait une partie de ses études primaires à l'école des Frères des écoles chrétiennes de la paroisse Saint-Thomas-d'Aquin. Il a son père comme enseignant chez les jésuites au Collège de l'Immaculée-Conception de la rue de Vaugirard à Paris. Lors de la crise politico-religieuse résultant des lois de 1901 et de 1905 qui interdit aux congrégations d'enseigner, le professeur de Gaulle fonde à Paris en 1907 un cours libre secondaire, l'École Louis de Fontanes, et inscrit son fils Charles chez les jésuites français en Belgique au collège du Sacré-Cœur installé au château d'Antoing19. Le jeune lycéen vit ainsi sa première expérience d'exil.
Le jeune Charles a quinze ans quand, en 1905, il rédige un récit dans lequel il se décrit en « général de Gaulle » sauvant la France, témoignage d'une ambition nationale précoce20. Plus tard, il explique à son aide de camp Claude Guy avoir eu dès son adolescence la conviction qu'il serait un jour à la tête de l'État21,n 5.
Entré 119e sur 221 à l'École militaire de Saint-Cyr en 1908, après avoir suivi une année de préparation au collège Stanislas22. Il en sort diplômé en 1912, se classant à la 13e placen 6, il rejoint le 33e régiment d'infanterie à Arras et se retrouve sous les ordres du colonel Pétain puis du lieutenant-colonel Stirn23.
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Au collège Stanislas en 1908 (rang debout, 3e en partant de la gauche), lors de son année de préparation à Saint-Cyr.
Première Guerre mondiale
Charles de Gaulle
Charles de Gaulle en 1942.Origine Français Allégeance France Arme Armée de terre Grade Général de brigade Années de service 1908 – 194024 Commandement 507e régiment de chars de combat
4e division cuirasséeConflits Première Guerre mondiale
Seconde Guerre mondialeFaits d'armes Bataille de Dinant
Bataille de Verdun
Bataille de Montcornet
Bataille d'Abbeville
Bataille de DakarAutres fonctions Homme d'État
Président du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946
Président du Conseil des ministres en 1958
Président de la République de 1959 à 1969Famille De Gaulle modifier Les quatre frères de Gaulle sont mobilisés comme officiers. Ils reviennent tous vivants et décorés. Charles, qui était lieutenant depuis le , est nommé capitaine en 25. Dès son premier combat à Dinant le , il est touché à la jambe (« fracture du péroné par balles avec éclats dans l'articulation »)26. Il rejoint ensuite le 33e RI sur le front de Champagne pour commander la 7e compagnie. Il est à nouveau blessé le , à la main gauche, au Mesnil-lès-Hurlus en Champagne. Décidé à en découdre, il désobéit à ses supérieurs en ordonnant de tirer sur les tranchées ennemies. Cet acte lui vaut d'être relevé huit jours de ses fonctions. Officier tatillon, volontiers cassant, son intelligence et son courage face au feu le distinguent au point que le commandant du 33e RI lui offre d'être son adjoint27.
Le , son régiment est attaqué et décimé, anéanti par l'ennemi en défendant le village de Douaumont, près de Verdun. Sa compagnie est mise à mal au cours de ce combat et les survivants sont encerclés. Tentant alors une percée, il est obligé par la violence du combat à sauter dans un trou d'obus pour se protéger, mais des Allemands le suivent et le blessent d'un coup de baïonnette à la cuisse gauche28. Capturé par les troupes allemandes, il est soigné à l'hôpital de Mayence puis interné Osnabrück en Westphalie29. Tenu pour mort au combat, cette disparition lui vaut d'être cité à l'ordre de l'armée30,n 7.
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Prisonnier au camp allemand de Sczuczyn (Biélorussie), le capitaine de Gaulle sert la soupe à ses camarades, vers 1916-1917.
Après une tentative d'évasion manquée à Osnabrück35, il est transféré à Neisse en Silésie puis à Sczuszyn en Empire russe (territoire moderne de la Biélorussie) et enfin au fort d'Ingolstadt, en Bavière, un camp de représailles destiné aux officiers prisonniers remuants36. Il y croise le futur général Georges Catroux, l'aviateur Roland Garros, le journaliste Rémy Roure, le colonel Lucien Nachinn 8,16,37,38 et le futur maréchal soviétique Mikhaïl Toukhatchevski, dont il partage la cellule39. Dans une lettre adressée à sa mère, il décrit sa situation de captif comme un « lamentable exil ». Pour tromper l'ennui, de Gaulle organise pour ses compagnons de captivité des exposés magistraux sur l'état de la guerre en cours. Mais surtout, il tente de s'évader à cinq reprises, sans succès, au cours de sa détention de trente-deux mois dans une dizaine de camps différents (Osnabruck, Neisse, Sczuczyn, Ingolstadt, forteresse de Rosenberg (de), prison militaire de Passau, camps de Wülzburg (de) ou de Würzburgn 9 et de Magdebourg)44. Il est libéré après l'armistice du et retrouve les siens le mois suivant. De ces deux ans et demi de captivité, il garde un souvenir amer, estimant être un « revenant », un soldat inutile qui n'a servi à rien45. Toutefois, il reçoit la croix de chevalier de la Légion d'honneur, le , et la croix de guerre 1914-1918 avec étoile d'argent25.
Entre-deux-guerres : officier d'état-major
De la Pologne à l'École de guerre : officier conférencier
Charles de Gaulle poursuit sa carrière militaire sous la protection de Pétain, dans un premier temps.
Le , il arrive à Saint-Maixent pour suivre les cours de remise à niveau destinés aux officiers de retour de captivité. Désireux de relancer sa carrière militaire compromise par ses mois de détention, il cherche à s'engager sur un théâtre d'opération, et postule simultanément pour un engagement dans l'armée d'Orient et auprès de l'armée de Pologne. Début , il obtient son détachement auprès de l'Armée polonaise autonome qui commence à quitter la France pour la Pologne. Il effectue dans le pays deux séjours très rapprochés, le premier d' à , et le second de à la fin du mois de https://books.google.fr/books?id=Vqa5CAAAQBAJ&pg=PT20_20]«_La_Pologne_et_l'École_de_guerre_»_55-0" class="reference">https://books.google.fr/books?id=Vqa5CAAAQBAJ&pg=PT20_20]«_La_Pologne_et_l'École_de_guerre_»-55">46. Dans le cadre de la mission militaire française du général Henrys, le capitaine de Gaulle est affecté comme instructeur à l'école d'infanterie de Rembertow. Il y exerce successivement les fonctions d'instructeur, de directeur des études en , et enfin de directeur du cours des officiers supérieurs à partir de . Repoussant l'offre du général Henrys qui lui proposait de poursuivre sa mission auprès de lui, de Gaulle, qui ambitionne de se présenter au concours de l’École supérieure de guerre dans les meilleures conditions, retourne en France. Déçu par le poste qui lui échoit au cabinet des décorations du ministre, et alors que la guerre soviéto-polonaise fait rage, il repart en Pologne en . D'abord témoin des épreuves traversées par la population polonaise, il prend ensuite activement part aux opérations avec le général Bernard au sein du 3e bureau du groupe d'armées Sud (puis Centre) commandé par le général polonais Rydz-Śmigły. Il y gagne une citation. Après la victoire de la Pologne, il rédige notamment un rapport général sur l'armée polonaise. Si à l'analyse de l'action de l'unique régiment de chars FT 17, il a pu écrire « Les chars doivent être mis en œuvre rassemblés et non dispersés », de Gaulle découvre surtout en Pologne la guerre de mouvement et l'emploi des grandes unités de cavalerie comme élément de choc et moyen d'obtenir une décision à portée stratégique.
Son père (qui s'était fait rappeler à 66 ans en 1914) se retire progressivement de l'enseignement et Charles de Gaulle indique à sa famille qu'il souhaite se marier. Il a été affecté par le décès sous les bombes d'une « quasi fiancée », en 1916 en Belgique. Les familles lui présentent une jeune fille issue de la bourgeoisie du Nord. Charles de Gaulle épouse, le dans l'église Notre-Dame de Calais, Yvonne Vendroux (1900-1979). Ils ont trois enfants :
- Philippe de Gaulle, né le à Paris, amiral puis sénateur ;
- Élisabeth de Gaulle, née le à Paris et décédée le 47 ;
- Anne de Gaulle, née le à Trèves et décédée le à Colombey-les-Deux-Églises, née trisomique.
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Charles de Gaulle et sa fille Anne, en 1933.
À son retour, le capitaine de Gaulle est chargé de cours d'histoire à l'École de Saint-Cyr48, avant son admission à l'École supérieure de guerre en 1922. En conflit de doctrine avec ses supérieurs dont il conteste la vision stratégique trop liée à la planification défensive et compartimentée du terrain, mais bénéficiant de la protection de Philippe Pétain, il est mal noté, mais continue de se faire une réputation prometteuse.
En 1924, à l'occasion d'une visite à l'École de guerre, Pétain s'étonne de la faiblesse des notes attribuées à de Gaulle. Ses professeurs appréciaient peu l'indépendance de celui-ci, trait de caractère qu'il partageait avec Pétain. L'intervention de Pétain a probablement conduit à une rectification à la hausse desdites notes49.
En 1925, il est détaché à l'état-major de Philippe Pétain, vice-président du Conseil supérieur de la Guerre. Celui-ci l'impose comme conférencier à l'École de guerre et lui demande de préparer la rédaction d'un ouvrage sur l'histoire du soldat. En 1927, en présence de Pétain, il présente à l'École de guerre trois conférences remarquées, respectivement intitulées : « L'action de guerre et le chef », « Du caractère », et enfin « Du prestige ».
Théoricien militaire : les chars et l'armée de métier
Promu chef de bataillon le , il part le mois suivant pour Trèves prendre le commandement du 19e bataillon de chasseurs à pied (BCP)50. Il y conduit un commandement énergique et continue ses conférences comme dans son poste suivant.
En , il est affecté à l’État-major des Troupes du Levant à Beyrouth où il est responsable des 2e et 3e bureaux (renseignement militaire et opérations). Accompagné de sa famille, il y demeure jusqu'en 51. Il effectue plusieurs missions à Alep, Damas, Homs, Palmyre. En juin 1930, il participe à une expédition de pacification sur les territoires majoritairement kurdes du nord-est de la Syrie. Dans une lettre de juillet 1930 à son père, il exprime sa fierté d’avoir atteint le Tigre au nom de la France : « C’était, je pense, la première fois dans l’histoire que des soldats français y allaient en armes52 ».
Grâce à l'appui du maréchal Pétain, il est affecté en au secrétariat général de la Défense nationale à Paris. Ce nouveau poste est capital, car c'est l'occasion de s'initier aux affaires de l'État53, puisqu'il est chargé en particulier de travailler au projet de loi militaire. Le , il est promu lieutenant-colonel.
C'est durant ces années que Charles de Gaulle développe ses théories militaires : il publie La Discorde chez l'ennemi (1924), Le Fil de l'épée (1932), Vers l'armée de métier (1934) et enfin La France et son armée (1938).
Ce dernier livre est préparé depuis 1925 pour Philippe Pétain ; de Gaulle s'y consacre pendant deux ans (sous le titre de Le Soldat), et Pétain lui permet même de présenter les trois conférences citées plus haut. Mais, jugeant que la partie sur la Grande Guerre n'est pas suffisante, le maréchal veut confier la suite du travail au colonel Audet. Ceci blesse de Gaulle qui prétend finir seul le travail ; l'ouvrage est mis au placard jusqu'en 1938. En 1932, de Gaulle dédicace néanmoins au maréchal Pétain son ouvrage Le Fil de l'épée : « Car rien ne montre mieux que votre gloire, quelle vertu l'action peut tirer des lumières de la pensée ». Mais en 1938, de Gaulle décide de publier sous son nom le texte du Soldat, et en avertit Pétain, qu'il cite dans la préface comme « inspirateur de l'ouvrage », dont il a retiré toutes les suggestions et observations faites par son supérieur. Pour arranger les choses, Pétain le reçut chez lui et lui proposa de rédiger une dédicace que de Gaulle estime pouvoir adapter dans un premier temps ; devant cette réécriture, Pétain intervient directement auprès de l'éditeur pour demander une correction, que de Gaulle lui accorde bien volontiers, « vos désirs [étant] pour moi des ordres ». Mais Pétain semble considérer désormais que le colonel n'est plus qu'un ambitieux dépourvu d'éducation, et le lieutenant colonel De Gaulle a perdu sa considération pour Pétain (depuis déjà le renvoi par Pétain de Lyautey) d'où une brouille définitive entre les deux hommes qui ne se reverront brièvement qu'en 54,55.
Dans son premier ouvrage, de Gaulle insiste sur la nécessité de l'unité du commandement et de la nation, donnant la primauté au politique sur le militaire. C'est selon lui à cause de ses divisions que l'Allemagne a perdu. En publiant la reprise de ses conférences sur le rôle du commandement, en 1932, dans Le Fil de l'épée il rappelle l'importance de la formation des chefs et le poids des circonstances. Si de Gaulle étudie l'importance de la défense statique au point d'écrire : « La fortification de son territoire est pour la France une nécessité permanente […] L'encouragement de l'esprit de résistance d'un peuple par l'existence de fortifications permanentes, la cristallisation, l'exaltation de ses énergies par la défense des places sont des faits que les politiques comme les militaires ont le devoir de reconnaître dans le passé et de préparer dans l'avenir », il n'en est pas moins sensible aux idées du général Jean-Baptiste Eugène Estienne sur la nécessité d'un corps de blindés56, alliant le feu et le mouvement, capable d'initiatives et d'offensives hardies. Sur ce point il entre de plus en plus en opposition avec les doctrines officielles, en particulier celles de Pétain.
Dans son ouvrage Vers l'armée de métier, il développe cette question de fond qui nécessite la création d'une armée professionnelle aux côtés de la conscription. Il devient alors le promoteur de la création d'unités blindées autonomes non liées à l'infanterie. Cependant, cette idée rencontre peu d'échos favorables, à l'exception notable de Paul Reynaud, député de centre-droit, ou de Philippe Serre.
À ce sujet, l'armée comptait d'ardents partisans des divisions cuirassées : les généraux Weygand, Billotte, Héring, Doumenc, Delestraint et, en particulier, la plupart des généraux issus de la cavalerie, comme Prioux qui sera en 1940 vainqueur tactique d'une bataille contre un corps d'armée de panzers allemands, ou Touzet du Vigier qui commandera l'une des deux divisions blindées de 1944 sous les ordres de de Lattre57
À l'étranger, en revanche, l'idée du général Estienne d'employer des blindés dans une « percée motorisée » reprise par de Gaulle a déjà suscité la plus grande attention (Heinz Guderian, Liddell Hart). Vers l'armée de métier n'a en France qu'un bref succès de curiosité et ne fait que conforter le général Guderian dans ses idées, lui qui était déjà en train de créer la force mécanique allemanden 10. Néanmoins, les théories de Charles de Gaulle sont suivies avec intérêt par Adolf Hitler, Albert Speer rapportant que le Führer avait lu à plusieurs reprises le livre du général de Gaulle et qu'il affirmait avoir beaucoup appris grâce à lui59.
En revanche, contrairement à son influent aîné le colonel Émile Mayer (dont il est intellectuellement proche, se considérant comme son élève60), de Gaulle ne perçoit pas l'importance de l'aviation à laquelle il n'attribue qu'un rôle secondaire : « Les troupes à terre recevront de l'aviation une aide précieuse quant à leur camouflage. Les fumées épandues sur le sol du haut des airs cachent en quelques minutes de vastes surfaces du sol tandis que le bruit des machines volantes couvre celui des moteurs chenillés ». Il faudra attendre l'édition de 1944 où il fera ajouter une phrase : « Mais surtout en frappant elle-même à vue directe et profondément, l'aviation devient par excellence l'arme dont les effets foudroyants se combinent le mieux avec les vertus de rupture et d'exploitation de grandes unités mécaniques ».
À Paris, de Gaulle est introduit par Lucien Nachin dans le salon non conformiste qui se tient autour du colonel Mayer, retraité très ouvert, favorable à une réforme de la stratégie : l'état-major ne doit pas se contenter d'une stratégie défensive derrière la ligne Maginot. Cependant, ni l'un ni l'autre ne sont écoutés38. Partant des idées du général Fuller et du critique militaire britannique Liddell Hart, Charles de Gaulle défend une guerre de mouvement menée par des soldats de métier, et appuyée par des blindés.
Idées et fréquentations politiques avant la guerre
Charles de Gaulle fait une conférence à la Sorbonne au printemps 1934, sous l'égide du cercle Fustel de Coulanges, une vitrine de l’Action française61. Influencé originellement par la tradition monarchiste, Charles de Gaulle, militaire soumis au devoir de réserve, révèle dans sa correspondance privée son peu de considération pour le parlementarisme et lui préfère un régime fort, tout en se tenant publiquement à l'écart de l’anti-républicanisme d'une partie de l'armée62. Cette méfiance à l'égard du parlementarisme explique que Charles de Gaulle se soit senti avant la guerre proche de l'Action française, avant que la position de Maurras relative aux accords de Munich ne l'en éloigne. Ainsi, Paul Reynaud, qui rencontra en captivité en Allemagne la sœur du général de Gaulle, Marie-Agnès Cailliau, note dans ses carnets de captivité parlant de cette dernière63 : « Très franche, intelligente et bonne, [elle] nous raconte que Charles était monarchiste, qu'il défendait Maurras contre son frère Pierre jusqu'à en avoir les larmes aux yeux dans une discussion. Mais au moment de Munich, il a désapprouvé entièrement l'attitude de Maurras. » De même, Christian Pineau dira à André Gillois « que le général avait reconnu devant lui qu’il avait été inscrit à l’Action française et qu’il s’était rallié à la République pour ne pas aller contre le sentiment des Français »64. Lui-même résistant de gauche, Claude Bourdet qualifiera de Gaulle d’homme de droite, longtemps proche de l’Action française, devenu républicain par mimétisme65. Selon Edmond Michelet, de Gaulle subit l’influence de Maurras66,n 11.
Pourtant, si la pensée de Maurras a influencé de Gaullen 12, celui-ci est aussi un disciple de Charles Péguy68,69,70.
De fait il fréquente le colonel Émile Mayer, officier israélite, dreyfusard et socialisant. Ayant avant la Première Guerre mondiale assisté à Lille à des meetings de Jaurès, il a aussi fréquenté le socialiste Club du Faubourg et les mouvements non-conformistes des années 30 (Esprit). Il adhéra également aux Amis de Temps présent, groupe de militants qui soutenait Temps présent, comme l'indique Éric Roussel, qui signale cependant que de Gaulle « n'est pas devenu pour autant démocrate-chrétien, loin s'en faut71. » Cet hebdomadaire est en effet de la mouvance catholique progressiste et proche du Sillon de Marc Sangnier72, mouvance qui fut favorable au Front populaire et à l'intervention de la France aux côtés des républicains espagnols. L'hebdomadaire Temps présent saluera la nomination de Charles de Gaulle comme sous-secrétaire d'État à la Guerre dans son dernier numéro de , comme le signale le Centre d'information sur le gaullisme73, signalant au passage que de Gaulle fut aussi l'un des premiers abonnés à Sept, hebdomadaire à direction religieuse dont Temps présent était le successeur.
Le , Charles de Gaulle publie dans la revue militaire une étude sur la mobilisation économique à l'étranger. À la recherche d'exemples pour la France, il cite parmi d'autres l'Italie mussoliniennen 13, mais étudie aussi favorablement l'exemple de l'Amérique de Roosevelt. Le futur général de Gaulle fera l'apologie du livre La réforme de l'État publié par André Tardieu en 1934 et dira s'en être inspiré pour la constitution de la Ve République74.
De fait, avant la guerre, de Gaulle n'est pas un idéologue, mais un homme de réflexion et d'actionn 14 et d'ambition prêt à faire son miel de tout.
À cette fin, il se rapproche d'hommes politiques de différentes tendances pour se faire connaître et faire progresser ses idées. Dans le salon de Mayer, il a fait la connaissance de l'avocat Jean Auburtin, qui affirme être son principal mentor politique. De fait, Auburtin peut lui présenter Paul Reynaud (accompagné de son conseiller d'alors, Gaston Palewski), que de Gaulle fréquente ensuite régulièrement (il lui écrira soixante fois de 1936 à 1940n 15), et qui portera au palais Bourbon le système du colonel. Auburtin lui présente également d'autres personnalités politiques plus à gauche, telles que Léo Lagrange (président de la commission de l'armée à la Chambre des députés) et Marcel Déat, tous deux intéressés par l'armée de métier75 ; si le premier ne s'engage pas par loyauté envers Léon Blum, le second, qui vient de rompre avec le dirigeant de la SFIO, accepte de lui prêter son concours (après sa défaite aux élections de 1936 — et son attirance pour une voie opposée, Déat ne sera plus d'un réel soutien)76. De Gaulle affirme à propos de Déat en , après avoir reçu un exemplaire de Le Front populaire au tournant77 : « Déat a sans aucun doute un grand talent et une haute valeur. C'est de quoi on lui en veut. Mais patience, je crois qu'on le verra remonter et aller très haut. » Il enverra à Déat en 1940 un exemplaire de son mémorandum L’Avènement de la force mécanique, lui manifestant alors encore un intérêt certain78.
À la publication de l'ouvrage, Léon Blum manifeste sa vive hostilité pour les idées de l'armée de métier du colonel de Gaulle dans trois articles publiés par le Populaire, car il craint qu'elle ne soit utilisée contre le peuple, notamment les grévistes. Et, de fait, comme le montre une lettre de 1935 envoyée à Paul Reynaud, de Gaulle n'excluait nullement une telle possibilité. Certains passages des livres publiés par le colonel de Gaulle suscitent d'ailleurs l'approbation de l'Action française79.
En 1935, de Gaulle approuve le pacte franco-soviétique signé par Laval et Staline, évoquant l'alliance de François Ier avec les musulmans contre Charles Quint pour justifier une alliance destinée à assurer la survie du pays pour justifier un accord avec les Russes « quelque horreur que nous ayons pour leur régime »80. De Gaulle décide de faire abstraction des — vices — et des « crimes du régime soviétique » en ne retenant que la théorie de l'ennemi : « nous sommes très franchement avec les Russes puisqu'ils combattent les Allemands »81. Comme le dit Claude Bouchinet-Serreulles, « De Gaulle se moque pas mal de Staline ou du communisme, il ne veut voir que l'allié dans la lutte contre l'Allemagne nazie »82.
Charles de Gaulle explique dans Vers l'armée de métier quelle est la condition pour faire aboutir ses idées qui sont d'abandonner le service militaire universel au profit d'une armée motorisée composée exclusivement de professionnels : « Il faut qu'un maître apparaisse, indépendant dans ses jugements, irrécusable dans ses ordres, crédité par l'opinion. Serviteur du seul État, dépouillé de préjugés, dédaigneux des clientèles, commis enfermé dans sa tâche, pénétré de longs desseins, au fait des gens et des choses du ressort, faisant corps avec l'armée, dévoué à ceux qu'il commande, homme assez fort pour s'imposer, assez habile pour séduire, assez grand pour une grande œuvre, tel sera le ministre, soldat ou politique, à qui la patrie devra l'économie prochaine de sa force. ». Il affirme également : « Il n'est point de regroupement, de parti, de consul, qui n'invoque le redressement, l'ordre nouveau, l'autorité. Nul doute qu'à bref délai le jeu des institutions, suivant le mouvement des besoins, n'ouvre le champ aux résolus. » Cet appel à la figure du grand homme était déjà présent dans Le Fil de l'épée, où, dès 1932, il exalte83, « les ambitieux de premier rang […] qui ne voient d'autre raison que d'imprimer leur marque aux événements » ; dans cet ouvrage, il affirme également : « On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l'avoir voulu. » Dans le Fil de l'épée, il brosse le portrait de l'ambitieux de haute stature qui n'est pas forcément un soldat, à tout le moins un émule de Louvois, Carnot, ou au moins de Gouvion Saint-Cyr ou Thiers84.
Néanmoins, Blum se laisse progressivement intéresser par la thématique des chars qu'il soutiendra tardivement au moment de la guerre.
En , le lieutenant-colonel de Gaulle est affecté au 507e régiment de chars de combat basé au quartier Lizé à Montigny-lès-Metz. C'est la rencontre concrète avec « son » outil. Il en prend le commandement par intérim le suivant, puis est promu colonel le 85. Lors des manœuvres, il tente d'imposer, contre le règlement, sa conception de l'usage autonome des blindés, ce qui lui vaut l'hostilité de son supérieur, le général Henri Giraud.
Seconde Guerre mondiale
Combats
Lorsque la guerre éclate, Charles de Gaulle est toujours colonel, commandant le 507e régiment de chars de combat (RCC), à Metz. Le , il envoie à quatre-vingts personnalités civiles ou militaires, dont Léon Blum et Paul Reynaud, ainsi qu'aux généraux Maurice Gamelin et Maxime Weygand, un mémorandum fondé sur les opérations de Pologne. Intitulé L'Avènement de la force mécanique, le texte insiste sur la nécessité de constituer de grandes unités autonomes blindées plutôt que de disperser les chars au sein d'unités tactiques plus larges, comme le préconise l'état-major. Trois jours avant l'offensive allemande du , qui conduit à une percée rapide du front français, le colonel de Gaulle est averti de la décision du commandement de lui confier la 4e DCR, la plus puissante des grandes unités blindées de l'armée française (364 blindés86) dont il prend effectivement le commandement le . De Gaulle est conseillé par Georges Boris87,88,89.
Le , il reçoit la mission de retarder l'ennemi dans la région de Laon afin de gagner des délais nécessaires à la mise en place de la 6e armée chargée de barrer la route de Paris. Mais sa division blindée n'est encore qu'en cours de constitution, ses unités n'ayant jamais opéré ensemble. Il dirige pourtant avec cette unité une contre-attaque vers Montcornet, au nord-est de Laon. C'est l'une des seules qui parviennent à repousser momentanément les troupes allemandes. Prévoyant la défaite rapide de l'armée française sous l'offensive allemande, les civils et les militaires désarmés sur les routes, il affirme que c'est durant la journée du 16 mai que « ce qu'[il] a pu faire, par la suite, c'est ce jour-là qu'[il] l'a résolu. »n 16. N'ayant reçu qu'une partie des unités de la 4e DCR, le colonel de Gaulle lance une première attaque avec 80 chars pour tenter de couper les lignes de communication des divisions blindées allemandes le 17 mai. Après avoir atteint ses objectifs dont la ville de Montcornet, la 4e DCR, n'étant pas appuyée, est contrainte de se replier face à l'intervention de renforts ennemis. Les autres unités de la 4e DCR l'ayant rejoint, une nouvelle attaque peut être lancée avec 150 chars qui, après avoir permis d'atteindre les premiers objectifs, est arrêtée par l'intervention de l'aviation d'assaut et de l'artillerie allemandes.
Le , à la suite de la bataille de Montcornet, l'état-major envoie un correspondant de guerre pour interroger de Gaulle, qui lance à cette occasion, à Savigny-sur-Ardres, un premier appel radiodiffusé destiné à remonter le moral des Français en vantant les mérites des divisions blindées et qui se termine par la phrase : « Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne »91.
Le , il est nommé général de brigade à titre temporaire92,93. Cette nomination, dans une promotion de six colonels, correspond au fait que de Gaulle en tant que commandant d'une division blindée depuis le , fait déjà fonction de général, ses trois collègues commandants de division blindée (DCR) étant tous déjà généraux. Elle suscite la satisfaction de Charles Maurras dans l'Action française94,95,n 17.
Trois jours plus tard, le , il attaque à deux reprises pour détruire une poche que l'ennemi a conquise au sud de la Somme, à hauteur d'Abbeville. Malgré un déplacement préalable de 200 km qui a lourdement éprouvé le matériel de la 4e DCR, l'opération permet de résorber toute la poche en capturant 400 soldats allemands, mais pas de prendre la ville d'Abbeville. De Gaulle ne parvient que plus tard à franchir la Somme au nord d'Abbeville, une seconde attaque ne permettant pas de prendre la ville, avant de se replier avec la 4e DCR.
Ces résultats limités n'empêchent pas le général Weygand, chef des armées, de décerner le au général de Gaulle une citation très élogieuse en tant que commandant d'une division blindée près d'Abbeville : « Chef admirable de cran et d'énergie. A attaqué avec sa division la tête de pont d'Abbeville très solidement tenue par l'ennemi. A rompu la résistance allemande et progressé de 14 kilomètres à travers les lignes ennemies, faisant des centaines de prisonniers et capturant un matériel considérable »96. Commentant le comportement militaire de De Gaulle sur le terrain, l'historien Henri de Wailly juge que celui-ci, loin d'avoir été particulièrement brillant, a montré dans la bataille « les mêmes faiblesses et les mêmes incompétences » que les autres dirigeants militaires97.
Au cours de la bataille de Montcornet du 17 mai, la division de de Gaulle perd une quinzaine de soldats tués, une dizaine d'autres blessés et 25 chars contre 85 engagés (les Allemands n'ayant de leur côté perdu aucun char), mais a une centaine de tués, qui fut plutôt une défaite, mais reste une victoire symbolique[pas clair]98. Elle doit être mise en vis-à-vis de la bataille de Hannut des 12-14 mai. Celle-ci est livrée en Belgique par un corps d'armée blindé dirigé par le général Prioux contre un corps allemand de deux panzer-divisions commandé par le général Hoepner. Elle est considérée comme une victoire sans lendemain, du fait de l'effondrement militaire sur la droite et la gauche du corps Prioux. Côté français, sont engagés sans soutien aérien 411 chars (dont 105 à 164 détruits ou perdus), 104 canons (dont 40 antichars et 12 de DCA). Côté allemand, 623 chars (dont 50 à 164 détruits et 200 endommagés) qui sont engagés, 397 canons (dont 159 antichars et 72 de DCA), ainsi qu'un soutien aérien tès actif. Le corps de panzer est arrêté par le corps d'armée français qui doit reculer par la suite pour ne pas être enveloppé sur ses ailes où d'autres unités ont été vaincues99.
Entre le et le , la Grande-Bretagne décide, sans concertation avec le commandement français, de replier son armée en rembarquant par Dunkerque la totalité de son corps expéditionnaire de 200 000 hommes, ainsi que 139 229 Français, laissant le reste de l'armée française seule face aux Allemands qui capturent tout leur matériel (2 472 canons, près de 85 000 véhicules, 68 000 tonnes de munitions, 147 000 tonnes de carburant, 377 000 tonnes d'approvisionnements) et font prisonnier les 35 000 soldats français restants.
Le , le chef du gouvernement Paul Reynaud relève de ses fonctions Daladier et exerce lui-même les fonctions de ministre de la Guerre.
Missions diplomatiques et politiques
Le , le général de Gaulle est convoqué d'urgence à Paris par Paul Reynaud, président du Conseil et ministre de la Guerre, pour occuper un poste ministériel dans son gouvernement, celui de sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale. Charles de Gaulle sort alors de la hiérarchie militaire pour commencer une carrière politique. Il a pour mission de coordonner l'action avec le Royaume-Uni pour la poursuite du combat. Le , il rencontre le Premier ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill.
Charles de Gaulle quitte Paris, qui est déclarée ville ouverte et occupée par les Allemands, le . Il rejoint alors Orléans, Briare et Tours100.
C'est le moment des ultimes réunions du Conseil suprême interallié où Churchill, lors de la conférence de Briare à laquelle de Gaulle participe avec un rôle important, puisqu'il est presque le ministre de la Guerre101, tente de convaincre le gouvernement français de continuer la guerre, malgré la défection totale de l'armée anglaise rembarquée à Dunkerque. Le général Weygand demande l’intervention des 25 escadrilles de chasse de la RAF qui avaient été promises par les Anglais pour pousser la France à entrer en guerre, mais Churchill refuse, car il veut les réserver pour la défense contre une attaque directe du territoire de l'Angleterre.
Le , il est en mission à Londres et dicte au téléphone la note de Jean Monnet à Paul Reynaud, intitulée Anglo-French Unity, d'une Union franco-britannique votée le jour même par la Chambre des communes, consistant dans la fusion des armées, notamment des marines, des territoires, des colonies et du gouvernement français dans l'Empire britannique. Il fait valoir que dans le cadre
« d'un gouvernement unique franco-britannique et vous, Monsieur le Président, pouvez être Président du cabinet de Guerre franco-britannique. »
De retour à Bordeaux, il apprend avec consternation, le , la démission du président du Conseil, Paul Reynaud, son remplacement par Philippe Pétain. Le même jour, la nomination du général Weygand, alors chef d'état-major de l'Armée, comme ministre de la Défense nationale et de la Guerre sonne le glas des ambitions ministérielles de De Gaulle. Le transfert des pouvoirs de chef de gouvernement à Pétain n'ayant lieu que le lendemain, de Gaulle est encore membre du gouvernement Reynaud et se dit qu'il court peu de risques en quittant la France102.
Le représentant de Churchill auprès du gouvernement français, le général Edward Spears, est venu à Bordeaux pour tenter de convaincre Paul Reynaud et Georges Mandel de rejoindre Londres, comme le prévoit le projet d'Union franco-britannique, mais sans succès103,104. Ceux-ci avaient l'intention d'embarquer pour l'Afrique du Nord à bord du Massilia. N'ayant plus de rôle à jouer dans le nouveau gouvernement, et Paul Reynaud lui ayant fait remettre par son ex-directeur de cabinet Jean Laurent 100 000 francs prélevés sur les fonds secrets pour sa logistique à Londres, De Gaulle et son aide de camp Geoffroy Chodron de Courcel, obtiennent du général Spears, après maintes hésitations105, d'embarquer avec lui dans le de Havilland Flamingo qui repartait à Londres le , tout en faisant croire à un enlèvement106.
Appel du 18 Juin 1940
Le gouvernement britannique avait tenté vainement de convaincre Paul Reynaud de transférer le gouvernement français au Royaume-Uni avec Georges Mandel, ancien ministre des Colonies devenu ministre de l'Intérieur, qui aurait lancé lui-même un appel à poursuivre les combats avec toutes les ressources de l'Empire français. Réfugiés à Bordeaux avec leurs familles pour fuir l'invasion allemande, ceux-ci avaient réquisitionné le paquebot Massilia, qui devait appareiller le pour l'Afrique du Nord.
Le , de Gaulle se prépare à parler aux officiers et aux soldats français sur Radio Londres de la BBC.
Le ministre des Affaires étrangères lord Halifax n'est pas favorable à cet appel, car il veut éviter de gêner le gouvernement Pétain dans ses négociations d'un armistice le plus favorable possible aux Alliés. Tout au long de la journée du , le Conseil des ministres britannique discute du texte de De Gaulle. Le cabinet britannique tente de s'opposer à cette intervention radiophonique, mais il semble que le soutien de Winston Churchill l'ait permise109.
Après avoir déjeuné avec Duff Cooper, ministre de l’Information britannique, le général de Gaulle doit rendre son texte plus neutre : le cabinet de guerre britannique veut ménager Philippe Pétain, chef du gouvernement français, dont il ne connaît pas encore l'orientation110. Pétain n'est pas nommé dans le discours, et la première phrase du discours faisant référence à la trahison du nouveau gouvernement qui « s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. » est également supprimée111,112 et remplacée par :
« Le gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer113. »
Cette modification longtemps occultée disparaît dans le Bulletin officiel des Forces françaises libres du , dans le premier numéro du Journal officiel de la France libre le , puis dans les Mémoires de guerre et dans l'ensemble des recueils de discours du général de Gaulle, qui continuent à faire commencer l'appel avec la phrase supprimée qui décrivait parfaitement la situation d'éviction que De Gaulle vivait à ce moment :
« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.
Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat110. »
Aucun enregistrement de l'appel radiophonique n'ayant été conservé, son texte est souvent confondu, soit avec celui de l'appel du , soit avec un appel encore différent filmé le pour les actualités cinématographiques114, soit avec celui de la célèbre affiche placardée dans des rues de Londres le .
« Le gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer.
[…] Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique terrestre et aérienne de l'ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui. […]
La France n'est pas seule […] elle a un vaste empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut comme l'Angleterre utiliser sans limite l'industrie des États-Unis. […]
Moi, Général De Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.113 »En France, l'appel du 18 Juin peut être entendu à 19 h. Il appelle tous les officiers et les soldats qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient s'y trouver à le rejoindre et à continuer les combats. Ce texte est à l'origine du mythe faisant du général le « père de la Résistance » alors que ce dernier ne prendra conscience de l'intérêt de la Résistance intérieure qu'à partir de 1941115.
La BBC a communiqué le texte du Ministry of Information (MOI) à la presse, il est publié dans The Times du , page 6 col. 3, et le Daily Express, et par quelques quotidiens régionaux français, Le Petit Provençal à la une (colonnes 5 et 6) de son édition de Marseille du mercredi 116. Très peu de personnes se souviennent d'avoir entendu ce discours, ou même de l'avoir remarqué dans la presse.[réf. nécessaire]
Sanctions
Les actions de De Gaulle à Londres se font sans aucun ordre de mission. Le , le général Weygand, qui est ministre de la Guerre et son supérieur hiérarchique, lui donne l'ordre de revenir de Londres118,119 et le il annule sa promotion au grade de général à titre temporaire. Le , le président de la République Albert Lebrun prend un décret décidant de mettre le colonel de Gaulle à la retraite d'office par mesure disciplinaire, et de le traduire devant le Conseil de guerre, qui le condamne le à quatre ans de prison et à la perte de sa nationalité française120,n 18.
Un mois après l'attaque sur Mers el-Kébir et l'attaque du Richelieu par les Fairey Swordfish du porte-avions HMS Hermes (le ), et tandis que De Gaulle préparait l'attaque de Dakar, il est inculpé de « trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l'État, désertion à l'étranger en temps de guerre sur un territoire en état de guerre et de siège » et condamné à Clermont-Ferrand le à la « peine de mort, dégradation militaire et confiscation de ses biens meubles et immeubles ». Sa déchéance de la nationalité française est confirmée dans un décret du 122,n 19.
France libre
De Londres, de Gaulle crée puis dirige les Forces françaises libres. Il est reconnu par Winston Churchill chef des Français libres le . Mais son but est devenu beaucoup plus ambitieux que de mettre en place une légion de volontaires qui continuerait la lutte aux côtés de l'Empire britannique. Il s'agit pour de Gaulle d'ignorer le traité d'armistice qui a été signé et de poursuivre le projet établi de Paul Reynaud, de garder la France dans la guerre contre Hitler, en créant une armée et un contre-État doté de tous les attributs de souveraineté et légitimité, et qui se donne une base territoriale en ralliant les territoires français de l'Empire colonial, future plate-forme de la reconquête123.
Dès le début de l'été 1940, à partir de presque rien et assisté de quelques volontaires, de Gaulle jette ainsi les bases d'une marine (FNFL), d'une aviation (FAFL), de forces terrestres (FFL), d'un service de renseignements (le BCRA du colonel Passy, vite actif en métropole). La croix de Lorraine proposée par l'amiral Museliern 20,125,126, devient son emblème. Les statuts juridiques de la France libre et ses rapports avec le gouvernement anglais sont fixés par le juriste René Cassin. La France libre a bientôt sa banque, son journal officiel, ses décorations — le Général fonde l'ordre de la Libération à Brazzaville dès , pour honorer ses « compagnons ». Des comités français libres actifs dans le monde entier se constituent et tentent de rallier à de Gaulle les Français de l'étranger, les opinions et les gouvernements127. Il y organise également le 27 octobre le Conseil de défense de l'Empire, à la suite de son « manifeste à Brazzaville »128,129.
En France, de Gaulle a été condamné deux fois par contumacen 21. En Grande-Bretagne, il trouve en revanche le soutien de Winston Churchill, mais aussi celui du Parlement, de la presse et de l'opinion publique, reconnaissantes au gallant French d'être resté aux côtés de leur pays au pire moment de la menace allemande. Cet appui, comme celui de l'opinion américaine, se révèle plus tard un atout très précieux lors des tensions avec Londres et Washington133.
Convaincu de l’importance stratégique de l’empire colonial, de Gaulle annonce dès le 30 juin 1940 son intention d’instituer un Conseil de défense de l'Empire et adresse un appel à tous les fonctionnaires civils et militaires des colonies les exhortant à se rallier à son mouvement de résistance. D'abord, seuls les territoires insulaires du Pacifique, isolés dans un environnement géopolitique australo-britannique — les Nouvelles-Hébrides, puis la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie — et l'Inde française, se rallient. Le 26 août 1940, le ralliement du Tchad, également frontalier de territoires britanniques (Soudan anglo-égyptien et Nigéria), est accompli par le gouverneur Félix Eboué, et à la suite de quelques coups de force militaires, de Gaulle se rend maître du reste de l'Afrique-Équatoriale française. C’est dans la foulée de ces ralliements rapides qu'il tente de faire basculer l'Afrique-Occidentale française du côté de la France libre. L'opération de Dakar, ratée, tourna à la confrontation entre les flottes vichyssoises et britanniques les 23-25 septembre 1940. À la suite de cet échec, c'est presque tout l'Empire — Afrique-Occidentale française, Afrique du Nord, Levant, Madagascar, Djibouti, Indochine et Antilles—qui se ferme à de Gaulle, parfois farouchement et pendant longtemps. Malgré tout, le petit domaine colonial dont il dispose lui offre une base territoriale et humaine qui lui permet d'asseoir son mouvement134,135.
De Gaulle se place à la tête du Comité national français à partir du . Mais il fait surtout en sorte que la France reste présente dans le camp allié, par ses Forces françaises libres (FFL) qui combattent l'armée de Vichy sur les différents fronts. En outre, à partir de 1941-1942, il stimule et obtient le ralliement de la résistance intérieure, grâce au colonel Passy, à Pierre Brossolette et à Jean Moulin. Le , le Comité national français propose au gouvernement britannique, qui l'accepte, de changer l'appellation officielle du mouvement France libre en France combattante, afin d'intégrer la Résistance intérieure136.
De nombreux facteurs s'opposaient à ce rapprochement de la résistance intérieure et des forces françaises libres. Dans La France de Vichy, Robert O. Paxton remarque qu'en 1940, bien des résistants de gauche refusent de voir un chef convenable dans ce militaire qu'ils croient à tort proche de l'Action française, et qui en 1940, est entouré par des Français libres favorables à un changement de régime. Selon Jean Pierre-Bloch, Christian Pineau, Henri d'Orléans (comte de Paris) et même le gaulliste Pierre Lefranc, le ralliement à la République n'aurait d'ailleurs été que tactique. À l'inverse, beaucoup de résistants de droite lui reprochent sa dissidence explicite avec Vichy — à moins qu'ils ne préfèrent, comme Marie-Madeleine Fourcade, n'avoir de relations qu'avec les services secrets britanniques. Le rôle de la radio, qui permet à De Gaulle d'être la voix de la France et son acceptation politique d'un retour à la république permettent à Jean Moulin de le faire reconnaître comme chef par l’essentiel des réseaux, y compris communistes.
Dès 1940, de Gaulle n'a de cesse que soient protégés les intérêts de la France, dans la guerre et après le conflit. Le , il obtient ainsi de Churchill la signature de l'accord de Chequers, par lequel le Royaume-Uni s'engage à sauvegarder l'intégrité de toutes les possessions françaises et à la « restauration intégrale de l'indépendance et de la grandeur de la France ». Le gouvernement britannique s'engage de plus à financer toutes les dépenses de la France libre, mais de Gaulle insiste pour que ces sommes soient des avances remboursables et pas des dons qui jetteraient une ombre, aussi ténue soit-elle, sur l'indépendance de son organisation.
Malgré les relations de confiance scellées par traités entre Churchill et de Gaulle, les deux hommes ont des relations parfois tendues, gênées par l'anglophobie que manifestait le Général dans les années 1920 et 1930. Churchill lance à de Gaulle[Quand ?] : « Mais vous n'êtes pas la France ! Vous êtes la France combattante, nous avons consigné tout cela par écrit », de Gaulle réplique immédiatement :
« J'agis au nom de la France. Je combats aux côtés de l'Angleterre mais non pour le compte de l'Angleterre. Je parle au nom de la France et je suis responsable devant elle. »
Churchill abdique alors en poussant un « J'avais espéré que nous pourrions combattre côte à côte. Mais mes espoirs ont été déçus parce que si vous êtes si combatif que non content de lutter contre l'Allemagne, l'Italie et le Japon, vous voulez aussi combattre l'Angleterre et l'Amérique… » De Gaulle recadre alors le débat en précisant :
« Je prends cela comme une plaisanterie, mais elle n'est pas du meilleur goût. S'il y a un homme dont les Anglais n'ont pas à se plaindre, c'est bien moi. »
Ils sont au bord de la rupture en 1941, au sujet de la Syrie, puis en 1942 au sujet de sa convocation à Alger après le débarquement allié en Afrique du Nord (opération Torch).
Les relations avec Franklin Delano Roosevelt sont plus problématiques. Le président américain, personnellement francophile, a été déçu par l'effondrement de la France en 1940 et refroidi à l'égard de De Gaulle par l'échec de son entreprise devant Dakar (fin ). Les antigaullistes français sont nombreux à Washington, par exemple l'ancien secrétaire général du Quai d'Orsay Alexis Léger (Saint-John Perse) qui lui décrit ce général comme un « apprenti dictateur ». Le président est aussi très mal informé sur la situation en France par l'ambassadeur américain à Vichy (jusqu'au mois de ), l'amiral Leahy. Il n'a donc aucune confiance en de Gaulle. Un mot de De Gaulle à Churchill explique en partie l'attitude française face à l'Amérique : « Je suis trop pauvre pour me courber. » De surcroît, au contraire du Général qui mise beaucoup sur l'Empire français, le président américain est profondément hostile au système colonial. Roosevelt projetait de faire de la France un État faible, et le projet d'Allied Military Government of Occupied Territories (AMGOT) allait d'ailleurs très loin dans cette direction, en traitant la France comme un vaincu, plutôt que comme une des puissances victorieuses. La haine de Roosevelt était tellement flamboyante (il considérait de Gaulle au pire comme un futur tyran, au mieux comme un opportuniste) que même ses adjoints finirent par en prendre ombrage, y compris le secrétaire d'État Cordell Hull qui, finalement, se rangea aux côtés de la France libre et de son chef.
Jusqu'en 1943, les gouvernements en exil en Angleterre s'étaient contentés de relations de bon voisinage avec les gaullistes. C'est que tous ces gouvernements, qui étaient légaux, s'estimaient installés dans une meilleure position que les gaullistes qui étaient, de fait, des dissidents par rapport au gouvernement Pétain que les Français avaient installé dans des conditions reconnues légales, au début, par les grandes puissances. Cette situation évolua lentement. Mais, en 1943, le gouvernement belge en exil de Hubert Pierlot et Paul-Henri Spaak précipita le mouvement et fut le premier à reconnaître officiellement les « Français libres » et de Gaulle comme seuls représentants légitimes de la France. Le gouvernement anglais, en l'occurrence Anthony Eden, un proche de Churchill, avait tenté de dissuader les Belges, craignant que leur initiative serve de modèle aux autres gouvernements en exil. Les Américains eux-mêmes intervinrent, croyant pouvoir utiliser les relations commerciales belgo-américaines pour faire pression sur les Belges (notamment quant à leurs commandes d'uranium du Congo belge). Rien n'y fit. Malgré les pressions britanniques et américaines, Spaak fit savoir officiellement que la Belgique considérait dès lors le gouvernement Pétain comme dépourvu de légitimité et le Comité des Français libres, plus tard Gouvernement provisoire de la France, comme seuls habilités à représenter légalement la France137.
Libération de la France et de ses colonies
Malgré son exclusion par Roosevelt du débarquement américano-britannique en Afrique du Nord (opération Torch), et surtout malgré le soutien apporté par les États-Unis à l'amiral François Darlan, puis au général Henri Giraud, de Gaulle réussit à prendre pied à Alger en . Le Comité national français fusionne avec le Commandement en chef français civil et militaire dirigé par Giraud, pour donner naissance au Comité français de libération nationale (CFLN), dont Giraud et de Gaulle sont coprésidents. Mais en quelques mois, de Gaulle marginalise Giraud au sein du CFLN, avant de l'évincer en à la faveur de la formation d'un nouveau gouvernement, et de s'affirmer comme le seul chef politique des forces françaises alliées138. Les Forces françaises libres fusionnent quant à elle avec l'Armée d'Afrique placée sous le commandement de Giraud : l'Armée française de la Libération, composée de 1 300 000 soldats, participe aux combats aux côtés des Alliés. Le à Alger, le CFLN devient le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).
Après le débarquement de Normandie, le , le général de Gaulle pose le pied en territoire français sur la plage de Courseulles-sur-Mer, en Normandie, le , en descendant du torpilleur La Combattante. Il se rend à Creully pour y rencontrer le général Montgomery, qui avait installé son quartier général sur la pelouse du château de Creullet139. Ce même jour, il prononce le premier discours de Bayeux et les Français découvrent alors son imposante silhouette (il mesure 1,93 m).
La fermeté et la rapidité avec lesquelles le général de Gaulle rétablit l'autorité d'un gouvernement national permettent d'éviter la mise en place de l'AMGOT, prévu par les Américains, qui aurait fait de la France libérée un État administré et occupé par les vainqueurs.
L'itinéraire du au du général de Gaulle n'est pas tout à fait clair ; il comporte des imprécisions et même des incohérences selon les sources. Le , il est à Cherbourg. Il rencontre le général Eisenhower à Tournières. Il passe par Coutances, Avranches, Fougères pour se rendre à Rennes. Le , il se recueille à Paimpont sur la tombe de sa mère. Le , il est à Laval140, où il prononce un discours type dans la suite du discours de Bayeux. Il passe ensuite à Meslay-du-Maine, Sablé, Le Mans, puis le à La Ferté-Bernard, Nogent-le-Rotrou, Chartres, et arrive enfin à Rambouillet à 18 h.
La 2e division blindée du général Leclerc libère Paris le et celui-ci reçoit la reddition de Von Choltitz. Ce même jour, le général de Gaulle se réinstalle au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique à Paris, dans le bureau qu'il occupait jusqu'au , signifiant ainsi que « Vichy » était une parenthèse et que la République n'avait jamais cessé d'exister. Il se rend ensuite à l'hôtel de ville, où il prononce un discours dans lequel il insiste sur le rôle essentiel joué par les Français pour leur propre libération. Le lendemain, , il descend triomphalement les Champs-Élysées et fleurit la tombe du Soldat inconnu. Le « peuple dans ses profondeurs » manifeste un enthousiasme indescriptible141.
Le GPRF est transféré à Paris. Le , un gouvernement d'unité nationale est constitué, sous la présidence du général de Gaulle. L'Assemblée constituante est ensuite élue en , six mois après la fin de la guerre.
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De Gaulle prononçant son discours après la libération de Paris.
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Avec son entourage, défilant sur les Champs-Élysées après la libération de Paris en .
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De Gaulle prononçant un discours à Cherbourg, en .
Gouvernement provisoire de la République française
Bien après d'autres pays européens, les femmes françaises obtiennent le droit de vote, exercé pour la première fois aux élections municipales de 1945. Pour la professeure d’histoire à l’université d’Angers Christine Bard : « Dans ses mémoires, le droit de vote tient en trois lignes. Il avait des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, même si cela ne l’a pas empêché d’accepter l’idée de la citoyenneté des femmes, plus aussi subversive qu’au XIXe siècle142. »
D'autres réformes figurant dans ce même programme sont entreprises à la Libération : nationalisations (dont la Banque de France143), mise en place du monopole de l'assurance maladie obligatoire qu'est la sécurité sociale (l'Alsace et la Moselle conserveront le système d'assurance maladie instauré par Bismarck). Il s’agit notamment de revendications de la SFIO, du Parti communiste français et du Mouvement républicain populaire (MRP), qui étaient les forces politiques les plus représentées dans le Conseil national de la Résistance.
Président du Gouvernement provisoire, mais en désaccord avec l'Assemblée constituante sur la conception de l'État et le rôle des partis, le général de Gaulle remet sa démission sur la question des crédits militaires au président de l'Assemblée nationale, Félix Gouin, le . Il a rempli la mission qu'il s'était donnée le : libérer le territoire, restaurer la République, organiser des élections libres et démocratiques, entreprendre la modernisation économique et sociale. Durant cette période, il exerça de fait une fonction équivalente à celle de chef de l'État. Le 8 avril 1946, il reçoit une lettre de Edmond Michelet, lui proposant de « fixer sa situation dans l'Armée », et lui indiquant que Félix Gouin souhaite l'élever à la dignité de maréchal de France144. Charles de Gaulle refuse, disant qu'il est impossible de « régulariser une situation absolument sans précédent »145.
Parcours politique pendant la IVe République
Le , de Gaulle expose sa vision de l'organisation politique d'un État démocratique fort à Bayeux, en Normandie, dans un discours resté célèbre ; mais il n’est pas suivi. Il inaugure alors sa fameuse « traversée du désert » jusqu'en 1958, date de son retour au pouvoir.
Fondation du RPF
En 1947, il fonde un mouvement politique, le Rassemblement du peuple français (RPF), afin de transformer la scène politique française, de lutter contre le régime « exclusif » des partis, de s'opposer à l'avancée du communisme et de promouvoir une nouvelle réforme constitutionnelle privilégiant le pouvoir exécutif. Il propose également une troisième voie économique (l'association capital-travail). Le RPF reprend également les thèmes de la droite la plus traditionnelle : ultra-conservatisme colonial (il critique jusqu'à la construction de lycées d'enseignement général à Madagascar), anticommunisme virulent (exploitant les inquiétudes sur l'avancée du communisme dans l'Union française et en Indochine) et même, au moins jusqu'en 1950, la clémence à l'égard de Philippe Pétain. Toutefois, les déclarations du colonel Rémy réhabilitant le rôle de Pétain seront immédiatement désavouées par le général de Gaulle, mais pas l'initiative de Terrenoire, demandant son amnistie. Il est vrai, comme le rappelle l'historien René Rémond (dans Les Droites en France), que c'est au nom de la réconciliation nationale qu'en 1949 et 1950, le même général de Gaulle plaidait pour l'élargissement du « vieillard de quatre-vingt-quinze ans ».
Le parti rallie des résistants (dont Jacques Chaban-Delmas) mais aussi des notables comme Édouard Frédéric-Dupont ou Edmond Barrachin (qui fut, dans les années 1930, directeur du comité central du Parti social français). D'anciens pétainistes et même d'anciens collaborateurs parviennent à s'y faire admettre, notamment dans les sections d'Indochine et d'Algérie, dans le service d'ordre, dans les rangs des syndicats ouvriers proches du R.P.F. et parmi les maires élus en 1947. Certains polémistes du parti, notamment Jean Nocher, déploient une extrême agressivité verbale. Pour ces raisons, l'historien Henry Rousso (dans Le Syndrome de Vichy) discerne au RPF « des tendances pro-pétainistes, soit qu’elles aient été envoûtées par la magie du verbe maréchaliste, soit qu’elles aient été convaincues de son impact dans l’opinion ». René Rémond (Les Droites en France) préfère rapprocher le RPF de la lignée du bonapartisme et du boulangisme, tout en observant que le RPF est, dans l'histoire du gaullisme, l'épisode le moins éloigné de « ce qu'en France on a l'habitude de qualifier de fascisme ».
Après un grand succès en 1947-1948 (35 % des suffrages aux municipales de 1947, 42 % des sénateurs élus en 1948), le RPF décline de 1949 à 1951. La gestion efficace des événements sociaux de l'automne 1947 par le gouvernement de la troisième force a affaibli le mouvement gaulliste. Le recours à de Gaulle semble alors moins nécessaire pour les conservateurs, les modérés et le patronat. Dans l'opposition, le RPF est frappé d'un véritable ostracisme de la part des autres partis politiques, entretenu par le refus du général de Gaulle de se compromettre avec les autres partis. En 1951, le RPF obtient encore plus de 4 millions de voix (22,3 % des suffrages et 16,8 % des inscrits) et 117 députés.
Le RPF est irrémédiablement affaibli par la défection de vingt-sept députés : ainsi, contre les consignes du Général, Édouard Frédéric-Dupont et Edmond Barrachin votent la confiance au gouvernement d'Antoine Pinay en 1952. En , quarante-cinq autres font défection. Les gaullistes se divisent alors entre les loyalistes, qui fondent l'Union des républicains d'action sociale (URAS), et les autres, qui rejoignent l'Action républicaine et sociale (ARS).
Mise à l'écart du pouvoir
Aux élections locales de 1953, le RPF perd la moitié de ses suffrages. Il entre alors en hibernation. Les élus gaullistes participeront encore avec le PCF à l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, avant la mise en sommeil définitive du RPF le .
À la suite de la défaite électorale de son parti, le général de Gaulle se retire à Colombey-les-Deux-Églises et rédige ses Mémoires de guerre. Pour certains observateurs, ce sont les cinq années qui suivent qui constituent sa « traversée du désert » proprement dite (voir ci-dessus).
Retour au pouvoir en 1958
L'instabilité ministérielle, l'impuissance de la IVe République face à la question algérienne, déclenchée par une insurrection le , conduisent le régime à une crise grave. Des responsables politiques de tous bords en viennent à souhaiter le retour du Général.
Le , un comité de vigilance appelle à manifester contre le FLN à Alger. Un comité de salut public est créé, à la tête duquel se trouve le général Massu, et dont fait aussi partie le général Salan. Ce dernier, poussé par Léon Delbecque, lance le devant la foule son appel au retour du général de Gaulle, « Vive de Gaulle ! », du haut du balcon du Gouvernement général. L'insurrection prend de l'ampleur et risque de dégénérer en guerre civile. Le , le Général se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République146 ». Certains voient dans cette déclaration un soutien à l'armée et s'inquiètent. Il rassure et insiste sur la nécessité de l'union nationale ; s'il se présente encore comme le recours, il ne donne officiellement aucune caution ni à l'armée ni à quiconque. Néanmoins, un plan d'action militaire, baptisé « Résurrection », a déjà été mis en place en cas d'échec des négociations politiques.
Le , le président de la République, René Coty, fait appel au « plus illustre des Français ». Charles de Gaulle accepte de former un gouvernement. Sous pression, l'Assemblée nationale l'investit le , par 329 voix sur 553 votants. Le général de Gaulle devient ainsi le dernier président du Conseil de la IVe République. Les députés lui accordent la possibilité de gouverner par ordonnances pour une durée de six mois, et l'autorisent à mener à bien la réforme constitutionnelle du pays147.
La nouvelle Constitution, élaborée au cours de l'été 1958, est très proche des propositions avancées à Bayeux, avec un exécutif fort. Le général de Gaulle accepte cependant que le Parlement ait plus de poids qu'il ne le souhaitait. En particulier, de Gaulle doit renoncer à l'élection du président de la République au suffrage universel (un élément central de son dispositif constitutionnel qu'il finira par imposer en 1962).
La Constitution est adoptée par référendum le , avec 79,2 % de « oui ». L'Empire l'approuve également, sauf la Guinée qui devient ainsi la première colonie française de l'Afrique subsaharienne à obtenir son indépendance. Charles de Gaulle est élu président de la République le 148 : il prend ses fonctions le suivant.
Entre le moment de son entrée en fonctions comme président du Conseil et son élection à la présidence de la République, Charles de Gaulle a largement amorcé la politique qui marquera son passage au pouvoir : outre la volonté de doter la France d'une nouvelle Constitution, le Général se soucie de la politique européenne de la France (rencontre avec le chancelier Adenauer le n 22), de l'indépendance du pays face aux États-Unis (mémorandum du adressé au président Eisenhower), de l'assainissement des finances publiques (mesures du ) et du sort de l'Algérie (il refuse les choix des comités de salut public et appelle à la « paix des Braves » en ).
Guerre d'Algérie
À la suite des échecs de la IVe République en Indochine et en Algérie, une insurrection éclate à Alger et les putschistes civils et militaires organisent un Comité de salut public (en référence à celui de la Révolution française) le pour maintenir l'Algérie française. Ils en appellent au retour du général de Gaulle. L'antenne d'Alger mise en place par le ministre de la Défense Jacques Chaban-Delmas dès 1957, dirigée par Lucien Neuwirth et Léon Delbecque, a influencé les partisans de l'Algérie dans la République française. Comme l'a rapporté Olivier Guichard dans Avec de Gaulle (voir bibliographie), l'antenne d'Alger faisait surtout de la transmission : le travail d'influence était supervisé par les deux plus proches collaborateurs du général de Gaulle, Guichard lui-même et, pour les militaires, Jacques Foccart.
Mise en place des réseaux français en Afrique
C'est sous l'autorité de De Gaulle que les réseaux de ce que l'on appellera plus tard la Françafrique furent mis en place149. À la tête d'une partie de son cabinet, issue de l'éphémère Communauté française, Jacques Foccart maintient des liens étroits, non seulement de coopération, mais souvent de contrôle, avec les nouveaux pouvoirs des États africains ayant accédé à l'indépendance, notamment au moyen d'accords de coopération militaire et financiers, mais aussi par l'action des services secrets. L'expression de « pré carré » est alors courante, et ces liens politiques et économiques assurent un soutien diplomatique dans la stratégie d'entre deux blocs de De Gaulle.
Président de la Ve République
Élection et investiture
En , les gaullistes remportent les élections législatives et obtiennent une confortable majorité. Le suivant, de Gaulle est élu président de la République et de la Communauté africaine et malgache avec 78,51 % des voix, au suffrage indirect, par un collège de plus de 80 000 grands électeurs150.
Charles de Gaulle prend ses fonctions de président de la République le , succédant ainsi à René Coty. Il gère le conflit algérien, met en place une nouvelle politique économique et engage d’importantes mesures pour revitaliser le pays, avec en particulier une dévaluation de 29 % et l'introduction du nouveau franc (valant 100 anciens francs), qui fait revenir les centimes, disparus en 1945.
Débuts à la présidence
Sur la scène internationale, refusant la domination des États-Unis comme de l'URSS, il défend une France indépendante, disposant de la force de frappe nucléaire. Il met en place également les débuts du programme spatial français. En tant que membre fondateur de la Communauté économique européenne (CEE), il pose son veto à l'entrée du Royaume-Uni.
Le , dans le stade olympique de Grenoble, il devient le second président français à ouvrir une cérémonie olympique, à l'occasion des Xe jeux olympiques d'hiver151.
En 2020, Charles de Gaulle est le seul président de la Ve République à avoir visité tous les départements français, outre-mer comprise. Il se rend en train ou en avion dans les régions, avant de visiter leurs départements en voiture durant une semaine en moyenne152,153.
Fin de la guerre d’Algérie
En ce qui concerne la guerre d'Algérie, de Gaulle suscita d’abord de grands espoirs parmi les Français d’Algérie, auxquels il déclara à Alger le : « Je vous ai compris ». Ce jour-là, il se garda de rien leur promettre de précis, lors de ce discours, et ne reprit ni leur mot d'ordre d'« intégration » ni leur slogan « Algérie française ». Il proclame que « à partir d'aujourd'hui, la France considère que, dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants : il n'y a que des Français à part entière ». Ce n'est qu'à Mostaganem, le , qu'il prononça les mots : « Vive l'Algérie française154 », exception davantage révélatrice d'un désaccord que d'une adhésion, pour René Rémond155.
Mais il adopta aussi quelques mesures libérales en direction des indépendantistes algériens : « paix des Braves » proposée au FLN en , grâces accordées à plusieurs rebelles, dont Yacef Saâdi, condamné à mort comme ancien dirigeant du FLN pendant la bataille d'Alger, interdiction officielle formelle des actes de torture. C'est également sous de Gaulle que les femmes musulmanes d'Algérie obtinrent le droit de vote, que l'on vit les musulmans pouvoir voter à égalité avec les Européens (de ce fait, dès avant l'indépendance en 1962, une majorité des maires d'Algérie sont eux-mêmes des musulmans), ou que fut nommé le premier préfet musulman d'Algérie (Mahdi Belhaddad à Constantine). De Gaulle annonça en personne la mise en œuvre du plan de Constantine, dans cette ville, en : ce plan prévoyait, sur cinq ans, la redistribution de 250 000 ha de terres, la construction de 200 000 logements et la création de 400 000 emplois156.
Il laissa son Premier ministre, Michel Debré, vilipender comme « manœuvre communiste » le rapport accablant établi par le jeune Michel Rocard, et qui dénonçait l'entassement inhumain de deux millions de personnes civiles dans des « camps de regroupement ». Dès 1959, de Gaulle en revint aussi à une solution classique de répression militaire. À l'été 1959, l'opération « Jumelles », dite plan Challe, porta au FLN ses coups les plus rudes à travers tout le pays. Certes, de Gaulle réalisa rapidement qu'il n'était pas possible de résoudre le conflit par une simple victoire militaire, et à l'automne 1959 il commença à s'orienter vers une solution conduisant inéluctablement à l'indépendance de l'Algérie. Mais jusqu'à l'hiver 1961/62, il choisit tout de même de poursuivre la guerre, au prix de nombreuses victimes et, selon le journaliste Rémi Kauffer, d'un accroissement de l'usage de la torture. Jusqu'à la fin de 1961, la lutte contre le FLN est menée avec autant de vigueur, et même davantage, qu'avant. Selon Constantin Melnik, conseiller spécial de Michel Debré chargé de coordonner les services secrets, il y eut environ 500 assassinats politiques entre 1958 et 1961.
Il reste difficile de savoir quand de Gaulle comprit que l'indépendance était la seule solution pour sortir d'un conflit coûteux en hommes, en argent et en prestige international. D'autant plus qu'il perd le soutien de proches et d'anciens combattants luttant pour l'Algérie française. Édouard Lebas, à cet effet, écrit le dans Combat : « Nous vivons depuis sur la plus grande duperie de l'histoire et depuis sur la plus grande imposture. La cause du mal c'est la volonté tenace, bien que supérieurement camouflée, du Général de Gaulle. Il faut donc dénoncer à la masse, sans subterfuges et sans faux-fuyants, le responsable du mal dont meurent la République et la Liberté »157. En 1961, de Gaulle fit encore rédiger par Alain Peyrefitte un plan de partition de l'Algérie, sans doute en fait pour faire pression sur le FLN. Au même Alain Peyrefitte, il expliquait dès 1959 que « l'intégration » de l'Algérie à la France, défendue par les partisans de l'Algérie française, était une utopie : deux pays culturellement si éloignés et présentant un tel écart de niveau de vie n'avaient pas vocation à en former un seul. Sans compter qu'au vu de l'accroissement démographique des musulmans, ce serait ouvrir la porte à leur immigration massive en métropole, dépassant de fort loin la simple venue traditionnelle de populations étrangères appelées à se fondre dans le creuset français : « Mon village deviendrait Colombey-les-Deux-Mosquées ! »158
Dès le , de Gaulle parle de « l'autodétermination » de l'Algérie. Comme pour les pays de l'empire colonial français qui viennent d’accéder à l’indépendance, le chef de l’État aurait pour stratégie d'installer une administration qui défendrait les intérêts politiques et économiques de la France159.
En , le limogeage du général Jacques Massu, qui avait critiqué sa politique, provoque la rupture avec les Français d'Algérie et l'érection de barricades au centre d'Alger. Malgré ce climat insurrectionnel, de Gaulle abroge définitivement, par une ordonnance du , la peine de déportation160. En , un référendum valide cependant massivement sa politique des deux côtés de la Méditerranée.
Avec l'armée de conscription, il fait échec au putsch des généraux à Alger en . Quatre jours suffisent à mettre en déroute le « quarteron de généraux à la retraite » stigmatisés dans un de ses plus célèbres discours. Cette attitude provoqua de fortes résistances dans certains groupes nationalistes et de Gaulle fut obligé de réprimer des soulèvements de pieds-noirs en Algérie.
Il est la cible d'organisations terroristes telles que l'Organisation armée secrète (OAS), qui le surnomme « la Grande Zohra ». La métropole devient alors l'objet de plusieurs vagues d'attentats commis par l'OAS. L'amiral Pierre Lacoste, ancien directeur de la DGSE, déclare en 1992, dans un entretien accordé au journal The Nation, que certains éléments du réseau Gladio étaient impliqués dans des activités terroristes contre le général de Gaulle et sa politique en Algérie161,162.
Dans la nuit du au , une manifestation, interdite par les autorités françaises, est organisée par le FLN. Les manifestants protestent contre le couvre-feu imposé en métropole aux ressortissants d'Afrique du Nord. Cette manifestation est férocement réprimée. Le préfet de police Maurice Papon couvre ses policiers et le gouvernement l'ensemble de ses fonctionnaires. Selon le rapport de l'avocat général Jean Geromini, remis le , il y aurait eu au moins 48 noyés pendant la nuit du 17 au 18 octobre, sans compter les personnes mortes des suites de leurs blessures ou de leurs conditions d'internement. Selon l'historien et éditorialiste Alain-Gérard Slama et Linda Amiri (laquelle a dépouillé les archives de la préfecture de police), le chiffre total est de l'ordre d'une centaine de victimes (L. Amiri compte 100 morts certains et 31 disparus). Les propos tenus par de Gaulle en Conseil des ministres quelques jours après le drame sont connus grâce aux notes prises par son ministre Louis Terrenoire, et publiées par Éric Rossel.
Quelques mois plus tard, lors d'une manifestation interdite le , huit manifestants sont tués par les forces de police au métro Charonne et un autre meurt ensuite à l'hôpital. Selon l'historien Jean-Paul Brunet, Charles de Gaulle est « tout autant responsable de cette tragédie que le ministre de l'Intérieur Roger Frey, le préfet de police Maurice Papon, et toute la hiérarchie policière ». Une des raisons est, explique J.-P. Brunet, « l'autoritarisme » du Général. Selon l'historien Alain Dewerpe, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, le massacre de Charonne n'est qu'une conséquence logique des « habitus de pouvoir » de De Gaulle et des gaullistes, dans la situation de la guerre d'Algérie.
Quant à l'organisation terroriste OAS, elle est réprimée par des moyens impitoyables : exécutions sommaires, tortures, polices parallèles, lesquelles n'hésitent pas à recruter des truands, comme Georges Boucheseiche et Jean Augé. La Cour de sûreté de l'État est créée en pour en condamner les chefs, lesquels sont amnistiés quelques années plus tard (la Cour continue ensuite de juger des terroristes, jusqu'à sa suppression, en ). En 1962, à la suite des accords d'Évian, un cessez-le-feu est proclamé en Algérie. Le général de Gaulle fait adopter par référendum l'indépendance de l'Algérie, effective en 163.
Très irrité par le ralliement massif des pieds-noirs à l'OAS, à l'heure où celle-ci lance une vague de terreur et de terre brûlée en Algérie, de Gaulle n'a aucun mot de compassion ni en public ni en privé pour le sort du million de Français rapatriés d'Algérie en à la suite de la non-application des accords d'Évian par la partie algérienne.
Le lendemain de la signature des accords d'Évian, les supplétifs de l'armée française, les harkis, sont désarmés par la France, et abandonnés sur place. Le gouvernement s'oppose au rapatriement de la majorité d'entre eux, et fait interdiction aux officiers de l'armée de les aider à gagner la France, hors du cadre d'un plan de rapatriement général. Le , en Conseil des ministres, alors que les massacres de pieds-noirs et harkis ont commencé, Charles de Gaulle s'oppose au repli des harkis en France164. Par la suite, plusieurs dizaines de milliers sont torturés et massacrés165.
En , le Premier ministre Michel Debré est remplacé par Georges Pompidou, et, en de la même année, de Gaulle propose d'amender la Constitution afin de permettre au président d'être élu au suffrage universel direct, dans le but de renforcer sa légitimité à gouverner directement. La réforme de la Constitution, malgré l'opposition du Parlement, de la totalité de la gauche et d'une bonne partie de la droite, est aisément acceptée lors du référendum du avec 62,25 % de « oui ».
En , l'Assemblée nationale vote une motion de censure contre le gouvernement Pompidou, mais le Général refuse la démission que lui présente le Premier ministre et choisit de dissoudre l'Assemblée. Les nouvelles élections renforcent la majorité parlementaire gaulliste.
Opposition armée
Attentat du Petit-Clamart
Un polytechnicien ingénieur de l'armement nommé Jean Bastien-Thiry, âgé de 35 ans, considère la politique algérienne du général de Gaulle comme une politique d'abandon et de trahison. Il conçoit donc, avec l'aide de personnes partageant son point de vue et appartenant à l'Organisation armée secrète (OAS), d'enlever de Gaulle, voire, si ce rapt se révèle impossible, de l’abattre. Un attentat est ainsi organisé au rond-point du Petit-Clamart le . Il échoue, bien que la DS présidentielle montre ensuite, parmi les impacts (environ 150 balles tirées), une trace de balle passée latéralement à quelques centimètres des visages du couple présidentiel.
Dans la déclaration qu'il fait lors de l'ouverture de son procès en , Bastien-Thiry développe les motivations du complot basées essentiellement sur la politique algérienne du général de Gaulle. Il est condamné à mort le . Parce qu'il avait fait tirer sur une voiture occupée par une femme et parce que, contrairement aux autres membres du commando, il n'avait pas pris de risques directs, Bastien-Thiry n'est pas gracié par le général de Gaulle, comme l'ont été les autres membres du commando (tout comme d'ailleurs les autres membres de l'OAS, qui ont été pris). Une semaine après la fin de son procès, Bastien-Thiry est fusillé au fort d'Ivry.
En 1968, une première amnistie permet aux derniers responsables de l'OAS, aux centaines de partisans de l'Algérie française encore détenus, et à d'autres, exilés, comme Georges Bidault ou Jacques Soustelle, de rentrer en France. D'anciens activistes de l'Algérie française se rallient alors au gaullisme, en adhérant au SAC ou aux comités de défense de la République (CDR). De Gaulle déclare à Jacques Foccart le : « Il faut que nous allions vers une certaine réconciliation. » Les autres condamnations pénales sont effacées par les lois d'amnistie de 1974 et 1987.
Autres attentats
L'attentat du Petit-Clamart est celui qui a été le plus près de réussir. De nombreux autres attentats ont été organisés contre la personne du Général, parmi lesquels :
- le , une bombe commandée à distance est enterrée sur la route de Colombey, à Pont-sur-Seine, mais la DS présidentielle conduite par le gendarme Francis Marroux n'est pas endommagée166 ;
- le , de Gaulle doit être abattu sur le perron de l'Élysée par un tireur posté près de l'Élysée167 ;
- le , de Gaulle est en visite au mont Faron, près de Toulon ; une jarre est piégée de huit pains de TNT mis à feu à distance, mais ceux-ci n'explosent pas, le déclencheur étant trop faible168.
Le thème d'un attentat imaginaire contre le général de Gaulle faisant suite à celui du Petit-Clamart a été exploité dans le film Chacal (1973) tiré du roman de même nom de Frederick Forsyth.
Élection présidentielle de 1965
La télévision, pour la première fois dans l'histoire, joue un rôle très important dans une campagne ; malgré son refus de « jaspiner » dans « les étranges lucarnes », le Général se plie à cette nouvelle mode entre les deux tours. Cette campagne marque aussi l'apparition des sondages, qui mettent en évidence la baisse des intentions de vote en sa faveur avant le premier tour169.
Lors du premier tour, de Gaulle arrive en tête avec 44,65 % des suffrages, devant notamment le candidat de la gauche, François Mitterrand (31,72 %), et Jean Lecanuet (15,57 %). Lorsque le ministre de l'Intérieur, Roger Frey, propose à de Gaulle de faire publier des photos de François Mitterrand aux côtés de Philippe Pétain pendant l'Occupation, il se voit opposer un refus, le président sortant refusant d'utiliser de telles méthodes170. Valéry Giscard d'Estaing fera de même que le général de Gaulle lors de l'élection présidentielle de 1981171.
Charles de Gaulle est réélu président de la République le , avec 55,20 % des suffrages exprimés. Le Général indique ultérieurement à quelques proches qu'il n'ira pas au bout de son mandat (devant s'achever en 1972) et qu'il se retirera à ses 80 ans172,173.
Politique étrangère
De Gaulle dut attendre la fin du conflit en Algérie pour lancer réellement sa politique étrangère. En effet, le « boulet algérien »174 réduisait considérablement la marge de manœuvre française et, d'une façon ou d'une autre, il fallait avant toute chose mettre un terme à ce conflit. La politique de « l'indépendance nationale » est alors pleinement mise en application.
Sur le plan international, de Gaulle continua à promouvoir l'indépendance de la France : il refusa à deux reprises (en 1963 et en 1967) l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE175 ; il condamna dès 1964 l'aide militaire apportée par les États-Unis à la république du Viêt Nam (dite Viêt Nam du Sud) contre la rébellion communiste menée par le Viêt Cong (guérilla soutenue par le Nord-Viêt Nam), ainsi que la riposte israélienne au blocus du détroit de Tiran par l'Égypte, lors de la guerre des Six Jours en 1967. Il prit l'une de ses décisions les plus spectaculaires en 1966, lorsque la France se retira du commandement militaire intégré de l'OTAN, expulsant les bases américaines de son territoire.
En ce qui concerne l'Europe, de Gaulle était partisan d'une « Europe des nations » et des États, qui peuvent seuls répondre des nations, celles-ci devant conserver leur pleine souveraineté et leur personnalité historique et culturelle : « Si vous voulez que des nations s'unissent, ne cherchez pas à les intégrer comme on intègre des marrons dans une purée de marrons. Il faut amener leurs gouvernants légitimes à se concerter, et un jour, à se confédérer, c'est-à-dire à mettre en commun certaines compétences, tout en restant indépendants pour tout le reste176 » ; de Gaulle était franchement hostile à l'idée d'une Europe supranationale, c'est-à-dire celle prônée par Jean Monnet, une Europe avec un gouvernement fédéral composé des actuelles commissions, qui surplomberait des gouvernements provinciaux, lesquels ne s'occuperaient plus que des questions secondaires ; en 1962, le terme volapükn 23 qu'il employa pour parler de la coopération européenne entraîna le départ du gouvernement des cinq ministres MRP.
C'est l'Europe qui fixe le cadre de son ambition, une Europe qui va même « de l'Atlantique à l'Oural », gommant d'un trait le provisoire rideau de fer. En effet, le pivot de la politique étrangère française est le rapprochement avec l'autre poids lourd du continent, l'Allemagne. Ainsi, de Gaulle tourne le dos aux « Anglo-Saxons ».
On pourrait en effet s'étonner de l'intransigeance gaullienne vis-à-vis du Royaume-Uni, tout particulièrement. Pour de Gaulle, comme pour Churchill d'ailleurs, le Royaume-Uni n'avait fait que son devoir en 1940, et il n'existait pas de « dette » française envers Londres liée à la Seconde Guerre mondiale. De Gaulle désapprouvait les relations privilégiées rapprochant le Royaume-Uni des États-Unis depuis la guerre, ainsi que la préférence économique impériale qui jouait entre celle-ci et les États du Commonwealth, rendant ainsi difficile son admission au sein de l'Europe. Aussi l'entrée d'un tel « cheval de Troie américain » au sein de l'Europe lui paraissait-elle non souhaitable. Les Britanniques attendront donc 1973 avant de rejoindre la communauté économique européenne (CEE).
La position de De Gaulle face au monde communiste était sans ambiguïté : il était totalement anticommuniste. Il prône la normalisation des relations avec ces régimes « transitoires » aux yeux de l'Histoire de façon à jouer le rôle de pivot entre les deux blocs. La reconnaissance de la République populaire de Chine dès le va dans ce sens. De même sa visite officielle en République populaire de Pologne (6-) fut un geste qui montrait que le président français considérait le peuple polonais dans son ancrage historique. La question allemande, et donc le tracé de la frontière occidentale de la Pologne, ont joué un grand rôle dans les discussions officielles. Malgré la domination exercée alors par l'URSS, de Gaulle fut accueilli spontanément par des foules enthousiastes. Il misait, comme il l'a dit devant la diète (Assemblée nationale) polonaise, sur un futur où la Pologne recouvrerait sa place d'État indépendant. Il s'agissait une fois de plus de son projet d'Europe continentale élargie178. Durant la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle avait soutenu le mouvement royaliste tchetnik de Draza Mihailovic, dont il était un admirateur179. Tito, l'un des dirigeants des non-alignés, soutiendra fortement l'indépendance algérienne avec des livraisons massives d'armes au FLN via la Tunisie.
Les relations entre de Gaulle et les États-Unis sont assurément les plus épicées. Malgré quelques tensions vives, de Gaulle sera toujours au rendez-vous en cas de vrai coup dur : Berlin ou Cuba, notamment. En revanche, dès que les Américains entament le processus d'escalade, de Gaulle prend publiquement ses distances, notamment par son discours du à Phnom Penh vilipendant l'attitude américaine au Viêt Nam, théâtre d'opération que la France connaissait fort bien180. Ses communications privées sont espionnées par les États-Unis, mais aussi par le Royaume-Uni, qui le surveille à son domicile181.
La notion gaullienne d'« une certaine idée de la France » se manifeste surtout en politique étrangère. De Gaulle puise une force dans sa connaissance de l'Histoire de France, qu'il a d'ailleurs enseignée à Saint-Cyr. Selon lui, le poids de cette Histoire donne à la France une position particulière dans le concert des nations. Convaincu que les relations internationales reposent avant tout sur les réalités nationales et les rapports entre États, il surnomme l'ONU « le machin » et refuse que la France participe au financement des opérations menées par les « casques bleus » contre la sécession katangaise au Congo ex-belge. Passablement irrité par l'attitude du Nigeria lors de l'explosion de Gerboise bleue182, le troisième essai nucléaire français, en 1960, et souhaitant le « morcellement » de ce pays, comme il le raconte à son conseiller aux affaires africaines, Jacques Foccart182, de Gaulle soutient la sécession du Biafra en 1967-68, qui fait un à deux millions de morts182.
En Afrique francophone, il ne prend pas position face aux coups d'État qui se succèdent, mais apporte son soutien aux régimes en place quand il le juge nécessaire, faisant intervenir les troupes françaises au Gabon (1964) et au Tchad (1968).
Il entreprend un voyage de trois semaines en Amérique du Sud en 1964 au cours duquel il n'a de cesse de dénoncer les « hégémonies » des superpuissances. De Gaulle, qui visite dix pays, est acclamé par les foules, mais la tournée diplomatique aura peu de retombées concrètes et ne remet pas en cause l'emprise des États-Unis sur ce continent183.
Force de frappe
Convaincu de l'importance stratégique de l'arme nucléaire, de Gaulle poursuivit le développement en Algérie puis en Polynésie française de celle-ci, sous la protestation de l'opposition qui n'y voyait qu'une « bombinette ». La réponse de De Gaulle sera : « Dans dix ans, nous aurons de quoi tuer 80 millions de Russes. Eh bien je crois qu'on n'attaque pas volontiers des gens qui ont de quoi tuer 80 millions de Russes, même si on a soi-même de quoi tuer 800 millions de Français, à supposer qu'il y eût 800 millions de Français »184,185.
Le rôle des États-Unis dans cette affaire paraît étrange. Kennedy proposa à de Gaulle de lui donner des missiles Polaris, comme il l'avait fait avec le Royaume-Uni (accords de Nassau). Mais de Gaulle refusa, déclarant qu'il voulait que la France se bâtisse elle-même une armée. La question nucléaire empoisonna les relations franco-américaines durant toutes les années 1960. Il fallut attendre Richard Nixon pour trouver un premier président américain clairement « gaullien ». Nixon contourna d'abord les contraignantes législations américaines dans le domaine nucléaire avant d'ouvrir officiellement la voie de la collaboration nucléaire franco-américaine. Le gros du travail était déjà fait et les « bombinettes » françaises déjà fort efficaces.
Sortie de l'OTAN
Après avoir retiré du commandement de l'OTAN la flotte française de la Méditerranée (1959), puis celle de l'Atlantique et de la Manche, de Gaulle écrit le 7 mars 1966 au président américain Lyndon Johnson pour lui notifier la sortie de la France de l'OTAN : « la France se propose de recouvrer sur son territoire l'entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d'éléments militaires alliés ou par l'utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l'OTAN ».Tout en restant partenaire de l'Alliance atlantique, la France gaullienne se retire donc de « l'organisation militaire intégrée aux ordres des Américains », comme le confie de Gaulle à Peyrefitte186. Les troupes américaines présentes en France doivent évacuer leurs bases, et le quartier général de l'OTAN quitte Rocquencourt pour s'installer en Belgique.
Conversion des dollars
Sur la recommandation de l'économiste Jacques Rueff qui voyait la conquête de l'espace et le conflit vietnamien déséquilibrer la balance des paiements des États-Unis, de Gaulle réclama à ces derniers la contrepartie en or d'une forte proportion des dollars détenus par la France. L'opération était légale, car le dollar était défini officiellement comme correspondant à 1/35 d'once d'or. Règlements internationaux obligent, les États-Unis durent obtempérer et de Gaulle fit procéder par la Marine nationale au rapatriement de la part de l'or de la Banque de France déposé à New York auprès de la Banque fédérale de réserve187. En 1971, les États-Unis mettront fin à la parité pour faire « flotter » le dollar. À la suite des chocs pétroliers de 1973 et de 1979, les cours de l'or s’envoleront : le conseil de Jacques Rueff était judicieux à long terme.
Conscient du danger que présente l'hégémonie du dollar pour le système monétaire international et l'économie mondiale d'une manière générale, hégémonie du dollar « qui entraîne les Américains à s'endetter, et à s'endetter gratuitement vis-à-vis de l'étranger, car ce qu'ils lui doivent, ils le paient […] avec des dollars qu'il ne tient qu'à eux d'émettre », de Gaulle est partisan d'un retour à l'étalon-or188.
Le « Québec libre »
Lors d'une visite d'État au Canada en 1967 afin, officiellement, de prendre part aux festivités entourant l'Expo 67 comme l'y avait invité le Premier ministre québécois Daniel Johnson, de Gaulle provoqua l'indignation des autorités fédérales canadiennes, lorsqu'à Montréal, devant une foule de plus de 100 000 Québécois, il ponctua son discours d'un retentissant : « Vive Montréal, vive le Québec… vive le Québec libre ! », salué par une ovation générale. Cela déclencha une crise avec le gouvernement canadien. À la suite du discours de De Gaulle, qui contenait un certain nombre de clins d'œil, le Premier ministre canadien Lester B. Pearson répliqua sèchement à de Gaulle dans un discours livré le lendemain, déclarant que « les Canadiens n'ont pas besoin d'être libérés », et faisant savoir très clairement que de Gaulle n'était plus le bienvenu au Canada. Il repartit séance tenante pour la France, délaissant le croiseur qui l'avait amené, le Colbert. Le but de De Gaulle n'était pas de provoquer un « scandale » entre le Québec et le gouvernement fédéral canadien, mais plutôt de regonfler les « Français du Canada » face aux voisins Anglo-Saxons[réf. nécessaire].
Dans la perspective de la Seconde Guerre mondiale, cette déclaration fut ressentie comme injuste par les Canadiens anglophones qui avaient soutenu la France libre, alors que les Québécois francophones, soucieux de l'indépendance du Canada vis-à-vis du Royaume-Uni, étaient moins enthousiastes pour participer à l'effort de guerre. Des envoyés de la France libre, Élisabeth de Miribel et le capitaine de vaisseau Georges Thierry d'Argenlieu — dont le titre de supérieur majeur de la province des Carmes de Paris était censé lui valoir le respect des catholiques — tentèrent en 1941 de rallier les Canadiens à la cause du général de Gaulle.
Les réactions furent non seulement diplomatiques, mais aussi populaires. Par exemple, les habitants du boulevard de Gaulle, à Ottawa, obtinrent de la ville en que leur rue fût rebaptisée boulevard Confédération, une décision qui ne fit toutefois pas l'unanimité189,190.
Le gouvernement d'Ottawa dut dès cette époque traiter avec une attention particulière les revendications du Québec qui, fort de cet encouragement qui laissait présager un soutien fort de la France si besoin, commença à parler de faire sécession.
De plus, lors de la conférence de presse du 27 novembre 1967 à l'Élysée, Charles de Gaulle justifia une fois de plus son geste d'éclat par un discours engagé, ponctué par un solennel « allons, allons, pour eux aussi, pour eux surtout, il faut que la France soit la France191 ! »
Cette déclaration était cohérente avec la pensée du général de Gaulle, qui aurait déclaré à Alain Peyrefitte, en : « L'avenir du Canada français, c'est l'indépendance. Il y aura une République française du Canada ». Selon Alain Peyrefitte, « sans préjuger de la forme que la souveraineté québécoise devait revêtir, de Gaulle, avec ce sens historique qui valut à la France son salut, s'en vint donc à Montréal, en , exhorter les Canadiens français à préserver leur identité française dont, sous Louis XV, l'indifférence des élites françaises avait fait si légèrement bon marché. « Vive le Québec libre » ne fut pas plus improvisé que l'appel du . L'appel à la liberté, lancé le , n'eut rien de fortuit192. »
Crise politique de 1968
Outre la réforme financière de 1958, la France bénéficie des « Trente Glorieuses » et de la croissance amorcée sous la IVe République. Les structures économiques sont modernisées, le niveau de vie s'accroît. Mais la croissance profite inégalement à tous, et un certain désenchantement apparaît face au blocage de la société. Les événements de Mai 1968 en sont le révélateur. Comme dans de nombreux pays, la contestation des étudiants se développe à partir de . Les syndicats et les partis politiques de gauche profitent des manifestations étudiantes pour lancer une grève générale qui sera suivie par les ouvriers. Cette grève générale paralyse le pouvoir pendant le mois de mai.
De l'avis de ses propres partisans, de Gaulle a été complètement surpris par une crise qu'il ne prévoit pas et ne comprend pas. Indifférent aux revendications étudiantes et à la « crise de civilisation193 » qu'elles révèlent, il ne voit là au mieux qu'un gigantesque chahut de jeunes qui ne veulent pas passer leurs examens, au pire une contestation de l'autorité de l'État à faire cesser sur-le-champ. Dans les premiers jours de mai, ses seules consignes sont de réprimer brutalement les manifestations étudiantes, contre l'avis de plusieurs de ses ministres qui conseillent l'apaisement.
Après la nuit des barricades du 10 mai au , de Gaulle, sceptique, laisse toutefois son Premier ministre Georges Pompidou, rentré d'un voyage en Iran et en Afghanistan194, mener une nouvelle politique d'apaisement. Pompidou, qui a dû mettre sa démission dans la balance, veut éviter désormais les heurts, et parie sur l'essoufflement à terme du mouvement.
Du au , de Gaulle part en Roumanie. Or, en son absence, la grève générale se développe et des millions de grévistes paralysent la France, tandis que la Sorbonne et l'Odéon sont occupés sans réaction de la police. Seul aux commandes de l'État et de la majorité parlementaire, Pompidou paraît entre-temps devenu le vrai chef du pays.
À son retour anticipé de Roumanie le 18 au soir, de Gaulle déçoit jusqu'à des fidèles inconditionnels en apparaissant dépassé et flottant, sans cette vivacité et cette efficacité de réaction qui le caractérisent d'habitude. Il semble écartelé entre la prudence pompidolienne et la fermeté qu'il prêche lui-même. Il attend le 24 au soir pour parler en public, et pour n'annoncer des mesures déjà éventées depuis plusieurs jours, qui ne répondent à aucune préoccupation de l'heure. « J'ai mis à côté », confesse-t-il aussitôt après avoir visionné son allocution. Le Général expose, dans cette allocution, qu'il entend que l'État doit rétablir l'ordre, maintenir la République. « La rue, c'est le désordre, la menace du totalitarisme, « la chienlit » »195. Le soir même, de violents incidents éclatent à Paris, on relèvera des centaines de blessés et plusieurs barricades érigées[réf. nécessaire].
Le 27 mai, les accords de Grenelle, passés entre le gouvernement Pompidou, les représentants des syndicats et du patronat, aboutissent à un train de mesures classiques[Quoi ?]. De Gaulle préside le Conseil des ministres qui ratifie aussitôt les accords, mais à la surprise de Pompidou et des chefs syndicaux, la base rejette les avancées de Grenelle, estimant que c'est la société entière qui est en cause. Les grèves continuent. Le 27, une manifestation au stade Charléty lance l'idée d'un gouvernement provisoire. Le jour même, François Mitterrand reprend cette solution et annonce sa candidature à la présidence de la République. La crise politique atteint son sommet.
La disparition soudaine et inexpliquée du chef de l'État, parti avec son épouse en hélicoptère le 29 mai pour une destination inconnue, provoque la stupeur et ouvre la voie à toutes les supputations. Il passe par Baden-Baden, où il est reçu par le général Massu196. Dès son retour à Paris le lendemain, son allocution radiodiffusée a le ton de la fermeté. Il y annonce la dissolution de l'Assemblée nationale. Elle est suivie d'une immense manifestation organisée par les gaullistes sur les Champs-Élysées197.
De Gaulle était prêt à accepter certaines des revendications des manifestants. Il voulut faire approuver les réformes par référendum, mais Georges Pompidou, en mettant sa démission dans la balance, le persuada de plutôt dissoudre l'Assemblée nationale. De Gaulle l'annonça le , dans un discours radiodiffusé, comme l'appel du 18 Juin ou l'intervention de 1960 pendant les barricades d'Alger. Les phrases étaient courtes, chacune ou presque annonçait une décision :
- « Étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j'ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir » ;
- « J'ai pris mes résolutions. Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. » ;
- « Je ne changerai pas le Premier ministre, qui mérite l'hommage de tous. » ;
- « Je dissous aujourd'hui l'Assemblée nationale » ;
- « Je charge les préfets, devenus ou redevenus Commissaires de la République, d'empêcher la subversion à tout moment et en tous lieux » ;
- « Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu'on entende bâillonner le peuple français tout entier, en l'empêchant de s'exprimer en même temps qu'on l'empêche de vivre, par les mêmes moyens qu'on empêche les étudiants d'étudier, les enseignants d'enseigner, les travailleurs de travailler. Ces moyens, ce sont l'intimidation, l'intoxication et la tyrannie exercées par des groupes organisés de longue date en conséquence et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s'il a déjà des rivaux à cet égard ». De Gaulle opposait ainsi le Parti communiste français aux groupes maoïstes, alors que le premier semblait déjà bien dépassé par les événements. En clouant le PCF au pilori et lui prêtant une visée subversive délibérée, de Gaulle rompt avec la stratégie de Pompidou, qui n'a cessé de négocier avec le Parti au long du mois.
La fin du discours mentionne au sujet d'une déclaration antérieure, et sans la citer, « l'ambition et la haine de politiciens au rancart » et affirme qu'après avoir été utilisés « ces personnages ne pèseraient pas plus que leur poids, qui ne serait pas lourd ». Mais le Général néglige les 44,5 % des voix qui se sont portées en 1965 sur Mitterrand au second tour de la présidentielle, ou encore le simple siège de sa majorité aux élections législatives de 1967.
Une manifestation fut organisée et fut créditée d'un million de participants selon les organisateurs, sept cent mille selon la préfecture de police. Les élections de furent un grand succès pour la droite qui obtient 354 des 487 sièges (du jamais vu dans l'histoire du parlementarisme français). Georges Pompidou fut remplacé par Maurice Couve de Murville au mois de .
La campagne des législatives occupa les forces politiques, tandis que la reprise du travail se faisait progressivement. La reprise en main se fait parfois sans ménagement. Des Comités d'action civique, répondant à l'appel de De Gaulle, se constituent pour dresser des listes noires de grévistes et d'agitateurs notoires, et la police même renoue avec la brutalité des premiers jours de (quatre morts à déplorer en ).
La victoire des gaullistes aux élections législatives, bien que massive, n'a pas assez redynamisé le pouvoir. L'Assemblée nationale, plus à droite, est aussi plus frileuse face aux réformes pourtant nécessaires (participation, régionalisation, réforme de l'Université…). L'éviction du vrai vainqueur de la crise, Pompidou, a été mal comprise, et ce dernier fait désormais figure de recours et de successeur potentiel. De Gaulle n'est plus irremplaçable.
Il prononce son dernier discours public le ; il cite alors quelques vers en breton du poème Da Varzed Breiz (« Aux bardes de Bretagnes », de son oncle Charles198).
Référendum de 1969 et démission
Dans un référendum portant sur le transfert de certains pouvoirs aux régions et la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social199, de Gaulle proposait d'introduire des représentants des organisations professionnelles et syndicales au sein des conseils régionaux. Mettant tout son poids dans le référendum, il annonça à l'avance son intention de démissionner en cas de victoire du « non ». Celui-ci, auquel s'était rallié Valéry Giscard d'Estaing, l'emporta par 52,41 % le . Quelques minutes après minuit, le , un communiqué laconique tombe de Colombey-les-Deux-Églises : « Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi. »200.
Après l’Élysée
Ce communiqué est le dernier acte public de « l'homme du 18 Juin » : pour éviter d'être impliqué dans sa propre succession, il passe le temps de la campagne en Irlande où il arrive le pour un séjour d'un mois. Treize jours à Sneem puis à Cashel où il vote par procuration ; ensuite il s'enferme à La Boisserie pour y écrire ses Mémoires d'espoir qui prendront la suite des Mémoires de guerre ; il y mène une existence retirée voire recluse.
Fidèle à ses principes concernant la séparation entre sa vie d'homme d'État et sa vie personnelle, il refuse sa retraite de général et d’ancien président de la République201. Sa veuve se contente jusqu’à la fin de la réversion de sa retraite de général de brigade à titre temporaire202 obtenue grâce à un décret pris par le président Pompidou201.
En juin 1970, il effectue un voyage en Espagne, durant lequel il fait une visite de courtoisie au général Francon 25, déclarant regretter n’avoir pu le rencontrer plus tôt du fait des circonstances internationales. Même si de Gaulle n'exerçait plus alors de charge publique, qu'un homme de son prestige aille rencontrer le dictateur espagnol suscite des critiques chez ses détracteurs.
Mort et funérailles
Le , comme à l'accoutumée, le Général entame une partie de patience dans la bibliothèque de la Boisserie. Il dit avoir mal au dos avant de s'écrouler à 19 h 2, victime d'une rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale203,n 26 et meurt environ vingt minutes plus tard, avant même l'arrivée de son médecin le docteur Lacheny (venu de Bar-sur-Aube) et du curé de Colombey, l'abbé Claude Jaugey. La nouvelle n'est communiquée que le lendemain par une allocution télévisée du président de la République Georges Pompidou qui déclare que « la France est veuve205,206 ».
La mort de De Gaulle est l'occasion de prendre la mesure du rôle qu'il a joué dans l'histoire de France, ainsi que dans l'histoire de l'Europe et du monde. Ainsi, le lendemain du décès du général, le roi des Belges Baudouin vient, à titre privé, présenter ses condoléances à madame De Gaulle. Dans ses Mémoires de guerre, De Gaulle s'abstint de condamner le roi Léopold III de Belgique lors de la reddition de l'armée belge, en 1940, et le gouvernement belge d'Hubert Pierlot et Paul-Henri Spaak en exil à Londres fut le premier des gouvernements alliés à reconnaître la légitimité du gaullisme, malgré les pressions anglaises137.
Les obsèques religieuses du Général ont lieu le à Colombey-les-Deux-Églises en présence de 50 000 personnes et d'une délégation des armées françaises, seule participation officielle autorisée par le Général dans son testament. L'homélie est alors prononcée par le prêtre et résistant Maurice Cordier207. À Paris, de nombreux chefs d'État étrangers sont rassemblés pour honorer sa mémoire à Notre-Dame, 70 000 personnes suivant la cérémonie depuis le parvis208.
Seul l'hebdomadaire satirique Hara-Kiri osa un titre provocateur, dans son no 94, daté du : « Bal tragique à Colombey, un mort » (l'opinion était encore sous le choc de l'incendie d'un dancing qui avait causé la mort de 146 personnes une semaine plus tôt à Saint-Laurent-du-Pont) ; l'hebdomadaire fut interdit le lendemain.
Charles de Gaulle rédigea son testament en 1952, juste après les obsèques aux Invalides du maréchal Jean de Lattre de Tassigny, souhaitant éviter toute tentative de récupération politique et d'être trop lié à la IVe République. Il réaffirma à ses proches à plusieurs reprises les dispositions à prendre209. Ses dernières volontés210, qu'il avait rédigées en trois exemplaires numérotés et actualisées, sont les suivantes :
« Je veux que mes obsèques aient lieu à Colombey-les-Deux-Églises. Si je meurs ailleurs, il faudra transporter mon corps chez moi, sans la moindre cérémonie publique.
Ma tombe sera celle où repose déjà ma fille Anne et où, un jour, reposera ma femme. Inscription : Charles de Gaulle (1890-…). Rien d’autre.
La cérémonie sera réglée par mon fils, ma fille, mon gendre, ma belle-fille, aidés par mon cabinet, de telle sorte qu'elle soit extrêmement simple. Je ne veux pas d'obsèques nationales. Ni président, ni ministres, ni bureaux d'assemblées, ni corps constituésn 27. Seules, les Armées françaises pourront participer officiellement, en tant que telles ; mais leur participation devra être de dimension très modeste, sans musiques, ni fanfares, ni sonneriesn 28.
Aucun discours ne devra être prononcé, ni à l’église ni ailleurs. Pas d'oraison funèbre au Parlement. Aucun emplacement réservé pendant la cérémonie, sinon à ma famille, à mes Compagnons membres de l'ordre de la Libération, au conseil municipal de Colombey. Les hommes et femmes de France et d'autres pays du monde pourront, s'ils le désirent, faire à ma mémoire l’honneur d'accompagner mon corps jusque sa dernière demeure. Mais c'est dans le silence que je souhaite qu'il y soit conduit. Je déclare refuser d'avance toute distinction, promotion, dignité, citation, décoration, qu'elle soit française ou étrangère. Si l'une quelconque m'était décernée, ce serait en violation de mes dernières volontés. »
— Testament de Charles de Gaulle,
Le , la croix de la tombe du Général est vandalisée par un individu, mais le socle est resté intact211.
Synthèse de son parcours
Carrière militaire
- 1909-1912 : École militaire de Saint-Cyr (promotion de Fès)
- : sous-lieutenant
- : lieutenant
- : capitaine
- : chef de bataillon
- : lieutenant-colonel
- : colonel
- : général de brigade (à titre temporaire)
Responsabilités politiques
- 6 – 16 juin 1940 : sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale
- 18 juin 1940 – : chef de la France libre
- 24 septembre 1941 – 3 juin 1943 : président du Comité national français
- 3 juin 1943 – 3 juin 1944 : président du Comité français de libération nationale
- 3 juin 1944 – 20 janvier 1946 : président du gouvernement provisoire de la République française
- – 8 janvier 1959 : président du Conseil des ministres, ministre de la Défense nationale
- 8 janvier 1959 – 28 avril 1969 : président de la République française
Décorations
La plupart des ordres, décorations et médailles attribués et portés par le général de Gaulle sont déposées et visibles depuis 2015 au musée de l'ordre de la Libération.
De 2012 à 2019, une étude conjointe est menée par les équipes du musée de la Légion d'honneur et musée de l'ordre de la Libération. L'ouvrage collectif qui en résulte est principalement utilisé ci-dessous212.
Postérité
Hommages
Quelques semaines après sa mort, le , est votée une loi exonérant de droits de mutation sa succession pour « services exceptionnels rendus à la Nation299 ». La loi est présentée au Parlement par le secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances, Jacques Chirac300,301.
Le nom de Charles de Gaulle a été donné à de nombreuses artères, des ponts ou des bâtiments importants des communes françaises : en 2007, l’Institut Charles-de-Gaulle dénombrait plus de 3 600 voies « de Gaulle »302, les municipalités de droite ou du centre choisissant volontiers l’appellation militaire « Général-de-Gaulle », tandis que celles de gauche préféraient souvent la forme civile « Charles-de-Gaulle »303 ; rapidement après sa mort, plusieurs villes communistes comptent d'ailleurs parmi les premières à l'honorer en nommant une rue, une place ou un boulevard en son honneur304. On peut citer notamment la place Charles-de-Gaulle (anciennement place de l’Étoile) et le pont Charles-de-Gaulle à Paris, l'avenue Charles-de-Gaulle à Saint-Priest, la place du Général-de-Gaulle à Lille, l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (ex-aéroport de Roissy) et le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. En septembre 2020, 4123 lieux portent le nom de l'ancien président305. Une variété de rose lui est dédiée en 1974306. À l'étranger, des avenues, places et rues lui sont dédiées à Beyrouth, Bucarest, Prague…
Le , lors d'une émission de France 2 diffusée en direct du Sénat, il est désigné par les téléspectateurs comme « le plus grand Français de tous les temps », devançant notamment Louis Pasteur, l'Abbé Pierre, Marie Curie, Coluche, Victor Hugo. Une partie des centristes, voire de la gauche, à l'image de Régis Debray, déclare aujourd'hui trouver en lui un inspirateur.
Selon un sondage effectué en 2005, dans le contexte du dixième anniversaire de la disparition de François Mitterrand, ce dernier, alors seul président de gauche de la Ve République, est considéré comme le meilleur président par 35 % des sondés, suivi par Charles de Gaulle (30 %) et Jacques Chirac (12 %), qui se réclame du gaullisme307. Un autre sondage réalisé par BVA quatre ans plus tard indique que 87 % des Français jugent positivement la présidence de Charles de Gaulle, le classant ainsi en première position de tous les présidents de la Ve République308. Un sondage réalisé par le même institut en 2013 va dans le même sens : avec 89 % d'opinions positives, de Gaulle apparaît comme étant le président préféré des Français, tandis que Mitterrand n'est qu'en cinquième position avec 55 %309. En , à l'occasion du 40e anniversaire de sa disparition, un sondage qualifie le général de Gaulle de « personnage le plus important de l'histoire de France » pour 44 % des sondés, devant Napoléon (14 %), Charlemagne (14 %), Jean Jaurès (12 %), Louis XIV (7 %) et Léon Blum (4 %)310. Une enquête réalisée par l'Ifop en indique que 45 % des Français considèrent le général de Gaulle comme celui ayant le plus changé la France, devant tous les autres présidents de la Ve République (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Valéry Giscard d'Estaing, puis Georges Pompidou)311.
Des statues ont été érigées en sa mémoire aussi bien à Québec ou Londres qu'à Varsovie ou Moscou. La République populaire de Chine lui garde une forte reconnaissance publique pour l'avoir reconnue diplomatiquement en 1964. Israël ressentit d'autant plus durement ses déclarations fracassantes de 1967 que le culte populaire qui était voué à l'homme du ne pouvait se comparer jusque-là, comme le rappelle Éric Roussel, qu'à celui du « Père de la nation » David Ben Gourion. Le monde arabe se souvient de ses critiques contre l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie. Ben Bella rendit hommage à de Gaulle comme au plus valeureux adversaire du FLN : « Chef militaire, c'est lui qui nous a porté les coups les plus durs », mais qui finit par accepter l'indépendance algérienne. En effet, pour Ben Bella : « De Gaulle voyait plus loin » et « De Gaulle n'était pas un politicien, il avait cette dimension universelle qui fait trop souvent défaut aux dirigeants actuels »312. À ceux qui lui reprochaient d'être resté un client de la France gaullienne, Léopold Sédar Senghor répliquait que peu de chefs d'État occidentaux pouvaient se vanter d'avoir risqué personnellement leur vie pour conduire une colonie à l'indépendance. Il n'est pas jusqu'au maître de Cuba, Fidel Castro, qui déclara devant les caméras avoir trouvé un modèle en de Gaulle à la lecture de ses Mémoires de guerre. L'Amérique latine ou le Viêt Nam apprécient encore le pourfendeur de la domination américaine, le Québec le contempteur de la prédominance anglophone.
Timbre-poste
Le , l’administration des PTT émet un timbre-poste dans le cadre de l’« hommage à Charles de Gaulle 1890-1970 ». La dessinatrice du timbre est Huguette Sainson.
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Statue à Québec aux abords de l'Hôtel Le Concorde.
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Statue devant l'hôtel Cosmos de Moscou, réalisée par le sculpteur d'origine géorgienne Zourab Tsereteli, érigée en 2005.
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Statue à Varsovie.
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Statue à Londres.
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Statue à Nice.
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Statue à Nantes sur le cours des 50-Otages.
Legs historique
La Constitution de 1958 dure maintenant depuis plus d'un demi-siècle, avec des modifications. « L'homme de Londres » est entré dans un passé mythique où, pour les Français, il incarna à lui seul l'opposition au régime de Vichy.
Les années que l'économiste Jean Fourastié a nommées les Trente Glorieuses (1945-1975) ont laissé aux Français le souvenir d'une époque, sinon heureuse (deux guerres coloniales), au moins de croissance et de prospérité. « Nous ne sommes pas les plus riches, nous ne sommes pas les plus puissants, mais je vous garantis que nous sommes parmi les plus heureux », affirma Georges Pompidou lors de vœux usuels de Nouvel An aux Français. Or, la fin de cette période heureuse se trouve correspondre à peu près à celle de De Gaulle : difficile dans ces conditions de séparer objectivement ce qui est dû à l'homme et à son dauphin désigné de ce qui est dû au contexte économique.
Le général de Gaulle a planifié et modernisé la recherche et l'industrie par l'impulsion de l'État. C'est de son époque que datent le début des grands programmes qui ont fait la force de l'industrie française et qui trouvent leur aboutissement aujourd'hui dans de grands champions français ou européens : dans l'aéronautique, la Caravelle a donné naissance à Airbus Industrie ; dans l'industrie spatiale, la création du Centre national d'études spatiales (CNES) en 1961, le programme spatial français des « Pierres précieuses » et la fusée Diamant, premier lanceur construit en dehors des États-Unis et de l'URSS, ont abouti à la naissance d'Arianespace et de l'Agence spatiale européenne ; dans l'industrie nucléaire, la création du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 1945 a permis à la France de contrôler l'ensemble de la filière nucléaire avec la société Areva ; dans l'industrie informatique313, les objectifs du plan Calcul (1966) ne furent pas atteints, mais, notamment grâce à la création de l'IRIA (devenu INRIA) en 1967, la France est le seul pays européen qui ait réussi à conserver un constructeur informatique purement européen, Bull, qui fabrique aujourd'hui des superordinateurs et, rapproché avec Atos, forme un champion européen de l'informatique.
Bien des traits de sa personnalité avaient entraîné une sympathie des Français envers sa personne : d'abord son vocabulaire non conventionnel pour un homme politique de l'époque et de cet âge (« culbute », « chienlit »), ses boutades314 (« Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans, je commence une carrière de dictateur315 ? »), son sens de la repartie (au cours d'une conférence de presse, à un journaliste lui demandant « Comment allez-vous ? » il répondit : « Je ne vais pas mal, mais rassurez-vous : un jour je ne manquerai pas de mourir »316) ; à Louis Vallon, qui s'était écrié « Mort aux cons ! » au cours d'une réunion, au temps du RPF, de Gaulle répondit : « Vaste programme317 ! », son mépris affiché des partis politiques, enfin, sa défiance envers une droite qui ne l'aimait pas et le lui fit voir en 1969, comme envers une gauche qui n'avait jamais vraiment soutenu le projet de participation des salariés aux bénéfices de leur entreprise qui lui était cher (conformément à sa politique directement inspirée du catholicisme social70). De Gaulle, c'était, dans un esprit très « Astérix », un de ces « petits qui ne se laissent pas avoir par les grands »318. On ne s'étonnera pas de sa déclaration selon laquelle son livre préféré était Cyrano de Bergerac. Et il fit un jour cette remarque ironique : « Au fond, vous savez, mon seul rival international, c'est Tintin »319,320 ! »
Dans la culture populaire
Dès la Libération, les caricaturistes trouvent matière dans la grande taille de Charles de Gaulle, « symbole de grandeur politique pour les uns, d'orgueil démesuré ou d'oppression pour les autres », constate Guillaume Doizy. À compter du retour au pouvoir du général en 1958, la plume des dessinateurs se polarise également sur la forme de son nez, en allongeant et métamorphosant l'appendice nasal à hauteur de l'opposition exprimée envers le chef de l'État321.
Il est surnommé « Mongénéral » par Le Canard enchaîné, qui recourt parodiquement au déterminant possessif d'usage militaire, devenu « une sorte de préfixe accolé aux noms des objets ou des domaines sur lesquels s’étendait la domination du président de la République » : « Mongouvernement », « MaFrance », etc. De la sorte, l'hebdomadaire satirique entend souligner « la personnalisation voire la privatisation du pouvoir », observe l'historien Laurent Martin322.
Dans le film La Carapate (1978), l'avocat parvient à se faire accorder la grâce présidentielle pour son client par le président Charles de Gaulle.
Dans la série de bandes dessinées Jour J, la mort de Charles de Gaulle à différents moments de l'Histoire est un point de divergence conduisant à plusieurs uchronies. Dans L'Imagination au pouvoir ? (2011), sa mort dans un accident d'hélicoptère lors de sa fuite à Baden-Baden attise un peu plus la révolte de mai 68, menant à une guerre civile de deux ans puis à la victoire des idéaux soixante-huitards. Dans Paris brûle encore (2012), son assassinat lors des événements de mai 68, quand le palais de l'Élysée est attaqué par les manifestants, divise les armées françaises et le pays plonge alors dans huit ans de guerre civile et nucléaire, au cours desquelles Paris est détruite. Aussi, dans Le Crépuscule des damnés (2015), dernier volet d'une trilogie où la crise du 6 février 1934 a abouti au renversement de la République et l'instauration d'un régime fasciste, Charles de Gaulle finit assassiné, mais n'a jamais été le chef de la France libre puisqu'il n'y a pas eu de Seconde Guerre mondiale.
Charles de Gaulle est une série de bande dessinée historique et biographique, par Jean-Yves Le Naour (scénario), Claude Plumail (dessin) et Albertine Ralenti (couleurs), avec le concours de la Fondation Charles de Gaulle. Jean-Yves Ferri a également publié une BD, De Gaulle à la plage, qui a été adaptée pour la télévision par Arte.
Musées
Divers musées ou lieux de mémoire sont dédiés à Charles de Gaulle :
- En 1972, est inauguré sur les hauteurs de Colombey-les-Deux-Églises le mémorial Général de Gaulle, signalé par une grande croix de Lorraine en granite. Le nouveau mémorial Charles-de-Gaulle, lancé le 9 novembre 2006 par Jacques Chirac et inauguré le 11 octobre 2008 par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, retrace au travers de Charles de Gaulles les grands événements historiques du XXe siècle.
- La maison natale de Charles de Gaulle, située à Lille. Il s’agit de la maison des grands-parents maternels de Charles de Gaulles qui y naquit en 1890. Devenue monument historique le 15 juin 1989 puis classée le 22 novembre 1990, la maison-musée commémore la vie personnelle, militaire et politique de Charles de Gaulle.
- La Boisserie, située à Colombey-les-deux-Eglises, ancienne résidence personnelle du général. La maison est devenue un musée en 1980.
- Le musée de l’Ordre de la Libération, hébergé dans l’Hôtel des Invalides. Fondé en 1970, la salle d’honneur est consacrée à Charles de Gaulle, à l’origine de cette récompense.
- L’Historial Charles de Gaulle, lui-aussi hébergé dans l’Hôtel des Invalides. Inauguré le février 2008 par le président Nicolas Sarkozy, l’Historial présente sur 1 500 m² le rôle et l’action de l’homme public, chef de la France libre et Président fondateur de la Cinquième République.
Publications
Charles de Gaulle, qui commence à écrire à l'âge de quinze ans, publie des articles et une nouvelle dans différentes revues entre 1908 et 1910 en utilisant le pseudonyme de Charles de Lugale323. Il est par la suite considéré comme un écrivain de talent324. L'écrivain et journaliste Claude Roy le salue, dans Libération, comme un des « grands écrivains latins de langue française »325.
Dans les années 1920, Pétain, qui souhaite entrer à l'Académie française, fait appel à lui pour la rédaction d'un ouvrage, Histoire du soldat français, qui devait être publié sous le nom du maréchal326. Pétain n'en écrit que la partie sur la Première Guerre mondiale (La Guerre mondiale 1914-1918). À la suite de dissensions entre les deux hommes, le livre n'est jamais publié et de Gaulle reprend ses écrits pour la rédaction de l'essai La France et son armée, sorti en 1938326.
En 1963, Charles de Gaulle fait partie des lauréats potentiels du prix Nobel de littérature327 et ses Mémoires de guerre lui valent d'entrer dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade en 2000. Le troisième tome de ses Mémoires de guerre, Le Salut, 1944-1946, est inscrit au programme du baccalauréat littéraire en 2011 et en 2013324.
Ouvrages, articles et discours
- Une mauvaise rencontre, Imp. de Montligeon, 1906 (saynète écrite à 15 ans).
- « La Congrégation, Hors de France », Revue du collège d'Antoing no 6, 1908.
- La Fille de l’Agha : le secret du Spahi, nouvelle, Journal des voyages et des aventures de terre et de mer no 688 du 6 février 1910, pages 155-156.
- « Carnet de campagne d'un officier français », Revue de Paris no 6, 1920.
- La Discorde chez l'ennemi, Nancy-Paris-Strasbourg, Berger-Levrault, , VIII-143 p.
- « Le Flambeau (1re et 2e parties) », Revue militaire no 69 et 70, 1927.
- La Défaite, question morale, 1927-1928.
- « Philosophie du recrutement », Revue de l'Infanterie no 439, 1929.
- La Condition des cadres dans l'armée, 1930-1931.
- Histoire des troupes du Levant, Imp. nationale 1931 (en collaboration avec le cdt Yvon, le col de Mierry collaborant à la préparation du texte final).
- Le Fil de l'épée, Paris, Berger-Levrault, , XII-171 p.
- « Combats du Temps de paix », Revue de l'Infanterie no 476, 1932.
- « Pour une politique de défense nationale », Revue Bleue no 3, 1933.
- « Le soldat de l'Antiquité », Revue de l'Infanterie, 1933.
- « Forgeons une armée de métiers », Revue des Vivants, 1934.
- Vers l'armée de métier, Berger-Levrault, 1934.
- « Le problème belge », revue Défense nationale, 1936.
- La France et son armée, Paris, Plon, , I-279 p., prix Marcelin Guérin de l'Académie française en 1939
- Discours de guerre, Paris ; Fribourg : LUF (Librairie universelle de France) Egloff, 1944-1945, 3 vol. (Collection Le Cri de la France. Série 2 ; 1 ; 2 ; 3), imprimés à Genève.
- Trois études, Berger-Levrault 1945 (Rôle historique des places fortes ; Mobilisation économique à l'étranger ; Comment faire une armée de métier) suivi par le Mémorandum du .
- Mémoires de guerre :
- Volume I - L'Appel, 1940-1942, Plon, 1954,
- Volume II - L'Unité, 1942-1944, Plon, 1956,
- Volume III - Le Salut, 1944-1946, Plon, 1959.
- Mémoires d'espoir :
- Volume I - Le Renouveau, 1958-1962, Plon, 1970,
- Volume II - L'Effort, 1962…, Plon, 1971.
- Discours et Messages :
- Volume I - Pendant la Guerre, 1940-1946, Plon, 1970,
- Volume II - Dans l'attente, 1946-1958, Plon, 1970,
- Volume III - Avec le Renouveau, 1958-1962, Plon, 1970,
- Volume IV - Pour l'Effort, 1962-1965, Plon, 1970,
- Volume V - Vers le Terme, 1966-1969, Plon, 1970.
- Lettres, Notes et Carnets :
- Tome 1 - 1905-1918, Plon, 1980,
- Tome 2 - 1919-juin 1940, Plon, 1980,
- Tome 3 - juin 1940-juillet 1941, Plon, 1981,
- Tome 4 - juillet 1941-mai 1943, Plon, 1982,
- Tome 5 - juin 1943-mai 1945, Plon, 1983,
- Tome 6 - mai 1945-juin 1951, Plon, 1984,
- Tome 7 - juin 1951-mai 1958, Plon, 1985,
- Tome 8 - juin 1958-décembre 1960, Plon, 1985,
- Tome 9 - janvier 1961-décembre 1963, Plon, 1986,
- Tome 10 - janvier 1964-juin 1966, Plon, 1986,
- Tome 11 - juillet 1966-avril 1969, Plon, 1987,
- Tome 12 - mai 1969-novembre 1970, Plon, 1988,
- Tome 13 - Compléments de 1924 à 1970, Plon, 1997.
- Textes, allocutions, déclarations et notes. La Documentation française no 216 ().
Discours enregistrés
- Discours historiques 1940-1969 (disque 33 t).
Voir aussi
Bibliographie
Biographies et dictionnaire
- Claire Andrieu (dir.), Philippe Braud (dir.) et Guillaume Piketty (dir.) (coordination : Sophie Masse-Quief), Dictionnaire : de Gaulle, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , XI-1265 p. (ISBN 2-221-10280-0, présentation en ligne [archive]).
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- Jean Lacouture, De Gaulle, vol. 1 : Le Rebelle, 1890-1944, Paris, Éditions du Seuil, , 869 p. (ISBN 2-02-006968-7, présentation en ligne [archive]).
- Jean Lacouture, De Gaulle, vol. 2 : Le Politique, 1944-1959, Paris, Éditions du Seuil, (ISBN 2-02-008994-7, présentation en ligne [archive]).
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Politique et idéologie
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Présidence de la République
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Réédition : Maurice Vaïsse, La Grandeur : politique étrangère du général de Gaulle, Paris, CNRS Éditions, coll. « Biblis : histoire » (no 61), , X-710 p. (ISBN 978-2-271-07875-9).
- Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne, vol. 1 : La Fin d'une époque, mai 1958-juillet 1962, Paris, Fayard, coll. « Les grandes études contemporaines », , 579 p.
- Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne, vol. 2 : Le temps des orphelins, août 1962-avril 1969, Paris, Fayard, coll. « Les grandes études contemporaines », , 766 p.
Réédition : Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne : mai 1958-avril 1969, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 839 p. (ISBN 2-221-04544-0, présentation en ligne [archive]).
- Arnaud Teyssier, De Gaulle, 1969 : l'autre révolution, Perrin, 2019.
Témoignages et souvenirs
- Philippe de Gaulle et Michel Tauriac, De Gaulle, mon père, éditions Plon, 2003-2004, 2 vol. :
- Tome 1, (ISBN 2-266-14330-1) ;
- Tome 2, Paris, Pocket, , 827 p. (ISBN 2-266-14331-X).
- Philippe de Gaulle et Michel Tauriac, Mon père en images, Michel Lafon, 2006 (ouvrage de photos inédites).
- André Malraux, Les Chênes qu'on abat..., Gallimard, 1971 (ISBN 978-2-0702-7811-4).
- Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, 3 tomes, Fayard, 1994-2000.
- Fondation Charles de Gaulle, Avec de Gaulle : témoignages. Tome 2, Le temps du rassemblement, 1946-1958, Paris, Nouveau Monde, 2005, 502 p., 23 cm (ISBN 2-8473-6053-0).
- Lucien Bitterlin, Nous étions tous des terroristes, Paris, éd. Témoignage chrétien, 1983.
- François Flohic, De Gaulle intime : un aide de camp raconte, Archipel, 2010.
- Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, Paris, éd. Fayard/Jeune Afrique, tomes 1 (Tous les soirs avec de Gaulle. 1965-1967, 1997) et 2 (Le Général en mai. 1967-1968, 1998).
- Yves Guéna, De Gaulle, Gründ, collection Histoire sur le vif, 2007, 64 pages (illustrations couleurs, plus de 60 fac-similés) (ISBN 2-7000-1696-3).
- Claude Guy, En écoutant de Gaulle. Journal. 1946-1949, Paris, Grasset, 1996.
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- Élisabeth de Miribel (préf. Pierre Emmanuel), La Liberté souffre violence, Paris, Plon, , 259 p. (ISBN 978-2-259-00831-0, OCLC 9094289).
- Jules Moch, Rencontres avec Charles de Gaulle, Plon, 1971.
- Jean Pierre-Bloch, De Gaulle ou le temps des méprises, Paris, La Table Ronde, 1969.
- Michel Tauriac, Vivre avec de Gaulle, Plon, 2008.
- Alain de Boissieu : Pour combattre avec de Gaulle : souvenirs (1940-1946), Omnibus, 1999 (ISBN 2-2591-9014-6) et Pour servir le Général ; 1946-1970, Plon, 1990 (ISBN 2-2590-2366-5).
- Christian Fouchet, Au service du général de Gaulle Plon, 1971 et Les Lauriers sont coupés Plon, 1973.
- Pierre Louis Blanc, Charles de Gaulle au soir de sa vie, Fayard, 1990 (prix Pierre Lafue).
- Pierre Louis Blanc, Valise diplomatique, Éditions du Rocher, 2004 (grand prix de l'Académie française).
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- Jean Marin, Petit bois pour un grand feu, Fayard, 1994, 572 p328.
Essais, beaux-livres, ouvrages de vulgarisation
- Paul-Marie Coûteaux, Le Génie de la France. Tome I : De Gaulle philosophe, Paris, Jean-Claude Lattès, 323 p., 2002.
- Gérard Dalmaz, De Gaulle à la une, Paris, Hoëbeke, , 124 p. (ISBN 978-2-84230-100-2, OCLC 411954978).
- Alexandre Duval-Stalla, André Malraux - Charles de Gaulle : une histoire, deux légendes, Gallimard, 2008.
- Charles-Louis Foulon, De Gaulle : la passion de la France, 2013, Ouest France, 143 p. (ISBN 9782737360343).
- Max Gallo (avec la participation d’Yves Guéna), De Gaulle, les images d’un Destin, Éditions du Soleil, Fondation Charles de Gaulle.
- Henri-Christian Giraud (dir.), Réplique à l’amiral de Gaulle, Monaco, éd. du Rocher, col. Documents, 2004.
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- Adrien Le Bihan, Le Général et son double : De Gaulle écrivain, Paris, Flammarion/Pluriel, (1re éd. 1996), 280 p. (ISBN 978-2-8185-0069-9).
- Adrien Le Bihan, De Gaulle et la Pologne, 296 pages, Cherche-bruit, 2015 (ISBN 978-2-9537571-2-5).
- François Malye, De Gaulle vu par les Anglais, Calmann-Lévy, 2015, 220 pages.
- Corinne Maier, Le Général de Gaulle à la lumière de Jacques Lacan, L’Harmattan, 2001 (ISBN 2-7475-0297-X).
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- Abdallah Naaman, La Statue ébréchée de Charles de Gaulle, Orizons, 2022, 362 pages.
- Jean-François Revel, Le Style du Général, éd. Complexe, 1988.
- Anne et Pierre Rouanet, Les Trois Derniers Chagrins du général de Gaulle, Paris, Grasset, 1980.
- Odile Rudelle, De Gaulle pour mémoire, Éditions Gallimard, 1991.
- Henri De Wailly, De Gaulle sous le casque, Abbeville 1940, Librairie académique Perrin.
- Bertrand Le Gendre, De Gaulle et Mauriac : le dialogue oublié, Éditions Fayard, 2015 (ISBN 978-2-213-67215-1).
- Gérard Bardy, Charles le catholique : de Gaulle et l'Église, Plon, , 389 p. (ISBN 978-2-259-21257-1 et 2-259-21257-3).
Bandes dessinées
- Jean-Yves Ferri, De Gaulle à la plage (bande dessinée humoristique), Dargaud, coll. « Poisson Pilote », 2007.
- Guy Lehideux, Jean-Marie Cuzin, Yves Guéna, De Gaulle, un destin pour la France (bande dessinée historique), éd. du Signe, 2010.
Filmographie
- Télévision
- 1987 : De Gaulle ou l'éternel défi, documentaire de Jean Labib.
- 1999 : De Gaulle-Churchill : mémoires de guerre, documentaire en deux parties réalisé par Patrick Jeudy329.
- 2001 : L'Ami américain : l'Amérique contre de Gaulle, documentaire réalisé par Patrick Jeudy pour France 3 - La Cinquième330.
- 2005 :
- Ils voulaient tuer de Gaulle de Jean-Teddy Filippe, joué par Olivier Lefevre, TF1331.
- De Gaulle, le retour : 16 mai 1958, de Virginie Linhart et Patrick Rotman, Les Brûlures de l'histoire et France 3.
- 2006 : Le Grand Charles de Bernard Stora, joué par Bernard Farcy, France Télévisions331.
- 2008 : Le Dernier bal de la Quatrième de Jean-Paul Fargier332.
- 2009 :
- Adieu de Gaulle, adieu de Laurent Herbier, joué par Pierre Vernier, inspiré du roman La Fuite à Baden d’Hervé Bentégeat, Canal+, prix 2009 au Festival du film de télévision de Luchon331.
- Mystères d'archives dans l'épisode 2 de la saison 1, Le Général de Gaulle dans Paris libéré, et l'épisode 7 de la saison 2, De Gaulle à Québec.
- 2010 :
- L'Appel du 18 Juin de Félix Olivier, joué par Michel Vuillermoz.
- Je vous ai compris : de Gaulle, 1958-1962 de Serge Moati, joué par Patrick Chesnais, France Télévisions331.
- Ce jour-là, tout a changé : L’Appel du 18 Juin de Félix Olivier, joué par Michel Vuillermoz, France Télévisions, série en trois épisodes331.
- 2011 : De Gaulle : le géant aux pieds d'argile, documentaire réalisé par Patrick Jeudy pour Arte333.
- 2013 : FLB : les années de Gaulle, les années Giscard, documentaire réalisé par Hubert Béasse.
- 2014 :
- De Gaulle 1940-1944, l'homme du destin, documentaire réalisé par Patrick Rotman.
- De Gaulle, le dernier des géants, documentaire réalisé par David Jankowski et produit par Jean-Louis Remilleux pour France Télévisions334,335.
- 2015 : Le jour où... De Gaulle a choisi la guerre, documentaire réalisé par Laurent Portes.
- 2017 :
- De Gaulle et Pompidou, jusqu'à la rupture, documentaire réalisé par Catherine Nay et Antoine Coursat.
- De Gaulle, le dernier roi de France, documentaire réalisé par Patrick Rotman.
- 2018 : ONU : la bataille de De Gaulle, 1944-1945, documentaire réalisé par Philippe Saada.
- 2019 : De Gaulle, premières batailles, documentaire réalisé par Serge Tignères.
- 2020 :
- De Gaulle, l'homme à abattre documentaire réalisé par Emmanuel Amara.
- Ils détestaient de Gaulle, documentaire réalisé par Patrick Jeudy336 pour Histoire TV et Les Bons Clients.
- De Gaulle, l’éclat et le secret, de Jacques Santamaria et Patrice Duhamel, joué par Samuel Labarthe, France 2, mini-série de six épisodes331.
- L'Artiste de Gaulle, documentaire réalisé par Jérôme Bermyn et Raphaelle Baillot.
- De Gaulle bâtisseur, documentaire réalisé par Camille Juza.
- 26 jours pour tuer de Gaulle, documentaire réalisé par Cédric Gruat.
- 2021 : 1940-1944 : de Gaulle seul contre tous, documentaire réalisé par Laurent Huberson et Virginie Kahn.
- Cinéma
- 1969 : L'Armée des ombres, joué par Adrien Cayla-Legrand.
- 1973 : Chacal, joué par Adrien Cayla-Legrand.
- 2020 : De Gaulle, joué par Lambert Wilson337.
Articles connexes
- Fondation Charles-de-Gaulle
- Fondation Anne-de-Gaulle
- Famille de Gaulle
- Philippe de Gaulle, son fils
- Charles de Gaulle (1948-), un petit-fils de Charles de Gaulle qui porte le même prénom.
- Gaullisme
- Parlementarisme rationalisé
- Gouvernement Charles de Gaulle : premier (1944-1945), deuxième (1945-1947), troisième (1958-1959).
- Discours et allocutions : appel du 18 Juin, discours de Bayeux, discours de Phnom Penh, discours de Montréal
- Colombey-les-Deux-Églises
- Maison natale de Charles de Gaulle à Lille
- Conférence de Brazzaville
- Charles de Gaulle (philatélie)
- Place Charles-de-Gaulle à Paris
- Musée de l'Armée (Paris) incluant l'Historial Charles de Gaulle
- Aéroport Paris-Charles-de-Gaulle
- Porte-avions Charles de Gaulle
- Union française
- Monument de Charles de Gaulle à Varsovie
- Catégorie:Acteur ayant incarné Charles de Gaulle
Liens externes
- Fondation Charles-de-Gaulle [archive].
- Cercle d'Études Charles de Gaulle [archive].
- Les papiers de la présidence de la République sous le Général de Gaulle sont conservées aux Archives nationales sous la cote AG/5(1) [archive].
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Notes et références
Notes
- Date à laquelle le comité national français et le commandement civil et militaire d'Alger ont fusionné.
- Prononciation en français standardisé de France retranscrite selon la norme API.
- Jean-Baptiste de Gaulle (1720-1807), procureur au parlement de Paris8. Cette charge n'était pas anoblissante et, contrairement à ce qu'on peut lire9, la famille de Gaulle n'appartenait pas à la noblesse de robe10.
- Enfant en vacances l'été sur les plages du Nord, premier amour mort à Lille sous les bombes lors de la première guerre mondiale, épouse d'origine calaisienne, vacances familiales à Wissant, dix-huit voyages et visites officielles et privées dans la région entre 1944 (discours à Lille le 1er octobre 1944) et 1958, voyage annuel à Calais entre 1947 et 1952, recueil sur les tombes familiales à Coulogne où à partir de 1951, les De Gaulle possèdent une petite ferme, amitié avec le sénateur Jules Houcke, collection de lampes offertes par les mineurs de la région conservées à Colombey, discours au temps du RPF à Marcq-en-Barœul en 1947, Hénin Beaumont, Hazebrouck en 1950, etc.17.
- De Gaulle affirma ainsi : « J'ai toujours pensé que je serai un jour à la tête de l'État. Oui, il m'a toujours semblé que ça allait de soi. À quarante ans, ma certitude était la même qu'à quinze ans. ».
- Promotion de Fès dont le major fut Alphonse Juin.
- Sous la Ve République, des anti-gaullistes remettent en cause les citations élogieuses relatives aux combats de Douaumont. Pour ce faire, ils tirent parti de divergences mineures existant entre les versions de la capture du capitaine de Gaulle ainsi que de témoignages tardifs, imprécis ou de seconde main28, comme celui d'un officier allemand31 et d'un ancien poilu32,33, entre autres témoignages et citations non concordantes34.
- Considéré par Philippe de Gaulle comme l'un des rares amis de son père, Nachin présentera de Gaulle à Émile Mayer et éditera, dans la collection « Classiques de l'art militaire » qu'il fonde aux éditions Berger-Levrault en 1932, les premiers ouvrages du général, dont il soutient les théories sur l'armée motorisée et les divisions blindées autonomes.
- Max Gallo40 et François Kersaudy41 mentionnent le camp de Würzburg. Paul-Marie de La Gorce42 et Jean Lacouture43 mentionnent celui de Wülzburg.
- Guderian déclare ainsi à Jacques Benoist-Méchin en 1941 : « Lorsque a paru le livre du général de Gaulle en 1934, nous étions déjà engagés dans cette voie depuis 1932. Sa lecture nous a vivement intéressés, mais elle ne nous a rien appris. Tout au plus nous a-t-elle encouragés à persévérer dans nos efforts. D'ailleurs, l'idée était dans l'air. Après Fuller et Estienne, tout chef militaire lucide devait y venir. L'étonnant n'est pas que de Gaulle y ait songé, mais qu'il ait été, semble-t-il, le seul en France à le faire, et que ses idées y aient été si mal accueillies. »58.
- En 1924, Charles de Gaulle dédicaça La Discorde chez l'ennemi à Maurras en lui témoignant ses « respectueux hommages »67. En 1940, la nomination de Charles de Gaulle au grade de général provoqua la jubilation de Charles Maurras dans L'Action française en .
- Claude Mauriac, chef de son secrétariat particulier à la Libération a révélé l'attention portée par de Gaulle au sort du théoricien du nationalisme intégral ; il intervient ainsi pour que Maurras ne passe pas devant la cour de justice de Lyon en , mais devant la Haute Cour, réputée plus indulgente. Mais Charles Maurras en voudra toujours à de Gaulle d'avoir rompu avec Pétain.
- De Gaulle écrit : « L'impérieuse subordination des intérêts particuliers à ceux de l'État, la discipline exigée et obtenue de tous, la coordination imposée aux divers départements par l'action personnelle du Duce, enfin cette sorte d'exaltation latente entretenue dans le peuple par le fascisme pour tout ce qui concerne la grandeur de la partie, favorisent à l'extrême les mesures de défense nationale. »
- Dans son ouvrage Le Fil de l'épée, Charles de Gaulle décrit ainsi l'homme d'action : « L'homme d'action ne se conçoit guère sans une forte dose d'égoïsme, d'orgueil, de dureté, de ruse. »
- De Gaulle n'hésite pas à flatter celui qui jouera un rôle décisif dans son entrée en politique ; il lui écrira ainsi le : « Je suis parfaitement convaincu que le jour n'est pas loin où il faudra bien que le pays se tourne vers vous et vous prie de le diriger dans les voies qui sont les vôtres. »
- « Alors, au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute militaire, au récit de cette insolence militaire de l'adversaire, je me sens soulevé d'une fureur sans bornes. Ah ! C'est trop bête ! La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu'elle continue. Il y a, pour cela, de l'espace dans le monde. Si je vis, je me battrai, où qu'il faudra, tant qu'il faudra, jusqu'à ce que l'ennemi soit défait et lavée la tache nationale. Ce que j'ai pu faire, par la suite, c'est ce jour-là [16 mai] que je l'ai résolu. »90.
- Charles Maurras, qui qualifie de Gaulle de « pénétrant philosophe militaire », affirme : « Sa thèse nous paraissait suffisamment contraire à la bêtise démocratique pour ne pas ajouter à ces tares intrinsèques, la tare intrinsèque de notre appui. Mieux valait ne pas compromettre quelqu'un que, déjà, ses idées compromettaient toutes seules. »
- Ce conseil de guerre est réuni à Toulouse ; il comprend les généraux Boris, Philippe, de Charry, Sivot, Lafontaine et Loubard121.
- Ces deux condamnations seront annulées, respectivement par la cour d'appel de Toulouse et celle de Riom, après la Libération121.
- Le général de Gaulle ne retiendra que le nom de Thierry d'Argenlieu dans ses Mémoires. Le texte exact de L'Appel de De Gaulle est : « Le , j'obtins que plusieurs de nos aviateurs prissent part à un bombardement de la Ruhr et fis publier que les Français libres avaient repris le combat. Entre-temps, tous nos éléments, suivant l'idée émise par d'Argenlieu, adoptèrent comme insigne la Croix de Lorraine. »124.
- (voir supra).
- À l'époque, la Communauté européenne ne comprend que six pays au sein de laquelle la France, malgré la décolonisation et la guerre d'Algérie, est la plus puissante.
- « Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l'Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n'auraient pas beaucoup servi l'Europe s'ils avaient été des apatrides et s'ils avaient pensé, écrit en quelque « esperanto » ou volapük intégrés. »177.
- Alors conseiller à la sécurité nationale, futur secrétaire d’État (de 1973 à 1977), principal négociateur américain pour la fin de la guerre du Viêt Nam.
- Winston Churchill et Dwight Eisenhower l'avaient précédé plusieurs années auparavant, l'un officieusement lors de ses nombreuses escapades en Espagne, l'autre officiellement.
- La rupture d'anévrisme est une complication fréquente du syndrome de Marfan, maladie dont aurait pu être affecté de Gaulle et qui expliquerait sa grande taille204.
- Le ministre des Finances, Valéry Giscard d'Estaing, s’y rend tout de même en argumentant que ce n'est pas en ministre qu’il vient, mais en simple Français. Tous les autres officiels, le président Nixon compris, assistent au même moment à une simple messe en l'honneur du Général à Notre-Dame de Paris.
- Ce qui incluait Jacques Chaban-Delmas et André Malraux.
Références
- « «Babar», «tonton», «sphynx»… Ces curieux surnoms des hommes politiques » [archive], sur lefigaro.fr, (consulté le ).
- Registre d'état civil de Lille (1890), Archives municipales de Lille. [archive]
- Charles de Gaulle de 1890 à 1912 : l’enfance d’un chef. [archive]
- D'après le registre paroissial de l'église Saint-André de Lille, cité par Michel Marcq, Charles de Gaulle, Volume 2, La liberté du monde, La Voix du Nord, 1991, page 187.
- Hypothèse reprise par Philippe de Gaulle, Mémoires accessoires 1921-1946, Paris, Plon, 1997 (ISBN 225918586X) et sur cette page. [archive] Cf., également, Michel Sementéry, Les Présidents de la République française et leur famille, éditions Christian, 1982.
- Chérin et d'Hozier, Cabinet des titres ; Régis Valette, Catalogue de la noblesse française subsistante au XXIe siècle ; Seréville et Saint-Simon ; Philippe du Puy de Clinchamps, etc.
- Jean-Louis Beaucarnot, De César à Sarkozy : Petite histoire des noms du pouvoir, éditions J.C. Lattès, 2007.
- cf. notamment, Almanach royal de 1766 et celui de 1789-1790 : liste des Procureurs au Parlement de Paris.
- Par exemple sur cette page [archive].
- Éric Chiaradia, L'Entourage du général de Gaulle : juin 58-avril 69, éditions Publibook, 2011. Sur les charges anoblissantes, lire Philippe du Puy de Clinchamps, La Noblesse, PUF, 1959, réédité en 1996.
- Paul-Marie de La Gorce, De Gaulle entre deux mondes, Fayard, , p. 14.
- Catherine Legrand, Bruno Larebière, Charles de Gaulle, Éditions Chronique, 1997, p. 1923.
- Cette Marie Nicot, que des biographes du général de Gaulle ont présenté comme une descendante de Jean Nicot (Cf. cette page. [archive])
- La généalogie du général de Gaulle sur le site de la Fondation Charles de Gaulle [archive].
- François Flohic, Souvenirs d’Outre-Gaulle, Paris, Plon, 1979, p. 208 (citant Richard Hayes, Biographical Dictionary of Irishmen in France, Dublin, Gill, 1949, p. 163) :
« Il n’y avait rien de surprenant à ce que de Gaulle connût aussi bien l’histoire de l’Irlande. Par sa grand-mère maternelle, Joséphine Anne Marie Maillot, Charles de Gaulle descendait de ce clan MacCartan, originaire du district de Kinclarty dans le comté de Down, dont un cadet — Anthony MacCartan — par fidélité à la cause jacobite, avait débarqué de son Irlande natale pour prendre du service dans la Brigade irlandaise du roi de France et faire souche dans le Nord à l’orée du XVIIIe siècle. Parfois il y a confusion entre Kinclarty dans l'Irlande du Nord et Killarney, au sud-ouest. »
- de Gaulle et Tauriac 2003-2004, p. À préciser.
- Michel Marcq, « De Gaulle dans le Nord rêve de changer les rapports sociaux », dans Cent ans de vie dans la région, tome 3 : 1939-1958, La Voix du Nord éditions, hors série du , p. 26-27.
- Simon Epstein, Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Albin Michel. Histoire », , 622 p. (ISBN 978-2-226-17915-9), p. 419-420.
- Philippe Foro, « Charles de Gaulle et François Mitterrand : regards croisés sur l'Allemagne à partir de leur expérience de la captivité », dans Sylvie Caucanas, Rémy Cazals, Pascal Payen (dir.), Les Prisonniers de guerre dans l'Histoire. Contacts entre peuples et cultures, Privat, Toulouse, 2003, p. 280.
- Charles de Gaulle, Lettres, Notes et Carnets, 1905-1918, éd. Plon, 1980, p. 7 et 8.
- Claude Guy, En écoutant de Gaulle. Journal. 1946-1949, Paris, Grasset, 1996, p. 71.
- Études [archive] à Paris
- Charles de Gaulle fait partie de la promotion Fès 1909-1912, de l'École militaire des officiers de Saint-Cyr. À cette époque, les jeunes Saint-Cyriens effectuaient une première année probatoire de service militaire dans la troupe, avant d'être intégrés définitivement à l'École de Saint-Cyr. Il est affecté en 1909, pendant un an au 33° régiment d'infanterie d'Arras, avant d'être intégré définitivement à Saint-Cyr.
- Mis à la retraite d'office par mesure de discipline avec le grade de colonel.
- Charles de Gaulle pendant la Grande Guerre [archive].
- Philippe Foro, « Charles de Gaulle et François Mitterrand : regards croisés sur l'Allemagne à partir de leur expérience de la captivité », dans : Sylvie Caucanas/Rémy Cazals/Pascal Payen (dir.), Les prisonniers de guerre dans l'Histoire. Contacts entre peuples et cultures, Privat, Toulouse, 2003, p. 279.
- Duval-Stalla 2008, p. 54.
- Neau-Dufour 2013.
- Fiche de la Croix-Rouge [archive]
- Ordre no 20645, extrait :
« M. De Gaulle, Charles André, Joseph, Capitaine commandant la 10e Compagnie du 33e Régiment d’Infanterie, a été nommé dans l'ordre de la Légion d'Honneur au grade de chevalier.
« À DOUAUMONT le sous un effroyable bombardement, alors que l'ennemi avait percé la ligne et attaquait sa compagnie de toute part, a organisé après un corps à corps farouche, un îlot de résistance où tous se battirent jusqu'à ce que fussent dépensées les munitions, fracassés les fusils et tombés les défenseurs désarmés ; bien que très grièvement blessé d'un coup de baïonnette, a continué à être l'âme de la défense jusqu'à ce qu'il tombât inanimé sous l'action des gaz.
La présente nomination comporte l'attribution de la CROIX DE GUERRE avec PALME.
Le maréchal de France, commandant les armées de l'Est,
PÉTAIN » » - « Grande Guerre : la mystérieuse capture de Charles de Gaulle à Verdun » [archive], sur france24.com, (consulté le )
- « Samson Delpech soldat du 33Ri témoigne », Sud Ouest, , p. 5
- « Samson Delpech témoigne », Sud-Ouest, , p. 4
- « De Gaulle à Douaumont en 1916 : l'enfance d'un lâche ? » [archive], sur centenaire.org (consulté le )
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« Dès le début, il m'a paru nécessaire de différencier de façon apparente, les bâtiments de guerre de la France libre et ceux restés fidèles au gouvernement du Maréchal Pétain.
Un de mes premiers ordres — du , si j'ai bonne mémoire — précisa que les bâtiments des Forces Navales Françaises libres porteraient à la poupe les couleurs nationales françaises et à la proue un pavillon carré bleu, orné d'une Croix de Lorraine rouge. Et ce fût (sic) l'origine de l'insigne du Mouvement de la France libre.
Pourquoi j'ai choisi la Croix de Lorraine ? Parce qu'il fallait un emblème en opposition à la Croix Gammée et parce que j'ai voulu penser à mon père qui était Lorrain. » - « Voix et relais de la France libre: les comités de la France libre à l'étranger » [archive] sur le site de la Fondation de la France libre [archive].
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Louis XIV
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Pour les autres significations, voir Louis XIV (homonymie) et Louis le Grand.
Louis XIV, dit « le Grand » ou « le Roi-Soleil », né le au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye et mort le à Versailles, est un roi de France et de Navarre. Son règne s'étend du — sous la régence de sa mère Anne d'Autriche jusqu'au — à sa mort en . Son règne d’une durée de 72 ans est l'un des plus longs de l'histoire d'Europe et le plus long de l'histoire de France.
Né Louis, surnommé Dieudonné, il monte sur le trône de France au décès de son père, Louis XIII, quelques mois avant son cinquième anniversaire, ce qui fait de lui l'un des plus jeunes rois de France. Il devient ainsi le 64e roi de France, le 44e roi de Navarre et le troisième roi de France issu de la dynastie des Bourbons.
S'il n'aime guère que son principal ministre d'État, Colbert, fasse référence à Richelieu, ministre de Louis XIII et partisan intransigeant de l'autorité royale, il s'inscrit néanmoins dans son projet de construction séculaire d'un absolutisme de droit divin. Usuellement, son règne est divisé en trois parties : la période de sa minorité, troublée par la Fronde, de à , durant laquelle sa mère et le cardinal Mazarin gouvernent ; la période allant de la mort de Mazarin, en , au début des années 1680, pendant laquelle le roi gouverne en arbitrant entre les grands ministres ; la période allant du début des années à sa mort, où le roi gouverne de plus en plus seul, notamment après la mort de Colbert, en , puis de Louvois, en . Cette période est aussi marquée par un retour du roi à la religion, notamment sous l'influence de sa seconde épouse, Madame de Maintenon. Son règne voit la fin des grandes révoltes nobiliaires, parlementaires, protestantes et paysannes qui avaient marqué les décennies précédentes. Le monarque impose l'obéissance à tous les ordres et contrôle les courants d'opinion (y compris littéraires ou religieux) de façon plus prudente que Richelieu.
La France est, pendant son règne, le pays le plus peuplé d'Europe, ce qui lui confère une certaine puissance d'autant que, jusque dans les années 1670, l'économie se porte bien grâce notamment au dynamisme économique du pays et à des finances publiques en ordre. Par la diplomatie et la guerre, Louis XIV affirme sa puissance en particulier contre la maison de Habsbourg, dont les possessions encerclent la France. Sa politique du « pré carré » cherche à agrandir et rationaliser les frontières du pays, protégées par la « ceinture de fer » de Vauban, qui fortifie les villes conquises. Cette action lui permet de donner à la France des frontières approchant celles de l'ère contemporaine, avec l'annexion du Roussillon, de la Franche-Comté, de Lille, de l'Alsace et de Strasbourg. Toutefois, les guerres pèsent sur les finances publiques et Louis XIV s'attire la méfiance des autres pays européens, qui s'allient souvent à la fin de son règne pour contrer sa puissance. C'est aussi le moment où, après la Glorieuse Révolution, l'Angleterre commence à affirmer sa puissance, notamment maritime et économique, sous le règne d'un adversaire déterminé de Louis XIV, Guillaume d'Orange.
D'un point de vue religieux, le XVIIe siècle est complexe et ne se limite pas à l'opposition entre catholiques et protestants. Parmi les catholiques, la question de la grâce suscite une forte opposition entre les jésuites et les jansénistes. Louis XIV doit trancher entre les divers courants de pensée religieuse en tenant compte non seulement de ses propres convictions, mais aussi de considérations politiques. Ainsi, s'il fait condamner les jansénistes, c'est aussi parce qu'il se méfie de leur anti-absolutisme. Concernant les protestants, si la révocation de l'édit de Nantes en est généralement bien accueillie en France, les réactions en Europe et à Rome sont plus défavorables. Les relations avec les papes sont en général mauvaises, particulièrement avec Innocent XI. En effet, le roi entend préserver son indépendance et celle de son clergé face à Rome, ce qui ne l'empêche pas de se méfier des gallicans, souvent imprégnés par le jansénisme. À la fin du règne, la querelle du quiétisme entraîne également des tensions avec Rome.
À partir de , Louis XIV dirige son royaume depuis le vaste château de Versailles, dont il a supervisé la construction et dont le style architectural a inspiré d'autres châteaux européens. Sa cour soumet la noblesse, étroitement surveillée, à une étiquette très élaborée. Le prestige culturel s'y affirme grâce au mécénat royal en faveur d'artistes tels que Molière, Racine, Boileau, Lully, Le Brun et Le Nôtre, ce qui favorise l'apogée du classicisme français, qualifié, dès son vivant, de « Grand Siècle », voire de « siècle de Louis XIV ».
Sa fin de règne, difficile, est marquée par l'exode des protestants persécutés, par des revers militaires, par les famines de et de , qui font près de deux millions de morts, par la révolte des Camisards et par les nombreux décès de ses héritiers royaux. Tous ses enfants et petits-enfants dynastes sont morts avant lui, et son successeur, son arrière-petit-fils Louis XV, n'a que 5 ans lorsqu'il meurt. Pourtant, même après la régence assez libérale de Philippe d'Orléans, l'absolutisme perdure, attestant ainsi de la solidité du régime construit.
Après la disparition de Louis XIV, Voltaire s'inspire en partie de lui pour élaborer le concept de despotisme éclairé. Au XIXe siècle, Jules Michelet lui est hostile et insiste sur le côté sombre de son règne (dragonnades, galères, disettes, etc.). Ernest Lavisse sera plus modéré, même si ses manuels scolaires insistent sur le despotisme du roi, et sur certaines décisions tyranniques. Dans la seconde moitié du XXe siècle, Marc Fumaroli considère Louis XIV comme le « saint patron » de la politique culturelle de la Cinquième République en France. Michel de Grèce pointe ses insuffisances, tandis que François Bluche et Jean-Christian Petitfils le réhabilitent.
Enfance, santé et éducation
Naissance de Louis-Dieudonné
Fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche, Louis est le fruit de l'union des deux dynasties les plus puissantes de ce temps : la maison capétienne de Bourbon et la maison de Habsbourg2.
Au traditionnel titre de Dauphin de Viennois est ajouté à sa naissance celui de Premier fils de France. Intervenue après presque vingt-trois ans de mariage stérile ponctués de plusieurs fausses couches, la naissance inattendue de l'héritier du trône est considérée comme un don du ciel, ce qui lui vaut d'être aussi prénommé Louis-Dieudonné3,n 1 (et non pas -Désiré). Si certains historiens ont avancé que le véritable père est Mazarin, cette hypothèse a été infirmée par un examen ADN4,5. Si l'historien Jean-Christian Petitfils propose la date du 23 ou du , semaine où le couple royal séjournait à Saint-Germain, comme date de la « conception du dauphin »6, d'autres auteurs affirment que le dauphin a été conçu le , dans le palais du Louvren 2 (le tombe d'ailleurs pile neuf mois avant sa naissance, le )7,8.
Pour le roi Louis XIII comme pour la reine (et plus tard leur fils lui-même), cette naissance tant attendue est le fruit de l'intercession faite par le frère Fiacre auprès de Notre-Dame de Grâces auprès de laquelle le religieux réalise trois neuvaines de prières afin d'obtenir « un héritier pour la couronne de France ». Les neuvaines sont dites, par le frère Fiacre du au 9,n 3.
En , la reine prend conscience qu'elle est à nouveau enceinte. Le , le roi et la reine reçoivent officiellement le frère Fiacre pour s'entretenir avec lui sur les visions qu'il dit avoir eu de la Vierge Marie10 et de la promesse mariale d'un héritier pour la couronne. À l'issue de l'entretien, le roi missionne officiellement le religieux pour aller à l'église Notre-Dame-de-Grâces de Cotignac, en son nom, faire une neuvaine de messes pour la bonne naissance du dauphin9,11,12,n 4.
Le , en remerciement à la Vierge pour cet enfant à naître, le roi signe le Vœu de Louis XIII, consacrant le royaume de France à la Vierge Marie, et faisant du un jour férié dans tout le royaume13. En 1644, la reine faisant venir auprès d'elle le frère Fiacre lui dira : « Je n'ai pas perdu de vue la grâce signalée que vous m'avez obtenue de la Sainte Vierge, qui m'a obtenu un fils ». Et à cette occasion, elle lui confie une mission personnelle : porter un présent (à la Vierge Marie) dans le sanctuaire de Cotignac, en remerciement de la naissance de son fils13,9. En 1660, Louis XIV et sa mère se rendront en personne à Cotignac pour y prier et remercier la Vierge14, puis en 1661 et 1667, le roi fera porter des présents à l'église de Cotignac, par le frère Fiacre, en son nom15,n 5. À l'occasion de son passage en Provence (en 1660), le roi et sa mère se rendent en pèlerinage à la grotte de la Sainte-Baume, sur les pas de sainte Marie-Madeleine16.
La naissance de Louisn 6, le 17, est suivie deux ans plus tard par celle de Philippe. La naissance tant espérée d'un dauphin écarte du trône le comploteur impénitent qu'était Gaston d'Orléans, le frère du roi.
Éducation
En plus de ses fonctions ministérielles, Mazarin, parrain de Louis XIV (choisi comme tel par Louis XIII à la mort de Richelieu, le 18), se voit attribuer par la reine, en , la responsabilité de l'éducation du jeune monarque et celle de son frère le duc Philippe d'Orléans (dit « le Petit Monsieur »). L'usage est que les princes élevés par des gouvernantes « passent aux hommes » à l'âge de 7 ans (l'âge de raison à l'époque), pour être confiés aux soins d'un gouverneur assisté d'un sous-gouverneur19. Mazarin devient donc « surintendant au gouvernement et à la conduite de la personne du roi ainsi que de celle de M. le duc d'Anjou », et confie la tâche de gouverneur au maréchal de Villeroy. Le roi et son frère vont souvent à l'hôtel de Villeroy, non loin du Palais-Royal. C'est alors que Louis XIV se lie d'une amitié à vie avec le fils du maréchal, François de Villeroy. Le roi a eu différents précepteurs, notamment l'abbé Péréfixe de Beaumont en et François de La Mothe Le Vayer. À partir de , son meilleur éducateur est sans doute Pierre de La Porte, son premier valet de chambre et celui qui lui fait lecture de récits historiques20. Malgré leurs efforts pour lui prodiguer des cours de latin, d'histoire, de mathématiques, d'italien et de dessin, Louis n'est pas un élève très travailleur. Par contre, suivant l'exemple du grand collectionneur d'art qu'est Mazarin, il se montre très sensible à la peinture, à l'architecture, à la musique et surtout à la danse qui est, à l'époque, une composante essentielle de l'éducation d'un gentilhomme21. Le jeune roi apprend aussi à jouer de la guitare auprès de Francesco Corbetta22.
Louis aurait bénéficié également d'une éducation sexuelle particulière, sa mère ayant demandé à la baronne de Beauvais, surnommée « Cateau la Borgnesse », de le « déniaiser » à sa majorité sexuellen 7.
« Miraculé »
Dans son enfance, Louis XIV échappe à plusieurs reprises à la mort. À 5 ans, il manque de se noyer dans un des bassins du jardin du Palais-Royal. Il est sauvé in extremis. À 9 ans, le , il est atteint de la variole23. Dix jours plus tard, les médecins n'ont plus aucun espoir, mais le jeune Louis se remet « miraculeusement ». À 15 ans, il a une tumeur au sein23. À 17 ans, il souffre de blennoragie23.
L'alerte la plus sérieuse pour le Royaume a lieu le : le roi, à 19 ans, est victime d'une grave intoxication alimentaire (à cause de l'infection des eaux) et de fièvre typhoïde23, diagnostiquée comme un typhus exanthématique, lors de la prise de Bergues dans le Nord. Le , il reçoit les derniers sacrements et la cour commence à préparer la succession. Mais François Guénaut, le médecin d'Anne d'Autriche, lui donne un émétique à base d'antimoine et de vin, qui guérit encore une fois « miraculeusement » le roi. Selon son secrétaire Toussaint Rose, c'est à cette occasion qu'il perd une bonne partie de ses cheveux et se met à porter temporairementn 8 la « perruque à fenêtre », dont les ouvertures laissent passer les quelques mèches qui lui restent25.
Régence d'Anne d'Autriche (1643-1661)
Cassation du testament de Louis XIII
À la mort de son père, Louis-Dieudonné, qui a 4 ans et demi, devient roi sous le nom de Louis XIVn 9. Son père Louis XIII, qui se méfie d'Anne d'Autriche et de son frère le duc d'Orléans — notamment pour avoir participé à des complots contre Richelieu — établit un conseil de régence comprenant, en sus des deux personnes citées, des fidèles de Richelieu, dont Mazarin. Le texte y afférent est enregistré le par le Parlement mais, dès le , Anne d'Autriche se rend avec son fils au Parlement, pour faire casser cette disposition et se faire confier « l'administration, libre, absolue et entière du royaume pendant sa minorité »26, en bref la régence pleine et entière. Elle maintient contre toute attente le cardinal Mazarin en qualité de Premier ministre, en dépit de la désapprobation des cercles politiques français de l'époque, dont beaucoup n'apprécient pas qu'un Italien, fidèle de Richelieu, dirige la France27.
La Régente quitte alors les appartements incommodes du Louvre et s'installe au Palais-Cardinal, légué par Richelieu à Louis XIII, pour profiter du jardin où peuvent jouer le jeune Louis XIV et son frère. Le Palais-Cardinal devient alors le Palais-Royal, où des gouvernantes abandonnent le jeune Louis à leurs femmes de chambre qui cèdent à tous ses caprices, ce qui fera naître la légende, colportée par les Mémoires de Saint-Simon, d'une éducation négligée28.
Épreuve de la Fronde
En 1648, commence une période de forte contestation de l'autorité royale par les parlements et la noblesse, qu'on appelle la Fronde. Un épisode qui marque durablement le monarque. En réaction à ces événements, il s'applique à continuer le travail commencé par Richelieu, qui consiste à affaiblir les membres de la noblesse d'épée en les obligeant à servir comme membres de sa cour et en transférant la réalité du pouvoir à une administration très centralisée dirigée par la noblesse de robe28. Tout commence quand, en , le Parlement de Paris s'oppose aux impôts que veut lever Mazarin29. La Journée des barricades contraint la régente et le roi à s'installer à Rueil-Malmaison30. Si la cour revient assez vite dans la capitale, les exigences des parlementaires, appuyés par le très populaire coadjuteur de Paris, Jean-François Paul de Gondi, obligent Mazarin à envisager un coup de force. En pleine nuit, au début de l'année , la régente et la cour quittent la capitale dans le but de revenir l'assiéger et la remettre à obéissance. L'affaire se complique quand des personnalités de la haute noblesse apportent leur soutien à la Fronde : le prince de Conti, frère du prince de Condén 10, Beaufort, petit-fils d'Henri IV et quelques autres veulent renverser Mazarin. Après quelques mois de siège conduit par Condé, un accord de paix (paix de Rueil) est trouvé, qui voit le triomphe du Parlement de Paris et la défaite de la cour. Toutefois, il s'agit d'une trêve plutôt que d'une paix31.
En -, un renversement d'alliance intervient, Mazarin et la régente se rapprochent du Parlement et des chefs des Grands de la première Fronde et font enfermer Condé, leur ancien allié, et le prince de Conti32. Le , le roi fait sa première communion en l'église Saint-Eustache et entre, alors qu'il n'a que douze ans, au conseil, en 1650. À partir de , se développe la révolte princière, qui oblige Mazarin et la cour à se déplacer en province pour mener des expéditions militaires33. En , Gondi et Beaufort, chefs des Grands de la première Fronde, s'allient au Parlement pour renverser Mazarin, qu'une émeute oblige à s'exiler le . La reine et le jeune Louis essaient de s'enfuir de la capitale mais, alarmés, les Parisiens envahissent le Palais-Royal où loge le roi, désormais prisonnier de la Fronde. Le coadjuteur et le duc d'Orléans vont alors faire subir au roi une humiliation qu'il n'oubliera jamais : en pleine nuit, ils confient au capitaine des Gardes suisses du duc de vérifier de visu qu'il est bien là34.
Le , un lit de justice déclare la majorité du roi (la majorité royale est à treize ans). Tous les Grands du royaume viennent lui rendre hommage, sauf Condé qui, de Guyenne, lève une armée pour marcher sur Paris35. Le , pour éviter d'être à nouveau prisonnière dans Paris, la cour quitte la capitale pour Fontainebleau, puis Bourges, où sont stationnés les quatre mille hommes du maréchal d'Estrée35. Commence alors une guerre civile qui « va contribuer à clarifier les choses »35. Le , Louis XIV autorise Mazarin à revenir en France ; en réaction, le Parlement de Paris, qui a banni le cardinal, met sa tête à prix pour 150 000 livres36.
Début , trois camps se font face : la cour, libérée de la tutelle instaurée par le Parlement en , le Parlement et enfin Condé et les Grands37. Condé va dominer Paris durant la première partie de l'année , en s'appuyant notamment sur le peuple qu'il manipule en partie. Mais il perd des positions en province, tandis que Paris, qui supporte de moins en moins sa tyrannie, le contraint à quitter la ville le avec ses troupes38. Le , Anne d'Autriche et son fils Louis XIV, accompagnés du roi déchu Charles II d'Angleterre, rentrent dans la capitale. L'absolutisme de droit divin commence à se mettre en place. Une lettre que le roi adresse au Parlement permet d'en percevoir la substance :
« Toute autorité Nous appartient. Nous la tenons de Dieu seul sans qu'aucune personne, de quelque condition qu'elle soit, puisse y prétendre […] Les fonctions de justice, des armes, des finances doivent toujours être séparées ; les officiers du Parlement n'ont d'autre pouvoir que celui que Nous avons daigné leur confier pour rendre la justice […] La postérité pourra-t-elle croire que ces officiers ont prétendu présider au gouvernement du royaume, former des conseils et percevoir des impôts, s'arroger enfin la plénitude d'un pouvoir qui n'est due qu'à Nous39 »
Le , Louis XIV, alors âgé de quinze ans, convoque un lit de justice où, rompant avec la tradition, il apparaît en chef militaire avec gardes et tambours. À cette occasion, il proclame une amnistie générale, tout en bannissant de Paris des Grands, des parlementaires ainsi que des serviteurs de la maison de Condé. Quant au Parlement, il lui interdit « de prendre à l'avenir aucune connaissance des affaires de l'État et des finances »40.
Sacre du roi à Reims
Louis XIV est sacré le en la cathédrale de Reims par Simon Legras, évêque de Soissons. Il laisse les affaires politiques à Mazarin, tandis qu'il continue sa formation militaire auprès de Turenne41.
Mariage avec Marie-Thérèse d'Autriche
Le , les Espagnols acceptent de signer le traité des Pyrénées, qui fixe les frontières entre la France et l'Espagne. De son côté, Louis XIV consent, bon gré mal gré, à respecter une des clauses du traité : épouser l'infante Marie-Thérèse d'Autriche, fille de Philippe IV, roi d'Espagne, et d'Élisabeth de France42. Les époux sont doublement cousins germains : la reine mère Anne d'Autriche étant la sœur de Philippe IV et Élisabeth de France la sœur de Louis XIII. Ce mariage a cependant pour but de rapprocher la France de l'Espagne. Il a lieu le en l'église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz43. Louis ne connaît sa femme que depuis trois jours, celle-ci ne parle pas un mot de français, mais le roi « l'honore » fougueusement devant témoins dès la nuit de noces44. Selon d'autres sources, cette nuit de noces, contrairement à l'usage, n'aurait pas eu de témoin45.
Notons qu'à l'occasion de ce mariage, Marie-Thèrèse doit renoncer à ses droits sur le trône d'Espagne et que Philippe IV d'Espagne, en contrepartie, s'engage à verser « 500 000 écus d'or payables en trois versements ». Il est convenu que si ce paiement n'est pas effectué, la renonciation devient caduque46.
Début de la direction du gouvernement (1661-1680)
Prise de pouvoir à la mort de Mazarin
À la mort de Mazarin, le , la première décision de Louis XIV est de supprimer la fonction de ministre principal et de prendre personnellement le contrôle du gouvernement, dès le 47, par un « coup de majesté ».
La situation financière dégradéen 11, dont l'informe Jean-Baptiste Colbert, et le fort mécontentement des provinces contre la pression sont préoccupants. Les causes en sont la guerre ruineuse contre la maison d'Espagne et les cinq années de Fronde, mais aussi l'enrichissement personnel effréné de Mazarin, dont Colbert lui-même a profité, et celui du surintendant Fouquet. Le , jour de ses 23 ans, le roi fait arrêter Fouquet au grand jour, par d'Artagnan. Il supprime, par la même occasion, le poste de surintendant des finances48.
Les raisons de l'incarcération de Nicolas Fouquet sont nombreuses et vont au-delà d'un problème d'enrichissement. Pour comprendre le problème, il convient de noter que Louis XIV, après la mort de Mazarin, n'est pas pris au sérieux et a besoin de s'affirmer49. Or, précisément, Nicolas Fouquet peut être perçu comme une menace politique : il fait fortifier sa possession de Belle-Île-en-Mer, il cherche à se constituer un réseau de fidèles et n'hésite pas à faire pression sur la mère du roi en soudoyant son confesseur49. Il tente même de corrompre l'amie de Louis XIV, Mademoiselle de La Vallière, pour qu'elle le soutienne, ce qui la choque profondément. Par ailleurs, il est proche des dévots, à un moment où le roi n'adhère pas à cette doctrine. Enfin pour Jean-Christian Petitfils, il convient de prendre en compte la jalousie de Colbert vis-à-vis de Fouquet. Le premier nommé, s'il est un ministre de qualité que les historiens radicaux de la Troisième République ont honoré50, est aussi « un homme brutal... d'une froideur glaciale », à qui Madame de Sévigné a donné le sobriquet « Le Nord »49 et, partant, un adversaire redoutable.
Louis XIV crée une chambre de justice pour examiner les comptes des financiers, dont ceux de Fouquet. En , les juges condamnent Fouquet au bannissement, sentence que le roi commue en emprisonnement à vie à Pignerol49. En juillet , les juges renoncent à poursuivre les fermiers et les traitants (financiers participants à la collecte des impôts) amis de Fouquet, moyennant le versement d'une taxe forfaitaire51. Tout cela permet à l'État de récupérer une centaine de millions de livres52.
Méthode de gouvernement
Le roi gouverne avec divers ministres de confiance : la chancellerie est occupée par Pierre Séguier, puis par Michel Le Tellier, la surintendance des finances est entre les mains de Colbert, le secrétariat d'État à la guerre est confié à Michel Le Tellier, puis à son fils le marquis de Louvois, le secrétariat d'État à la maison royale et au clergé passe aux mains de Henri du Plessis-Guénégaud, jusqu'à la destitution de ce dernier.
Le roi a plusieurs maîtresses, dont les plus notables sont Louise de La Vallière et Madame de Montespan. Cette dernière, qui a en commun avec le roi « le goût du faste et de la grandeur »53, le conseille dans le domaine artistique. Elle soutient Jean-Baptiste Lully, Racine et Boileau. Louis XIV, alors dans la quarantaine, semble pris d'une frénésie sensuelle intense et mène une vie sentimentale peu chrétienne54. Les choses changent au début des années , quand, après la mort de Madame de Fontanges, sous l'influence de Madame de Maintenon, le roi se rapproche de la reine puis, après la mort de sa femme, épouse secrètement Madame de Maintenon. L'affaire des poisons contribue également à cette conversion55.
Les jésuites se succèdent au poste de confesseur royal. Il est d'abord occupé de à par le père Annat, un anti-janséniste farouche attaqué par Pascal dans Les Provinciales, puis par le père Ferrier de à 56, auquel succède le père de la Chaize de à 57,58 et enfin par le père Le Telliern 12.
Guerres pendant le règne
Durant cette période, Louis XIV mène deux guerres. D'abord la guerre de Dévolution (-), provoquée par le non-paiement des sommes dues pour le renoncement de la reine au trône d'Espagne, puis la guerre de Hollande (-). La première se conclut par le traité d'Aix-la-Chapelle (1668), par lequel le royaume de France conserve les places fortes occupées ou fortifiées par les armées françaises pendant la campagne de Flandre, ainsi que leurs dépendances : des villes du comté de Hainaut et la forteresse de Charleroi dans le comté de Namur59. En contrepartie, la France rend à l'Espagne la Franche-Comté, territoire qui lui reviendra dix ans plus tard par le traité de Nimègue (), qui conclut la guerre de Hollande60.
Louis XIV pratique une politique répressive forte envers les Bohémiens. Dans la droite ligne du décret du roi de , l'ordonnance du confirme et ordonne que tous les Bohémiens mâles, dans toutes les provinces du royaume où ils vivent, soient condamnés aux galères à perpétuité, leurs femmes rasées et leurs enfants enfermés dans des hospices61. Les nobles qui leur donnaient asile dans leurs châteaux voient leurs fiefs frappés de confiscation62,63. Ces mesures visent aussi à lutter contre le vagabondage transfrontalier et l'utilisation de mercenaires par certains nobles.
Maturité et période de gloire (1680-1710)
Mutations des années
Vers , le roi revient à une vie privée décente, sous l'influence conjuguée de ses confesseurs, de l'affaire des poisons et de Madame de Maintenon55. L'année est marquée par la mort de Colbert, un de ses principaux ministres et l'« agent de cet absolutisme rationnel qui se développe alors, fruit de la révolution intellectuelle de la première moitié du siècle ». La reine Marie-Thérèse meurt la même année, ce qui permet au roi d'épouser secrètement Madame de Maintenon, lors d'une cérémonie intime qui eut lieu vraisemblablement en (les dates de ou ont aussi été avancées)64. En , la dévotion s'installe en force à la cour64, qui a emménagé à Versailles depuis . En , la révocation de l'édit de Nantes, qui octroyait la liberté religieuse aux protestants français, redore le prestige de Louis XIV vis-à-vis des princes catholiques et lui restitue « sa place parmi les grands chefs de la chrétienté »65,n 13.
Montée de l'absolutisme
Pendant trente ans, jusque vers , le roi gouverne en arbitrant entre ses principaux ministres : Colbert, Le Tellier et Louvois. Leur mort (le dernier, Louvois, décède en ) change la donne. Elle permet au roi de répartir le secrétariat d'État à la guerre entre plusieurs mains, ce qui lui permet de s'impliquer davantage dans le gouvernement quotidien. Saint-Simon note que le roi prend alors plaisir « à s'entourer de « fort jeunes gens » ou d'obscurs commis peu expérimentés, afin de mettre en relief ses capacités personnelles »66. À partir de cette date, il devient à la fois chef d'État et de gouvernement66.
Affaires étrangères
La guerre des Réunions qui, entre et , oppose la France et l'Espagne, se termine par la trêve de Ratisbonne, signée pour permettre à l'empereur Léopold Ier de combattre les Ottomans. De à , la guerre de la Ligue d'Augsbourg oppose Louis XIV, alors allié à l'Empire ottoman et aux jacobites irlandais et écossais, à une large coalition européenne, la ligue d'Augsbourg menée par l'Anglo-Néerlandais Guillaume III, l'empereur du Saint-Empire romain germanique Léopold Ier, le roi d'Espagne Charles II, Victor-Amédée II de Savoie et de nombreux princes du Saint-Empire romain germanique. Ce conflit se déroule principalement en Europe continentale et dans les mers voisines. En , l'armée française, menée par Villeroy, procède au bombardement de Bruxelles, opération qui suscite l'indignation des capitales européennes67.
Le conflit n'épargne pas le territoire irlandais, où Guillaume III et Jacques II se disputent le contrôle des îles Britanniques. Enfin, ce conflit donne lieu à la première guerre intercoloniale, opposant les colonies anglaises et françaises et leurs alliés amérindiens en Amérique du Nord. Finalement, la guerre aboutit au traité de Ryswick (1697), par lequel la France reconnaît la légitimité de Guillaume d'Orange au trône anglais. Si le souverain anglais sort renforcé de l'épreuve, la France, surveillée par ses voisins de la ligue d'Augsbourg, n'est plus en mesure de dicter sa loi. Globalement, ce traité est mal accueilli en France68. La guerre de Succession d'Espagne, quant à elle, oppose encore la France à quasiment tous ses voisins, à l'exception de l'Espagne. Elle se conclut par les traités d'Utrecht (1713) et le traité de Rastatt (). Ces traités sont écrits en français, qui devient langue diplomatique, situation qui perdurera jusqu'en .
Dernières années (1711-1714)
La fin du règne est assombrie par la perte, entre et , de presque tous ses héritiers légitimes69 et par une santé déclinante. En 1711, le Grand Dauphin, seul fils légitime survivant, décède de la variole à 49 ans70. En 1712, une épidémie de rougeole prive la famille de l'aîné de ses trois petits-fils. Le nouveau dauphin, l'ex-duc de Bourgogne, meurt à 29 ans avec son épouse et son fils de 5 ans (un premier enfant était déjà mort en bas âge en ). Ne survit qu'un petit garçon de deux ans, Louis, sauvé de l'épidémie (et des médecins71) par sa gouvernante72, mais qui reste affaibli : il est le dernier arrière-petit-fils légitime du roi régnant, d'autant plus isolé qu'en 1714, son oncle, le duc de Berry, le plus jeune des petits-fils du roi, meurt sans héritier, des suites d'une chute de cheval. Pour tenter de faire face à un manque d'héritier légitime, Louis XIV décide de renforcer la maison royale en accordant, par un édit du , le droit de succession, « à défaut de tous les princes de sang royal »73, au duc du Maine et au comte de Toulouse, deux fils bâtards légitimés qu'il avait eus de Madame de Montespan. Cette décision viole les lois fondamentales du Royaume, qui ont toujours écarté du trône les enfants bâtards et se heurte à une forte incompréhension74. Il semble que le roi soit prêt à renier les vieilles lois de succession pour écarter du trône et de la régence son neveu Philippe d'Orléans, son successeur potentiel, qu'il trouve paresseux et débauché75.
Mort du roi et succession
Le , aux alentours de 8 h 15 du matin, le roi meurt d'une ischémie aiguë du membre inférieur, causée par une embolie liée à une arythmie complète, compliquée de gangrène76, à l'âge de 76 ans. Il est entouré de ses courtisans. L'agonie a duré plusieurs jours. Sa mort met un terme à un règne de soixante-douze années et cent jours dont cinquante-quatre années de règne effectif.
Le Parlement de Paris casse son testament dès le 76, ouvrant une ère de retour en force des nobles et des parlementaires. Pour la plupart de ses sujets, le souverain vieillissant est devenu une figure de plus en plus lointaine. Le cortège funéraire est même hué ou raillé sur la route de Saint-Denis. Cependant, de nombreuses cours étrangères, même traditionnellement ennemies de la France, ont conscience de la disparition d'un monarque d'exception ; ainsi Frédéric-Guillaume Ier de Prusse n'a besoin de donner aucune précision de nom lorsqu'il annonce solennellement à son entourage : « Messieurs, le roi est mort »77.
Le corps de Louis XIV est déposé dans le caveau des Bourbons, dans la crypte de la basilique Saint-Denisn 14. Son cercueil est profané le et son corps jeté dans une fosse commune attenante à la basilique, vers le nord78.
Au XIXe siècle, Louis-Philippe Ier commande un monument dans la chapelle commémorative des Bourbons à Saint-Denis, en -. L'architecte François Debret est chargé de concevoir un cénotaphe, en remployant plusieurs sculptures d'origines diverses : un médaillon central représentant un portrait du roi de profil, réalisé par l'atelier du sculpteur Girardon au XVIIe siècle, mais dont l'auteur précis n'est pas connu, entouré de deux figures de Vertus sculptées par Le Sueur et provenant du tombeau de Guillaume du Vair, évêque-comte de Lisieux, et surmonté d'un ange sculpté par Jacques Bousseau au XVIIIe siècle, provenant de l'église de Picpus. De part et d'autre de cet ensemble de sculptures sont placées quatre colonnes en marbre rouge provenant de l'église Saint-Landry, et des bas-reliefs provenant du tombeau de Louis de Cossé à l'église du couvent des Célestins de Paris (les génies funéraires provenant du même tombeau ont été déplacés par Viollet-le-Duc au musée du Louvre)79.
Figure de l'absolutisme à la française
Sous Louis XIV, parfois appelé le Roi-Soleil (appellation tardive qui remonte à la monarchie de Juillet, même si le roi prend cet emblème lors de la fête du Grand Carrousel, le 80), la monarchie devient absolue de droit divin. La légende raconte qu'il aurait alors dit aux parlementaires réticents le célèbre mot « L'État, c'est moi ! », mais le fait est erroné. En réalité, Louis XIV se dissocie de l'État, dont il se définit lui-même comme étant seulement le premier serviteur81,82. D'ailleurs, sur son lit de mort, il déclare en : « Je m'en vais, mais l'État demeurera toujours »83. Pourtant la phrase « l'État, c'est moi » résume l'idée que ses contemporains se sont fait du roi et de ses réformes centralisatrices. D'un point de vue plus philosophique, pour les théoriciens de l'absolutisme du XVIIe siècle français, imprégnés de néoplatonisme, cette formule signifie que l'intérêt du roi n'est pas seulement le sien propre, mais aussi celui du pays qu'il sert et qu'il représente. Bossuet note à ce propos : « le roi n'est pas né pour lui-même, mais pour le public »84.
Pratique de l'absolutisme
Pensée absolutiste
Les Mémoires pour l'instruction du dauphin donnent un aperçu de la pensée de Louis XIV sur l'absolutisme. Le livre n'a pas été écrit directement par le roi. Il a été « pour partie dicté au président Octave de Prérigny puis à Paul Pellisson85 », tandis que pour l'autre partie, le roi a juste indiqué en note ce qu'il voulait voir dans le livre. Si ces Mémoires constituent un ensemble assez disparate « de tableaux militaires et de pensées sans autre fil conducteur que la chronologie86 », il a malgré tout permis de donner à Louis XIV « la figure du roi-écrivain » que Voltaire a reprise et amplifiée, en faisant de Louis XIV un roi-philosophe platonicien précurseur du despotisme éclairé87. Si l'on considère le texte en lui-même, il est fortement imprégné, comme l'est d'ailleurs la société cultivée du Grand Siècle88, de pensée néo-stoïcienne.
Ce livre montre bien l'attrait de Louis XIV pour la concentration du pouvoir. Chez lui, le pouvoir est d'abord synonyme de liberté d'action tant face aux ministres qu'à tout autre corps constitué. La pensée de Louis XIV, proche ici de celle de Richelieu, est résumée par la formule « Quand on a l'État en vue, on travaille pour soi », formule qui s'oppose à la pensée de Thomas Hobbes qui met plus l'accent sur le peuple et la multitude89. Toutefois, chez Louis XIV, la liberté est limitée par des thématiques stoïciennes : la nécessité de résister aux passions, la volonté de se dépasser, l'idée d'« équilibre tranquille (l’euthymia d'un Sénèque90) ». Dans ses Mémoires, Louis XIV note :
« C'est qu'en ces accidents qui nous piquent vivement et jusqu'au fond du cœur, il faut garder un milieu entre la sagesse timide et le ressentiment emporté, tâchant pour ainsi dire, d'imaginer pour nous-même ce que nous conseillons à un autre en pareil cas. Car, quelque effort que nous fassions pour parvenir à ce point de tranquillité, notre propre passion, qui nous presse et nous sollicite au contraire, gagne assez sur nous pour nous empêcher de raisonner avec trop de froideur et d'indifférencen 15. »
Atteindre cet équilibre suppose un combat contre soi-même. Louis XIV remarque, « il faut se garder contre soi-même, prendre garde à son inclinaison et être toujours en garde contre son naturel »n 16. Pour atteindre cette sagesse, il recommande l'introspection : « il est utile […] de se remettre de temps en temps devant les yeux les vérités dont nous sommes persuadés »n 17. Dans le cas du dirigeant, il ne faut pas seulement bien se connaître, il faut également bien connaître les autres : « Cette maxime qui dit que pour être sage il suffit de se bien connaître soi-même, est bonne pour les particuliers ; mais le souverain, pour être habile et bien servi, est obligé de connaître tous ceux qui peuvent être à la portée de la vue »n 18.
Droit divin
Lors du sacre de Reims, le roi « est placé à la tête du corps mystique du royaume » et devient, au terme d'un processus commencé sous Philippe le Bel, le chef de l'Église de France94. Le roi est le lieutenant de Dieu dans son pays et, d'une certaine façon, ne dépend que de lui. Dans son livre Mémoires pour l'instruction du dauphin, il note « Celui qui a donné des rois aux hommes a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à Lui seul le droit d'examiner leur conduite »95. Chez Louis XIV, la relation à Dieu est première, son pouvoir venant directement de Lui. Il n'est pas d'abord humain (de jure humano) comme chez Francisco Suárez et Robert Bellarmin96. Chez le Grand roi, la relation à Dieu ne doit pas être seulement « utilitaire ». Il déclare au dauphin « Gardez-vous bien, mon fils, je vous en conjure, de n'avoir de la religion que cette vue d'intérêt, très mauvaise quand elle est seule, mais qui d'ailleurs ne vous réussirait pas, parce que l'artifice se dément toujours et ne produit pas longtemps les mêmes effets que la vérité »97.
Louis XIV est particulièrement attaché à trois hommes de Dieu : David, Charlemagne et Saint Louis. Il expose le tableau David jouant de la harpe dans son appartement à Versailles. Charlemagne est représenté aux Invalides et à la chapelle royale de Versailles. Enfin, il fait déposer au Château de Versailles des reliques de Saint Louis. Par contre, il n'aime guère être comparé à Constantin Ier (empereur romain) et fait transformer la statue équestre que Le Bernin a réalisée de lui en Constantin, en statue équestre de Louis XIV sous les traits de Marcus Curtius96.
Pratique modérée de l'absolutisme
Contrairement à la vision de Bossuet qui tend à assimiler le roi à Dieu, Louis XIV ne se considère que comme le lieutenant de Dieu pour ce qui concerne la France98. À ce titre, il se voit comme l'égal du pape et de l'empereur. Dieu est pour lui un dieu vengeur, ce n'est pas le Dieu de douceur que commence à promouvoir François de Sales. C'est un Dieu qui, par l'intermédiaire de sa Providence, peut châtier de façon immanente ceux qui s'opposent à lui. En ce sens, la peur de Dieu vient limiter l'absolutisme99.
Même chez Bossuet - un pro-absolutiste pour qui « Le prince ne doit rendre compte à personne de ce qu'il ordonne » - le pouvoir royal a des limites. Dans son livre Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte, il écrit : « Les rois ne sont pas pour cela affranchis des lois ». En effet, la voie que doit suivre le roi est pour ainsi dire balisée : « Les rois doivent respecter leur propre puissance et ne l'employer qu'au bien public », « le prince n'est pas né pour lui-même mais pour le public », « Le prince doit pourvoir aux besoins du peuple »100.
Louis XIV est plus politique et plus pragmatique que les grands ministres qui l'assistent pendant la première partie de son règne. Il se méfie d'ailleurs de leur absolutisme pré-technocratique. Parlant d'eux, il note en substance : « nous n'avons pas affaire à des anges mais à des hommes à qui le pouvoir excessif donne presque toujours à la fin quelque tentation d'en user »101. À cet égard, il reproche à Colbert ses références répétées au cardinal de Richelieu101. Cette pratique modérée est aussi visible chez les intendants qui recherchent le consensus avec les territoires dont ils ont la charge102. Mais cette modération a son revers. Ne voulant pas recommencer les erreurs de la Fronde, Louis XIV est amené à composer avec les institutions traditionnelles, ce qui a pour conséquence d'empêcher une modernisation en profondeur du pays et de laisser se maintenir nombre « d'institutions désuètes et parasitaires »103. Par exemple, si les magistrats doivent « rigoureusement se tenir à l'écart des zones sensibles de la politique royale comme la diplomatie, la guerre, la fiscalité ou les grâces », le corps de la magistrature n'est ni réformé, ni restructuré : au contraire, il est renforcé dans ses prérogatives103. De même, alors qu'il veut rationaliser l'administration, les besoins financiers le poussent à vendre des offices, de sorte que, pour Roland Mousnier, la « monarchie est tempérée par la vénalité des offices »104. Notons ici que, si pour Mousnier, malgré tout, Louis XIV est un révolutionnaire i.e un homme de changement, de réformes profondes, Roger Mettan dans Power and Factions in Louis XIV's France (1988) et Peter Campbell dans son Louis XIV (1994), le voient comme un homme dépourvu d'idée réformatrice105.
La cour comme instrument de l'absolutisme
La cour permet de domestiquer la noblesse106. Certes, elle n'attire que de 4 000 à 5 000 nobles, mais il s'agit des personnages les plus en vue du royaume. Revenus sur leur terre, ceux-ci imitent le modèle versaillais et répandent les règles du bon goût106. Par ailleurs, la cour permet de surveiller les Grands et le roi prend bien soin d'être informé de tout107. L'étiquette assez subtile qui la régit lui permet d'arbitrer les conflits et de répandre une certaine discipline. Enfin, la cour lui fournit un vivier où sélectionner le personnel de l'administration civile et militaire108. Des règles de préséance byzantines renforcent l'autorité du roi en le laissant maître de décider ce qui doit être, tandis que s'installe une liturgie royale qui contribue à l'affirmation de son pouvoir divin109.
Oppositions à l'absolutisme durant la Fronde
Pour Michel Pernot, « La Fronde, tout bien pesé, est la conjonction de deux faits majeurs : d'une part l'affaiblissement de l'autorité royale pendant la minorité de Louis XIV ; d'autre part la réaction brutale de la société française à l'État moderne voulu par Louis XIII et Richelieu110 ». La grande noblesse, comme les petite et moyenne noblesses et les Parlements, ont des objections à avancer à la monarchie absolue, telle qu'elle se constitue. La grande noblesse est divisée par les ambitions de ses membres qui n'ont guère l'intention de partager le pouvoir et n'hésiteront d'ailleurs pas à combattre les petite et moyenne noblesses111. Celle-ci vise à « instaurer en France la monarchie mixte ou Ständestaat, en donnant le premier rôle dans le royaume aux États généraux ». En cela, elle s'oppose aux Grands qui veulent surtout garder une influence forte dans les instances principales de l'État — en y siégeant eux-mêmes ou en y faisant siéger des fidèles — et aux Parlements qui ne veulent surtout pas entendre parler des États généraux112.
Le Parlement n'est absolument pas un parlement au sens moderne. Il s'agit de « tribunaux d'appel jugeant en dernier ressort »26. Les parlementaires sont propriétaires de leur charge, qu'ils peuvent transmettre à leur héritier moyennant le paiement d'une taxe appelée la paulette113. Les lois, ordonnances, édits et déclarations doivent être enregistrés avant d'être publiés et appliqués. À cette occasion, les parlementaires peuvent émettre des objections ou « remontrances » quant au contenu, lorsqu'ils pensent que les lois fondamentales du royaume ne sont pas respectées. Pour faire plier le Parlement, le roi peut adresser une lettre de jussion, à laquelle le Parlement peut répliquer par des remontrances réitérées. Si le désaccord persiste, le roi peut utiliser la procédure du lit de justice et imposer sa décision114. Les magistrats aspirent à « rivaliser avec le gouvernement dans les affaires politiques »115 et ce d'autant plus que, au même titre que le conseil du roi, ils émettent des arrêts. De nombreux magistrats sont opposés à l'absolutisme. Pour eux, le roi ne doit utiliser que sa « puissance réglée, c'est-à-dire limitée à la seule légitime »116. Lors du lit de justice du , l'avocat général Omer Talon demande à la régente « de nourrir et élever sans entrave sa majesté dans l'observation des lois fondamentales et dans le rétablissement de l'autorité que doit avoir cette compagnie (c'est du Parlement qu'il s'agit), anéantie et comme dissipée depuis quelques années, sous le ministère du Cardinal de Richelieu »116.
Oppositions à l'absolutisme après la Fronde
La crise financière du milieu des années soixante-dix est accompagnée d'une forte hausse de la fiscalité, autant par l'augmentation des taux que par la création de nouveaux impôts. Cela entraîne des révoltes dans le Bordelais et surtout en Bretagne (révolte du papier timbré), où les forces armées doivent rétablir l'ordre117. Le Languedoc et la Guyenne connaissent une conspiration animée par Jean-François de Paule, seigneur de Sardan, soutenu par Guillaume d'Orange. Cette conspiration est assez vite étouffée118. Toutefois, si l'on considère qu'en France les révoltes ont de tout temps été chose courante, force est de constater qu'elles sont rares sous le règne de Louis XIV. Cela tient pour beaucoup au fait que, contrairement à ce qui s'est passé durant la Fronde, elles ne reçoivent que peu de soutien de la noblesse — en dehors du complot de Latréaumont — car celle-ci est employée dans les armées du roi ou occupée à la cour. Par ailleurs, le roi dispose d'une force armée qu'il peut déployer rapidement et la répression est rigoureuse119. Malgré cela le poids de l'opinion publique reste fort. En , période de famine et de défaite militaire, elle contraint le monarque à se séparer de son secrétaire d'État à la Guerre, Michel Chamillart120.
Gouvernement royal
Obéissance des Provinces et des Parlements
Le roi se fait très tôt obéir par les Provinces : en réponse aux révoltes de la Provence (Marseille en particulier), le jeune Louis XIV envoie le duc de Mercœur pour réduire la résistance et réprimer les rebelles. Le , le roi étant entré dans la ville par une brèche ouverte dans les remparts, il change le régime municipal et soumet le Parlement d'Aix. Les mouvements de contestation en Normandie et en Anjou se terminent en . Malgré le déploiement de force, l'obéissance est « plus acceptée qu'imposée »121,122.
Le jeune souverain impose son autorité aux Parlements. Dès , il impressionne les parlementaires en intervenant, en costume de chasse et le fouet à la main, pour faire cesser une délibération. Le pouvoir des Parlements est diminué par la mise en place de lits de justice sans la présence du roi, ainsi que par la perte de leur titre de « cour souveraine » en , et par la limitation, en , de leur droit de remontrance123.
Réorganisation administrative et financière
La première partie du règne de Louis XIV est marquée par de grandes réformes administratives et surtout par une meilleure répartition de la fiscalité. Les douze premières années voient le pays en paix retrouver une relative prospérité124. On passe progressivement d'une monarchie judiciaire (où la principale fonction du roi est de rendre justice) à une monarchie administrative (le roi est à la tête de l'administration) ; de grandes ordonnances administratives accentuent le pouvoir royal : les terres sans seigneur deviennent terres royales, ce qui permet la réorganisation fiscale et celle des droits locaux. Le roi crée le Code Louis en 1667, stabilisant la procédure civile, l'ordonnance criminelle en , l'ordonnance sur le fait des eaux et forêts (étape cruciale de la réorganisation des Eaux et Forêts) et l'édit sur les classes de la Marine en , l'ordonnance de commerce en …
Le conseil royal est divisé en plusieurs conseils, d'importance et de rôles divers. Le Conseil d'en haut traite des affaires les plus graves ; le Conseil des dépêches, de l'administration provinciale ; le Conseil des finances, des finances comme son nom l'indique ; le Conseil des parties, des causes judiciaires ; le Conseil du commerce, des affaires commerciales et enfin le Conseil des consciences est chargé des religions catholique et protestante125. Louis XIV ne veut pas qu'il y ait des princes de sang ni de duc aux conseils, se souvenant des problèmes rencontrés lors de la Fronde lorsqu'ils siégeaient à ces conseils126. Les décisions du roi sont préparées dans un certain secret. Les édits sont rapidement enregistrés par les Parlements, puis rendus publics dans les provinces où les intendants, ses administrateurs, prennent de plus en plus le pas sur les gouverneurs, issus de la noblesse d'épée126.
Conseil du roi ou étroit, il se compose de trois Conseils Rôles Conseil d'En-haut Composé de ministres d'État que seul le roi peut convoquer
Vrai gouvernement, il traite les plus hautes affaires politiques et diplomatiques. Il se réunit trois fois par semaine127. Conseil des finances ou royal Contrôleur général, deux ou trois intendants des finances
Il a repris les affaires de la surintendance. Il comprend le roi, un chef du conseil et trois conseillers, dont un intendant des finances. Il établit le budget, dresse les baux de fermes, répartit la taille. Il se réunit trois fois par semaine127. Conseil des dépêches Les quatre secrétaires d'État
Étudie les rapports des intendants et des gouverneurs et en établit les réponses127. Les autres conseils Rôles Conseil des parties ou privé 30 conseillers d'État, 98 maîtres des requêtes
Haute Cour de justice, questions administratives. Le roi n'y assiste presque jamais, laissant la présidence au Chancelier128. Conseil du commerce 12 négociants élus, 6 officiers
Vie économique. Existence éphémère -, n'a réellement fonctionné que trois ou quatre ans129. Il sera remplacé en par un bureau du commerce, simple commission du conseil privé qui préparera l'édit de permettant aux nobles de pratiquer le commerce en gros sans déroger126. Conseil de conscience, présidé par le roi Confesseur du roi, archevêque de Paris, et un ou deux prélats
Questions religieuses et nominations aux bénéfices vacants130. Les Ministres Rôles Le Chancelier (inamovible) Justice Le contrôleur général des finances (amovible) Charge créée en Grand administrateur de la vie financière et économique Les quatre secrétaires d'État (amovibles) - des Affaires étrangères
- de la Guerre
- de la Marine
- de la Maison du roi
Ils se partagent aussi la France en quatre secteurs, où ils exercent les fonctions de ministre de l'intérieur, de même que le contrôleur général des finances. À partir de la création du Conseil royal des finances () les finances, dirigées désormais par un contrôleur général, en l'occurrence Colbert, supplantent la justice en tant que première préoccupation du Conseil d'en haut. Celui qui aurait normalement dû être chargé de la justice, le chancelier François-Michel Le Tellier de Louvois, finit lui-même par délaisser la justice pour se consacrer essentiellement aux affaires de guerre. Au fil du temps, deux clans dans l'administration se constituent, rivalisent et cohabitent. Le clan Colbert gère tout ce qui touche à l'économie, la politique étrangère, la marine et la culture, alors que le clan Le Tellier-Louvois a la mainmise sur la Défense131. Le roi fait ainsi sienne la devise « diviser pour mieux régner ».
Jusqu'en 1671, alors que s'amorcent les préparatifs de la guerre de Hollande, le clan Colbert domine. Cependant, les réticences de Colbert, à nouveau résistant devant de grandes dépenses, commencent à le discréditer aux yeux du roi. De plus, l'écart d'âge entre Colbert (52 ans à l'époque) et le roi (33 ans) pousse presque naturellement le souverain à se rapprocher de Louvois, qui n'a que 30 ans et la même passion : la guerre. Jusqu'en , c'est le clan Louvois qui est le plus influent. En , Louis II Phélypeaux de Pontchartrain, nommé contrôleur général avant de devenir secrétaire d'État (1690), s'impose à la première place. En , il est élevé à la dignité de chancelier, tandis que son fils Jérôme lui succède132.
En , la fonction publique ne compte que 800 membres appointés (membres des conseils, secrétaires d'État, conseillers d'État, maîtres des requêtes et commis) alors qu'elle compte 45 780 officiers de finance, de justice et de police propriétaires de leur charge133.
Relations avec Paris
Le jeune roi se méfie de Paris, une ville qu'il a vu se révolter et qu'il ne quitte pour Versailles qu'en . La ville est perçue comme une concentration dangereuse d'épidémies, d'incendies, d'inondations, d'encombrements et désordres de tout genre134. Elle attire des individus qui espèrent vivre mieux auprès des riches : escrocs, brigands, voleurs, mendiants, infirmes, hors-la-loi, paysans sans terre et autres déshérités135. La Cour des Miracles, le plus célèbre de ses ghettos incontrôlables, compterait 30 000 individus, soit 6 % de la population parisienne.
L'édit de fondation de l'hôpital général de Paris (), dit de « Grand Renfermement », a pour objet d'éradiquer la mendicité, le vagabondage et la prostitution. Conçu sur le modèle de l'hospice de la Charité établi en à Lyon, il est desservi par la compagnie du Saint-Sacrement en trois établissements (la Salpêtrière, Bicêtre et Sainte-Pélagie). Mais, en dépit des peines et des expulsions prévues pour ceux qui ne regagnent pas l'hôpital, cette mesure, qui horrifie Vincent de Paul, est un échec, faute d'effectifs suffisants pour la faire appliquer. De plus, la police est disséminée en différentes factions qui rivalisent entre elles. La situation, mal maîtrisée, empire et « on rapporte que le roi n'en dort plus la nuit ».
Le Colbert nomme l'un de ses proches, La Reynie à la charge de la lieutenance générale de police qui vient d'être créée136. Intègre et travailleur, La Reynie a déjà participé au conseil de réforme de la justice. L'ordonnance civile de Saint-Germain-en-Laye () organise un contrôle précis des affaires intérieures. Elle vise une approche globale de la criminalité, notamment en fusionnant les quatre services de police de Paris. Les attributions de La Reynie, nommé en Lieutenant général de police, sont étendues : maintien de l'ordre public et des bonnes mœurs, ravitaillement, salubrité (ébouage, pavage des rues, fontaines d'eau, etc.), sécurité (rondes, éclairage des rues par des lanternes, lutte contre la délinquance et les incendies, liquidation des « zones de non-droit »… Son service a la confiance du gouvernement royal, et s'occupe donc également des grandes et petites affaires criminelles dans lesquelles de hauts aristocrates pourraient être mêlés : complot de Latréaumont (1674), affaire des poisons (1679-1682), etc.134.
La Reynie s'acquitte de cette tâche épuisante avec intelligence pendant 30 ans, jusqu'en et instaure à Paris une « sécurité inconnue »137. Mais peu avant son retrait, la situation commence à se dégrader. Le marquis d'Argenson, qui lui succède, est un homme rigoureux et sévère qui entreprend une intransigeante remise en ordre, l'administration royale se faisant plus répressive. Il instaure une sorte de police secrète d'État, qui semble servir les intérêts des puissants et accentuer le despotisme d'un règne vieillissant. Ses services lui valent, en , lors de la Régence, la place enviée de garde des Sceaux138.
Homme de guerre
Louis XIV a consacré près de trente-trois ans de règne sur cinquante-quatre à faire la guerre. Sur son lit de mort, il confesse au futur Louis XV « j'ai souvent entrepris la guerre trop légèrement et l'ai soutenue par vanité »139. De fait, les dépenses militaires, notamment en temps de guerre, ont accaparé la part la plus importante du budget de l'État (jusqu'à près de 80 % en )140. Il reçoit une formation militaire poussée sous la conduite de Turenne. À vingt ans, il participe à la bataille des Dunes à Dunkerque (), où ses troupes, conduites par Turenne, remportent une victoire décisive contre Condé et l'Espagne141.
Réorganisation de l'armée
La réorganisation de l'armée est rendue possible par celle des finances. Si Colbert a réformé les finances, c'est Michel Le Tellier puis son fils, le marquis de Louvois, qui aident le roi à réformer l'armée. Les réformes portent notamment sur l'unification des soldes, la création de l'hôtel des Invalides (1670) et la réforme du recrutement142. Cela a pour effet de réduire le taux de désertions et d'augmenter le niveau de vie du personnel militaire. Le roi charge également Vauban de construire une ceinture de fortifications autour du territoire (politique du pré carré)143. Au total, au cœur de son règne, le Royaume dispose d'une armée de 200 000 hommes, ce qui en fait de loin la première armée d'Europe, capable de tenir tête à des coalitions rassemblant de nombreux pays européens144. Lors de la guerre de Hollande (1672-1678), l'armée aligne environ 250 000 hommes, elle en aligne 400 000 lors des guerres de Neuf Ans (1688-1696) et de Succession d'Espagne (1701-1714)145. Le financement des armées en campagne est assuré, pour environ un quart, par les contributions payées par les territoires étrangers où elles interviennent146.
Marine
À la mort de Mazarin, en , la marine royale, ses ports et ses arsenaux sont en piteux état147. Seule une dizaine de vaisseaux de ligne est en état de fonctionnement, alors que la marine anglaise en compte 157, dont la moitié sont des vaisseaux importants, embarquant de 30 à 100 canons. Pour sa part, la flotte de la république des Provinces-Unies compte 84 vaisseaux.
Contrairement à une idée très répandue, Louis XIV s'intéresse personnellement aux questions navales et contribue avec Colbert à l'essor de la marine de guerre française148. Le , il crée le titre de secrétaire d'État à la Marine et nomme officiellement Colbert premier titulaire du poste149. Malgré tout, pour le roi, le plus important in fine n'est pas la mer, mais la terre, car c'est là, selon lui, qu'on acquiert la grandeur150.
Colbert et son fils vont mobiliser des ressources humaines, financières et logistiques sans précédent, permettant de créer presque ex nihilo une puissance militaire navale de premier rang. À la mort du ministre, en , la « Royale » compte 112 vaisseaux et dépasse de quarante-cinq unités la Royal Navy148, mais les officiers, du fait de la relative jeunesse de la flotte, manquent souvent d'expérience151.
Si la marine intervient dans les conflits et joue un rôle important dans les tentatives de restaurer Jacques II d'Angleterre, elle est aussi utilisée dans la lutte contre les barbaresques. Si l'expédition de Djidjelli de , destinée à mettre fin au piratage des barbaresques en Méditerranée, se solde par un échec cuisant152, les expéditions de et de de l'escadre d'Abraham Duquesne permettent de détruire de nombreux navires dans la baie d'Alger153.
Guerres menées
Louis XIV engage le royaume dans une multitude de guerres et batailles :
Guerres de Louis XIV Date Allié(s) Ennemi(s) Casus belli Issue Guerre de Dévolution 1667-1668 Aucun Espagne,
À partir de : Angleterre, Provinces-Unies, SuèdeNon-paiement à la France de la dot de l'infante d'Espagne, Marie-Thérèse. Traité d'Aix-la-Chapelle (1668) Guerre de Hollande - Angleterre, Suède, Électorat de Cologne, Principauté épiscopale de Münster Provinces-Unies, Saint-Empire, Espagne, Brandebourg, Danemark-Norvège Après la guerre de Dévolution, Louis XIV croit devoir se débarrasser de la Triple-Alliance de La Haye, et surtout des Provinces-Unies s'il veut continuer à conquérir les territoires espagnols. Traité de Nimègue et Traité de Westminster Guerre des Réunions - Aucun Espagne La France exige les territoires ruraux des alentours des villes conquises lors des guerres de Dévolution et de Hollande, ainsi que le dicte la coutume. Victoire française et Trêve de Ratisbonne Guerre de la Ligue d'Augsbourg - Jacobites, Empire ottoman Ligue d'Augsbourg : Provinces-Unies, Angleterre, Saint-Empire, Savoie, Espagne, Suède (jusqu'en ), Portugal, Écosse Dans le cadre de sa politique des Réunions,Louis XIV prend possession de divers territoires, dont Strasbourg et les Trois-Évêchés. Traités de Ryswick : Louis XIV reconnaît Guillaume III d'Orange comme roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande. Guerre de Succession d'Espagne 1701-1714 Espagne, Électorat de Bavière, Électorat de Cologne Provinces-Unies, Angleterre, Saint-Empire, Savoie, Portugal, Autriche, Prusse, Aragon, camisards Louis XIV accepte le testament de Charles II d'Espagne, qui fait du duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV et de l'infante d'Espagne, le roi d'Espagne. Traité d'Utrecht : Philippe d'Anjou est reconnu comme roi d'Espagne mais renonce à ses droits de succession au trône de France.
Traité de Rastatt : signé entre le Royaume de France et l'Archiduché d'AutricheCes guerres agrandissent considérablement le territoire : sous le règne de Louis XIV, la France conquiert la Haute-Alsace, Metz, Toul, Verdun, le Roussillon, l'Artois, la Flandre française, Cambrai, le comté de Bourgogne, la Sarre, le Hainaut et la Basse-Alsace. Toutefois, revers de la médaille, cette politique pousse les autres pays européens, inquiets de cette volonté de puissance, à s'allier de plus en plus souvent contre la France. Si celle-ci reste puissante sur le continent, elle est donc relativement isolée, tandis que l'Angleterre connaît une prospérité économique croissante et qu'un sentiment national commence à poindre en Allemagne154.
Politique étrangère
Louis XIV poursuit d'abord la stratégie de ses prédécesseurs depuis François Ier pour dégager la France de l'encerclement hégémonique des Habsbourg en Europe, en menant une guerre continuelle contre l'Espagne, en particulier sur le front des Flandres. Toutefois, les guerres d'après les traités de Westphalie s'inscrivent dans un cadre différent. La France est alors perçue comme une menace par les autres pays et doit faire face à deux nouvelles puissances montantes : l'Angleterre protestante et les Habsbourg d'Autriche.
Domaine réservé du roi
La politique étrangère est un domaine où le monarque s'implique personnellement. Il écrit dans ses mémoires : « On me vit traiter immédiatement avec les ministres étrangers, recevoir les dépêches, faire moi-même une partie des réponses et donner à mes secrétaires la substance des autres »155. Un des grands moteurs de la politique étrangère de Louis XIV est la recherche de la gloire. Pour lui, la gloire n'est pas seulement une question d'amour-propre, mais tient aussi au désir de s'inscrire dans la lignée des hommes dont le souvenir perdure à travers les siècles. Un de ses premiers objectifs est de protéger le territoire national, le pré carré de Vauban156. Le problème est que cette politique est vue, notamment après quand la puissance de la France s'affirme, comme une menace par les autres pays européens156.
Pour mener cette politique, le roi s'entoure de collaborateurs de talent, tels Hugues de Lionne (1656-1671), puis Arnauld de Pomponne (1672-1679), auquel succède Charles Colbert de Croissy (1679-1691), plus brutal et plus cynique, avant que Pomponne ne revienne en , lorsqu'une politique plus accommodante est jugée nécessaire. Le dernier responsable des affaires étrangères, Jean-Baptiste Colbert de Torcy, fils de Colbert, est considéré par Jean-Christian Petitfils comme « un des plus brillants ministres des affaires étrangères de l'ancien régime »157.
La France dispose alors de quinze ambassadeurs, quinze envoyés et deux résidents dont certains sont d'excellents négociateurs. Autour d'eux gravitent des négociateurs officieux et des agents secrets parmi lesquels un certain nombre de femmes, telles la baronne de Sack, Madame de Blau ainsi que Louise de Keroual, qui devient la maîtresse de Charles II (roi d'Angleterre)158,159. L'arme financière est aussi utilisée : bijoux offerts aux femmes ou maîtresses de puissants, attribution de pensions, etc. Deux ecclésiastiques, Guillaume-Egon de Fürstenberg, qui devint abbé de Saint-Germain-des-Prés, et son frère160, figurent en tête de liste des pensionnés.
Si le roi est d'abord préoccupé par les affaires européennes, il s'intéresse également aux colonies françaises en Amérique, sans négliger l'Asie et l'Afrique. En , il envoie des jésuites français auprès de l'empereur chinois et amorce ainsi les relations sino-françaises161. Après avoir reçu en 1701 une lettre du négus Iyasou Ier d'Éthiopie à la suite du périple de Jacques-Charles Poncet, il envoie une ambassade sous la conduite de Lenoir Du Roule dans l'espoir de nouer des relations diplomatiques. Ce dernier et ses compagnons sont cependant massacrés en 1705 à Sennar162.
Alliance traditionnelle contre les Habsbourg (1643-1672)
Dans un premier temps, pour se dégager de l'encerclement des Habsbourg, le jeune Louis XIV avec son ministre Mazarin fait alliance avec les principales puissances protestantes, reprenant ainsi la politique de ses deux prédécesseurs et de Richelieu.
Cette guerre franco-espagnole connaît plusieurs phases. Quand le règne débute, la France soutient directement les puissances protestantes contre les Habsbourg, notamment lors de la guerre de Trente Ans. Les traités de Westphalie signés en voient le triomphe du dessein européen de Richelieu163. L'empire des Halsbourg est coupé en deux, avec d'un côté la maison d'Autriche et de l'autre l'Espagne, tandis que l'Allemagne reste divisée en multiples États. Par ailleurs, ces traités sanctionnent la montée en puissance des États nationaux et instaurent une forte distinction entre la politique et la théologie, raisons pour lesquelles, le pape Innocent X est fortement opposé à ce traité163. Les processus ayant mené à ces traités serviront de base aux congrès multilatéraux des deux siècles à venir163.
Durant la Fronde, l'Espagne tente d'affaiblir le roi en soutenant la révolte militaire du Grand Condé (1653) contre Louis XIV164. En , des victoires françaises et une alliance avec les puritains anglais (1655-1657) et les puissances allemandes (Ligue du Rhin) imposent à l'Espagne le traité des Pyrénées (soudé par le mariage entre Louis XIV et l'infante en )165. Le conflit reprend à la mort du roi d'Espagne (1665) quand Louis XIV entame la guerre de Dévolution : au nom de l'héritage de son épouse, le roi réclame que des villes frontalières du royaume de France, en Flandre espagnole, lui soient dévolues166.
À l'issue de cette première période, le jeune roi est à la tête de la première puissance militaire et diplomatique d'Europe, s'imposant même au pape. Il a agrandi son royaume vers le nord (Artois, achat de Dunkerque aux Britanniques) et conservé, au sud, le Roussillon167. Sous l'influence de Colbert, il a aussi construit une marine et agrandi son domaine colonial pour combattre l'hégémonie espagnole.
Guerre de Hollande (1672-1678)
La guerre de Hollande est souvent considérée comme « l'une des erreurs les plus graves du règne » et les historiens ont beaucoup glosé sur les raisons de cette guerre168. Louis XIV a-t-il fait la guerre à la Hollande parce qu'elle est un des pivots de la propagande anti-française et qu'on y imprime des écrits sur sa vie scandaleuse et son arbitraire ? Ou bien parce que la Hollande est alors la puissance maritime dominante ainsi qu'un grand centre financier ? S'agit-il d'un conflit opposant les Hollandais protestants aux Français catholiques ? Pour l'auteur américain Paul Somino, il s'agit surtout, chez le roi, de poursuivre un rêve de gloire169.
Ni Le Tellier ni Louvois ne sont les instigateurs de cette guerre, même s'ils s'y rallient. De même Colbert s'y oppose au début, car cela menace la stabilité économique du royaume. En fait, le mauvais génie pourrait bien avoir été Turenne qui pense que la guerre sera courte, ce dont le Grand Condé doute171.
Au départ, les victoires succèdent aux victoires jusqu'à ce que les Hollandais ouvrent les écluses et inondent le pays, arrêtant la progression des troupes. Les Hollandais proposent alors la paix à des conditions avantageuses pour les Français, qui malgré tout refusent172. La situation de blocage amène une révolution du peuple hollandais contre l'oligarchie temporisatrice et porte au pouvoir Guillaume d'Orange, un adversaire d'autant plus redoutable qu'il deviendra roi d'Angleterre173. L'Espagne et plusieurs États allemands se mettent alors à aider la Hollande. Les massacres de population auxquels le maréchal de Luxembourg laisse ses troupes se livrer, servent la propagande anti-française de Guillaume d'Orange174.
En mer, les forces alliées anglo-françaises ne sont pas très heureuses face à la marine hollandaise ; sur terre, en revanche, le roi remporte une victoire en prenant la ville de Maëstricht175. Mais cette victoire renforce la détermination des autres pays qui commencent à craindre la puissance française. En Angleterre en , Charles II, menacé par le Parlement anglais, fait défection176. Dès , des négociations sont envisagées, qui ne débuteront réellement qu'en à Nimègue177.
Par les Traités de Nimègue, la France reçoit « la Franche-Comté, le Cambrésis, une partie du Hainaut avec Valenciennes, Bouchain, Condé-sur-l'Escaut et Maubeuge, une partie de la Flandre maritime avec Ypres et Cassel, et le reste de l'Artois qui lui manquait »178.
Mais ce traité défavorable à l'Empereur rompt la politique de Richelieu et de Mazarin qui visaient à ménager les États germaniques. En conséquence, si le peuple français de même que les grands seigneurs applaudissent le roi et si les élus parisiens lui décernent le titre de Louis le Grand, cette paix est porteuse de menaces futures179.
Réunions (1683-1684)
Comme les traités précédents ne définissent pas exactement les frontières des nouvelles possessions, Louis XIV veut profiter de sa puissance pour rattacher à la France tous les territoires ayant un jour relevé de la souveraineté des villes ou territoires nouvellement acquis. À cet effet, des magistrats étudient les actes passés afin d'interpréter les traités au mieux des intérêts français180. En Franche-Comté, par exemple, une chambre du Parlement de Besançon est chargée de cette tâche. Le cas le plus délicat est celui de Strasbourg, une ville libre. Au départ, Louis XIV modère ses juristes sur ce cas. Toutefois, lorsqu'un général de l'Empire se rend dans cette ville, il change d'avis et, à l'automne , décide de l'occuper181. Cette politique inquiète. En , l'Espagne et l'Angleterre signent un pacte d'entraide. Louis XIV menace alors Charles II d'Angleterre de publier les termes du traité secret de Douvres qui le lie à la France et lui octroie des espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui le fait changer d'avis182. L'inquiétude persiste en Allemagne, même si la France accorde des subsides à des États comme le Brandebourg. Enfin, Louis XIV ne joue pas réellement franc jeu avec l'Autriche qu'il soutient officiellement, tout en ménageant l'ennemi ottoman qui menace Vienne en . Finalement, la Trêve de Ratisbonne confirme pour vingt ans la plupart des avancées françaises notamment à Strasbourg183. Parmi les alliés de l'Espagne, Louis XIV a pris en grippe la république de Gênes qui n'a pas traité l'ambassadeur de France avec le respect qui lui était dû. Il fait bombarder la ville par la flotte française de Duquesne et la détruit en partie. En , le doge de Gênes doit venir à Versailles s'incliner devant le roi183.
Guerre de neuf ans ou guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697)
Les causes du déclenchement de la nouvelle guerre sont multiples. Pour l'empereur du Saint-Empire Léopold Ier, le traité de Ratisbonne n'est que provisoire. Il doit être revu quand il aura vaincu les Turcs à l'est184. Au contraire, Louis XIV insiste pour que la trêve de Ratisbonne soit prorogée. Par ailleurs, l'attitude de Louis XIV envers les protestants irrite les Hollandais qui inondent la France de libelles contre le régime tyrannique de Louis XIV et contre un roi qualifié d'Antéchrist184. En Angleterre, le roi catholique, Jacques II, allié peu fiable de Louis XIV, est renversé pendant la Glorieuse Révolution de - et remplacé par le protestant Guillaume d'Orange185. En Savoie, Louis XIV traite le Duc Victor-Amédée comme un vassal186. En Allemagne, le roi veut faire valoir les droits de la princesse Palatine sur le Palatinat, de manière à éviter que le nouvel électeur ne soit un fidèle de l'empereur. En juillet , craignant une nouvelle extension des « réunions », les princes allemands forment la ligue d'Augsbourg, qui comprend l'empereur, le roi d'Espagne, le roi de Suède, l'électeur de Bavière, celui du Palatinat et le duc de Holstein-Gottorp187. Durant la même période, les rapports de la France avec Innocent XI, déjà tendus depuis l'affaire de la régale, ne s'améliorent pas188.
Opérations militaires
Le , le roi s'estimant menacé par la ligue d'Augsbourg et las des tergiversations concernant la trêve de Ratisbonne, se déclare contraint d'occuper Philippsburg si, sous trois mois, ses adversaires n'acceptent pas une conversion de la trêve de Ratisbonne en un traité définitif et si l'évêque de Strasbourg ne devient pas électeur de Cologne. Parallèlement, sans attendre la réponse, il fait occuper Avignon, Cologne et Liège189 et met le siège devant Philippsburg. En , afin d'intimider ses adversaires, Louvois provoque le sac du Palatinat, action qui, loin d'effrayer ses adversaires, a pour effet de les renforcer, puisque l'électeur de Brandebourg, Frédéric Ier de Prusse, l'électeur de Saxe, le duc de Hanovre et le Landgrave de Hesse rejoignent la coalition de l'empereur190.
Les armées françaises connaissent d'abord des revers, tant et si bien qu'en , Madame de Maintenon, le dauphin et le Duc du Maine poussent Louis XIV à changer ses généraux. Rentré en grâce, le maréchal de Luxembourg remporte la bataille de Fleurus (1690), un succès que Louis XIV et Louvois, peu habitués à la guerre de mouvement, n'exploitent pas191. Sur mer, Tourville disperse une flotte anglo-hollandaise le à Cap Bézeviers. Par contre, en Irlande, les troupes de Jacques II et de Lauzun sont battues par Guillaume III d'Orange-Nassau nouveau roi d'Angleterre192. Le , Louis XIV prend Mons après avoir assiégé la ville ; il entreprend ensuite le siège de Namur (1692), tandis que Victor-Amédée II envahit le Dauphiné193.
L'année est aussi celle de l'échec de la bataille de la Hougue, où la flotte française, qui doit aider Jacques II à reconquérir son royaume, est battue. Cette défaite fait renoncer la France à pratiquer sur mer la guerre d'escadre et lui fait préférer le recours aux corsaires194. En , la bataille de Neerwinden, une des plus sanglantes du siècle, voit la victoire des Français qui s'emparent d'un grand nombre de drapeaux ennemis. En Italie, le maréchal Nicolas de Catinat bat Victor-Amédée à la Bataille de La Marsaille ()195. Sur mer en , la flotte de la Méditerranée aide l'armée française de Catalogne à s'emparer de Rosas, puis de concert avec la flotte de Tourville, coule ou détruit 83 navires d'un convoi anglais qui, escorté par les Anglo-Hollandais, faisait route vers Smyrne196. Malgré tout, la guerre s'enlise quand Charles XI de Suède décide de proposer une médiation197.
Paix de Ryswick
La Savoie est la première à faire la paix avec la France, forçant ainsi ses alliés à une suspension des hostilités en Italie. Finalement l'Angleterre, la Hollande et l'Espagne signent un accord en et sont rejoints le par l'empereur et les princes allemands193. La France reçoit Saint Domingue (l'actuel Haïti) et conserve Strasbourg, tandis que les Hollandais lui rendent Pondichéry. En revanche, elle doit rendre Barcelone, Luxembourg ainsi que les places fortes des Pays-Bas occupées depuis le traité de Nimègue. Louis XIV reconnaît Guillaume d'Orange comme roi d'Angleterre, tandis que les Hollandais obtiennent de la France des avantages commerciaux. La France a certes obtenu des frontières plus linéaires, mais elle est placée sous la surveillance des autres pays. Guillaume d'Orange et l'Angleterre sortent renforcés et ont imposé leur concept de « balance de l'Europe », c'est-à-dire l'idée qu'il convient d'éviter qu'il y ait en Europe continentale une puissance dominante. La paix est mal accueillie en France. Les Français ne comprennent pas qu'après tant de victoires proclamées il ait été fait tant de concessions. Vauban estime même qu'il s'agit de la paix la « plus infâme depuis celle de Cateau-Cambrésis »68.
Guerre de succession d'Espagne (1701-1714)
Contexte
La fragilité de la santé de Charles II d'Espagne, resté sans enfant, pose très tôt le problème de sa succession, que se disputent les Bourbons de France et les Habsbourg d'Autriche198. Le problème est quasi insoluble : tant la solution française que l'autrichienne a pour effet de créer un déséquilibre des forces en Europe. Il s'ensuit nombre de pourparlers en vue d'élaborer un partage équilibré, qui n'aboutissent à rien de concret. Finalement, les Espagnols convainquent Charles II que le mieux serait un candidat français au trône, une position que, pour des raisons internes à l'Italie, le pape Innocent XII soutient199. Louis XIV hésite beaucoup à accepter l'héritage que lui offre Charles II. Le Conseil d'en haut, qu'il consulte, est divisé. En effet, accepter le testament, c'est mettre un Bourbon sur le trône d'Espagne et non pas agrandir la France comme le permettrait un traité. C'est d'ailleurs la position défendue par Vauban200. D'un autre côté, laisser l'Espagne aux Habsbourg, c'est risquer l'encerclement. Enfin, économiquement, l'Espagne est alors un pays exsangue, avec moins de 6 millions d'habitants en métropole, et difficile à redresser, comme le constateront les Français un temps employés à cette tâche. Finalement, Louis XIV accepte parce qu'il ne peut s'empêcher de voir le testament comme un « ordre de Dieu »201.
Les Autrichiens prennent cette décision comme un casus belli et font alliance avec l'électeur palatin, l'électeur de Hanovre et celui de Brandebourg, que les princes germaniques autorisent à se nommer roi de Prusse. Guillaume d'Orange en Angleterre et Anthonie Heinsius en Hollande ne sont pas favorables au testament, mais se heurtent à des opinions publiques qui ne veulent pas de guerre202. Si la guerre est malgré tout enclenchée, c'est en partie à la suite des maladresses de Louis XIV, qui veut conserver au nouveau roi d'Espagne des droits sur le royaume de France et qui « bouscule » des garnisons hollandaises en Belgique sans respecter les clauses prévues dans les traités203.
De son côté, le nouveau roi d'Angleterre, Guillaume d'Orange, s'active à réarmer son nouveau pays et est d'autant plus opposé à Louis XIV que celui-ci a soutenu le roi déchu Jacques II. Aussi, et bien que le « Grand Roi » ait tenté le dialogue, le , l'Angleterre, la Hollande et l'empereur lui déclarent la guerre, rejoints par le Danemark, le roi de Prusse et de nombreux princes et évêques allemands204. Les animateurs militaires de cette coalition sont le prince Eugène de Savoie, Anthonie Heinsius et le duc de Marlborough205. De son côté, si la France compte des maréchaux médiocres comme Villeroy ou Tallard, elle compte aussi deux chefs, Vendôme et Villars, dont les capacités militaires sont à la mesure de celles de leurs adversaires, Marlborough et le prince Eugène206.
Défaites militaires, pourparlers de paix dilatoires et appel au peuple
La guerre commence par une série de défaites, excepté la percée victorieuse de Claude Louis Hector de Villars en Allemagne207. La Provence est envahie et Toulon assiégé en 208. En Flandre, la mésentente entre le duc de Vendôme et le duc de Bourgogne conduit à une retraite désastreuse en 209. Au Conseil d'en haut, des divergences se font jour tandis que la situation financière se dégrade. Aussi Louis XIV demande-t-il, en , une suspension des combats et l'ouverture de négociations de paix. Le problème est que ses adversaires font preuve de beaucoup d'exigences. Ils veulent notamment le contraindre à reconnaître un Habsbourg comme souverain de l'Espagne210.
Face à cette situation difficile, Louis XIV rédige ou fait rédiger par Torcy un appel au peuple, où il explique sa position. Il écrit notamment :
« Je passe sous silence les insinuations qu'ils ont faites de joindre mes forces à celle de la Ligue, et de contraindre le roi, mon petit-fils, à descendre du trône, s'il ne consentait pas volontairement à vivre désormais sans États, à se réduire à la condition d'un simple particulier. Il est contre l'humanité de croire qu'ils aient seulement eu la pensée de m'engager à former avec eux pareille alliance. Mais, quoique ma tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle que j'ai pour mes propres enfants ; quoique je partage tous les maux que la guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, et que j'aie fait voir à toute l'Europe que je désirais sincèrement de les faire jouir de la paix, je suis persuadé qu'ils s'opposeraient eux-mêmes à les recevoir à des conditions également contraires à la justice et à l'honneur du nom FRANCAIS211. »
Le mot français, écrit en majuscule dans le texte original, est un « appel au patriotisme ». Le roi, en opposition avec la pensée absolutiste, ne demande pas l'obéissance mais le soutien du peuple211. La lettre, lue aux troupes par le maréchal de Villars, provoque un sursaut chez les soldats, qui, lors de la bataille de Malplaquet, font preuve d'une grande combativité. S'ils doivent finalement battre en retraite, ils infligent à leur ennemi des pertes deux fois plus importantes que celles qu'ils ont à déplorer212.
Paix voulue par la France et l'Angleterre : traités d'Utrecht
En avril , les Tories arrivent au pouvoir en Angleterre et, sous l'impulsion du vicomte Bolingbroke, considèrent que l'objectif premier de la politique étrangère anglaise se trouve désormais sur mer et dans les colonies. Selon J.-C. Petitfils, cette décision fait vraiment entrer ce pays « dans le concert des grandes puissances mondiales »213. Les Anglais, qui ne veulent ni d'une Espagne française ni d'une Espagne autrichienne, acceptent, lors des Préliminaires de Londres, que Philippe V d'Espagne reste roi d'Espagne, à condition que Louis XIV s'engage à ce que le roi d'Espagne ne puisse pas être aussi roi de France. Les autres belligérants trouvent cela insuffisant. Mais les Anglais sont déterminés et exercent une pression notamment financière sur leurs alliés. Comme de son côté le maréchal de Villars gagne la bataille de Denain et triomphe d'une armée qui menaçait d'envahir la France214, les membres de la Grande Alliance acceptent finalement de négocier et de signer les Traités d'Utrecht (1713). Philippe conserve le trône d'Espagne, les Anglais reçoivent l'île Saint-Christophe, la baie et le détroit d'Hudson, l'Acadie et Terre Neuve, et la France leur consent, au niveau commercial, la clause de la « nation amie ». Les Hollandais rendent Lille à la France, qui conserve l'Alsace. Les Habsbourg sont confirmés dans leur possession des ex-Pays-Bas espagnols, du Milanais, du royaume de Naples et de la Sardaigne. Victor-Amédée II recouvre la souveraineté de la Savoie et du comté de Nice215.
Économie
D'un point de vue économique deux périodes sont à distinguer : celle d'avant , assez brillante, et celle de -, où le gouvernement de plus en plus solitaire de Louis XIV prive les forces économiques de moyens de se faire entendre216, ce qui pénalise l'économie d'autant plus que l'état des finances devient inquiétant.
Colbertisme
Le terme de « colbertisme » ne date que du XIXe siècle, lorsque les manuels scolaires de la Troisième République en font une « référence obligée ». Colbert, Sully et Turgot servant alors de contrepoint aux nombreux héros guerriers de l'histoire de France217. Les travaux de cette époque confortent l'idée développée par Ernest Lavisse selon laquelle Colbert aurait proposé au roi Louis XIV une politique économique entièrement nouvelle, une politique qui leur paraît pouvoir servir de modèle à l'industrialisation de la France à la fin du XIXe siècle217. En opposition avec cette version, en , Alain Peyrefitte fait du colbertisme l'origine de ce qu'il nomme Le Mal français217. Colbert, pour les historiens de la fin du XXe siècle suit la politique économique dominante entre et , appelée mercantilisme au XIXe siècle218. Selon Poussou, plutôt que du mercantilisme, la France pratique alors une économie de rattrapage visant à se mettre au niveau des Hollandais qui, vers , sont la puissance maritime et commerciale dominante219. Pour Richard Kuisel220, Colbert inventerait un « style gaulois » de gouvernance économique mêlant État, corporations et forces du marché221. Alain Guéry222 et Herbert Lüthy indiquent : « La tragédie de Colbert, dans ses succès comme dans ses échecs, c'est d'avoir dû remplacer partout l'esprit capitaliste, absent par l'intervention bureaucratique et par les artifices des privilèges, des monopoles, des concessions, des capitaux fournis par l'État et de la réglementation officielle. De ce point de vue, le Colbertisme apparaît comme un succédané du calvinisme dans le domaine de l'organisation sociale223 ».
Colbert, comme avant lui Louis XI, Sully et Richelieu, veut réduire le décalage existant entre le potentiel économique de la France et l'activité assez médiocre de l'économie réelle224. Colbert conçoit le commerce extérieur comme un commerce d'État à État225 : aussi veut-il mettre fin à un commerce extérieur déficitaire. Pour inverser cette tendance, il souhaite donc diminuer les importations de produits de luxe italiens ou flamands et créer ou favoriser les industries du pays. Colbert n'hésite pas à pratiquer l'espionnage industriel, notamment au détriment de la Hollande et de Venise226, à qui il « emprunte » les secrets de la verrerie. En octobre , il peut ainsi créer la « manufacture de glaces, cristaux et verres », qui deviendra plus tard Saint-Gobain227. Un édit de autorise l'établissement des manufactures royales de tapisserie de haute et basse lice à Beauvais et en Picardie227. Cette politique d'entreprises créées en dehors des corporations a un certain succès ; en revanche, sa volonté de contrôler les corporations est un échec, d'autant qu'il entendait de la sorte regrouper des ateliers et arriver à une plus grande rationalisation de la production228. Colbert essaye aussi d'améliorer la qualité de l'industrie textile établie depuis longtemps en Picardie et en Bretagne en publiant force édits229. Il favorise aussi les voies de communication, notamment les voies fluviales (canal d'Orléans, canal de Calais à Saint-Omer, canal du Midi)229.
À partir du début du XVIIe siècle, la France se désole de voir le commerce maritime dominé par les Hollandais, les Flamands, les Anglais et les Portugais. Aussi le roi entreprend-il de bâtir une flotte et de créer des compagnies commerciales : Compagnie des Indes orientales (océan Indien), Compagnie des Indes occidentales (Amériques), Compagnie du Levant (Méditerranée et Empire ottoman) et Compagnie du Sénégal (Afrique) pour promouvoir le commerce triangulaire des esclaves. Mais cela n'aboutit qu'à des « demi-réussites » (comme la Compagnie des Indes orientales, qui s'éteint un siècle après sa fondation) ou « d'évidents échecs » (comme la Compagnie des Indes occidentales, dissoute dix ans après sa naissance)229.
Si les agents économiques privés sont réticents à rejoindre les grandes compagnies, ils font malgré tout preuve de dynamisme. À la fin du règne, les Bretons vendent leurs toiles en Espagne et les Malouins durant la guerre de Succession d'Espagne sont actifs dans l'Atlantique sud230. Par ailleurs, c'est à cette époque qu'est inventé le champagne. Enfin la fabrication de drap fin se développe dans le Carcassonnais tandis que la soierie Lyonnaise s'impose au détriment de la production italienne231. Toutefois, « les marchands et négociants s'accommodaient mal du dirigisme de Colbert »232 et se montreront plus dynamiques quand Pontchartrain prendra le relais, même si la révocation de l'édit de Nantes a privé la France de négociants et surtout d'artisans et ouvriers spécialisés protestants qui contribueront à l'émergence de concurrents dans les pays qui les accueilleront232. Il convient de noter aussi que sur la période, les dépenses militaires ainsi que les constructions entreprises en grand nombre dans le royaume entretiennent une forte demande intérieure qui favorise la production et le commerce233.
Colonies
Colonies d'Amérique du Nord
En 1663, Louis XIV fait de la Nouvelle-France une province royale en prenant le contrôle de la Compagnie de la Nouvelle-France. Dans le même temps, la Société Notre-Dame de Montréal cède ses possessions à la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice234. Pour peupler la colonie, le gouvernement paie le voyage des futurs colons. Parallèlement, pour favoriser la natalité dans la colonie même, il organise l'opération des « filles du roi » visant à envoyer au Canada de jeunes orphelines : entre et , 764 à 1 000 orphelines débarquent au Québec. Avec cette politique, la population compte rapidement 3 000 personnes supplémentaires235. En outre, de à , l'État consent un effort budgétaire important et envoie un million de livres pour développer l'industrie et le commerce. Après , les finances royales ne permettent plus d'investir fortement dans cette colonie236.
En 1665, Louis XIV envoie au Québec une garnison française, le régiment de Carignan-Salières. Le gouvernement de la colonie est réformé et comprend un gouverneur général et un intendant qui dépendent tous deux du ministère de la Marine. Cette même année, Jean Talon est choisi par le ministre de la Marine, Colbert, pour devenir l'intendant de la Nouvelle-France. Dans les années -, une réflexion intervient sur le devenir de cette colonie. À cette occasion, deux thèses s'affrontent : pour Talon et le comte de Frontenac, il convient de créer un État qui irait jusqu'au Mexique ; à Paris, Colbert soutient la thèse d'un peuplement et du développement d'un territoire limité compris entre Montréal et Québec237. C'est la thèse des gens du Québec qui triomphe. Plusieurs raisons expliquent cette issue. Les trappeurs et les chasseurs en quête de fourrures et de richesses minières poussent à une expansion des territoires non désirée par Paris. Les missionnaires, poussés par la soif de convertir, vont également dans le même sens. C'est ainsi qu'en , le père Marquette et Louis Jolliet, après avoir atteint le Mississippi, le descendent jusqu'à l'embouchure de l'Arkansas236. C'est à cette époque qu'est construit le fort Frontenac, suivi en du fort Crèvecœur, puis du fort Prud'homme. Enfin, en , l'explorateur René-Robert Cavelier de La Salle atteint le delta du Mississippi et en prend possession au nom de Louis XIV et nomme cette vaste région la Louisiane en l'honneur du roi238. Cette expansion provoque un changement dans l'équilibre économique de la colonie, qui, dominée jusque vers par la pêche, devient à compter de cette date de plus en plus tournée vers les fourrures239. Le commerce de la Nouvelle-France vers le continent européen transite quant à lui principalement par La Rochelle dont la flotte triple entre et 240.
Durant la guerre de la ligue d'Augsbourg, les Français doivent faire face aux Iroquois jusqu'à ce qu'un traité de paix soit signé en . Cette même année Louis XIV demande que la Nouvelle-France et la Louisiane servent de barrière à l'expansion anglaise à l'intérieur du continent américain et qu'à cette fin soit crée une chaîne de postes, une idée qui ne se concrétisera qu'après la fin de la guerre de Succession d'Espagne. Lors des Traités d'Utrecht (1713), qui mettent fin à cette guerre, la Nouvelle-France est amputée de l'Acadie et de Terre-Neuve241. À compter de , la France s'intéresse fort à la Louisiane à la fois pour des raisons géopolitiques, contenir l'Angleterre, et économiques : on espère que ce territoire sera aussi riche en minerais que le Mexique. Comme au Canada, les Français s'allient à des Indiens. Dans ce cas avec des tribus du golfe du Mexique elles-mêmes en lutte avec les Creeks et les Chicachas alliés des Anglais. En proie à des difficultés financières, le gouvernement veut confier le territoire à l'initiative privée, mais la bourgeoisie commerçante française n'est pas très enthousiaste. Finalement Antoine de Lamothe-Cadillac, le fondateur de Détroit, arrive à convaincre le financier Antoine Crozat à s'intéresser à cette colonie en lui faisant miroiter l'existence possible de mines. En , un bail de quinze ans est signé avec Crozat qui reçoit mandat d'y envoyer annuellement deux navires chargés de vivres et de colons242. Si les explorateurs ne trouvent ni or ni argent, seulement du plomb, du cuivre et de l'étain en Louisiane, la recherche de mines contribue malgré tout au peuplement du pays des Indiens Illinois. Par ailleurs, la révolte des Indiens contre les Anglais installés à Charleston et en Caroline du Sud permet aux Français, entre -, d'étendre leur influence en Louisiane243.
Colonies pratiquant le commerce triangulaire
Afrique
En 1659, un premier comptoir français, nommé « Saint-Louis » en hommage au roi, est installé sur l'île de Ndar au Sénégal. À la suite de l'échec de la Compagnie des Indes occidentales, le pays est cédé à la Compagnie du Sénégal en 1673 pour transférer des esclaves noirs aux Antilles. Le roi fournit une grande part des capitaux pour assurer la traite négrière, prêtant également des vaisseaux de guerre et des soldats. Des possessions sont arrachées au Hollandais, comme Gorée en 1677 par le vice-amiral Jean d'Estrées, et des traités sont établis avec les rois locaux. Nommé par le roi, André Bruë noue ainsi des relations diplomatiques avec Lat Soukabé Ngoné Fall et d'autres souverains comme le roi de Galam244.
Selon l'historien Tidiane Diakité, Louis XIV serait de tous les rois de France et de l'Europe le seul à s'être autant intéressé à l'Afrique245,246 : il est celui qui eut la correspondance la plus fournie avec des rois d'Afrique, celui qui dépêcha auprès d'eux le plus d'émissaires et chargés de mission, et il reçut des Africains à la cour. Certains fils de rois noirs, comme le prince Aniaba, furent élevés à Versailles, baptisés par les soins du roi qui caressait l'espoir d'une évangélisation de l'Afrique ; il favorisa l'envoi de missionnaires, y compris en Éthiopie, royaume chrétien pourtant « infecté de plusieurs hérésies »247. Cet objectif d'évangélisation est d'ailleurs associé à celui du développement du commerce avec l'Afrique ; le royaume de France était alors en concurrence avec les nations commerçantes d'Europe du Nord dans ce domaine.
Toujours selon Diakité, Louis XIV semble avoir été attiré par ce continent mystérieux, dominé par des rois méconnus, eux-mêmes fascinés par le prestige de celui que les explorateurs français s'attachaient à présenter comme le « plus grand roi de l'Univers ». Pour Louis XIV, l'Afrique était un des enjeux du rayonnement de la monarchie française, au-delà des questions économiques et religieuses. Les Hollandais cherchèrent d'ailleurs en vain à ruiner cette image en mettant en avant la médiocrité des Français dans le commerce, leurs prétentions et leurs mauvaises manières246.
Antilles et Guyane
Le règne de Louis XIV marque un essor territorial, économique et démographique profond de la présence française dans les Antilles. Les possessions seigneuriales passent sous le contrôle direct de la monarchie ; la monoculture de la canne à sucre remplace peu à peu la production de tabac et la population évolue d'approximativement 12 000 individus à environ de 75 000 à 100 000 individus248. L'expansion sera très forte à Haïti qui passe de 18 plantations en à 120 en 233.
En 1664, sur ordre du roi, Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre reprend la Guyane française aux Néerlandais alors même que la France leur est alliée249. L'année suivante, Colbert rachète la Guadeloupe à Charles Houël, ancien directeur de la Compagnie des îles d'Amérique et l'île de la Martinique à Jacques Dyel du Parquet. Tous ces territoires sont confiés en gestion à la Compagnie des Indes occidentales. Quand celle-ci fait faillite en , ces territoires sont rattachés au domaine royal. En 1697, le traité de Ryswick attribue à la France la moitié ouest de l'île de Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti)193. En , Jean II d'Estrées reconquiert véritablement la Guyane, qui est désormais un enjeu de politique internationale récurrent en raison des litiges avec les Portugais250.
Dans le but de fournir une main-d’œuvre servile aux plantations, et dans le cadre de la codification absolutiste du Royaume, Louis XIV, en , promulgue le « Code noir ». Par cette ordonnance, Louis XIV améliore la condition des esclaves251 : les dimanches et fêtes chrétiennes seront obligatoirement chômés ; une nourriture suffisante est exigée, les maîtres doivent habiller suffisamment leurs esclaves ; les époux et les enfants ne doivent pas être séparés lors d'une vente ; la torture est interdite ; pour éviter les viols, les rapports sexuels avec les esclaves sont interdits ; les maîtres ne peuvent tuer leurs esclaves ; et des limites sont fixées aux châtiments corporels. Le Code noir reconnaît également aux esclaves certaines formes de droits, très limités cependant, notamment religieux, juridiques, de propriété et de retraite. Mais toutes ces dispositions sont mal appliquées, du fait de la pression des colons sur la justice.
Par ailleurs, l'ordonnance expulse les Juifs des Antilles, définit les règles de métissage et régularise le plein usage des esclaves dans les colonies, auquel il donne un cadre juridique. Le Code noir entérine une législation différenciée sur le territoire, car un esclave en métropole est en principe affranchi, et impose leur christianisation. L'édit se voit étendu à Saint-Domingue en , en Guyane en , et par la suite aux Mascareignes et en Louisiane252.
À la fin du XXe siècle, de nombreuses critiques dénonceront l'ordonnance, responsable d'une institutionnalisation de l'esclavage, et de ses sévices concernant les châtiments corporels (amputations par exemple, en cas de fuite…) ; le Code noir est considéré par le philosophe Louis Sala-Molins comme « le texte juridique le plus monstrueux qu'aient produit les Temps modernes »253. Les thèses de Sala-Molins sont cependant critiquées par des historiens, qui lui reprochent de manquer entièrement de rigueur, et d'avoir une lecture partielle du Code noir254. Jean Ehrard fait notamment remarquer que les châtiments corporels, qui sont limités par l'ordonnance, sont alors les mêmes qu’en métropole, pour toute personne non noble255,256. L'historien rappelle qu'à cette époque, il existe des dispositions équivalentes à celles du Code noir pour des catégories comme les marins, les soldats ou les vagabonds. Jean Ehrard rappelle enfin que les colons s’opposèrent même au Code noir, parce qu'ils étaient désormais censés fournir aux esclaves des moyens de subsistance, que normalement ils ne leurs garantissaient pas.
Agriculture importante ne mettant pas à l'abri de famines
L'agriculture française est alors la plus importante d'Europe257 avec un primat donné aux céréales : le seigle associé ou non au millet comme dans les Landes de Gascogne, le sarrasin en Bretagne, et évidemment le blé. Sous Louis XIV, le maïs s'implante dans le Sud-Ouest et en Alsace258. Le pain est alors fait soit de méture (mélange de froment, de seigle et d'orge) soit de méteil (froment et seigle)259. La culture de la vigne et l'élevage contribuent également à la prédominance de l'agriculture française. La vigne est alors cultivée jusqu'en Picardie et en Île-de-France, tandis que la fabrication d'eaux-de-vie se développe en Charente, dans la basse vallée de la Loire, dans la vallée de la Garonne et en Languedoc260. Les Hollandais exportent les eaux-de vie et les excédents céréaliers du Toulousain261. L'élevage est une ressource vitale en montagne où la transhumance prend des dimensions spectaculaires. L'élevage sert aux populations montagnardes à acheter des céréales et du vin. Dans les exploitations céréalières, l'élevage de mouton prédomine. Par, contre hormis les régions d'élevage comme l'Auvergne, le Limousin et la Normandie, les chevaux et les bêtes à cornes sont rares en campagne et se concentrent plutôt autour des villes262.
L'agriculture céréalière française est pratiquée dans de petites exploitations. D'après l'historien Gérard Noiriel, sous le règne de Louis XIV, la moitié des paysans sont des journaliers (ouvriers agricoles). Ils disposent d'un lopin de quelques ares, sur lequel ils ont construit une maison d'une seule pièce. Ils cultivent aussi un potager, avec quelques poules et quelques brebis pour la laine. La fraction la plus pauvre de la paysannerie est composée de manœuvriers qui ne possèdent que quelques outils manuels (faucille, fourche). Du printemps jusqu'au début de l'automne, ils travaillent sur les terres d'un seigneur, d'un membre du clergé ou d'un riche laboureur. Ils participent aux moissons, aux foins et aux vendanges. En hiver, ils cherchent à se faire embaucher comme hommes de peine. Plus de moitié des revenus des paysans sont ponctionnées par divers impôts : taille, dîme, auxquels s'ajoutent les taxes sur le sel, sur le tabac, sur l'alcool et les droits seigneuriaux263. Toutefois, la misère paysanne n'est pas générale, et il existe « une paysannerie aisée », comprenant de grands exploitants, des fermiers, des laboureurs, de petits vignerons en Val de Seine, ou des « haricotiers » dans le Nord264.
La France va connaître sous Louis XIV deux grandes famines. Celle de - n'est pas liée à un hiver trop rude mais à un été assez froid, marqué par des pluies diluviennes qui gâchent les récoltes. Le gouvernement ayant ravitaillé prioritairement Paris et l'armée, des séditions éclatent tandis que la population afflue vers les villes. Le bilan est de 1 300 000 morts, soit presque autant que durant la guerre de 265. Lors du grand hiver de 1709 la Seine, le Rhône et la Garonne sont pris par les glaces. Les oliviers meurent et les semis ne donnent que peu de fruits. Il s'ensuit une famine sévère, malgré des importations de blé étranger. Le bilan de la famine s'élève à 630 000 morts266.
On peut se demander pourquoi ces famines alors que l'agriculture française est la plus importante d'Europe. Pour répondre à cette question, il convient de noter que les exploitations céréalières ont en moyenne moins de cinq hectares et qu'elles n'ont pas modernisé leur mode de production comme l'ont fait dans au XVIIe siècle les hollandais et comme le font alors les anglais267. De sorte qu'en réalité, l'agriculture céréalière française en temps normal arrive juste à nourrir la population française alors la plus importante d'Europe. Par ailleurs, il convient à noter que pour Jean-Pierre Poussou268, de 30 % à 40 % du territoire est « de manière chronique, pour des raisons géographiques en situation de fragilité alimentaire ». Le commerce intérieur des céréales pourrait remédier à cela, mais il est rendu difficile par des problèmes de transport et freiné par des lourdeurs administratives. Par ailleurs lors des deux grandes famines, les hollandais qui auraient pu apporter en France du blé de la Baltique sont en guerre avec Louis XIV. En fait ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'agriculture permettra de faire franchir la « barrière des 20 à 23 millions d'habitants à laquelle elle se heurtait depuis des siècles »269.
Problèmes financiers et impôts
Lorsqu'il prend le pouvoir, le , le roi, alors âgé de 16 ans, décrète dix-sept édits visant à renflouer les caisses de l'État, ce qui a pour effet de faire passer le total des revenus fiscaux du royaume de 130 millions de livres en à plus de 160 millions en -270. La guerre entraîne dès un accroissement du déficit public, qui passe de 8 millions en à 24 millions en 271. Pour faire face, Colbert augmente les impôts existants, ressuscite d'anciens impôts et en crée d'autres. Il invente aussi une sorte de bons du trésor et crée une caisse des emprunts. La guerre de Hollande marque la fin du colbertisme, car l'État n'est plus en mesure de soutenir l'industrie ni directement par des aides ni indirectement par ses commandes272.
En , pour faire face aux dépenses notamment militaires, Louis XIV crée un impôt sur le revenu qui touche tout le monde, y compris le dauphin et les princes : l'impôt de capitation. Cet impôt distingue vingt et une classes de contribuables à partir d'une analyse multicritère qui ne tient pas seulement compte des trois classes (noblesse, clergé, tiers état), mais aussi des revenus réels des personnes273. La capitation sera supprimée en puis rétablie en , mais elle perd alors sa fonction d'impôt sur le revenu, car celui-ci est repris par le dixième denier (« dixième ») inspiré par la dîme royale, préconisée par Vauban274. En 1697, la monarchie établit une taxe sur les étrangers et leurs héritiers, abandonnée au bout de quelques années et dont le résultat financier est décevant275.
Selon Jean-Christian Petitfils, Il ne faudrait pas exagérer le poids des impôts en France sous Louis XIV. Une étude anglaise a en effet montré que, en , les Français sont moins taxés que les Anglais. Les impôts ne représentent alors que 0,7 hectolitres de grain de froment par contribuable en France, contre 1,62 en Angleterre. En fait, la France est alors un pays qui thésaurise beaucoup, et de ce point de vue ce ne sont pas tant les sujets dans leur ensemble qui sont pauvres, que l'État qui n'a pas réellement modernisé son système fiscal276. Des études menées dans les années se sont interrogés sur la question du financement de l'État. En particulier deux choses les ont frappés, tout d'abord les impôts sont toujours payés et d'autre part le pays au moins jusque vers a été de plus en plus prospère277.
Les études montrent que le roi et l'appareil d'État délèguent à des financiers le prélèvement des impôts tout en exigeant d'eux en contrepartie le paiement de sommes forfaitaires. De la sorte, ils font supporter par les financiers les aléas économiques277. Ces financiers que très longtemps on a cru de basse extraction en fait sont très bien intégrés dans la société et servent de prête-noms à des aristocrates fortunés278. De sorte que comme l'écrit Françoise Bayard279 « l'État réussit ce tour de force inouï de faire payer volontairement les riches » même si ceux-ci reçoivent en compensation des intérêts. Par ailleurs le Conseil du roi conserve la maîtrise des financiers et si nécessaire n'hésitent pas à recourir à la justice comme ce fut le cas pour Fouquet280. C'est à cette époque que se développe la notion de rente. C'est-à-dire de prêt à l'État qui rapporte un revenu fixe, relativement bien assuré. La rente constitue rapidement une part notable du patrimoine non seulement des gens d'affaires mais aussi de la dot des épouses281.
À la mort de Louis XIV, la France connaît une « crise financière sans précédent », conséquence des guerres incessantes et des grands travaux282. Les embarras financiers de l'État deviennent « l'élément le plus fâcheux de la situation du royaume » en 1715283, ce qui compliquera la tâche du régent Philippe d'Orléans. À la mort de Louis XIV, la dette s'élève à 3,5 milliards de livres — soit entre 25 et 50 milliards d'euros en 2010 — équivalant à dix années de recettes fiscales. Louis XIV n'a pas su doter la France d'une Banque centrale comme l'ont fait les Anglais avec la Banque d'Angleterre, ce qui aurait permis de rationaliser le financement de l'État272. Sous la régence, John Law créera une nébuleuse de sociétés autour de la Banque générale, au capital de 6 millions de livres, fondée le sur le modèle de la Banque d'Angleterre, avec des actions échangeables contre les créances sur l'État, mais qui se soldera par un échec financier.
Religion
Roi de droit divin, Louis XIV est profondément imprégné par la religion qui lui a été inculquée par sa mère284.
Roi très chrétien
Dès son enfance, sa journée, sa semaine et son année sont ponctuées de nombreux rites religieux afin de signifier aux yeux du public la grandeur de la fonction royale285. Anne d'Autriche lui impose des exercices de piété réguliers, dès sa première éducation religieuse, confiée à Hardouin de Péréfixe. D'après l'abbé de Choisy, elle recourt à des méthodes rigoureuses pour lui inculquer un esprit religieux : « Il n'y avait que sur le chapitre de la religion qu'on ne lui pardonnait rien ; et parce qu'un jour la reine mère, alors régente, l'entendit jurer, elle le fit mettre en prison dans sa chambre, où il fut deux jours sans voir personne, et lui fit tant d'horreur d'un crime qui va insulter Dieu jusque dans le Ciel, qu'il n'y est presque jamais retombé depuis, et qu'à son exemple le blasphème a été aboli par les courtisans qui en faisaient alors vanité »286. Le roi se confesse dès l'âge de 9 ans — au père Charles Paulin287 — et il fait sa première communion le jour de Noël (en mémoire du baptême de Clovis288, au lieu de la traditionnelle date de Pâques) quelques jours après sa confirmation. Le lendemain des cérémonies du sacre du , il devient grand-maître de l'ordre du Saint-Esprit289.
Avant de sortir de son lit, et le soir au coucher, le roi reçoit l'eau bénite apportée par son chambellan, se signe et, assis, récite l'office du Saint-Esprit, dont il est grand-maître290. Habillé, il s'agenouille et prie en silence. Au lever, il indique l'heure à laquelle il souhaite assister à la messe quotidienne, qu'il ne manque qu'exceptionnellement, en cas de campagne militaire. En tenant compte des jours où il assiste à plusieurs messes, on estime qu'il a été présent à environ trente mille messes dans sa vie291. L'après-midi, il se rend régulièrement à l'office liturgique des vêpres, célébrées et chantées les jours solennels292.
Chaque résidence royale est dotée d'une chapelle palatine à deux niveaux, avec tribune intérieure permettant au roi d'assister à la messe sans avoir à descendre au rez-de-chausséen 20,293. Le roi ne communie qu'en certaines occasions, lors des « bons jours du roi » : le Samedi saint, les vigiles de la Pentecôte, de la Toussaint et de Noël, le jour de l'Assomption ou de l'Immaculée Conception. Il assiste au salut du Saint-Sacrement, célébré tous les jeudis et dimanches en fin d'après-midi, ainsi que durant toute l'octave de la Fête-Dieu294.
Stricte observance des rites
En raison du sacre, certains rites religieux s'appliquent au roi de France pour rappeler son statut particulier de roi très chrétien295. Louis XIV les assume avec une dévotion croissante. D'abord, la présence du roi à la messe entraîne des actions liturgiques proches de celles prévues en présence d'un cardinal, d'un archevêque métropolitain ou d'un évêque diocésainn 21. Il est assimilé à un évêque sans juridiction ecclésiastique296. De plus, dès l'âge de quatre ans, chaque jeudi saint, comme tous les évêques catholiques, le roi procède à la cérémonie du lavement des pieds ou mandé royal (Mandatum ou de Lotio pedum)297. Sélectionnés la veille, examinés par le premier médecin du roi, lavés, nourris et revêtus d'une petite robe de drap rouge, treize garçons pauvres sont amenés dans la grande salle des gardes, à l'entrée de l'appartement de la reinen 22. Enfin, en vertu d'un pouvoir thaumaturgique dérivé du sacre, le roi de France est censé pouvoir guérir les écrouelles, une forme ganglionnaire de la tuberculose. Cette dimension quasi sacerdotale est le signe que les rois de France, qui ainsi « font les miracles de leur vivant […] ne sont pas purs laïques, mais que participant à la prêtrise, ils ont des grâces particulières de Dieu, que même les plus réformés prêtres n'ont pas »299. Le roi, qui apparaît comme un intermédiaire du pouvoir de Dieu, prononce la formule « le Roi te touche Dieu te guérisse » (et non plus « Dieu te guérit »), le subjonctif, laissant à Dieu seul la liberté de guérir ou non300. Versailles devient ainsi un lieu de pèlerinage et les malades y sont accueillis sous les voûtes de l'Orangerie. Au cours de son règne, le roi a touché près de 200 000 crofuleux, mais il ne s'en plaignait pas, d'après le chroniqueur du Mercure Galant301.
Monarque à l'écoute des sermons
Le roi assiste à des sermons, des oraisons et à au moins vingt-six prédications lors de l'Avent et du Carême. Les prédicateurs viennent d'horizons variés, Don Cosme appartient à l'ordre des Feuillants, le père Séraphin est de l'ordre des Capucinsn 23,302. Les thèmes de prédication sont libres, même si traditionnellement le sermon du porte sur la sainteté, celui du sur la pureté303. C'est un des seuls espaces de critique possible sous l'absolutisme : les sermonneurs ne sont pas complaisants et mettent régulièrement en cause certains comportements du roi ou de la cour, et le lien entre la vertu du roi et le bonheur de son peuple est régulièrement mis en avant. Bossuet, défenseur du droit divin et théoricien de la supériorité de la monarchie prône une politique royale en faveur des pauvres, insiste sur les devoirs du roi et défend un programme de politique chrétienne : protection de l'Église et de la foi catholique, éradication de l'hérésie protestante, répression des blasphèmes et des crimes publics, pratique des vertus et notamment de la justice304.
Du libertinage à la dévotion
Le jeune roi ne se laisse cependant pas dicter sa conduite par les religieux. Ainsi, il sait conserver le secret, même vis-à-vis de son confesseur comme c'est le cas lors de l'arrestation, en , du coadjuteur de Paris impliqué dans la Fronde289. Il ne ménage pas non plus les dévots, suivant en cela Mazarin qui était défavorable à ce parti que soutient alors la reine mère305 ; on le soupçonne même d'avoir soufflé à Molière l'idée du Tartuffe, comédie visant les « faux-dévots »305. Jusqu'à la fin des années , le roi et la cour s'adonnent à un fort libertinage qui choque les dévots. Le roi se convertit au moment où il se remarie secrètement avec Madame de Maintenon306.
Dès qu'il occupe réellement le pouvoir, à partir de , Louis XIV affirme vouloir soumettre les factions religieuses du royaume dans une unité d'obéissance305. Le , il fait savoir au Parlement qu'il a décidé d'éradiquer le jansénisme, car il y voit un rigorisme rendant impossibles les hardiesses requises d'un chef d'État dans l'exercice de son autorité et l'obéissance due par les sujets307. Par ailleurs, il affirme son autorité et l'indépendance du clergé français par rapport au pape. Alexandre VII est même menacé de guerre en 1662, car il veut réduire l'extraterritorialité de l'ambassade de France à Rome pour des raisons diplomatiques et de police. À cette occasion, le roi fait occuper Avignon308.
En , il dissout les congrégations secrètes, notamment la compagnie du Saint-Sacrement qui compte autant de dévots jésuites que jansénistes. Cette dissolution n'est pas seulement liée à la dévotion de ses membres, elle tient surtout au fait que le roi s'inquiète de la constitution d'un groupe échappant à son contrôle305.
Relations avec les jansénistes
Épineuse question de la grâce
Deux visions de la grâce s'opposent à l'intérieur du christianisme depuis Pélage et Augustin d'Hippone. Pour le premier, l'homme peut faire son salut par lui-même, sans recourir à la grâce divine. Pour Augustin, au contraire, la nature corrompue des êtres humains ne permet pas le salut sans l'intervention de Dieu309. Traditionnellement, l'Église opte pour un moyen terme entre les deux. La Renaissance, en pariant sur la liberté humaine, a eu tendance à revenir au pélagisme, ce qui a entraîné les réactions de Luther et de Calvin, proches sur ce point de l'augustinisme310. Les jésuites, sous l'influence notamment de Molina, développent quant à eux la notion de grâce suffisante, qui est proche de la vision pélagienne de la grâce et débouche sur une religion humaine qui nie le côté tragique de la vie. Cela entraîne, en réaction, une réformation catholique plus augustinienne où s'illustrent de nombreux hommes d'Église français tels Pierre de Bérulle, François de Sales ou Vincent de Paul. Au départ, les jansénistes peuvent être vus comme participant de ce courant de réforme311.
Politiques
Richelieu connait Saint-Cyran, un des fondateurs du jansénisme. Voyant en lui le successeur de Bérulle à la tête du parti dévot, il le fait enfermer312. En , la bulle In eminenti (1642) condamne certaines des thèses de l'Augustinus, un livre de Jansénius. Paradoxalement, le jansénisme en sort renforcé car cela donne l'occasion à Antoine Arnauld d'écrire De la fréquente communion (1643), un livre clair et compréhensible qui s'oppose à la religion mondaine (tournée vers le monde) des jésuites312. En , le pape Innocent X émet la bulle Cum occasione, qui condamne cinq propositions dont il est sous-entendu qu'elles figurent dans le livre de Jansénius. Mazarin, désireux de se concilier le pape, décrète, après avoir consulté les évêques, que ces propositions figurent effectivement dans l'Augustinus313. Les jansénistes commencent alors à être victimes de rumeurs et de pressions de l'appareil d'État314. Le début du gouvernement personnel du roi voit les persécutions s'intensifier. Les religieuses de Port-Royal sont dispersées en . Commence alors un jansénisme souterrain qui se poursuivra tout au long du XVIIIe siècle. Si la politique de Mazarin est uniquement marquée par des considérations de politique politicienne, les décisions de Louis XIV portent plus sur des questions de fond. Il se méfie des jansénistes car leur volonté d'autonomie les amène à s'opposer à un pouvoir absolu de droit divin. De plus, ils sont portés sur l'austérité alors que le roi aime les divertissements, la pompe, les arts315.
Du droit de régale au gallicanisme
Le droit de régale repose sur une coutume qui permet au roi de France de percevoir « les revenus des évêchés vacants et de nommer aux canonicats des chapitres, jusqu'à ce que le nouvel évêque ait fait enregistrer son serment par la cour des Comptes »316. Se fondant sur la jurisprudence du Parlement de Paris, le roi décide en d'étendre cette pratique à tout le royaume, alors qu'elle n'en touchait que la moitié316. Les évêques de tendance janséniste de Pamiers et d'Alet-les-Bains en appellent au pape au nom de la liberté de l'Église face au pouvoir séculier317. Le pape Innocent XI leur donne raison par trois brefs. En juillet , l'assemblée du clergé soutient la position royale. À la suite de divers incidents, le pape excommunie un des évêques nommés par le roi. Une nouvelle assemblée du clergé en cherche à ménager les parties. Le roi cherche aussi un compromis en renonçant à certaines prérogatives. Le pape restant sur ses positions, l'assemblée du clergé adopte en les quatre articles qui serviront de base au gallicanisme318. L'article 1 affirme la souveraineté du roi sur les affaires temporelles ; l'article 2 accorde « la plénitude de puissance » au pape sur les affaires spirituelles, tout en y apportant des restrictions ; l'article 3 rappelle les principes de base du gallicanisme concernant la spécificité des règles, mœurs et constitutions du royaume de France ; le quatrième article émet de façon subtile des doutes sur la doctrine de l'infaillibilité pontificale318. Devant le refus du pape d'accepter ces articles, les évêques français déclarent que « l'Église gallicane se gouverne par ses propres lois ; elle en garde inviolablement l'usage »318. Le Parlement de Paris enregistre les articles en .
Cette épreuve de force a deux conséquences : le pape refuse d'approuver les nominations au poste d'évêque proposées par le roi, provoquant la vacance de nombreux postes ; l'appui du clergé français au roi oblige en quelque sorte ce dernier à adopter la ligne dure de l'Église de France face aux protestants317. Malgré son opposition au pape Innocent XI, Louis XIV ne songe pas à établir une Église gallicane indépendante de Rome, sur le modèle de l'Église anglicane anglaise. Selon Alexandre Maral, il veut « être considéré davantage comme un collaborateur que comme un subordonné »319 du pape. Son approbation des quatre articles du gallicanisme est lié au fort sentiment d'injustice ressenti face à un pape « usant et abusant d'armes spirituelles pour soutenir des intérêts temporels contraires à ceux de la France »319. Le gallicanisme du « Grand Roi » n'est pas mû par une volonté d'indépendance comme chez les anglicans, mais par une volonté de ne pas être un vassal de Rome320.
L'affaire de la régale est compliquée à partir de 1679 par la querelle des Franchises : Innocent XI souhaite mettre fin aux privilèges que les ambassadeurs des cours européennes détiennent à Rome, dans leurs quartiers respectifs. À la mort du duc d'Estrées, en , la police pontificale pénètre dans le quartier du palais Farnèse pour mettre fin aux droits de douane et de police des diplomates français, et le pape menace d'excommunication ceux qui tenteraient de relever les franchises. Le nouvel ambassadeur, le marquis de Lavardin, reçoit du roi la mission de maintenir les franchises françaises, ce dont il s'acquitte en faisant occuper militairement une partie de Rome321.
Avec les protestants
Persécutions
Le protestantisme est, à l'époque de Louis XIV, minoritaire en France, comme il l'a toujours été. Rappelons ici qu'il n'a jamais constitué plus de 10 % de la population y compris lors des guerres de religion du XVIe siècle. En -, on estime le nombre des protestants à environ 787 400322. L'édit, signé à Nantes le par le roi de France Henri IV, est un compromis qui laisse la liberté de culte aux protestants dans certaines limites et la possession de certaines places fortes militaires. Cette possibilité de conserver des places fortes est révoquée sous le règne de Louis XIII lors de la paix d'Alès en 1629.
À la cour, le parti nobiliaire protestant est en voie de disparition : la conversion d'Henri IV et l'édit d'Alès l'a affaibli. Louis XIV, en « domestiquant » la noblesse, « domestiqua » aussi la religion : bon nombre de nobles protestants doivent, pour acquérir une charge, se convertir à la religion du roi, le catholicisme.
Au plan local, par des arrêts du Conseil, Louis XIV restreint peu à peu les libertés accordées aux protestants par l'édit de Nantes, vidant le texte de sa substance. La logique du « tout que ce qui n'était pas autorisé par l'édit est interdit » conduit à l'interdiction de tout prosélytisme et de certains métiers pour les membres de la religion prétendument réformée. Avec l'arrivée au pouvoir de Louvois, la pression sur les protestants s'alourdit par l'obligation qui leur est faite de loger les troupes, les dragonnades322. Les dragonnades ont été d'abord utilisées en Bretagne en , pour venir à bout de la révolte du papier timbré, mais la radicalisation de cette politique accélère les conversions contraintes323. Louis XIV, qui reçoit de son administration des listes de conversions, y voit « l'effet de sa piété et de son autorité ». Si le roi est mal informé par ses services et ses courtisans qui lui cachent la cruelle réalité, il n'en demeure pas moins que celui-ci, « formé par des confesseurs jésuites, nourri dès l'enfance de sentiments anti-protestants », ne demande qu'à croire ce qu'on lui dit324.
Révocation de l'édit de Nantes
Le , le roi signe l'édit de Fontainebleau, contresigné et inspiré par le chancelier Michel Le Tellier325. Il vaut révocation de l'édit de Nantes (promulgué par Henri IV en 1598) et fait du royaume un pays exclusivement catholique. Le protestantisme est interdit sur tout le territoire et des temples sont transformés en églises. À défaut de se convertir au catholicisme, nombre de huguenots choisissent de s'exiler vers des pays protestants : l'Angleterre, les États protestants d'Allemagne, les cantons protestants de Suisse, les Provinces-Unies et ses colonies, comme celle du Cap. On estime à environ 200 000 le nombre d'exilés, dont beaucoup d'artisans ou de membres de la bourgeoisie326. Néanmoins, les récents travaux de Michel Morrineau et de Janine Garrisson ont nuancé les conséquences économiques de la révocation327 : l'économie ne s'effondre pas en et la formation d'une diaspora française en Europe favorise l'exportation ou l'essor européen de la langue française, il n'en demeure pas moins que les conséquences humaines et religieuses sont sérieuses.
Ce geste politique est souhaité par le clergé et par le groupe des anti-protestants, proches de Michel Le Tellier328. Il semble que ceux-ci n'ont que très partiellement informé le roi de la situation des protestants, en profitant du fait que le camp des modérés est affaibli par la mort de Colbert324.
À l'époque, l'unité religieuse est considérée comme nécessaire à l'unité d'un pays, en vertu de l'adage latin « cujus regio ejus religio (à chaque pays sa religion) », mis en avant par Guillaume Postel329. Une telle fusion du politique et du religieux n'est d'ailleurs pas propre à la France : l'Angleterre, après l'exécution de Charles Ier — que Louis XIV a connu à l'époque de la Fronde — impose en le Test Act, qui interdit aux catholiques l'accès aux fonctions publiques et aux Chambres des lords et des communes, mesure qui restera en vigueur jusqu'en .
L'édit de Fontainebleau est bien accueilli en général et pas seulement par les « papistes » et les dévots : « La Bruyère, La Fontaine, Racine, Bussy-Rabutin, le Grand Arnauld, Madeleine de Scudéry et beaucoup d'autres applaudirent », tout comme Madame de Sévigné325. Cette décision redore le prestige de Louis XIV vis-à-vis des princes catholiques et lui restitue « sa place parmi les grands chefs de la chrétienté »65. Bossuet qualifie le roi, dans une oraison de , de « nouveau Constantin »65.
Le pape Innocent XI n'est pas enthousiasmé par l'action du roi. Selon Alexandre Maral, ce pape, qui n'est pas hostile à la rigueur morale des jansénistes, semble avoir voulu la réunification des deux branches séparées (catholiques et protestants) de l'Église. Cette thèse est confortée par le fait qu'il fait cardinal en l'évêque de Grenoble Étienne Le Camus, favorable à cette politique330.
Chez beaucoup de protestants convertis, l'adhésion au catholicisme reste superficielle331, comme le montrent des soulèvements de protestants dans le Languedoc, dont la guerre des Cévennes entre les camisards et les troupes royales constitue le paroxysme.
Judaïsme
Louis XIV fut moins hostile aux Juifs que ses prédécesseurs. Le début de son règne marque en effet une évolution dans la politique du pouvoir royal vis-à-vis du judaïsme. Dans l'esprit de la politique pragmatique de Mazarin, lorsqu'en 1648 les traités de Westphalie attribuent les Trois-Évêchés, la Haute-Alsace et la Décapole à la France, le pouvoir choisit de ne pas exclure les Juifs qui y habitent, bien que l'édit de 1394 qui les expulse de France soit encore théoriquement applicable332. En 1657, le jeune Louis XIV est reçu solennellement, avec son frère, à la synagogue de Metz333. Concernant les Juifs alsaciens, si au départ ils gardent le même statut que sous l'empire germanique, peu à peu les choses vont s'améliorer avec les lettres patentes de 1657334. Enfin, les ordonnances de 1674, publiées par l'intendant La Grange, font que le statut des Juifs de l'Alsace royale est aligné sur celui des Juifs de Metz, et que le péage corporel est aboli pour eux. Ceux du reste de la province restent cependant assimilés à des étrangers, et donc soumis à ce péage corporel. Les Juifs d'Alsace royale ayant le même statut que les Juifs messins, un rabbinat des Juifs d'Alsace est créé en 334.
Un certain nombre de Juifs hollandais, qui ont immigré à Pernambouc, au Brésil, sous domination hollandaise de à 335, doivent quitter ce pays quand les Portugais en reprennent le contrôle et y rétablissent l'Inquisition. Certains s'établissent alors aux Antilles françaises et la tradition veut que la capitale de la Guadeloupe, Pointe-à-Pitre, doive son nom à un Juif hollandais, appelé Peter ou Pitre selon la transcription en français336. Toutefois, les Juifs quittent la Martinique quand ils en sont expulsés en , expulsion élargie à toutes les Antilles françaises par le Code noir de , dont le premier article enjoint à « tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes »337,338.
Opposition royale au quiétisme de Fénelon
L'oraison (ou prière d'adoration) est en vogue aux XVIe et XVIIe siècles, avec notamment Sainte Thérèse d'Avila, Saint Jean de la Croix et en France, Pierre de Bérulle et François de Sales. En Espagne, Miguel de Molinos publie un Guide spirituel (1675), dans lequel il soutient une vision extrême de l'oraison où l'âme peut s'anéantir en Dieu et échapper au péché. D'abord favorable à cette position, le pape Innocent XI finit par condamner 68 des propositions de ce livre, par la bulle Caelestis Pastor (1687)339. En France, cette pensée inspire Madame Guyon, qui à son tour influence non seulement des dames de la cour, mais également Fénelon, précepteur du duc de Bourgogne, fils du Grand Dauphin.
C'est le directeur spirituel de Saint-Cyr, où l'épouse secrète de Louis XIV s'occupe de l'éducation des jeunes filles, qui, le premier, en , s'inquiète de la progression de la doctrine de Madame Guyon dans cet établissement. Mis au courant, le roi soupçonne une cabale et enjoint à son épouse de rompre ses relations avec la dame en question340. Par ailleurs, le roi en appelle à l'arbitrage de Bossuet qui passe alors pour le chef de l'Église catholique en France. De son côté, Fénelon, qui a rédigé en de façon anonyme une violente diatribe contre la politique royale, se voit refuser l'évêché de Paris339. L'affaire religieuse se double maintenant d'une affaire politique. Les jésuites, qui ont fait condamner les thèses de Miguel de Molinos inspirateur du quiétisme, soutiennent maintenant Madame Guyon, sa disciple. Cette attitude est dictée par leur volonté de s'opposer aux gallicans qui mènent l'attaque contre elle et contre Fénelon. Précisons ici que les gallicans sont partisans d'une certaine indépendance de l'Église de France vis-à-vis du pape, alors que les jésuites qui soutiennent le pape sont ultramontains. Finalement, le souverain pontife se garde bien de condamner formellement Madame Guyon et se contente de réprouver vaguement quelques thèses341.
Les choses auraient pu en rester là si Fénelon n'avait pas fait paraître, en , Les Aventures de Télémaque, composé à l'intention des enfants royaux et exposant une critique de l'absolutisme royal. Le roi fait saisir cet ouvrage qui le renforce dans sa volonté de ne jamais faire revenir son auteur à la cour341. L'opposition de Fénelon à la politique de Louis XIV semble basée sur un fort sentiment anti-machiavélisme qui refuse « la séparation entre la religion et la politique, la morale chrétienne et la morale d'État »342. La pensée de Fénelon nourrira tout un courant aristocratique marqué par l'idée d'une « monarchie patriarcale et tempérée, ennemie de la guerre, vertueuse, philanthropique »340.
Problèmes religieux de la fin du règne
Amélioration des relations avec le Vatican
Le rapprochement entre Louis XIV et Innocent XI était très difficile voire impossible, en raison d'une opposition de fond. Quand il est élu, le pape ambitionne de devenir le directeur spirituel du roi. Dans une lettre de mars , il demande au chargé d'affaires de la nonciature que, par l'intermédiaire du père de La Chaize, confesseur du roi, il soit conseillé à Louis XIV de bien vouloir « réfléchir au moins pendant dix minutes et bénir le Seigneur tout en s'efforçant aussi de méditer souvent sur la vie éternelle et sur la caducité de la gloire et des biens temporels »343. Par ailleurs, ce pape n'est pas sans sympathie pour l'austérité et la rigueur des jansénistes. Dans l'affaire de la régale, il donne d'ailleurs raison à deux évêques jansénistes, ce qui pousse le roi à adopter une attitude strictement gallicane344. Enfin leurs politiques respectives envers les musulmans et les protestants sont radicalement différentes : le pape voudrait que le roi soutienne l'empereur dans sa lutte contre les Turcs, ce que Louis XIV ne fait qu'à reculons, car ce n'est pas dans l'intérêt de la France345. De même au moment de la guerre de Neuf Ans, ce pape favorisera les intérêts de l'empereur lors de la succession à l'évêché de Cologne. En ce qui concerne les protestants, ce pape est plutôt en faveur de la concorde et guère favorable à l'édit de Fontainebleau346.
L'élection d'Alexandre VIII en change la donne. Celui-ci fait cardinal Forbin-Janson, que soutient le roi et qui, par reconnaissance, lui restitue Avignon et le Comtat Venaissin347. Son successeur Innocent XII, élu en , commence à régler la question des évêques dont la nomination n'avait pas été validée par le Vatican depuis . En , le roi obtient des évêques français le retrait des quatre articles fondateurs du gallicanisme puis, peu à peu, l'affaire de la régale s'éteint348. En 1700, au début de la guerre de Succession d'Espagne, le nouveau pape Clément XI aide Louis XIV en soutenant son candidat pour l'archevêché de Strasbourg, contre celui de l'Empereur348.
Bulle Vinean domini
À la fin du règne de Louis XIV, le clergé français est majoritairement proche d'un augustinisme modéré teinté de jansénisme, animé par l'archevêque de Paris Louis-Antoine de Noailles, par l'archevêque de Reims Charles-Maurice Le Tellier (frère de Louvois), et par Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, prédicateur et rédacteur des Quatre articles de l'église gallicane. Le père Pasquier Quesnel, vu comme un continuateur du jansénisme, vient interrompre cette progression lente du jansénisme, en défendant des thèses d'un gallicanisme radical dans la continuité de la pensée d'Edmond Richer. Il veut notamment l'élection des évêques et des curés par les chrétiens349. Parallèlement, les jansénistes durs lancent « l'affaire du cas de conscience », portant sur l'absolution à donner ou non à un prêtre qui n'admet pas que les cinq propositions du jansénisme condamnés par le pape figurent dans l'Augustinus350. Fénelon, qui veut s'imposer contre Bossuet, adopte les thèses jésuites et insiste pour que Rome se prononce pour le refus de l'absolution, ce que fait le pape en promulguant la bulle Vinean Domini Sabaoth en . Parallèlement, on assiste à un durcissement de l'attitude des dernières sœurs de Port-Royal, qui refusent d'accepter la position conciliante de l'archevêque de Paris. Elles sont alors excommuniées et le roi fait raser l'abbaye par un arrêt de 351.
Bulle Unigenitus
Le père Le Tellier, nouveau confesseur du roi, et Fénelon, veulent obtenir une condamnation franche des thèses du père Quesnel, à la fois pour des raisons religieuses et peut-être par ambition personnelle350. En effet, ils espèrent ainsi obtenir la révocation ou la démission du cardinal de Noailles, archevêque de Paris proche des thèses gallicano-augustiennes352. Le pape, d'abord réticent par crainte de relancer un conflit dans le clergé français, finit par céder et publie la bulle Unigenitus (1713), qui développe une vision hiérarchisée et dogmatique de l'Église353. Les instigateurs français de la bulle imposent alors une interprétation dure du texte à l'intention du clergé français. Le cardinal de Noailles s'y oppose tout comme une large partie du bas clergé et des fidèles. Le roi et le pape ne parviennent pas à s'accorder sur la manière de faire obéir le cardinal, car le roi s'oppose à tout acte d'autorité pontificale qui mettrait en cause les libertés gallicanes354. Le Parlement et la haute administration s'opposent de leur côté à l'enregistrement de la bulle, et le roi meurt sans avoir pu les y forcer355.
Culture, arts et sciences : instruments de rayonnement et de pouvoir
La recherche de gloire chez Louis XIV ne passe pas seulement par la politique et la guerre : elle inclut les arts, les lettres et les sciences ainsi que la construction de palais somptueux et des spectacles à grand déploiement356. Même si le succès et l'instrumentalisation politique des références antiques s'intensifient dès la Renaissance, la mythologie gréco-romaine se trouve particulièrement sollicitée à des fins de prestige et de propagande royale357.
Sens du spectacle
Le roi accorde une grande importance aux fêtes spectaculaires (voir « Fêtes à Versailles »), ayant appris de Mazarin l'importance du spectacle en politique et la nécessité de montrer sa puissance pour renforcer l'adhésion populaire358. Dès 1661, alors que Versailles n'est pas encore construit, il détaille, de façon précise pour l'instruction du Grand Dauphin venant de naître, les raisons qui doivent pousser un souverain à organiser des fêtes :
« Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu'on ne peut dire. Les peuples, d'un autre côté, se plaisent au spectacle où, au fond, on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu'ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l'égard des étrangers, dans un État qu'ils voient d'ailleurs florissant et bien réglé, ce qui se consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur […]n 24. »
Afin d'éblouir la cour et la favorite du moment, il organise des fêtes fastueuses, pour lesquelles il n'hésite pas à faire venir des animaux d'Afrique. La plus célèbre et la mieux documentée de ces fêtes est sans doute Les Plaisirs de l'île enchantée, en . L'historien Christian Biet décrit ainsi l'ouverture de ces fêtes :
« Précédé d'un héraut d'armes vêtu à l'antique, de trois pages dont celui du roi, M. d'Artagnan, de huit trompettes et de huit timbaliers, le roi s'est montré tel qu'en lui-même, sous un déguisement grec, sur un cheval au harnais couvert d'or et de pierreries. [...] Les comédiens de la troupe de Molière furent particulièrement admirés. Le Printemps, sous les traits de la Du Parc, parut sur un cheval d'Espagne. On la savait très belle, on l'aimait en coquette, elle fut superbe. Ses manières hautaines et son nez droit enthousiasmèrent les uns, ses jambes qu'elle savait montrer et sa gorge blanche mirent les autres dans tous leurs états. Le gros Du Parc, son mari, avait quitté ses rôles de grotesque pour jouer l'Été sur un éléphant couvert d'une riche housse. La Thorillière, habillé en Automne, défilait sur un chameau, et tous s'émerveillèrent de ce que cet homme si fier imposât sa prestance naturelle à l'exotique animal. Enfin l'Hiver, représenté par Louis Béjart, fermait la marche sur un ours. De mauvaises langues affirmèrent que seul un ours maladroit pouvait s'attacher à la claudication du préposé aux emplois de valets. Leur suite était composée de quarante-huit personnes, dont la tête était ornée de grands bassins pour la collation. Les quatre comédiens de la troupe de Molière récitèrent alors des compliments pour la reine, sous les feux de centaines de chandeliers peints de vert et d'argent, chargés chacun de vingt-quatre bougies359. »
Bâtisseur
Dans l'esprit du roi, la grandeur d'un royaume doit aussi se mesurer à son embellissement. Sur les conseils de Colbert, un des premiers chantiers du roi sera la restauration du palais et du jardin des Tuileries356, confiée à Louis Le Vau et à André Le Nôtre. Les décors intérieurs sont l'œuvre de Charles Le Brun et des peintres de la brillante Académie royale de peinture et de sculpture.
Après l'arrestation de Fouquet, dont il semble vouloir imiter la vie fastueuse symbolisée par le château de Vaux-le-Vicomte, le roi dépense d'importantes sommes dans l'embellissement du Louvre (1666-1678) — dont le projet est confié à Claude Perrault, au détriment du Bernin, pourtant venu exprès de Rome. Il confie la restauration des jardins du château de Saint-Germain-en-Laye, sa demeure principale avant Versailles, à Le Nôtre356. Louis XIV emménage au château de Versailles en 1682, après plus de vingt ans de travaux360. Ce château coûte moins de 82 millions de livres, soit à peine plus que le déficit budgétaire de 1715356. En la construction du Grand Trianon est confiée à Jules Hardouin-Mansart. Outre le château de Versailles, qu'il fait agrandir petit à petit tout au long de son règne, le roi fait aussi construire le château de Marly afin d'y recevoir ses intimes.
Paris lui doit aussi, entre autres, le pont Royal (financé sur ses propres deniers), l'Observatoire, les Champs-Élysées, les Invalides, la place Vendôme ainsi que la place des Victoires (commémorant la victoire sur l'Espagne, l'Empire, le Brandebourg et les Provinces-Unies). Deux arcs de triomphe, la porte Saint-Denis et la porte Saint-Martin, célèbrent les victoires du Roi-Soleil lors de ses guerres européennes361.
Il fait aussi modifier profondément la structure de plusieurs villes françaises — Lille, Besançon, Belfort, Briançon — en les fortifiant grâce aux travaux de Vauban. Il crée ou développe certaines villes, tel Versailles pour la cour, ou Neuf-Brisach et Sarrelouis pour défendre les acquisitions de l'Alsace et de la Lorraine. En , la ceinture de fer des fortifications défendant la France est pour l'essentiel achevée362.
Pour faciliter le développement de la marine royale, il développe les ports et arsenaux de Brest et de Toulon, crée un port de guerre à Rochefort, des ports de commerce à Lorient et Sète et fait construire le port franc et l'arsenal des galères à Marseille363.
Langue française et classicisme littéraire
Sous Louis XIV se poursuit le processus engagé par Louis XIII, conduisant le français à devenir la langue des lettrés en Europe ainsi que la langue de la diplomatie, qu'elle continue à être au XVIIIe siècle364. Cette langue est alors peu parlée en France, hors des cercles du pouvoir et de la cour, qui joue un rôle central dans sa diffusion et dans son élaboration365. Le grammairien Vaugelas définit d'ailleurs le bon usage comme « la façon de parler de la plus saine partie de la cour »366. Poursuivant sur la lancée de ce dernier, Gilles Ménages et Dominique Bouhours (auteur des Entretiens d'Ariste et d'Eugène) insistent sur la clarté ainsi que sur la justesse de l'expression et de la pensée367. Parmi les grands grammairiens de ce siècle figurent également Antoine Arnauld et Claude Lancelot, auteurs en 1660 de la Grammaire de Port-Royal. Les femmes jouent un rôle important dans l'élaboration de la langue française, comme le montre, d'une certaine façon, la pièce de Molière Les Précieuses ridicules. Ce sont elles qui lui apporte son souci de la nuance, son attention à la prononciation et son goût de la néologie. La Bruyère écrit à leur sujet : « Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche ; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettentn 25 ». De son côté, Nicolas Boileau, dans son Art poétique, paru en , résume selon Pierre Clarac, « la doctrine classique telle qu'elle avait été élaborée en France dans la première moitié du siècle. L'ouvrage n'a rien - et ne pouvait rien avoir - d'original dans son inspiration. Mais ce qui le distingue de tous les traités de ce genre, c'est qu'il est en vers et qu'il cherche à plaire plus qu'à instruire. Composé à l'usage des gens du monde, il obtient auprès d'eux le plus éclatant succès »369. Vers , le roman héroïque, qui remonte à Henri IV, décline, tandis que de nouvelles formes d'écrits, nouvelles, lettres se développent et font l'objet de théorisation à travers notamment le Traité de l'origine des romans de Pierre-Daniel Huet () et des Sentiments sur les lettres et sur l'histoire, avec des scrupules sur le style de Du Plaisir ()368.
Les Français de province parlent alors des langues régionales, le français ne deviendra la langue populaire commune que sous la Troisième République. De plus, durant cette période, même si les religions, afin de mieux être comprises de leurs ouailles, font un effort de scolarisation, le taux d'alphabétisation reste modeste et atteint dans les régions les plus favorisées jusqu'à 60 % des hommes et 30 % des femmes370. Les élites administratives et politiques sont obligées d'être bilingues (français, langue régionale), ou trilingues quand on ajoute le latin. Malgré cela, il se forme un public de cour (modèle de l'honnête homme) qui valorise l'homme de lettres et lui attribue un « statut spécifique »371. Les hommes de lettres sont formés, comme les gens aisés, dans les collègues jésuites (une centaine), dans les collèges de l'Oratoire ou encore, comme Jean Racine, aux « petites écoles » de Port-Royal où l'enseignement repose sur l'étude des classiques latins, Cicéron, Horace, Virgile, Quintilien. Devenus écrivains, ils veulent les imiter non pas servilement mais de façon à les dépasser372. Les auteurs de l'époque de Louis XIV, notamment Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, La Bruyère, Charles Perrault, Fénelon, Madame de La Fayette, Madame de Sévigné, ne sont appelés à leur tour classiques qu'à partir de Stendhal, qui les nomme ainsi pour les opposer aux romantiques372. Lorsqu'éclate la querelle des Anciens et des Modernes à la fin du règne, la France a su édifier une littérature et une langue dont le rayonnement durera au moins deux siècles373.
Au XVIIIe siècle, Voltaire célèbre dans deux de ses livres, Le Temple du goût () et Le Siècle de Louis XIV, la littérature et la langue française de cette époque, symboles de l'excellence française. Fin du XIXe siècle, au moment où la Troisième République entreprend son œuvre de scolarisation de masse, Gustave Lanson voit, dans la langue française et la littérature de l'époque de Louis XIV, un instrument de la « prépondérance française ». Si, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les autorités se méfient de Louis XIV, elles magnifient malgré tout les auteurs classiques qu'elles donnent massivement à lire aux lycéens374.
Patron des arts et des sciences
Dans sa jeunesse, Louis XIV danse lors des ballets donnés à la cour, tel le Ballet des Saisons, à l'été . Il dansera son dernier ballet en 376. Au ballet succéderont les comédies-ballets tel Le Bourgeois gentilhomme de Molière. En est fondée l'Académie royale de danse. Le roi chante aussi en s'accompagnant à la guitare. Robert de Visée, musicien à la Chambre du Roi, compose deux livres de pièces pour la guitarre dédiées au Roy. La musique fait partie de la vie de cour. Il ne passe pas un jour sans musique à Versailles. Tous les matins, après le conseil, Louis XIV écoute trois motets à la chapelle royale377.
Grand amateur de musique italienne, Louis XIV fait de Jean-Baptiste Lully le surintendant de la musique et le maître de musique de la famille royale. Toujours à l'affût de nouveaux talents, le roi lance des concours de musique : en , Michel-Richard de Lalande devient ainsi sous-maître de la Chapelle royale et composera plus tard ses Symphonies pour les Soupers du Roy.
Accordant une grande place au théâtre, Louis XIV « a orienté certains écrivains, moins par son goût et sa culture que par son prestige, vers la décence et la noblesse, vers le bon sens et la justesse378 ». Son influence est considérable car il se comporte en mécène et finance les grandes figures culturelles de l'époque, dont il aime s'entourer. Artistes et écrivains rivalisent d'efforts et de talent pour mériter son appréciation. Ayant très tôt découvert le génie comique de Molière, il fait restaurer pour lui, en , la salle du Palais-Royal, où le comédien jouera jusqu'à sa mort379. Pour le récompenser, le roi octroie six mille livres de pension à sa troupe, qui devient officiellement « La Troupe du Roi au Palais-Royal » (1665) ; la même année, il devient le parrain de son premier enfant.
En même temps que la comédie acquiert avec Molière ses lettres de noblesse, la tragédie continue de s'épanouir et « tend à devenir une institution d'État380 », atteignant un sommet avec Racine, que le roi récompensera du succès de Phèdre (1677) en le nommant son historiographen 26. Selon Antoine Adam,
« La grandeur historique de Louis XIV avait été de donner au royaume un style. Que ce soit Bossuet ou La Rochefoucauld, ou Mme de Lafayette, que ce soient les héroïnes de Racine, tous et toutes ont en commun le sens de l'attitude, non pas théâtrale, mais magnifique. Ils sont comme portés à ce haut niveau par l'orgueil de la race ou du rang social, par le sentiment de leurs devoirs et de leurs droits. C'est aux environs de que ce style s'est affirmé avec le plus de force, c'est à cette époque que la France monarchique a eu le mieux conscience de vivre un moment exceptionnel de l'histoire382. »
La référence à l'antiquité romaine s'impose en art. Le roi est représenté par les peintres comme étant le nouvel Auguste, comme Jupiter, vainqueur des Titans, comme Mars, dieu de la guerre ou Neptune. La nouvelle cosmologie s'oppose à la morale héroïque de Corneille. Elle vise à « redéfinir autour de la monarchie un nouvel ordre, un nouvel ensemble de valeurs »383. À partir de -, Nicolas Boileau fait l'éloge du bon sens et de la raison, ce qui contribue à ruiner « l'emphase tragique à la Corneille » caractéristique de l'aristocratie frondeuse du début du siècle. L'art vise alors à imposer à l'aristocratie des valeurs plus « romaines » destinées à « discipliner ses folles impulsions »384. Vers la fin du siècle, la tragédie s'essouffle et subit la désaffection du public385.
En , est fondée l'Académie royale de peinture et de sculpture, où sont formés tous les grands artistes du règne. Placée sous la protection de Colbert, elle est dirigée par Charles Le Brun et compte parmi ses fondateurs les plus grandes figures de la peinture française du milieu du siècle, tels Eustache Le Sueur, Philippe de Champaigne, et Laurent de La Hyre386. Conçue sur le modèle des académies italiennes, elle permet aux artistes titulaires d'un brevet du roi d'échapper aux règles contraignantes des corporations urbaines, qui régissent depuis le Moyen Âge le métier de peintre et de sculpteur. Les membres de l'Académie mettent au point un système élaboré d'enseignement, de copie d'après les maîtres, de conférences destinées à théoriser le « beau » au service du monarque, et créent même une Académie de France à Rome, où sont envoyés les élèves les plus méritants. La plupart des grandes commandes du règne, dont les décors peints et sculptés du château de Versailles, sont réalisées par les élèves formés dans cette nouvelle Académie royale386. En , Colbert invite Le Bernin, alors au sommet de sa gloire, pour la restructuration du Louvre; si son projet est écarté, l'architecte-sculpteur italien réalise cependant un buste du roi en marbre blanc et une statue équestre qu'il livre vingt ans après son retour à Rome : d'abord « exilée » dans un coin peu prestigieux du parc de Versailles, celle-ci est aujourd'hui conservée dans l'Orangerie du château (tandis qu'une copie orne actuellement la place devant la Pyramide du Louvre à Paris)387. Cette dernière statue a été dévoilée à Versailles en même temps que le Persée et Andromède du sculpteur français Pierre Puget, dont le célèbre Milon de Crotone orne déjà le parc depuis .
En , Louis XIV devient le protecteur officiel de l'Académie française : « Sur les conseils de Colbert, le roi lui offrit un domicile — au Louvre — un fonds pour couvrir ses besoins, des jetons pour récompenser la présence aux séances ; il lui offrit aussi quarante fauteuils — signe de l'égalité totale entre académiciens388. » En , il fonde l'Académie des sciences, destinée à concurrencer la Royal Society de Londres386. Son règne voit aussi la réorganisation du Jardin des plantes et la création du Conservatoire des machines, arts et métiers358.
Profil et caractéristiques
Personnalité
Le « portrait de Louis XIV » occupe une place de choix dans les Mémoires de Saint-Simon (381 pages dans l'édition Boislisle de ). Pour le mémorialiste, tout le « caractère » du roi découle de son trait fondamental, l'orgueil, alimenté par la flatterie dont il fait sans cesse l'objet, et par son esprit qui est, dit-il, « au-dessous du médiocre […] mais capable de se former et de se raffiner »389. Selon l'historien moderne Thierry Sarmant, l'orgueil de Louis XIV vient du sentiment d'appartenir à la plus ancienne, la plus puissante et la plus noble dynastie d'Europe, les Capétiens, de même que de la grande confiance en sa capacité de gouverner qu'il gagne après des débuts hésitants390.
Certains de ses contemporains tel le maréchal de Berwick ont souligné sa grande politesse, et sa belle-sœur Madame Palatine son affabilité391. Il traite ses domestiques avec respect392, Saint-Simon note d'ailleurs que sa mort n'est regrettée « que de ses valets inférieurs, de peu d'autres gens »393. Il a d'ailleurs comme principal homme de confiance son fidèle valet Alexandre Bontemps, organisateur de son mariage secret avec Madame de Maintenon et l'un des rares témoins de ce remariage394.
Malgré son surnom de « roi soleil », il est de nature timide, ce qui n'est pas sans rappeler son père Louis XIII et ses successeurs Louis XV et Louis XVI. Il redoute les conflits et les scènes, ce qui l'amène à s'entourer de plus en plus de ministres effacés et dociles tels que d'Aligre, Boucherat, mais surtout Chamillart, l'un de ses favoris. Au demeurant, il n'est en confiance que dans un cercle restreint de parents, domestiques, ministres de longue date et quelques grands seigneurs395.
Au fil des années, il a su maîtriser sa timidité, sans la surmonter, et la fait paraître comme maîtrise de soi395. Primi Visconti, un chroniqueur du XVIIe siècle, relate qu' « en public, il est plein de gravité et très différent de ce qu'il est en son particulier. Me trouvant dans sa chambre avec d'autres courtisans, j'ai remarqué plusieurs fois que, si la porte vient par hasard à être ouverte, ou s'il sort, il compose aussitôt son attitude et prend une autre expression de figure, comme s'il devait paraître sur un théâtre »396. S'exprimant de manière laconique et préférant réfléchir seul avant de prendre une décision397, une de ses répliques célèbres est « je verrai », en réponse à des requêtes de toutes sortes395.
Le roi lit moins que la moyenne de ses contemporains cultivés. Il préfère se faire lire les livres. Il aime en revanche la conversation. Un de ses interlocuteurs favoris, Jean Racine, est aussi un de ses lecteurs préférés. Louis XIV lui trouve « un talent particulier pour faire sentir la beauté des ouvrages »398. Racine lui lit notamment La Vie des hommes célèbres de Plutarque. À partir de , le roi se met à constituer une bibliothèque de livres rares, parmi lesquels figurent : Les Éléments de la politique de Thomas Hobbes, Le Prince parfait de J. Bauduin399, Le portrait du gouverneur politique de Mardaillan et la Dîme royale de Vauban400,401.
Emblème, devise et monogramme
Emblème
Louis XIV choisit pour emblème le soleil. C'est l'astre qui donne vie à toute chose, mais c'est aussi le symbole de l'ordre et de la régularité. Il régna en soleil sur la cour, les courtisans et la France. Les courtisans assistaient à la journée du roi comme à la course journalière du soleil. Il apparaît même déguisé en soleil lors d'une fête donnée à la cour en 402.
Devise
Voltaire rappelle, dans son Histoire du siècle de Louis XIV, la genèse de la devise du Roi-Soleil. Louis Douvrier, spécialiste des monnaies antiques, en prévision du carrousel de 1662, a l'idée d'attribuer un emblème et une devise à Louis XIV, qui n'en a pas. Cet ensemble ne plait pas au roi qui le trouve ostentatoire et prétentieux. Douvrier, pour assurer malgré tout le succès de sa production, la promeut discrètement auprès de la cour qui s'enthousiasme de cette trouvaille et y voit l'occasion de montrer son éternel esprit de flatterie. Le blason comporte un globe éclairé par un soleil étincelant et la devise latine : nec pluribus impar, formule construite en litote dont le sens a prêté à discussion, signifiant littéralement « sans son pareil même dans un grand nombre »n 27. Louis XIV refuse toutefois de s'en parer et ne la porte jamais dans les carrousels. Il semble que, par la suite, il ne fit que la tolérer, pour ne pas décevoir ses courtisans. Charles Rozan rapporte la parole que Louvois adresse au roi quand celui-ci déplore le sort de Jacques II d'Angleterre chassé de son pays : « Si jamais devise a été juste à tous égards, c'est celle qui a été faite pour votre Majesté : Seul contre tous »403.
Monogramme
Le monogramme de Louis XIV représente deux lettres "L" affrontées :
Travail
Louis XIV travaille environ six heures par jour : de 2 à 3 heures le matin et l'après-midi, sans compter le temps consacré à la réflexion et aux affaires extraordinaires, à la participation aux différents conseils et à la liasse c'est-à-dire aux tête-à-tête avec les ministres ou ambassadeurs404. Le roi tient également à se tenir informé de l'opinion de ses sujets. C'est lui qui traite directement les demandes de grâce car, de la sorte, il peut s'instruire de l'état de ses peuples405. Après dix ans d'exercice du pouvoir, il écrit :
« C'est ici la dixième année que je marche, comme il me semble, assez constamment dans la même route ; écoutant mes moindres sujets ; sachant à toute heure le nombre et la qualité de mes troupes et l'état de mes places ; donnant incessamment mes ordres pour tous leurs besoins ; traitant immédiatement avec les ministres étrangers; recevant et lisant les dépêches ; faisant moi-même une partie des réponses et donnant à mes secrétaires la substance des autres406. »
Si l'historien François Bluche admet l'existence « d'accords instinctifs, implicites ou intuitifs entre le souverain et ses sujets », il pointe malgré tout « la relative insuffisance de relations entre le gouvernement et les sujets de Sa Majesté »407.
Physionomie
Il a souvent été dit du roi qu'il n'était pas grand. En , Louis Hastier a déduit, à partir des dimensions de l'armure qui lui a été offerte en par la république de Venise, que le roi ne peut mesurer plus de 1,65 m. Cette déduction est aujourd'hui contestée car cette armure a pu être fabriquée selon un standard moyen de l'époque408. En effet, il s'agit d'un présent honorifique qui n'est pas destiné à être porté, si ce n'est dans les tableaux peints à sujet antique. Certains témoignages confirment que le roi était d'une belle prestance, ce qui laisse supposer que, pour son temps, il a au moins une taille moyenne et une silhouette bien proportionnée. Madame de Motteville raconte, par exemple, que lors de l'entrevue sur l'île des Faisans, en , entre les jeunes promis présentés par les deux parties — française et espagnole — que l'Infante Reine « le regardait avec des yeux tout à fait intéressés par sa bonne mine, parce que sa belle taille le faisait dépasser les deux ministres [Mazarin, d'un côté et don Louis de Haro, de l'autre] de toute la tête »409. Enfin, un témoin, François-Joseph de Lagrange-Chancel, maître d'hôtel de la Princesse Palatine, belle-sœur du roi, avance une mesure précise : « Cinq pieds, huit pouces de hauteur », soit 1,84 m410.
Santé
Si le règne de Louis XIV est d'une longueur exceptionnelle, malgré tout sa santé n'a jamais été bonne, ce qui lui vaut d'être quotidiennement suivi par un médecin : Jacques Cousinot de à , François Vautier en , Antoine Vallot de à , Antoine d'Aquin de à , enfin Guy-Crescent Fagon jusqu'à la mort du roi. Tous ont abondamment recours à des saignées, à des purgations et à des lavements aux clystères — le roi aurait reçu plus de 5 000 lavements en 50 ans411. Par ailleurs, comme l'expliquent des notes sanitaires, il eut de nombreux ennuis peu « royaux »412. Ainsi, il arrive à Louis d'avoir fort mauvaise haleine à cause de ses ennuis dentaires, apparus en selon le journal de son dentiste Dubois ; il arrive alors à ses maîtresses de placer un mouchoir parfumé devant leur nez413. Par ailleurs, en 1685, alors qu'on lui arrache un des nombreux chicots de son maxillaire gauche, une partie de son palais est arrachée, provoquant une « communication bucco-nasale »414.
La lecture du journal de santé du roi Louis XIV, minutieusement entretenu par ses médecins successifs, est édifiante : il se passe peu de jours sans que le souverain soit l'objet d'une purgation, d'un lavement, d'un emplâtre, d'une pommade ou d'une saignée415. On y trouve entre autres consignés :
- petite vérole en ;
- troubles gastriques et dysenteries, indispositions chroniques chez ce monarque, réputé gros mangeur ;
- tumeurs : téton droit cautérisé en ;
- gonorrhée : tenue secrète, cette maladie le tenaille régulièrement depuis mai , époque de ses premières liaisons ;
- vapeurs et douleurs dorsales fréquentes : certaines () attribuées à une attaque de syphilis ; avec pustules sur tout le visage et d'autres parties du corps, suivie d'un début de « gangrène » des orteils ;
- langueurs et fièvres variées: la fièvre typhoïde de juin lui fait perdre ses cheveux et le condamne à porter des perruques toute sa vie ;
- maux de dents : en , toute sa dentition supérieure côté gauche est « arrachée », avec le voile du palais qui sera cautérisé plusieurs fois aux pointes de feu (les liquides lui ressortent parfois par le nez) ;
- fistule anale : cette malformation handicapante lui fera finalement subir une opération expérimentale la plus douloureuse qui soit (par le chirurgien Félix) en (voir Fistule anale de Louis XIV) ;
- ennuis urinaires, accompagnés de probables calculs (mictions accompagnées de « pelotons de sable ») ;
- goutte : des attaques insupportables au pied droit et à la cheville gauche le tiennent longtemps immobilisé ou gênent sa marche — ses dernières années tiendront du supplice.
Maîtresses et favorites
Louis XIV a de très nombreuses maîtresses dont Louise de La Vallière, Athénaïs de Montespan, Marie-Élisabeth de Ludres, Marie Angélique de Fontanges, et Madame de Maintenon (qu'il épouse secrètement après la mort de la Reine, sans doute dans la nuit du 9 au , en présence du Père de La Chaise qui donne la bénédiction nuptiale)416.
Le roi adolescent fait, à 18 ans, la rencontre d'une nièce du cardinal Mazarin, Marie Mancini. S'ensuit entre eux une grande passion, qui mène le jeune roi à envisager un mariage, que ni sa mère, ni le cardinal ne consentent à accepter. Le monarque menace alors d’abandonner la couronne pour cette Italienne, française dans sa culture. Il s'effondre en sanglots lorsqu’elle est contrainte de quitter la cour, en raison de l’insistance de l’oncle de la jeune fille, qui est aussi parrain du roi, Premier ministre du royaume et prince de l'Église. Le primat préfère faire épouser au roi sa pupille, l'infante d'Espagne417. En , Jean Racine s'inspire de l'histoire du roi et de Marie Mancini pour écrire Bérénice.
Plus tard, le roi fait aménager des escaliers secrets dans Versailles pour rejoindre ses différentes maîtresses418. Ces liaisons irritent la compagnie du Saint-Sacrement, un parti de dévots. Bossuet, comme Madame de Maintenon, tentent de ramener le roi à plus de vertu.
Louis XIV, s'il aime les femmes, est conscient qu'il doit d'abord veiller aux affaires de l'État. Il note dans ses mémoires « il faut que le temps que nous donnons à nos amours ne soit jamais pris au préjudice de nos affaires »419. Il a une certaine méfiance vis-à-vis de l'influence que les femmes peuvent exercer sur lui. C'est ainsi qu'il refuse un bénéfice à une personne soutenue par Mme de Maintenon en disant « je ne veux absolument pas qu'elle s'en mêle »420.
On dénombre au moins quinze favorites et maîtresses supposées du roi, avant son mariage avec Madame de Maintenon :
- Marie Mancini, nièce du cardinal de Mazarin qui devient par la suite la femme du Connétable de Colonna421 ;
- Olympe Mancini, comtesse de Soissons (1655), sœur de la précédente422 ;
- Henriette Anne Stuart d'Angleterre, sa belle-sœur — le statut de maîtresse est contesté par des historiens, notamment par Jean-Christian Petitfils qui parle de relation platonique423 ;
- Louise Françoise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière et de Vaujours (- (liaison avec le roi de à )424 ;
- Catherine Charlotte de Gramont, princesse de Monaco, épouse du prince de Monaco424 ;
- Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan ( à )425 ;
- Bonne de Pons, marquise d'Heudicourt (1665 ou 1666) ;
- Anne-Julie de Rohan-Chabot, princesse de Soubise ( à )426 ;
- Marie-Élisabeth de Ludres ( à )427 ;
- Lydie de Rochefort-Théobon426 ;
- Marie Angélique de Scoraille de Roussille, marquise puis duchesse de Fontanges († ), dite « Mademoiselle de Fontanges »428 ;
- Claude de Vin des Œillets, dite « mademoiselle des Œillets » ;
- Charlotte-Éléonore de La Mothe-Houdancourt426 ;
- Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon, veuve du poète Scarron dite « la belle Indienne », qu'il épouse en secret (mariage morganatique) après le décès de la reine427.
À propos des maîtresses du roi, Voltaire remarque, dans Le Siècle de Louis XIV : « C'est une chose très remarquable que le public, qui lui pardonna toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur ». Par là, il fait allusion au dernier confesseur du roi, Michel Le Tellier, auquel une chanson satirique attribue la bulle Unigenitus429.
Titres
Famille
Ascendance
Descendance
Louis XIV a de nombreux enfants légitimes et illégitimes.
De la reine, Marie-Thérèse d'Autriche, le roi a six enfants (trois filles et trois garçons) dont un seul, Louis de France, le « Grand Dauphin », survécut à l'enfance :
Nom Naissance Décès Louis de France, fils de France, le Grand Dauphin Anne-Élisabeth de France, fille de France Marie-Anne de France, fille de France Marie-Thérèse de France, fille de France, la Petite Madame Philippe-Charles de France, fils de France, duc d'Anjou Louis-François de France, fils de France, duc d'Anjou De ses deux principales maîtresses, il eut 10 enfants légitimés dont 5 seulement survivent à l'enfancen 28 :
De l'union du roi avec Louise de La Vallière naissent cinq ou six enfants dont deux survivent à l'enfance430,431.
Nom Naissance Décès Charles de La Baume Le Blanc, mort sans être légitimé Philippe de La Baume Le Blanc, mort sans être légitimé Louis de La Baume Le Blanc, mort sans être légitimé Marie-Anne, mademoiselle de Blois (1666-1739), mariée au prince de Conti Louis de Bourbon, comte de Vermandois. Mort à seize ans lors de sa première campagne De Madame de Montespan naissent :
Nom Naissance Décès Louis-Auguste, duc du Maine Louis-César, comte de Vexin Louise-Françoise de Bourbon, « Mademoiselle de Nantes », mariée au prince de Condé Louise-Marie-Anne, mademoiselle de Tours Françoise-Marie, Mademoiselle de Blois (-), mariée au duc d'Orléans ; Louis-Alexandre, comte de Toulouse (-) En , l'affaire des poisons consomme la disgrâce dans laquelle Madame de Montespan, ex-favorite du roi était tombée quelques mois auparavant.
Le roi aurait eu d'autres enfants, mais qu'il n'a pas reconnus, comme Louise de Maisonblanche (1676-1718), avec Claude de Vin des Œillets. Il est également possible de noter le cas mystérieux des origines de Louise Marie Thérèse, dite la Mauresse de Moret. Trois hypothèses sont avancées, ayant pour point commun de voir en elle « la fille du couple royal »432. Il pourrait s'agir de la fille adultérine de la reine Marie-Thérèse, d'un enfant caché du roi Louis XIV avec une comédienne433 ou plus simplement d'une jeune femme baptisée et parrainée par le roi et la reine434.
Louis XIV dans les arts et la culture
Louis XIV apparaît dans de nombreuses œuvres de fiction, romans, films, comédies musicales. Le cinéma et la télévision, suivant les époques, ont montré des images très diverses du roi, avec une prédilection pour l'épisode du masque de fer435.
Dans l'historiographie
Points de vue des historiens
Les historiens sont divisés quant à la personnalité de Louis XIV et à la nature de son règne. Les divergences existent dès son époque, car la tendance est de confondre ce qui relève de l'individu et ce qui tient à l'appareil d'État. Aussi les historiographies oscillent entre une tentation apologétique, exaltant l'époque comme un âge d'or français, et une tradition critique attentive aux conséquences néfastes d'une politique belliciste436.
Francophones
En France, alors que la discipline historique s'institutionnalise au XIXe siècle, Louis XIV fait l'objet de biographies contradictoires. Jules Michelet lui est hostile et insiste sur le côté sombre de son règne (dragonnades, galères, disettes, etc.). L'historiographie se renouvelle sous le Second Empire par l'entremise des opposants politiques, qu'ils soient orléanistes ou républicains. Pour les premiers, elle permet de minimiser la place de la Révolution et de la dynastie bonapartiste au sein de l'histoire française, pour les seconds d'opposer la grandeur du passé à la vulgarité du présent. Les études sur l'administration sont largement représentées, comme en témoignent les œuvres d'Adolphe Chéruel et de Pierre Clément, ainsi que, dans une moindre mesure, celles consacrées à la politique religieuse et aux figures aristocratiques. La dénonciation générale de la révocation de l'édit de Nantes est associée, chez les historiens libéraux tels que Augustin Thierry, à la valorisation du souverain établi comme un acteur majeur de la construction de l'État-nation moderne437. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Ernest Lavisse apporte des nuances, insistant, dans ses manuels scolaires comme dans ses cours, sur son despotisme et sa cruauté438. De manière similaire à ses collègues universitaires français, il pointe l'autoritarisme, l'orgueil du monarque, la persécution des jansénistes et des protestants, les dépenses excessives de Versailles, l'asservissement du mécénat culturel à la glorification royale, le nombre des révoltes et les guerres continuelles. Il reste cependant sensible à la renommée et aux succès initiaux du règne439. Sous la Troisième République, le sujet est sensible car le monarchisme est encore vivace en France et constitue toujours une menace pour la république. Dans l'entre-deux guerres, au livre partial de l'académicien Louis Bertrand, répond un livre réquisitoire de Félix Gaiffe, l'Envers du Grand Siècle440. Dans les années , Michel de Grèce pointe les insuffisances de Louis XIV, tandis que François Bluche le réhabilite441. À partir des années , le règne de Louis XIV est étudié sous l'angle des origines de l'État moderne en Europe et des agents économiques et sociaux. Ces recherches permettent de mieux comprendre l'opposition aristocratique à Louis XIV durant la Fronde442. Des études réalisées sur les thématiques de la finance et de la monnaie, par Daniel Dessert et Françoise Bayard notamment, conduisent à mieux comprendre comment la monarchie se finance et à remettre en question l'approche très favorable à Colbert adoptée sous la Troisième République443. Enfin, des historiens comme Lucien Bély, Parker, Somino et d'autres apportent des éclairages nouveaux sur les guerres menées par Louis XIV444.
Anglo-saxons
L'approche britannique et américaine dominante du monarque, jusqu'au XIXe siècle voire jusqu'au début du XXe siècle, est marquée par une hostilité teintée de fascination. Il est à la fois considéré comme un despote affamant ses sujets afin de conduire ses guerres, et comme le propagateur intransigeant du catholicisme. En 1833, Thomas Babington Macaulay, un historien whig, met en avant la cruauté et sa tyrannie dans son analyse de la guerre de succession d'Espagne. La légende noire attribuée à Louis XIV atteint son acmé dans les écrits de David Ogg, qui en fait le précurseur de Guillaume II et d'Adolf Hitler en 1933. Néanmoins, entre les années 1945 et 1980, les historiens anglo-américains contribuent à renouveler l'approche sur la nature du régime et sa place en Europe, tandis qu'en France, les spécialistes de cette époque tendent à délaisser le champ politique au profit des questions sociales et culturelles. Ils apportent des analyses neuves sur l'extension du rôle de l'État ainsi que sur la déconstruction de la propagande et des relations de pouvoir informelles. Malgré l'existence de l'américaine Society for French Historical Studies et de la britannique Society for the Study of French History, les interactions avec la recherche française restent rares jusqu'aux années 1990. Jean Meyer compte parmi les chercheurs ayant promu les travaux anglo-américains au sein du public français. Bien entendu, il n'existe pas d'homogénéité de points de vue au sein de la communauté scientifique, Guy Rowlands rejoignant par exemple Roger Mettam sur le caractère conservateur du régime, mais lui refusant une dimension réactionnaire et affirmant une volonté sincère de réformes institutionnelles445.
Allemands
Entre les milieux des XIXe et XXe siècles, et surtout après l'histoire française de Leopold von Ranke, l'historiographie allemande porte un intérêt notable à Louis XIV, essentiellement pour sa politique étrangère, et ce d'un point de vue imprégné par l'essor du nationalisme. Le roi se trouve stigmatisé comme un agresseur de l'Allemagne, un despote et un débauché, coupable de trois guerres de brigandage (Raubkriege). Il est décrit comme une menace pour Frédéric-Guillaume Ier, perçu de manière téléologique comme un annonciateur de l'unification allemande. L'image se complexifie à la fin du XIXe siècle : l'anthropologue racialiste Ludwig Woltmann le compte au nombre des hommes d'État prestigieux ; Richard Sternfeld lui reconnaît ses qualités administratives malgré son appétit de conquêtes. Dans l'entre-deux guerres, en dehors des pamphlets revanchards, les historiens allemands comme Georg Mentz intègrent les auteurs français à leurs travaux et tendent à dépersonnaliser les résultats du règne. Pendant le Troisième Reich, la condamnation des guerres se conjugue à une certaine estime pour l'absolutisme royal. Après , et sous l'influence du rapprochement franco-allemand, l'historiographie universitaire adopte un style moins passionnel et des travaux sont menés conjointement avec l'étranger comme l'illustrent Paul-Otto Höynck, Fritz Hartung, Klaus Malettke. La recherche tend alors à s'internationaliser, à étudier le souverain dans le contexte du XVIIe siècle, indépendamment du présent, et à incorporer les innovations méthodologiques de l'histoire économique et sociale446.
Notes et références
Notes
- « Dieudonné » signifiant « Donné par Dieu ».
- Ayant quitté en ce jour son château de Versailles, le roi, à la suite d'un gros orage, doit se replier au Louvre, où loge la reine Anne d'Autriche. Ses appartements n'étant pas préparés, il doit partager le lit de la reine.
- Date du justement retenue par certains historiens pour la conception du futur dauphin.
- D'autant que la reine avait déjà fait plusieurs fausses couches.
- Dont une plaque de marbre gravé d'un texte d'action de grâce, plaque toujours présente dans l'église. Voir Notice no PM83000206 [archive], base Palissy, ministère français de la Culture.
- Archives départementales des Yvelines - Saint-Germain-en-Laye (B 1640-1656 ; vue 47/187 et 48/187) - Acte de baptême de Louis XIV Roy de France : « Le vingt et un () mardy à cinq heures après midy furent supplées les ceremonies du sacrement de baptesme dans la chapelle du chasteau viel de St Germain en Laye par messire Dominique Seguier evesque de Meaux... à tres hault et tres puissant prince Monseigneur le Dauphin né du cinquième du mois de septembre mil six cent trente huit.... la marraine Madame Charlotte Marguerite de Montmorency, épouse de tres hault prince Henry de Bourbon prince du sang laquelle a donné le nom de Louys à monseigneur le Dauphin ».
- Primi Visconti rapporte que c'est elle qui avait déniaisé le jeune roi Louis XIV, qui avait alors 16 ans : « Tout affreuse qu'elle était, le prince étant fort jeune, l'ayant trouvé seul à l'écart dans le Louvre, elle le viola, ou du moins le surprit, de sorte qu'elle obtint ce qu'elle désirait ». On prétend même que, nullement gêné, le jeune roi serait retourné plusieurs fois dans son lit. Anne d'Autriche aurait inventé ce stratagème afin de s'assurer que son fils était « propre au mariage ». Cette hypothèse est appuyée sur le fait que cette femme « issue de peu » eut l'extrême honneur de recevoir un cadeau étonnant de la reine mère qui l'aurait payée en pierres précieuses, prévues initialement pour les travaux du Louvre, avec lesquelles la Borgnesse s'est construit un hôtel particulier à Paris, aujourd'hui situé au 68, rue François-Miron, l'hôtel de Beauvais.
- Puis continûment, à partir de . Lorsque la calvitie devient importante, il adopte une perruque complète avec différentes longueurs et bouclages selon les circonstances (chasse, messe, souper, cérémonie officielle avec notamment la « perruque in-folio » ou « à la Royale », volumineuse perruque d'apparat au gros bouclage en étage) réalisées par Jean Quentin, premier barbier du roi ou Benoît Binet, perruquier du roi24.
- On dit jusqu'au XVIIe siècle inclus, Louis [le] Quatorzième.
- Tous deux cousins directs du roi ; Condé est le premier prince du sang, et également un général talentueux.
- Y.M. Bercé (v. bibliographie) parle même d'« impuissance fiscale » à son arrivée au pouvoir et de « terrorisme fiscal » infligé par le surintendant.
- Michel Le Tellier n'est pas parent avec le ministre homonyme.
- Voir la section Le roi et la religion.
- Archives départementales des Yvelines - Versailles (Notre-Dame)(S 1715-1715 ; vue 61/78 ; page 54 du registre) : « L'an mil sept cent quinze le 4e de 7bre les entrailles de Tres haut, Tres puissant et Tres Excellent Prince Louïs XIV. Roi de france et de navarre, decedé le 1er du courant ont eté transportées à l'Église de Nre Dame de Paris, le 6e dud. mois le cœur a eté transferé à la maison de St. Louïs des Jesuites, à Paris ; Et le corps a eté conduit le 9e. du même mois à l'abbaïe roïalle des Benedictins de St. Denis en france en presence de nous soussigné curé de Versailles. » (signé : Huchon).
- Mémoires p. 71-72, cité in Perez90.
- Mémoires p. 72, cité in Perez91.
- Mémoires p. 28, in Perez92.
- Mémoires p. 237, in Perez93.
- Fine moustache en croc dont les pointes relevées sont maintenues appliquées par de la cire170.
- Le roi descendait dans la nef les jours où il communiait. Lorsque le roi assistait à la messe du rez-de-chaussée, il prenait place sur un prie-dieu : deux rangées de suisses battaient du tambour jusqu'à ce qu'il fût agenouillé. Deux maîtres des requêtes restaient de part et d'autre du prie-Dieu, prêts à recevoir les éventuelles suppliques adressées au souverain : le principe d'un libre accès au souverain durant la manifestation publique de sa dévotion était respecté durant toute la messe.
- Le roi ne prenait pas le deuil en noir, mais en violet couleur du deuil de l'évêque. Au cours de la messe, le célébrant ne devait pas oublier d'accomplir au moins dix inclinations profondes en direction du souverain, que celui-ci fut présent dans la nef ou la tribune royale. À l'offertoire, le roi était encensé de trois coups doubles, immédiatement après le célébrant, c'est-à-dire avant les cardinaux, évêques et autres clercs éventuellement présents. Pendant la messe basse, deux clercs de la Chapelle, agenouillés, devaient tenir des flambeaux allumés de la fin de la préface jusqu'à l'élévation incluse, une disposition prévue également pour la messe basse célébrée par un évêque. Lors des cérémonies de l'Ordre du Saint-Esprit, s'il y avait prestation de serment, le roi disposait d'un fauteuil placé sous un dais, du côté de l'Évangile, une situation qui rappelle précisément aussi celle de l'évêque officiant. Le roi disposait alors exclusivement du baldaquin, privilège en principe réservé aux évêques pour toutes les églises de leur diocèse, l'évêque officiant devant alors se contenter d'une banquette ou d'un faldistoire, comme s'il était en présence d'un prélat supérieur en dignité ou en juridiction. À Versailles, dans la chapelle définitive, le prie-Dieu du roi était placé entre les deux rangées des stalles des lazaristes, c'est-à-dire dans le chœur liturgique, lieu en principe réservé aux clercs. Cette prérogative rappelle celle de l'empereur byzantin, qui seul avait eu le droit de franchir la barrière du chancel.
- Le chiffre treize rappelle la cérémonie alors accomplie en souvenir du miracle datant de l'époque de Grégoire le Grand, lorsque ce Pape vit arriver un ange, sous l'apparence d'un treizième enfant, à la Cène qu'il était en train de célébrer. Les autres chefs d'État catholiques ne lavent les pieds que de douze pauvres298.
- La prédication à la Chapelle du roi venait sanctionner une renommée montante, acquise dans les grandes paroisses parisiennes exigeantes ; cette prédication ouvrait la carrière de l'épiscopat.
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- Les Caractères, 1689, remarque 37 cité in Bury368.
- Son œuvre d'historiographe a malheureusement disparu dans un incendie en 1726381.
- Les héraldistes de l'époque furent prompts à y voir un plagiat d'un ancien blason ayant appartenu à Philippe II d'Espagne qui signifiait pour la circonstance : « Suffisant à toutes les étendues », à tous les mondes, voire : à plusieurs mondes… La concision de la formule latine admet de nombreux compléments sous-entendus. On fit alors remarquer que ce roi d'Espagne possédait encore à cette époque un empire où le soleil ne se couchait jamais. On détourna donc le sens de cette devise vers la personnalité du roi qui n'en demandait pas tant. Cela lui fit tort, car elle lui attribua une attitude hautaine, distante et orgueilleuse, qu'il n'avait pas.
Le philologue des langues anciennes J. Saunier (1873-1949) indique, dans son Vocabulaire latin, (1927), que le mot latin « par » a le sens premier d'« être capable », dans le sens d'être à la hauteur d'une tâche, de tenir tête à… et plures (pluribus) a le sens de « plus nombreux que » ; « plusieurs » se traduisant plutôt en latin classique par « multi, nonnulli… »
- Liste selon Y. M. Bercé, qui ajoute que le roi était attentif à sa progéniture extra-conjugale, qu'il aimait beaucoup. Chacun fut reconnu par lettres patentes et ceux qui survécurent reçurent le nom de Bourbon, furent titrés et dotés. Cela concerne les maîtresses de longue date. Les enfants illégitimes, s'il y en eut, ont par nature une origine problématique.
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Réédition : Thierry Sarmant et Mathieu Stoll, Régner et gouverner : Louis XIV et ses ministres, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 739), , 888 p., poche (ISBN 978-2-262-08029-7, présentation en ligne [archive]).
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- Béatrix Saule, La journée de Louis XIV, , Actes Sud, 2003 (ISBN 978-2-742-74279-0).
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- Ph. Van Tieghem, « Les prosateurs du XVIIe siècle », dans Histoire des littératures, t. 3, Paris, coll. « Encyclopédie de la Pléiade », , p. 407-518.
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Articles connexes
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Jeanne d'Arc
Jeanne d'Arc
Seule effigie contemporaine connue de Jeanne d'Arc, représentée à tort avec une robe féminine et des cheveux longs. Ce dessin d'imagination est esquissé en marge d'un registre par Clément de Fauquembergue, greffier du parlement de Paris, le , consécutivement à la levée du siège d'Orléans (Archives nationales).Surnom « La Pucelle »
(« la Pucelle d'Orléans » est un surnom posthume qui se diffuse tardivement aux XVIe – XVIIe siècles)Naissance vers 1412
Domrémy (Bar, France)Décès (à l'âge approximatif de 19 ans)
Rouen (Normandie, France)Origine Duché de Bar Allégeance Royaume de France Années de service 1428 – 1430 Conflits Guerre de Cent Ans Faits d'armes Siège d'Orléans
Bataille de Jargeau
Bataille de Meung-sur-Loire
Bataille de Beaugency
Bataille de Patay
Chevauchée vers Reims
Siège de Troyes
Bataille de Montépilloy
Siège de Paris
Siège de CompiègneFamille Fille de Jacques d'Arc et d'Isabelle Rommée ; 3 frères et 1 sœur : Jacquemin, Jean, Pierre et Catherine d'Arc modifier Jeanne d'Arc, dite « la Pucelle », née vers 1412 à Domrémy, village du duché de Barn 1 (actuellement dans le département des Vosges en Lorraine), et morte sur le bûcher le à Rouen, capitale du duché de Normandie alors possession anglaise, est une héroïne de l'histoire de France, chef de guerre et sainte de l'Église catholique, surnommée posthumement « la Pucelle d’Orléans ».
Au début du XVe siècle, cette jeune fille d'origine paysanne affirme qu'elle a reçu de la part des saints Michel, Marguerite d'Antioche et Catherine d'Alexandrie la mission de délivrer la France de l'occupation anglaise. Elle parvient à rencontrer Charles VII, à conduire victorieusement les troupes françaises contre les armées anglaises, à lever le siège d'Orléans et à conduire le roi au sacre, à Reims, contribuant ainsi à inverser le cours de la guerre de Cent Ans.
Capturée par les Bourguignons à Compiègne en 1430, elle est vendue aux Anglais par Jean de Luxembourg, comte de Ligny, pour la somme de dix mille livres. Elle sera brûlée vive en 1431 après un procès en hérésie conduit par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais et ancien recteur de l'université de Paris. Entaché de nombreuses irrégularités, ce procès voit sa révision ordonnée par le pape Calixte III en 1455. Un second procès est instruit qui conclut, en 1456, à l'innocence de Jeanne et la réhabilite entièrement. Grâce à ces deux procès dont les minutes ont été conservées, elle est l'une des personnalités les mieux connues du Moyen Âge.
Béatifiée en 1909 puis canonisée en 1920, Jeanne d'Arc devient une des deux saintes patronnes secondaires de la France en 1922 par la lettre apostolique Beata Maria Virgo in cælum Assumpta in gallicæ. Sa fête nationale est instituée par la loi en 1920 et fixée au 2e dimanche de mai1.
Elle est dans de nombreux pays une personnalité mythique qui a inspiré une multitude d'œuvres littéraires, historiques, musicales, dramatiques et cinématographiques.
Contexte politique du royaume de France (1407–1429)
L'intervention de Jeanne d'Arc s'inscrit durant la seconde phase de la guerre de Cent Ans, qui voit le conflit séculaire entre les royaumes anglais et français s'enchevêtrer avec une guerre civile résultant de l'antagonisme des princes du sang de la dynastie royale des Valois2.
Depuis 1392, le roi de France Charles VI, dit « le Fol », est sujet à des troubles psychiques intermittents qui le contraignent progressivement à délaisser le pouvoir au profit de son Conseil, devenu bientôt le siège de sourdes luttes d'influences entre son frère, le duc Louis d'Orléans, et son oncle, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. La discorde entre les princes des fleurs de lys s'exacerbe lorsque Jean sans Peur, fils de Philippe le Hardi, succède à son père défunt en 1404. Le nouveau duc de Bourgogne finit par faire assassiner son rival et cousin Louis d'Orléans en , acte déclencheur d'une guerre civile entre les Bourguignons et les Orléans. Les partisans de la maison d'Orléans sont ensuite appelés « Armagnacs » eu égard à l'engagement du comte Bernard VII d'Armagnac aux côtés de son beau-fils Charles d'Orléans, fils et successeur du duc assassiné3.
-
Assassinat du duc Louis d'Orléans.
Paris, BnF, vers 1470-1480.
Profitant de ce conflit fratricide, le roi Henri V d'Angleterre, jeune, déterminé et déjà rompu aux armes, relance les hostilités franco-anglaises en réclamant des pans entiers du royaume de France. En 1415, l'armée du monarque Lancastre débarque en Normandie, assiège Harfleur puis taille en pièces la chevalerie française à Azincourt4. À compter de 1417, Henri V entame la conquête méthodique de la Normandie et la parachève en s'emparant de la capitale ducale, Rouen, en 14194.
-
Bataille d'Azincourt, enluminure de l’Abrégé de la Chronique d'Enguerrand de Monstrelet, Paris, BnF, département des Manuscrits, ms. Français 2680, fo 208, XVe siècle.
-
Siège de Rouen par Henri V, British Library, Cotton MS Julius E IV/3, fo 19 vo, quatrième quart du XVe siècle.
-
Charles VI et Isabeau de Bavière durant le traité de Troyes.
Chroniques de Jean Froissart, British Library, Harley 4380, fo 40, vers 1470-1472.
Devant le péril Lancastre, Jean sans Peur et le dauphin Charles, héritier du trône, se rencontrent le sur le pont de Montereau en vue d'une réconciliation mais le duc de Bourgogne est assassiné au cours de l'entrevue, peut-être à l'instigation du dauphin lui-même ou de certains de ses conseillers armagnacs. Fortuit ou prémédité, le meurtre de Montereau entraîne dans l'immédiat « des conséquences calamiteuses » pour le parti delphinal5 puisqu'il empêche moralement toute entente entre les princes Valois de France et de Bourgogne. Fils et successeur de Jean sans Peur, le duc Philippe le Bon forge conséquemment une alliance « de raison et de circonstance » avec les Anglais. Au demeurant, l'entente anglo-bourguignonne est émaillée de nombreuses dissensions car le nouveau duc de Bourgogne se voit réduit au rôle de vassal et conseiller des Lancastre alors qu'il envisageait de devenir à tout le moins régent ou lieutenant général du royaume. Freiné dans ses ambitions françaises, Philippe le Bon poursuit par ailleurs l'extension septentrionale des « États bourguignons », vaste ensemble territorial composant ses domaines6. Le duc de Bourgogne se garde donc d'épuiser toutes ses forces en guerroyant contre son cousin Charles, dauphin et futur roi de France, de telle sorte que ce dernier n'a « pas à lutter contre deux adversaires également déterminés, mais contre un seul adversaire, lui-même à l'occasion secondé par un autre », précise l'historien médiéviste Philippe Contamine7.
Pour l'heure, forts de l'appui bourguignon, les Anglais sont en mesure d'imposer le traité de Troyes, signé le entre le roi Henri V d'Angleterre et Isabeau de Bavière, reine de France et régente. Selon les termes de ce contrat visant une « paix finale », Henri V devient le régent du royaume de France et l'époux de Catherine de Valois, fille du roi Charles VI « le Fol »8. À la mort de celui-ci, la couronne et le royaume de France doivent échoir à son gendre Henri V d'Angleterre, puis perpétuellement aux héritiers successifs du roi anglais. Les historiens dénomment « double monarchie » l'entité politique définie par le traité, à savoir l'union des deux royaumes sous la férule d'un souverain unique9.
-
Charles VII,
roi de France. -
Jean de Lancastre, duc de Bedford et régent anglais du royaume de France.
Or le traité de Troyes spolie de son droit à la succession le dernier fils survivant du roi fou, le dauphin Charles, stigmatisé en tant qu'assassin du duc Jean de Bourgogne. En 1422, à la suite des décès successifs des souverains Henri V d'Angleterre et Charles VI de France, la dynastie des Lancastre revendique « l'union des deux couronnes » en la personne d'un enfant âgé de neuf mois : Henri VI, roi de France et d'Angleterre9. Dans le cadre de la double monarchie, le duc Jean de Bedford, frère cadet de Henri V, devient le régent du royaume de France durant la minorité de son neveu Henri VI. Pour sa part, le dauphin Charles se proclame également roi de France sous le nom de Charles VII. Résolu à recouvrer l'ensemble du royaume, il poursuit la guerre contre les Anglais.
Cette lutte pour la prépondérance délimite trois grands ensembles territoriaux, « Trois France » respectivement gouvernées par les Lancastre, le duc de Bourgogne et le roi Charles VII10, que ses ennemis anglais et bourguignons auraient désigné sous le sobriquet dépréciatif de « roi de Bourges »11, bien que le souverain Valois soit reconnu par la moitié du royaume12.
La double monarchie franco-anglaise englobe diverses provinces : le Sud-Ouest du territoire français demeure traditionnellement soumis à la couronne anglaise, détentrice du duché d'Aquitaine depuis trois siècles13. Dans le Nord, les Anglais contrôlent le duché de Normandie, personnellement réclamé et conquis par Henri V en 1419, puis administré par le duc de Bedford14. « Cœur et chef principal du royaume »15, Paris a subi les massacres successifs de la guerre civile avant de tomber sous la coupe des Bourguignons durant la nuit du 28 au ; « dépeuplée et affaiblie », la capitale passe sous domination anglaise le , deux semaines avant que le traité de Troyes ne soit conclu16. Par la suite, les Anglais se lancent à l'assaut du comté du Maine en 1424 et en achèvent la conquête l'année suivante17,18, ce qui leur permet de menacer les frontières du duché d'Anjoun 2.
Par ailleurs, le duché de Bretagne tente de préserver sa relative indépendance en oscillant entre les couronnes de France et d'Angleterre, suivant « la voie de la neutralité opportuniste » choisie par le duc Jean V de Bretagne, dont la politique demeure « sensible néanmoins aux événements et soumise à des oscillations conjoncturelles »20.
Biographie
Domrémy (vers 1412 - 1429)
Contexte géopolitique de Domrémy
La naissance de Jeanne d'Arc se situe vraisemblablement dans la ferme familiale du père de Jeanne attenante à l'église de Domrémy, village situé aux marches de la Champagne, du Barrois et de la Lorraine, pendant la guerre de Cent Ans qui opposait le royaume de France au royaume d'Angleterre.
Au début du XVe siècle, Domrémy se trouve imbriqué dans un territoire aux suzerainetés diverses. Sur la rive gauche de la Meuse, il peut relever du Barrois mouvant, pour lequel le duc de Bar, par ailleurs souverain dans ses États, prête hommage au roi de France depuis 1301. Mais il semble être plutôt rattaché à la châtellenie de Vaucouleurs, sous l'autorité directe du roi de France qui y nomme un capitaine (le sire Robert de Baudricourt, au temps de Jeanne d'Arc). Enfin, l'église de Domrémy dépend de la paroisse de Greux, au diocèse de Toul dont l'évêque est prince du Saint-Empire germanique.
L'historienne médiéviste Colette Beaune précise que Jeanne est née dans la partie sud de Domrémy, côté Barrois mouvant, dans le bailliage de Chaumont-en-Bassigny et la prévôté d'Andelot21. Les juges de 1431 corroborent cette origine, de même que les chroniqueurs Jean Chartier et Perceval de Cagny. Seul Perceval de Boulainvilliers considère pour sa part qu'elle est née dans la partie nord, qui relevait de la châtellenie de Vaucouleurs et donc du royaume de France dès 1291.
À la mort d'Édouard III de Bar, de son frère, Jean de Bar, seigneur de Puysaye, et son petit-fils le comte de Marle, tous tombés à la bataille d'Azincourt, le duché de Bar échoit au frère survivant du duc défunt, Louis, évêque de Verdun, lequel est un temps contesté par le duc de Berg, gendre du feu duc.
Date de naissance incertaine
La date exacte de la naissance de Jeanne d'Arc demeure historiquement incertaine mais l'année 1412, quoique approximative, est retenue22,23 par recoupement24. À cette époque, aucun registre paroissial n'était tenu à Domrémy, comme l'atteste la diversité des témoignages du procès en nullité de la condamnation25. L'enregistrement des baptêmes et sépultures ne sera prescrit officiellement aux curés de paroisses qu'à compter de 1539, bien que la pratique préexiste à l'ordonnance de Villers-Cotterêts dans diverses localités26.
Au début de la vie publique de Jeanne d'Arc, lorsqu'elle rejoint le parti de Charles VII en 1429, son âge exact ne constitue pas un enjeu aux yeux de ses contemporains. Ceux-ci la situent dans la tranche d'âge des puellae, terme latin désignant à l'époque les « pucelles » ou « jeunes filles », autrement dit les adolescentes pubères âgées de 13 à 18 ans, sorties de l'enfance mais non encore adultes. De là vient notamment son surnom, Jeanne « la Pucelle »27.
Lors d'un interrogatoire mené le par les juges de son procès de condamnation à Rouen, la Pucelle dit être née à Domrémy et, avoir « à ce qu'il lui semble, […] environ 19 ans22,28 », puis ajoute ne rien savoir de plus à ce sujet. Cependant, elle fournit « un âge précis et non un arrondi », constate Colette Beaune25. Exprimée par la formule consacrée (tel âge « ou environ »), cette connaissance approximative reflète l'indifférence de la culture chrétienne médiévale vis-à-vis de l'anniversaire de la date de naissancen 3. En outre, une enquête préliminaire conduite dans le cadre du procès rouennais voit quatorze témoins s'accorder dans l'ensemble pour prêter à la Pucelle l'apparence d'une jeune femme d'environ 19 ans en 1431n 4. Enfin, malgré l'à-peu-près caractérisant tous les témoignages relatifs à l'âge de Jeanne d'Arc, les déclarations recueillies en 1455-1456 auprès de la majorité des témoins du procès en nullité de la condamnation — à quelques exceptions prèsn 5 — se recoupent pour donner 18, 19 ou 20 ans à la Pucelle lors de son procès en 1431. Cela la ferait donc naître vers 141224, conformément à la « fourchette chronologique » (entre 1411 et 1413) établie grâce aux estimations fournies par Jeanne d'Arc elle-même, son écuyer Jean d'Aulon et les chroniqueurs, en tenant compte du nouvel an alors célébré en avril et non en janvier30.
Tardivement, à compter de la seconde moitié du XIXe siècle41, certains auteurs indiquent parfois le comme jour de naissance de la Pucelle. Pour ce faire, ils s'appuient sur une lettre rédigée le par le chambellan Perceval de Boulainvilliers, un conseiller du roi de France. Adressée au duc de Milan, allié italien de Charles VII, la missive de Boulainvilliers retrace l'activité et les faits d'armes de Jeanne d'Arc, en sus d'alléguer sa naissance durant la nuit de l'Épiphanie, autrement dit le , sans spécifier l'annéen 6. Singulière par sa précision inhabituelle pour l'époque et le milieu social30, la date de cette venue au monde n'est pas authentifiée avec certitude par les historiens médiévistes qui tendent plutôt à souligner la valeur symbolique de cette nuit des Rois46,34,47,48 analogue à la « naissance d'un sauveur pour le royaume »49 d'après le langage prophétique du temps. Au demeurant, le message de Perceval de Boulainvilliers associe d'autres éléments mythographiques à cette Épiphanie d'exception, comme l'étrange allégresse ressentie par les villageois de Domrémy ou le long chant nocturne d'un coq50. Cet oiseau, progressivement assimilé au peuple français dans certains textes d'époque51, représente aussi l'animal emblématique de « la vigilance chrétienne qui fait reculer péchés et ténèbres et annonce la lumière », précise Colette Beaune50. Différentes sources médiévales accolent également des signes merveilleux à la venue au monde et l'enfance de la Pucellen 7, conformément à la tradition antique relative aux prodiges annonciateurs de la naissance d'un héros25. Néanmoins, que ce soit avant ou durant le procès en nullité de la condamnation, aucune déposition des habitants de Domrémy n'évoque l'Épiphanie ou les phénomènes supposément survenus au cours de cette nuit56,57.
Anthroponymie et surnom
Selon la transcription latine de son procès de condamnation, la Pucelle répond à ses juges que son « nom » est Jeanne (Jeannette67,68 « dans son pays ») et son « surnom » (son nom de famille, en l'occurrence) « d'Arcn 9. » En latin médiéval, de Arco signifie « de l'arche » ou « du pont ». Il s'agit initialement d'un surnom médiéval qui caractérise une personne résidant près d'un pont, origine des noms courants Dupont ou Dupond. Le patronyme d'Arc se rapporte peut-être à un microtoponyme disparu, un lieu-dit, un village ou une ville76,77 mais nul document ne mentionne une localité particulière ; aussi, l'hypothèse d'une origine patronymique champenoise se rattachant au village d'Arc-en-Barrois n'est pas démontrée, entre autres conjectures sur la question76.
Le patronyme s'orthographie diversement en moyen français dans les documents du XVe siècle car aucune règle n'est alors fixée à ce sujet. On trouve le plus souvent Darc mais également les variantes Tarc78, Tart79, Tard, Dart, Dars, Darx, Dare80, voire Day ou d'Ailly (Daly au XVIe siècle) d'après la transcription phonétique du patronyme de Jeanne, prononcé avec l'accent lorrain local : « Da-i »78. Qui plus est, ses frères Jean et Pierre d'Arc se font appeler Duly ou du Lys à Orléans. De fait, des fleurs de lys figurent dans les armoiries conférées à leur sœur en , à la suite de la levée du siège d'Orléans ; il s'agit probablement là d'un jeu de mots d'ordre héraldique inspiré par la prononciation lorraine du patronyme81.
Au reste, l'usage typographique de l'apostrophe débute uniquement à partir du XVIe siècle80,82. Une querelle idéologique dépassée n'en fut pas moins disputée en France au XIXe siècle autour de l'orthographe du patronyme de Jeanne, rappelle Olivier Bouzy : il importait alors de privilégier arbitrairement la graphie Darc afin de souligner la roture d'une « fille du peuple »n 10 ou, inversement, de revendiquer à tort la particule d'Arc comme une marque de noblesse88.
Par ailleurs, durant l'interrogatoire tenu le samedi 73,74, la Pucelle mentionne également son matronyme « Rommée »73,74,75, peut-être d'« origine localen 11 ». Elle évoque ensuite l'usage de Domrémy où les femmes portent le nom de leur mèren 12. Dans son pays — en d’autres termes, dans le « terroir communautaire » englobant Domrémy jusqu'à Vaucouleurs, c'est-à-dire « l'espace de l'interconnaissance92 » —, Jeanne est vraisemblablement désignée par son surnom enfantin et son matronyme : « la Jeannette de la Rommée »90. Dans le cadre de sa vie publique, ses autres contemporains l'appellent par son seul prénom « Jeanne »63, fort courant en son tempsn 13.
Son prénom est parfois accolé à son surnom « la Pucelle » attesté très tôt, dès le . Or ce terme — doté d'une majuscule — acquiert une telle popularité à l'époque qu'il suffit en lui-même à dénommer Jeanne d'Arc « en langue vulgaire », c'est-à-dire en moyen français94. Émanant de sa classe d'âge27, le vocable lui devient « une désignation, unique, personnelle », souligne la médiéviste Françoise Michaud-Fréjaville : Jeanne considère avoir reçu de Dieu « pour sa mission un sobriquet qu'ont repris partisans et adversaires. Puella, c'est la fillette, la jeune fille et aussi la vierge consacrée à Dieu », selon le sens revendiqué par l'héroïne95. En outre, elle aurait justifié sa volonté de partir rencontrer « le dauphin » en mentionnant une prophétie véhiculée dans sa région d'origine : le royaume de France, perdu par une femme, sera « restauré » par une vierge des marches de Lorraine96.
En revanche, la « Pucelle d'Orléans » est un surnom posthume97 employé à compter des années 1475-148098 avant de se répandre aux XVIe – XVIIe siècles99.
Fille de Jacques d'Arc et d'Isabelle Rommée, Jeanne appartient à une famille de cinq enfants : Jeanne, Jacquemin, Catherine, Jean et Pierre.
Le père de Jeanne, Jacques, est désigné comme « pauvre laboureur » par des témoins du procès de réhabilitation de la Pucelle dans les années 1450. Cependant, Olivier Bouzy note qu'un laboureur n'est pas pauvre puisque ce type de paysan aisé possède des terres et des bêtes. L'état des biens de Jacques d'Arc n'est pas connu avec précision. Bien que construite en pierre, sa maison comporte uniquement trois pièces pour toute sa famille. Bénéficiant vraisemblablement d'une certaine notoriété à Domrémy, le père de Jeanne représente à plusieurs reprises la communauté des villageois102.
Jeanne fut décrite par tous les témoins comme très pieuse ; elle aimait notamment se rendre en groupe, chaque dimanche, en pèlerinage à la chapelle de Bermont tenue par des ermites garde-chapelle, près de Greux, pour y prier. Lors des futurs procès de Jeanne d'Arc, ses voisins rapportent qu'à cette époque, elle fait les travaux de la maison (ménage, cuisine), du filage de la laine et du chanvre, aide aux moissons ou garde occasionnellement des animaux quand c'est le tour de son père. Cette dernière activité est cependant loin du mythe de la bergère qui utilise le registre poétique de la pastourelle et le registre spirituel du Bon berger de la Bible103. Cette légende de la bergère résulte probablement de la volonté des Armagnacs de transmettre cette image (plus symbolique qu'une simple fille de paysan) à des fins de propagande politico-religieuse pour montrer qu'une « simple d'esprit » pouvait aider le chef de la chrétienté du royaume de France et guider son armée, illuminée par la foi104.
Pour ce qui est de sa vie quotidienne à Domrémy avant son départ, voici ce que répond Jeanne à ses juges, lors de son procès de condamnation : « Interrogée si, dans sa jeunesse elle avait appris quelque métier, elle dit que oui, à coudre les pièces de lin et à tisser, et elle ne craignait point femme de Rouen pour tisser et coudre » (deuxième séance publique du procès, ). Et le surlendemain, : « Interrogée si elle conduisait les animaux aux champs, elle dit qu'elle avait répondu à un autre moment à ce sujet, et que, après qu'elle fut devenue plus grande et qu'elle eut l'âge de raison, elle ne gardait pas habituellement les animaux, mais aidait bien à les conduire aux prés, et à un château appelé l'Île, par crainte des gens d'armes ; mais qu'elle ne se souvenait pas si dans son enfance, elle les gardait ou non105. »
Une plaque apposée en 1930 sur le parvis de la cathédrale de Toul indique qu'elle comparut ici lors d'un procès matrimonial intenté par son fiancé en 1428106.
« Voix », visions et révélations
Parmi les sources évoquant « la voix » (initialement au singulier) entendue par Jeanne d'Arc, on compte d'abord la lettre du conseiller royal Perceval de Boulainvilliers, datée du , ainsi qu'une lettre d'Alain Chartier en août de la même année110. Par la suite, l’instrumentum du procès de condamnation fournit davantage de précisions ; ainsi, le , Jeanne d'Arc soutient devant ses juges qu'à treize ans, alors qu'elle se trouvait dans le jardin de son père, elle reçut pour la première fois une « révélation de Notre Seigneur par une voix qui l'enseigna à soi gouverner. » La jeune fille commence par s'en effrayer111.
Ultérieurement, Jeanne identifie les voix célestes des saintes Catherine et Marguerite et de l'archange saint Michel lui demandant d'être pieuse, de libérer le royaume de France de l'envahisseur et de conduire le dauphin sur le trône. Dès lors, elle s'isole et s'éloigne des jeunes du village qui n'hésitent pas à se moquer de sa trop grande ferveur religieuse, allant jusqu'à rompre ses fiançailles (probablement devant l'official de l'évêché de Toul)112.
Les tentatives visant à élucider la nature et l'origine des voix, visions et révélations de Jeanne d'Arc relèvent généralement de trois catégories113. En premier lieu, l'explication divine, en faveur chez les catholiquesn 14. Ensuite, les interprétations spirites avancées notamment au début du XXe siècle113,115,116. Pour finir, l'approche rationaliste113 inspire de nombreux traités médicaux qui proposent successivement, depuis le milieu du XIXe siècle, diverses hypothèses psychopathologiques ou de troubles de la personnalitén 15.
Or le médiéviste Olivier Bouzy observe que « les différentes analyses pseudo-psychologiques sur Jeanne nous en apprennent en définitive davantage sur leurs auteurs » et les conceptions de leur époque que sur la Pucelle. À l'encontre de telles approches médicales qu'ils jugent hasardeuses, discordantes et ignorantes des mentalités du XVe siècle, les historiens tentent d'expliquer Jeanne d'Arc « par des raisons essentiellement culturelles »117,123,n 16.
De Domrémy à Chinon (1428 – février 1429)
Départ de Domrémy
Par suite de l'incendie de Domrémy commis par des bandes armées en 1428, Jeanne se réfugie avec ses proches et tous les habitants de son village à Neufchâteau durant quelques jours. À l'occasion de ce séjour forcé, elle prête main-forte à l'hôtesse de sa famille, une femme nommée La Roussen 17. La jeune fille et ses parents regagnent ensuite Domrémy, une fois la soldatesque partie130,131,132,133.
Lorsque les nouvelles du siège d'Orléans parviennent à Jeanne d'Arc en décembre 1428 ou en janvier 1429, ses « voix » se montrent vraisemblablement plus insistantes. Elle demande alors à son père l'autorisation d'aller à Burey, village sis près de Domrémy, sous prétexte d'aider aux relevailles d'une cousine germaine également prénommée Jeanne. Jeanne d'Arc parvient à convaincre Durand Laxart, l'époux de sa cousine, de l'emmener — sans permission parentale — rencontrer Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, forteresse voisine de Domrémy. Demandant à s'enrôler dans les troupes du Dauphin pour se conformer à une prophétie locale qui évoquait une pucelle des marches de Lorraine salvatrice de la France, elle demande audience à Robert de Baudricourt en vue d'obtenir de lui la lettre de crédit qui lui ouvrirait les portes de la Cour. Le seigneur local la prend pour une affabulatrice ou une illuminée et conseille à Laxart de ramener sa cousine chez ses parents après lui avoir administré une bonne gifle134,135.
Jeanne revient s'installer à Vaucouleurs en 1429 pendant trois semaines. Elle loge chez Henri et Catherine Le Royer, à qui elle est peut-être apparentée. La population lui apporte instinctivement son soutien, exprimant ainsi une forme de résistance populaire aux Anglais et partisans bourguignons136.
Dotée d'un grand charisme, la jeune paysanne illettrée acquiert une certaine notoriété de guérisseuse lorsque le duc malade Charles II de Lorraine lui donne un sauf-conduit pour lui rendre visite à Nancy : elle ose promettre au souverain de prier pour sa guérison en échange de l'abandon par le duc de sa maîtresse la belle Alison Du May et d'une escorte menée par René d'Anjou, gendre du duc et beau-frère du Dauphin Charles, pour libérer la France137.
Elle finit par être prise au sérieux par Baudricourt, après qu'elle lui a annoncé par avance la journée des Harengs et l'arrivée concomitante de Bertrand de Poulengy, jeune seigneur proche de la maison d'Anjou et de Jean de Novellompont, dit de Metz. Il lui donne une escorte composée de six hommes: deux écuyers, de Poulengy et de Novellompont qui resteront fidèles à Jeanne tout au long de son parcours, le messager royal Colet de Vienne, chacun accompagné de son serviteur: Richard l'Archer, les frères Jean et Julien de Honnecourt. Ce sont les premiers compagnons d'armes de Jeanne d'Arc. Avant son départ pour le royaume de France, Jeanne se recueille dans l'ancienne église de Saint-Nicolas-de-Port, dédiée au saint patron du duché de Lorraine112.
Chinon
Avant de partir pour Chinon, Jeanne d'Arc revêt des habits masculins, vraisemblablement une robe mi-courte de couleur noire procurée par l'un des serviteurs de Jean de Metz144. La jeune femme se fait couper les cheveux par Catherine Le Royer145 et arbore dès lors la coupe « en écuelle » ou en « sébile » à la mode masculine de l'époque, autrement dit la chevelure taillée en rond au-dessus des oreilles, avec la nuque et les tempes raséesn 19,148. Elle conservera ce genre vestimentaire et cette coiffure jusqu'à sa mort, excepté pour sa dernière fête de Pâques.
Le petit groupe de voyageurs traverse sans encombre les terres bourguignonnes et arrive à Chinon où Jeanne d'Arc est finalement autorisée à voir Charles VII, après réception d'une lettre de Baudricourt.
La légende raconte qu'elle fut capable de reconnaître Charles, vêtu simplement au milieu de ses courtisans149. En réalité, arrivée à Chinon le mercredi 150, elle n'est reçue par Charles VII que deux jours plus tard, non dans la grande salle de la forteresse, mais dans ses appartements privés, lors d'une entrevue au cours de laquelle elle lui parle de sa mission.
Considérant que seul le sacre à Reims confère la dignité royale, la Pucelle s'adresse à Charles VII en usant du titre de « dauphin151 ». La grande réception devant la Cour à l'origine de la légende n'aura lieu qu'un mois plus tard152. Jeanne est logée dans la tour du Coudray153. Jeanne annonce clairement quatre événements : la libération d'Orléans, le sacre du roi à Reims, la libération de Paris et la libération du duc d'Orléans.
À Chinon, les épouses de Robert de Baudricourt et de Robert Le Maçon, supervisées par Yolande d'Aragon, belle-mère du roi, certifient la virginité et la féminité de Jeanne d'Arc. Celle-ci est ensuite interrogée par des clercs et docteurs en théologie à Poitiers, qui attestent ses qualités : « humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplicité. » Les théologiens conseillent, « attendu la nécessité du royaume », de lui demander un signe démontrant qu'elle parle effectivement au nom de Dieu. La Pucelle rétorque en assimilant ce signe à une action restant à accomplir : la levée du siège d'Orléans154.
Pour ne pas donner prise à ses ennemis qui la qualifient de « putain des Armagnac »155,n 20,157, et après avoir fait une enquête à Domrémy, Charles donne son accord pour envoyer Jeanne à Orléans assiégée par les Anglais158.
Campagnes militaires (avril - décembre 1429)
Levée du siège d'Orléans
En , Jeanne d'Arc est envoyée par le roi Charles VII à Orléans, non pas à la tête d'une armée, mais avec un convoi de ravitaillement qui longe la Loire sur la rive gauche160. Près de 500 hommes ainsi que ses frères la rejoignent au château de Blois où elle séjourne quelques joursn 21 avec le soutien du comte de Blois par intérim, Jean de Dunois. On l'équipe d'une armure et d'une bannière blanche frappée de la fleur de lys, elle y inscrit Jesus Maria, qui est aussi la devise des ordres mendiants (les dominicains et les franciscains).
En partance de Blois le 27 avril pour Orléans, Jeanne expulse ou marie les prostituées de l'armée de secours et fait précéder ses troupes d'ecclésiastiques.
Arrivée à Orléans le 29 avril, elle apporte le ravitaillement et y rencontre Jean d'Orléans, dit « le Bâtard d'Orléans », futur comte de Dunois. Elle est accueillie avec enthousiasme par la population, mais les capitaines de guerre sont réservés. Avec sa foi, sa confiance et son enthousiasme, elle parvient à insuffler aux soldats français désespérés une énergie nouvelle et à contraindre les Anglais à lever le siège de la ville dans la nuit du 7 au .
Elle se rend ensuite au château de Loches où séjourne le futur Charles VII, pour lui annoncer la délivrance d’Orléans et le presser de poursuivre ses succès pour se faire couronner à Reims. La rencontre a lieu entre le 10 et le 22 mai selon les auteursn 22,161,162,163,164,165,166.
En raison de cette victoire (encore célébrée à Orléans au cours des « Fêtes johanniques », chaque année du 29 avril au 8 mai), on la surnomme la « Pucelle d'Orléans », expression apparaissant pour la première fois en 1555 dans l'ouvrage Le Fort inexpugnable de l'honneur du sexe féminin de François de Billon167.
Vallée de la Loire et chevauchée vers Reims
Après la sécurisation de la vallée de la Loire grâce à la victoire de Patay (où Jeanne d'Arc ne prit pas part aux combats), le , remportée face aux Anglais, Jeanne se rend à Loches et persuade le Dauphin d'aller à Reims se faire sacrer roi de France.
Pour arriver à Reims, l'équipée doit traverser des villes sous domination bourguignonne, qui n'ont pas de raison d'ouvrir leurs portes, et que personne n'a les moyens de contraindre militairement.
Selon Dunois, le coup de bluff[Lequel ?] aux portes de Troyes entraîne la soumission de la ville mais aussi de Châlons-en-Champagne et de Reims. Dès lors, la traversée est possible.
Reims
Le , dans la cathédrale de Reims, en présence de Jeanne d'Arc, Charles VII est sacré par l'archevêque Regnault de Chartres. Le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, en tant que pair du Royaume, est absent ; Jeanne lui envoie une lettre le jour même du sacre, pour lui demander la paix.
L'effet politique et psychologique de ce sacre est majeur. Reims étant au cœur du territoire contrôlé par les Bourguignons et hautement symbolique, il est interprété par beaucoup à l'époque comme le résultat d'une volonté divine. Il légitime Charles VII, qui était déshérité par le traité de Troyes.
Cette partie de la vie de Jeanne d'Arc constitue communément son "épopée" : ces événements qui fourmillent d'anecdotes où les contemporains voient régulièrement des petits miracles, prouvés par leurs références explicites dans les procès, ont grandement contribué à forger la légende et l'histoire officielle de Jeanne d'Arc. La découverte de l'épée dite de « Charles Martel » sous l'autel de l'église de Sainte-Catherine-de-Fierbois en mars 1429, en est un exemple.
Le mythe de la chef de guerre commandant les armées de Charles VII est un autre exemple de légende. C'est le duc de Bedford, régent du royaume de France pour les Anglais, qui lui attribue le rôle de chef de guerre de l'ost du roi envoyé par le diable, pour minimiser la portée de la délivrance d'Orléans et des défaites ultérieures.
Les conseillers du roi se méfiant de son inexpérience et de son prestige, la font tenir à l'écart des décisions militaires essentielles, tandis que le commandement est successivement confié à Dunois, au duc d'Alençon, à Charles d'Albret ou au maréchal de Boussac172.
Les historiens contemporains la considèrent soit comme un porte-étendard qui redonne du cœur aux combattants et aux populations, soit comme un chef de guerre démontrant de réelles compétences tactiques173,174,175.
Paris
Dans la foulée du sacre, Jeanne d'Arc tente de convaincre le roi Charles VII de reprendre Paris aux Bourguignons et aux Anglais, mais il hésite. Après s'être arrêtée au château de Monceau, Jeanne mène une attaque sur Paris le , mais elle est blessée par un carreau d'arbalète lors de l'attaque de la porte Saint-Honoré. L'attaque est rapidement abandonnée et Jeanne est ramenée au village de la Chapelle.
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Jeanne d'Arc à la porte Saint-Honoré lors du siège de Paris de 1429, miniature extraite des Vigiles de Charles VII de Martial d'Auvergne, Paris, BnF, département des Manuscrits, ms. Français 5054, fo 66vo , fin du XVe siècle.
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La rue Saint-Honoré au niveau des no 161-163.
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Plaque commémorative rappelant que Jeanne d'Arc fut blessée près de la porte Saint-Honoré lors du siège de Paris.
Le roi finit par interdire tout nouvel assaut : l'argent et les vivres manquent, et la discorde règne au sein de son conseil. C'est une retraite forcée vers la Loire, l'armée est dissoute. Jeanne repart néanmoins en campagne : désormais elle conduit sa propre troupe et se considère comme une chef de guerre indépendante, elle ne représente plus le roi. Entraîneuse d'hommes, qu'elle sait galvaniser, elle dispose d'une maison militaire avec une écurie de coursiers, un écuyer et un héraut174. Ses troupes luttent contre des capitaines locaux, mais sans beaucoup de succès.
Saint-Pierre-le-Moûtier et La Charité-sur-Loire
En octobre, Jeanne participe au siège de Saint-Pierre-le-Moûtier avec l'armée royale. Le , « la Pucelle » et Charles d'Albret s'emparent de Saint-Pierre-le-Moûtier. Le 23 novembre, ils mettent le siège devant La Charité-sur-Loire pour en chasser Perrinet Gressart. Après un mois, le siège est abandonné. Pour Noël, Jeanne regagne Jargeau, ville fortifiée en bord de Loire, à la suite de l'échec du siège176.
Capture par les Bourguignons et vente aux Anglais (1430)
Début 1430, Jeanne est conviée à rester dans le château de La Trémoille à Sully-sur-Loire. Elle quitte le roi début mai, sans prendre congé, à la tête d'une compagnie de volontaires, et se rend à Compiègne, assiégée par les Bourguignons.
Le 23 mai 1430, vers 20 heures, Jeanne d'Arc sort de Compiègne à la tête d'un groupe d'hommes et attaque le camp bourguignon. Les Anglais ayant réussi à esquiver l'attaque, les Français voyant le danger et se replient dans Compiègne. Auprès de Jeanne d'Arc, il ne reste plus que quelques hommes dont son frère Pierre d'Arc. La Pucelle tombée de cheval est capturée des capitaines bourguignons, le bâtard de Wandonne et probablement Antoine de Bournonville lors d'une sortie aux portes de Compiègne le 177.
Prisonnière du seigneur de ces capitaines bourguignons, Jean II de Luxembourg-Ligny, elle est conduite à Margny-lès-Compiègne où le duc de Bourgogne vint la voir, en personne puis à Clairoix, Élincourt-Sainte-Marguerite et Beaulieu-les-Fontaines d'où elle tente de s'échapper, sans succès. Elle est ensuite conduite au château de Beaurevoir, dans le Vermandois où elle fit une seconde tentative d'évasion. Malgré la hauteur de la muraille, elle sauta et tomba dans les fossés se blessant sérieusement, on la retrouva inanimée. Elle se rétablit.
Conduite à Arras, elle est vendue aux Anglais le 21 novembre 1430, pour dix mille livres tournois, payées par les Rouennais178. Détenue au château du Crotoy du 21 novembre au 20 décembre 1430, elle fut remise aux Anglais qui lui firent traverser la baie de Somme et par Saint-Valery-sur-Somme, elle gagna Rouen,quartier-général des Anglais. Elle est alors mise entre les mains de Pierre Cauchon, évêque de Beauvais et allié des Anglais qui allait présider son procès.
Procès et condamnation (1431)
Procès
Lors de son procès dans le château de Rouen (dans la chapelle royale, la salle dite de parement qui faisait partie des appartements royaux et dans la tour-prison lors de séances en comité restreint)179 qui dure du 21 février au 180, Jeanne d'Arc est accusée d'hérésie. Elle est emprisonnée dans une tour du château de Philippe Auguste à Rouen, dite plus tard « tour de la Pucelle » ; seul le donjon de la construction est parvenu jusqu'à nous. Il est appelé à tort « tour Jeanne-d'Arc », cependant les soubassements de la tour de la Pucelle ont été dégagés au début du XXe siècle et sont visibles dans la cour d'une maison sise rue Jeanne-d'Arc. Jugée par l'Église, Jeanne d'Arc reste néanmoins emprisonnée dans cette prison civile, au mépris du droit canonique.
L'enquête préliminaire commence en janvier 1431 et Jeanne d'Arc est interrogée sans ménagement à Rouen. Si ses conditions d'emprisonnement sont particulièrement difficiles, Jeanne n'a néanmoins pas été soumise à la torture, bien qu'elle en ait été menacée.
Le procès débute le . Environ cent vingt personnes y participent, dont vingt-deux chanoines, soixante docteurs, dix abbés normands, dix délégués de l'université de Paris. Leurs membres sont sélectionnés avec soin. Lors du procès de réhabilitation, plusieurs témoignèrent de leur peur. Ainsi, Richard de Grouchet déclare que « c'est sous la menace et en pleine terreur que nous dûmes prendre part au procès ; nous avions l'intention de déguerpir. » Pour Jean Massieu, « il n'y avait personne au tribunal qui ne tremblât de peur. » Jean Lemaître déclare : « Je vois que si l'on n'agit pas selon la volonté des Anglais, c'est la mort qui menace. »
Une dizaine de personnes sont actives lors du procès, tels Jean d'Estivet, Nicolas Midy et Nicolas Loyseleur.
Le tribunal lui reproche par défaut de porter des habits d'homme, d'avoir quitté ses parents sans qu'ils lui aient donné congé, et surtout de s'en remettre systématiquement au jugement de Dieu plutôt qu'à celui de « l'Église militante », c'est-à-dire l'autorité ecclésiastique terrestre. Les juges estiment également que ses « voix », auxquelles elle se réfère constamment, sont en fait inspirées par le démon. Soixante-dix chefs d'accusation sont finalement trouvés, le principal étant revelationum et apparitionum divinorum mendosa confictrix (imaginant mensongèrement des révélations et apparitions divines)181. L’université de Paris (Sorbonne), rend son avis : Jeanne est coupable d'être schismatique, apostate, menteuse, devineresse, suspecte d'hérésie, errante en la foi, blasphématrice de Dieu et des saints.
Jeanne en appelle au Pape, ce qui sera ignoré par les juges.
« Sur l'amour ou la haine que Dieu porte aux Anglais, je n'en sais rien, mais je suis convaincue qu'ils seront boutés hors de France, exceptés ceux qui mourront sur cette terre. »
— Jeanne d'Arc à son procès (le )
Condamnation et exécution
Le tribunal déclare Jeanne d'Arc « relapse » (retombée dans ses erreurs passées), la condamne au bûcher et la livre au « bras séculier ». Le , après s'être confessée et avoir communié, Jeanne en tunique de toile soufrée est conduite vers neuf heures, sous escorte anglaise, dans la charrette du bourreau Geoffroy Thérage, place du Vieux-Marché à Rouen où l'on a dressé trois estrades : la première, pour le cardinal de Winchester et ses invités, la seconde pour les membres du tribunal civil représenté par le bailli de Rouen Raoul le Bouteiller ; la troisième, pour Jeanne et le prédicateur Nicolas Midi, docteur en théologie.
Après le prêche et la lecture de sa sentence, les soldats conduisent Jeanne d'Arc au bûcher dressé en hauteur182 sur une estrade maçonnée183 pour qu'elle soit bien vue184. Le supplice de Jeanne suscite de nombreux témoignages de mythographes qui prétendent que sur le bûcher, un écriteau décrivant ses péchés masquait Jeanne, ou que Jeanne était coiffée de la mitre d'infamie qui dissimulait son visage. Ces témoignages donnent naissance quelques années plus tard185 à la légende survivantiste selon laquelle Jeanne aurait survécu au bûcher grâce à la substitution d'une autre condamnée186.
Le cardinal de Winchester a insisté pour qu'il ne restât rien de son corps. Il désire éviter tout culte posthume de la « pucelle ». Il a donc ordonné trois crémations successives. La première voit mourir Jeanne d'Arc par intoxication par les gaz toxiques issus de la combustion, dont notamment le monoxyde de carbone. Le bourreau écarte les fagots, à la demande des Anglais qui craignent qu’on ne dise qu’elle s’est évadée, pour que le public puisse voir que le cadavre déshabillé par les flammes est bien celui de Jeanne.
La seconde crémation dure plusieurs heures et fait exploser la boîte crânienne et la cavité abdominale dont des morceaux sont projetés sur le public en contrebas187, laissant au centre du bûcher les organes calcinés à l'exception des entrailles et du cœur (organes plus humides brûlant moins vite) restés intacts. Pour la troisième, le bourreau ajoute de l'huile et de la poix et il ne reste que des cendres et des débris osseux qui sont dispersés, à quinze heures, par Geoffroy Thérage188 dans la Seine189 (non pas à l'emplacement de l'actuel pont Jeanne-d'Arc, mais du pont Mathilde, jadis situé près de l'emplacement de l'actuel pont Boieldieu) afin qu'on ne puisse pas en faire des reliques ou des actes de sorcellerie190.
Procès en nullité de la condamnation
Peu après avoir repris Rouen, Charles VII publie, le , une ordonnance disant que « les ennemis de Jeanne l'ayant fait mourir contre raison et très cruellement », il veut savoir la vérité sur cette affaire192. Mais il faut attendre que Calixte III succède à Nicolas V pour qu'un rescrit papal ordonne enfin, en 1455 et sur la demande de la mère de Jeanne, la révision du procès.
Le pape a ordonné à Thomas Basin, évêque de Lisieux et conseiller de Charles VII, d'étudier en profondeur les actes du procès de Jeanne d'Arc. Son mémoire est la condition juridique du procès en réhabilitation. Celui-ci aboutit à casser le premier jugement pour « corruption, dol, calomnie, fraude et malice » grâce au travail de Jean Bréhal, qui enregistre les dépositions de nombreux contemporains de Jeanne, dont les notaires du premier procès et certains juges.
Le jugement, prononcé le , déclare le premier procès et ses conclusions « nuls, non avenus, sans valeur ni effet » et réhabilite entièrement Jeanne et sa famille193. Il ordonne également l'« apposition [d'une] croix honnête pour la perpétuelle mémoire de la défunte » au lieu même où Jeanne est morte193. La plupart des juges du premier procès, dont l'évêque Cauchon, sont morts entre-temps.
Aubert d'Ourches, ancien compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, comparaît à Toul194 comme vingt-huitième témoin, voici sa déposition du lors de la neuvième séance :
« La Pucelle me parut être imbue des meilleures mœurs. Je voudrais bien avoir une fille aussi bonne… Elle parlait moult bien194. »
Jeanne d'Arc et son époque : enjeux et problèmes
Problèmes des sources historiques
Les deux sources principales sur l'histoire de Jeanne d'Arc sont le procès de la condamnation de 1431, et le procès en nullité de la condamnation de 1455-1456. Le procès-verbal, l’instrumentum publicum195, est rédigé quelques années plus tard sous le contrôle du principal greffier Guillaume Manchon par Thomas de Courcelles196. Étant des actes juridiques, elles ont l'immense avantage d'être les retranscriptions les plus fidèles des dépositions. Mais elles ne sont pas les seules : des notices, des chroniques ont également été rédigées de son vivant, telle que la Geste des nobles François, la Chronique de la Pucelle, la Chronique de Perceval de Cagny, la Chronique de Monstrelet ou encore le Journal du siège d'Orléans et du voyage de Reims, le Ditié de Jeanne d'Arc de Christine de Pizan, le traité de Jean de Gerson. Il faut ajouter également les rapports des diplomates et autres informateurs (écrits de Jacques Gélu à Charles VII, registres du greffier du Parlement de Paris Clément de Fauquembergue).
C'est Jules Quicherat qui rassemblera de manière quasi exhaustive, en cinq volumes, l'historiographie johannique entre 1841 et 1849. Entre le XVe siècle et le XIXe siècle, une foule d'écrivains, de politiciens, de religieux se sont approprié Jeanne d'Arc, et leurs écrits sont nombreux. Il faut donc être prudent dans la lecture des sources : peu lui sont contemporaines et elles réinterprètent souvent les sources originelles dans le contexte de leur interprète.
Les procès sont des actes juridiques. Les deux procès ont la particularité d'avoir subi une influence politique évidente, et la méthode inquisitoire suppose bien souvent que l'accusée et les témoins ne répondent qu'aux questions posées. De plus le procès de 1431 fut retranscrit en latin (vraisemblablement à l'insu de Jeanne), alors que les interrogatoires étaient en français.
Philippe Contamine, au cours de ses recherches, a constaté une abondance d'écrits dès 1429, et le « formidable retentissement au niveau international » dont cette abondance témoigne. Il remarque également que Jeanne d'Arc fut d'emblée mise en controverse et suscita le débat parmi ses contemporains. Enfin, dès le début « des légendes coururent à son sujet, concernant son enfance, ses prophéties, sa mission, les miracles ou les prodiges dont elle était l'auteur. Au commencement était le mythe. »
Il apparaît donc qu'aucun document contemporain de l'époque — hormis les minutes des procès — n'est à l'abri de déformations issues de l'imaginaire collectif. Au cours du procès de réhabilitation, les témoins racontent d'après des souvenirs vieux de 26 ans.
Aucune source ne permet de déterminer exactement les origines de Jeanne d'Arc, ni ses dates et lieu de naissance : les témoignages d'époque sont imprécis, Domrémy ne possédait pas197 de registre paroissial, et les discussions restent nombreuses sur ces points, néanmoins sa biographie peut s'établir à partir des réponses de Jeanne d'Arc aux questions des juges à son premier procès de condamnation sur son éducation religieuse et ses occupations ainsi que les souvenirs des habitants de Domrémy qui veulent convaincre les juges du procès en réhabilitation de sa piété et sa bonne renommée112.
L'anoblissement accordé à Jeanne d'Arc par le roi Charles VII198,199 pose un autre problème. Il ne reste en effet aucune charte originale pour l'attester, mais uniquement des documents attestant de cet anoblissement rédigés postérieurement. Ces documents dont nous ne savons s'ils sont faux ou déforment une partie de la vérité historique font apparaître que Jeanne d'Arc avait été anoblie par Charles VII et avec elle ses parents, comme il était d'usage pour asseoir la filiation nobiliaire sans contestation, et par conséquent la filiation présente et à venir de ses frères et sœur.
En 1614, sous Louis XIII, la descendance fort nombreuse de la famille d'Arc montra qu'elle s'établissait uniquement vers la roture, et le roi leur retira leur titre de noblesse.[réf. nécessaire] Par ailleurs, le trésor y gagna de nombreuses pensions, car chaque membre de la lignée pouvait prétendre à indemnisation de la part du trésor pour le sacrifice de Jeanne d'Arc.
Une des copies de la charte d'anoblissement qui nous est parvenue dit que le roi Charles VII la fit 'Jeanne, dame du Lys', sans lui concéder un pouce de terre, ni à elle ni à ses frères et sœur, ce qui était contraire à l'usage de l'anoblissement, car le titre visait à asseoir la propriété de façon héréditaire. En d'autres termes, la faisant dame du Lys, le roi Charles VII la liait au royaume et à la nation, mais puisqu'elle s'était vouée à la chasteté et à la pauvreté, il ne lui allouait aucun bénéfice terrestre, injustice qui privait du même coup sa parentèle de la possibilité d'user convenablement de cet anoblissement, puisqu'elle demeurait sans possibilité de s'élever dans la société nobiliaire. Les d'Arc restèrent des roturiers par la force des choses.
Iconographie
Aucun portrait d'après nature de Jeanne d'Arc n'est parvenu jusqu'à nous200. Cela inspira une formule marquante à André Malraux, ministre d'État chargé des Affaires culturelles, lors d'un discours tenu à Orléans le , puis repris à Rouen le : « Ô Jeanne, sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants. » Depuis, cette citation figure gravée sur un « mur du souvenir » inauguré à Rouen le à l'occasion de la rénovation de la place du Vieux-Marché où Jeanne fut brûlée201,202.
La seule représentation contemporaine connue de Jeanne d'Arc est esquissée à la plume en marge d'un registre par Clément de Fauquembergue, le 203. Chanoine du chapitre cathédral de Paris, il exerce également les fonctions de greffier au parlement de Paris, cour souveraine rendant alors la justice au nom de la double monarchie franco-anglaise. Chargé notamment de la tenue des registres dits du conseiln 23, Fauquembergue y consigne en latin les arrêts du parlement ainsi que des détails de procédure et divers événements publics, des naissances princières aux nouvelles militaires, dont la levée du siège d'Orléans qu'il relate de manière édulcorée, en esquissant également un croquis de Jeanne d'Arc telle qu'il se l'imagine204. N'ayant jamais vu la Pucelle, le greffier la dessine par ouï-dire205, sans prétendre au portrait physique réaliste. Ce croquis allégorique d'une femme en armes évoque probablement des figures disparates comme Judith, Débora, les sybilles et les amazones206,200. L'image peut également renvoyer à la représentation d'une indécente205 « fille à soldats » accoutrée d'une robe féminine décolletée et dotée d'une poitrine généreuse, à l'image des rumeurs anglo-bourguignonnes relatives à une orgueilleuse ribaude usurpant le rôle d'un chevalier. Nu-tête et « décoiffée » sans chaperon protecteur207, ses cheveux longs dénoués caractérisent la prostituée ou la prophétesse, femmes hors de l'ordre social médiéval. À ces attributs féminins symboliques206, pourtant délaissés par la Pucelle qui portait l'habit masculin et la coupe en sébile208, Fauquembergue ajoute une épée et un étendard à deux queues arborant les initiales « JHS » (« Jhesu »)209, détails puisés dans les échos de la levée du siège d'Orléans210 parvenus jusqu'à Paris204,211.
Durant l'Ancien Régime, Jeanne d'Arc est fréquemment figurée à l'imitation du portrait dit des échevins (1581), conservé au musée historique et archéologique de l'Orléanais. L'héroïne y arbore une longue chevelure, un large béret à cinq plumes ainsi qu'une robe décolletée avec des manches à crevés correspondant à la mode du règne de François Ier. Cette curieuse représentation anachronique d'une « guerrière en costume de cour » définit un type abondamment reproduit depuis le XVIe siècle jusqu'au premier tiers du XIXe siècle212,213.
Or, en 1837, sous la monarchie de Juillet, la princesse Marie d'Orléans sculpte une Pucelle en armure, la chevelure mi-longue, dans une attitude de prière intériorisée. Cette statue opère une révolution iconographique dont la modernité tranche avec une « tradition vieille de deux siècles et demi » perpétuée par toutes les images dérivées du « portrait des échevins »214.
Par ailleurs, une lettrine historiée, dite de Jeanne d'Arc à l'étendard, est reproduite sur les couvertures de plusieurs ouvrages consacrés à la Pucelle. Prétendument peinte au XVe siècle, l'image constitue vraisemblablement un faux commis au tournant des XIXe et XXe siècles par l'Alsacien Georges Spetz (1844-1914), peintre originaire d'Issenheim215,216.
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Jeanne d'Arc en prière, sculpture de la princesse Marie d'Orléans, 1837, château de Versailles.
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Le roi Louis-Philippe et la famille d'Orléans visitent la statue de Jeanne d'Arc dans les galeries de Versailles, toile d'Auguste Vinchon, 1848.
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Lettrine historiée dite de Jeanne d'Arc à l'étendard, faux commis au tournant des XIXe et XXe siècles, Paris, Archives nationales.
Jeanne d'Arc et ses contemporains
Jeanne d'Arc est très populaire de son vivant, la chevauchée vers Reims la fait connaître également à l'étranger. Son parcours nourrit d'innombrables rumeurs en France, et même au-delà217. Elle commence à recevoir des courriers sur des questionnements théologiques venant de nombreuses contrées. On lui demandera son avis sur lequel des papes, alors en concurrence, est le vrai. Jeanne se rapproche des ordres mendiants. En tant que prédicatrice elle se disait envoyée de Dieu, comme de nombreux autres à l'époque. Même si l'objet principal de la mission qu'elle disait se donner est la restauration du trône de France, Jeanne d'Arc prend parti de fait sur le plan théologique et fait débat. Les conflits d'intérêts autour d'elle dépassent la rivalité politique entre les Anglais et les partisans du dauphin.
Ainsi l'université de Paris, « remplie des créatures du roi d'Angleterre »[réf. nécessaire], ne la voit pas d'un bon œil, à l'opposé des théologiens de Poitiers, composée d'universitaires parisiens exilés par les Anglais, et également à l'inverse de l'archevêque d'Embrun, des évêques de Poitiers et de Maguelonne, Jean de Gerson (auparavant chancelier de l'université de Paris), l'Inquisiteur général de Toulouse, ou encore l'Inquisiteur Jean Dupuy qui ne voyait que comme enjeux « à savoir la restitution du roi à son royaume et l'expulsion ou l'écrasement très juste d'ennemis très obstinés ». Ces gens d'Église, et autres, soutiennent la Pucelle.
Pour l'éminente autorité religieuse qu'est alors la Sorbonne, le comportement religieux de Jeanne dépasse l'enjeu de reconquête du Royaume, et les docteurs en théologie de cette institution la considèrent comme une menace contre leur autorité, notamment à cause du soutien des rivaux de l'université à Jeanne, et pour ce qu'elle représente dans les luttes d'influence à l'intérieur de l'Église.
Jeanne n'a pas eu non plus que des amis à la Cour du Dauphin. Au Conseil du Dauphin, le parti du favori La Trémoille, dont était Gilles de Rais, s'oppose régulièrement à ses initiatives. Cependant, de nombreux clercs du roi, notamment son confesseur Jean Girard, soutiennent la jeune fille, notamment après la prise d'Orléans, jusqu'à commander à l'archevêque d'Embrun, Jacques Gélu, une défense argumentée de Jeanne d'Arc218.
À la suite de la venue à Périgueux du Frère dominicain Hélie Bodant venu prêcher à tout le peuple les grands miracles accomplis par Jeanne d'Arc, les consuls de la ville ont fait célébrer une messe chantée le 13 décembre 1429 pour remercier Dieu et attirer Ses grâces sur elle219. Hélie de Bourdeilles, évêque de Périgueux, a écrit un long mémoire, Considération sur la Pucelle de France, pour obtenir la réhabilitation de Jeanne d'Arc, en 1453/1454.
Son rôle dans la guerre de Cent Ans
Jeanne d'Arc, à elle seule, n'a pas influencé la phase finale de la guerre, qui s'est achevée en 1453. Elle n'a pas été non plus inexistante dans le rôle tactique et stratégique de sa campagne : Dunois parle d'une personne douée d'un bon sens indéniable et tout à fait capable de placer aux points clés les pièces d'artillerie de l'époque. Les faits d'armes sont donc à porter à son crédit. Elle fut en outre un chef indéniablement charismatique.
Sur le plan géopolitique, le royaume de France, privé de tout ce qui était situé au nord de la Loire et à l'ouest de l'Anjou-Auvergne, bénéficiait de ressources humaines et matérielles à peu près identiques à celles de l'Angleterre, proprement dite, qui était moins peuplée. Mais l'Angleterre tirait de ses possessions (selon les Anglais), de ses conquêtes (selon les Français), du Nord et de l'Ouest du royaume de France, des ressources (en hommes et en impôts) largement supérieures à celle du roi de Bourges, Charles VII. De plus, l'Angleterre était à l'aise pour mobiliser ses ressources continentales, car les Anglais connaissaient parfaitement tout le Grand Ouest de la France, lequel était leur domaine avant confiscation par Philippe Auguste un siècle plus tôt. Les Anglais n'ont jamais eu de difficulté pour lever des troupes et des fonds. La stratégie de Charles V et de Du Guesclin, qui misaient sur le temps, en évitant les combats frontaux, et en assiégeant une par une les places fortes, tactique que Charles VII a adoptée faute de moyens, a parfaitement montré son efficacité. Cette stratégie avait déjà montré les limites de l'invasion anglaise sous Charles V. Charles VII, avec l'appui de Jeanne, puis, après, des frères Gaspard et Jean Bureau, en a confirmé l'efficacité.
Cependant, avant l'intervention de Jeanne d'Arc, les Anglais bénéficiaient d'un avantage psychologique extrêmement important lié à plusieurs raisons :
- la réputation d'invincibilité de leurs troupes ;
- le traité de Troyes qui déshéritait le dauphin Charles et mettait en doute sa filiation à l'égard du roi Charles VI ;
- un état d'abattement et de résignation de la population ;
- l'alliance avec la Bourgogne.
L'avantage numérique du royaume de France pesait peu. Cette situation faisait qu'en 1429 la dynamique était anglaise.
Jeanne a eu indéniablement le mérite d'inverser l'ascendant psychologique en faveur de la France, en remontant le moral des armées et des populations, en légitimant et sacrant le roi, et en montrant que la réputation d'invincibilité des Anglais était fausse. Charles VII a eu, lui, l'initiative de se raccommoder avec les Bourguignons, étape indispensable pour la reconquête de Paris. Jeanne d'Arc visiblement ne portait pas les Bourguignons dans son cœur à cause de leur proximité avec son village de Domrémy et des heurts qu'il avait pu y avoir.
Le pape Pie II évoqua Jeanne d'Arc en ces termes :
« … Ainsi mourut Jeanne, l'admirable, la stupéfiante Vierge. C'est elle qui releva le royaume des Français abattu et presque désespéré, elle qui infligea aux Anglais tant et de si grandes défaites. À la tête des guerriers, elle garda au milieu des armées une pureté sans tache, sans que le moindre soupçon ait jamais effleuré sa vertu. Était-ce œuvre divine ? était-ce stratagème humain ? Il me serait difficile de l'affirmer. Quelques-uns pensent, que durant les prospérités des Anglais, les grands de France étant divisés entre eux, sans vouloir accepter la conduite de l'un des leurs, l'un d'eux mieux avisé aura imaginé cet artifice, de produire une Vierge divinement envoyée, et à ce titre réclamant la conduite des affaires ; il n'est pas un homme qui n'accepte d'avoir Dieu pour chef ; c'est ainsi que la direction de la guerre et le commandement militaire ont été remis à la Pucelle. Ce qui est de toute notoriété, c'est que, sous le commandement de la Pucelle, le siège d'Orléans a été levé ; c'est que par ses armes a été soumis tout le pays entre Bourges et Paris ; c'est que, par son conseil, les habitants de Reims sont revenus à l'obéissance et le couronnement s'est effectué parmi eux ; c'est que, par l'impétuosité de son attaque, Talbot a été mis en fuite et son armée taillée en pièces ; par son audace le feu a été mis à une porte de Paris ; par sa pénétration et son habileté les affaires des Français ont été solidement reconstituées. Événements dignes de mémoire, encore que, dans la postérité, ils doivent exciter plus d'admiration qu'ils ne trouveront de créance. »
(Mémoires du pape Pie II, citées en latin par Quicherat en 1847, traduites en français par le père Ayroles en 1898).
L'enjeu de sa virginité
Jeanne mettait aussi en avant sa virginité pour prouver, selon les mœurs de son temps, qu'elle était envoyée de Dieu et non une sorcière et affirmer clairement sa pureté, aussi bien physiquement que dans ses intentions religieuses et politiques.
L'opinion de cette époque était en effet formée à ces miracles où la Vierge et les saints venaient délivrer les prisonniers ou sauver des royaumes, comme le prophétisaient Merlin221,222, Brigitte de Suède ou la recluse d'Avignon223. Dès lors vérifier sa virginité devient un enjeu important, étant donné l'importance politique des projets de Jeanne : restaurer la légitimité du roi Charles VII et l'amener au sacre.
Par deux fois, la virginité de Jeanne fut constatée par des matrones, à Poitiers en mars 1429, mais aussi à Rouen, le . Pierre Cauchon (celui-là même qui la fit brûler) avait ordonné ce deuxième examen pour trouver un chef d'accusation contre elle, en vain.[réf. souhaitée]
Il est en revanche difficile de savoir ce qui s'est passé entre le jugement et le constat de « relapse », période où Jeanne a été durement maltraitée par ses geôliers. Selon Martin Ladvenu, un lord anglais aurait essayé de la forcer dans sa prison, en vain.
Les autres pucelles
Jeanne des Armoises et Jeanne de Sermaises
Plusieurs femmes se présentèrent comme étant Jeanne d'Arc affirmant avoir échappé aux flammes. Pour la plupart, leur imposture fut rapidement décelée, mais deux d'entre elles parvinrent à convaincre leurs contemporains qu'elles étaient réellement Jeanne d'Arc : il s'agit de Jeanne des Armoises et de Jeanne de Sermaises.
D'après une source tardive (trouvée en 1645 à Metz par un prêtre de l'oratoire, le père Jérôme Viguier, et publiée en 1683 par son frère Benjamin Viguier), La Chronique du doyen de Saint-Thiébaud, Claude, dite Jeanne des Armoises, apparut pour la première fois le à Metz où elle rencontra les deux frères de Jeanne d'Arc, qui la reconnurent pour leur sœur.
Il semble impossible d'affirmer s'ils crurent vraiment qu'elle fut leur sœur ou non. La belle-sœur de son mari Alarde de Chamblay devenue veuve, s'était remariée en 1425 avec Robert de Baudricourt, le capitaine de Vaucouleurs. Claude-Jeanne guerroya avec les frères d'Arc et Dunois dans le Sud-Ouest de la France et en Espagne. En juillet 1439, elle passa par Orléans, les comptes de la ville mentionnent pour le 1er août : « À Jehanne d'Armoise pour don à elle fait, par délibération faite avec le conseil de ville et pour le bien qu'elle a fait à ladite ville pendant le siège IICX lp », soit 210 livres parisis. Elle mourut vers 1446 sans descendance.
En 1456, après la réhabilitation de la Pucelle, Jeanne de Sermaises apparut en Anjou. Elle fut accusée de s'être fait appeler la Pucelle d'Orléans, d'avoir porté des vêtements d'homme. Elle fut emprisonnée jusqu'en février 1458, et libérée à la condition qu'elle s'habillerait « honnêtement ». Elle disparaît des sources après cette date.
Les « consœurs »
Jeanne d'Arc n'est pas un cas unique, bien qu'on fasse à l'époque plus confiance à des enfants ayant des visions qu'à des hommes ou à des femmes prophètes (les prophétesses sont des mulierculae, « petites bonnes femmes », dans le traité De probatione spirituum de 1415 de Jean de Gerson, théologien qui déconsidère notamment Brigitte de Suède et Catherine de Sienne et qui met au point des procédures d'authentification des vraies prophétesses, car désormais seule l'Église a le jugement d'autorité en matière de visions, d'apparitions et de prophéties)226.
En 1391, le collège de Sorbonne et en 1413 l'université de Paris publient une affiche appelant tous ceux qui ont des visions et se croyant appelés à sauver la France à leur communiquer leurs prophéties, les vrais prophètes selon les critères de l'époque devant être humbles, discrets, patients, charitables et avoir l'amour de Dieu227. Le Journal d'un bourgeois de Paris rapporte un sermon entendu le faisant référence à trois autres femmes :
« Encore dist il en son sermon qu'ilz estoient IIII, dont les III avoit esté prinses, c'est assavoir ceste Pucelle, et Perronne et sa compaigne, et une qui est avec les Arminalx (Armagnacs), nommée Katherine de La Rochelle ; … et disoit que toutes ces quatre pouvres femme frère Richart le cordelier […] les avoit toute ainsi gouvernées ; […] et que le jour de Noel, en la ville de Jarguiau (Jargeau), il bailla à ceste dame Jehanne la Pucelle trois foys le corps de Nostre Seigneur […] ; et l'avoit baillé à Peronne, celui jour, deux fois […] »
De ces trois autres femmes, le même Bourgeois de Paris relate l'exécution de Piéronne, qui « estoit de Bretaigne bretonnant » et fut brûlée sur le parvis de Notre-Dame le 3 septembre 1430. Et s'il ne la nomme pas, le Formicarius du frère Johannes Nider semble décrire la même exécution.
Interrogée au sujet de Katherine de La Rochelle lors de son procès, Jeanne d'Arc déclara l'avoir rencontrée et lui avoir répondu « qu'elle retournât à son mari, faire son ménage et nourrir ses enfants ». Elle ajouta : « Et pour en savoir la certitude, j'en parlai à sainte Marguerite ou sainte Catherine, qui me dirent que du fait de cette Catherine n'était que folie, et que c'était tout néant. J'écrivis à mon Roi que je lui dirais ce qu'il en devait faire ; et quand je vins à lui, je lui dis que c'était folie et tout néant du fait de Catherine. Toutefois frère Richard voulait qu'on la mît en œuvre. Et ont été très mal contents de moi frère Richard et ladite Catherine. »
Avec l'essor de l'astronomie et de la futurologie à la fin du Moyen Âge, les cours à cette époque aimaient s'entourer de ces prophètes, parfois pour les instrumentaliser à des fins politiques. Ainsi, une bataille autour des prophètes eut lieu notamment entre les Anglais et les Français, chaque camp fabriquant de fausses prophéties226.
Sa reconnaissance
Reconnaissance littéraire et politique
Dès le XVe siècle, les historiens tendent à occulter Jeanne et il n'est pas question de « miracles ». Ils sont au service du roi et le triomphe de celui-ci ne saurait s’accompagner de l'aide d'une sorcière ou d'une sainte229.
Le culte de son vivant ayant rapidement décliné, les siècles suivants ne lui portent qu'un intérêt inconstant. C'est principalement à partir du XIXe siècle que la figure historique de Jeanne d'Arc a été reprise par de nombreux auteurs pour illustrer ou cristalliser des messages religieux, philosophiques ou politiques.
Christine de Pizan est un des rares auteurs contemporains à avoir fait l'éloge de Jeanne d'Arc, la nouvelle Judith. Villon mentionne en deux vers, parmi les Dames du temps jadis, « Jeanne la bonne Lorraine / Qu'Anglois brûlèrent à Rouen ».
Avant le XIXe siècle, l'image de Jeanne d'Arc est défigurée par la littérature. Seule la notice d'Edmond Richer, surtout prolifique sur le plan théologique, apporte un volet historique cependant entaché d'inexactitudes. Chapelain, poète officiel de Louis XIV, lui consacre une épopée malheureusement très médiocre sur le plan littéraire. Voltaire ne consacre qu'un vers et demi à la gloire de Jeanne d'Arc dans son Henriade, chant VII «… Et vous, brave amazone, La honte des Anglais, et le soutien du trône », et en consacra plus de vingt mille à la déshonorer230. La figure de Jeanne d'Arc connaît son âge d'or sous la restauration des Bourbon231.
Depuis le XIXe siècle, les exploits de Jeanne d'Arc sont usurpés pour servir certains desseins politiques au mépris de l'histoire. Les arcanes de cette exploitation d'une héroïne qui symbolise la France de façon mythique, voire mystique, sont innombrables. On retint surtout les thèses évoquées lors de son procès232 : la mandragore233 suggérée par Cauchon, l’instrument politique destiné à jeter la terreur dans les troupes anglaises, et la si romanesque main de Dieu (qu’on y voit de l’hérésie ou des desseins monarchiques).
Jeanne d'Arc a été réhabilitée en 1817, dans le livre de Philippe-Alexandre Le Brun de Charmettes : Histoire de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, tirée de ses propres déclarations, de cent quarante-quatre dépositions de témoins oculaires, et des manuscrits de la bibliothèque du roi de la tour de Londres234. Le travail scrupuleux de cet historien, fondé sur des enquêtes rigoureuses, et l'étude de documents originaux, a souvent été réutilisé comme base de travail par des écrivains français et étrangers, tels Jules Quicherat ou Joseph Fabre, qui ont contribué à redonner ses titres de noblesse à la Pucelle d'Orléans232.
Les enjeux politiques et religieux du XIXe siècle expliquent l'émergence de thèses révisionnistes : la théorie « surviviste » ou « survivaliste » se développe avec l'ouvrage en 1889 La Fin d'une légende, vie de Jeanne d'Arc (de 1409 à 1440) d'Ernest Lesigne (en) alléguant que Jeanne fut sauvée du bûcher (par substitution avec une autre femme) et devenue Jeanne des Armoises. Cette théorie est reprise par des auteurs laïcs comme Gaston Save qui cherchent à minimiser le rôle de Jeanne d'Arc et enrayer son processus de canonisation. La théorie « bâtardisante » apparaît sur le plan littéraire pour la première fois en 1805 naît avec Pierre Caze qui écrit la pièce de théâtre La Mort de Jeanne d'Arc : la Pucelle y serait une bâtarde royale mise en scène à dessein, et dont la mère aurait été Isabeau de Bavière et le père Louis d'Orléans. Dans son livre La vérité sur Jeanne d'Arc en 1819, Caze développe cette théorie, qui est généralement relayée par des monarchistes comme Jean Jacoby (Le secret de Jeanne, pucelle d'Orléans en 1932) pour qui le peuple ne serait pas en mesure de donner naissance à des héros. La théorie « survivo-bâtardisante » fusionne les deux précédentes en faisant de Jeanne une princesse royale qui a échappé au bûcher et survécu sous le nom de Jeanne des Armoises. Lancée par Jean Grimod (Jeanne d'Arc a-t-elle été brûlée ?, 1952), elle est reprise par des auteurs comme Maurice David-Darnac, Étienne Weill-Raynal, Robert Ambelain, André Cherpillod (Les deux mystères de Jeanne "d'Arc": sa naissance, sa mort, 1992) ou Marcel Gay et Roger Senzig (L'affaire Jeanne d'Arc, 2007)235,236.
Parallèlement à ces thèses, se développe la figure symbolique d'une Jeanne d'Arc incarnation de la résistance à l'étranger, faisait l'unanimité au sein des différents partis politiques français. Symbole républicain et figure unificatrice utile dans le cadre de la construction de la nation après la guerre franco-allemande de 1870, elle fait l'objet depuis la fin du XIXe siècle de récupération par différents partis politiques tant de la gauche (voyant en elle une fille du peuple brûlée par l'Église et abandonnée par le roi) que de la droite (voyant en elle une héroïne nationale, sainte), avant d'être accaparée par la droite nationaliste et catholique. Les partis opèrent ainsi depuis le XIXe siècle une captation d'héritage illégitime plus basée sur son mythe composé d'images déformées par son histoire façonnée par les calculs politiques et les jeux de propagande. Ce qui explique que cette figure fortement politisée a longtemps suscité la méfiance des universitaires contemporains, la première biographie johannique rédigée par une historienne universitaire étant celle de Colette Beaune en 2004237.
Selon l'historien Yann Rigolet, la « savante confiscation » à la fin du XXe siècle de sa figure par les mythologues du Front national, ne rencontrant visiblement que peu d’oppositions, a engendré une certaine déréliction du mythe Jeanne d’Arc. Si elle connaît une « certaine désaffection du public », elle reste cependant une figure de proue de la mémoire collective, pouvant être « perpétuellement revisitée et réinvestie » grâce à son « formidable pouvoir de régénération238. »
Reconnaissance institutionnelle
Jeanne d'Arc est le septième personnage le plus célébré au fronton des 67 000 établissements scolaires français (recensement en 2015) : pas moins de 423 écoles, collèges et lycées (dont 397 dans le secteur privé) lui ont donné son nom, derrière saint Joseph (880), Jules Ferry (642), Jacques Prévert (472), Jean Moulin (434), Jean Jaurès (429), mais devant Antoine de Saint-Exupéry (418), Victor Hugo (365), Louis Pasteur (361), Marie Curie (360), Pierre Curie (357), Jean de la Fontaine (335)239.
Une loi française du 10 juillet 1920 institue « la Fête Jeanne d’Arc, fête du patriotisme », le deuxième dimanche de mai, « jour anniversaire de la délivrance d’Orléans »240. La célébration est toujours en vigueur et fait partie des douze journées nationales organisées chaque année par la République française.
Reconnaissance par l'Église catholique
Sainte Jeanne d'Arc
Détail d'une statue polychrome de Jeanne d'Arc sculptée par Prosper d'Épinay en 1901 et installée dans le chœur de la cathédrale de Reims en 1909, année de béatification de la Pucelle241.Béatification 242 Saint-Pierre de Rome
par le pape Pie XCanonisation 243
par le pape Benoît XVVénérée par l'Église catholique Fête 30 mai Attributs l'Agneau, l'armure, l'épée, l'étendard, les flammes, l'oriflamme244 Sainte patronne France modifier Au XIXe siècle, quand ressurgit la vision chrétienne de l'histoire, les catholiques sont embarrassés par l'action que les évêques jouèrent au procès. L'historien Christian Amalvi note que dans les illustrations, on escamote l’évêque Cauchon. On réduit le rôle de l’Église et attribue l’exécution de Jeanne à la seule Angleterre245.
Canonisation
Jeanne d'Arc est béatifiée par un bref daté du puis une cérémonie tenue le 242. Elle est ensuite canonisée le 243. Sa fête religieuse est fixée au 30 mai, jour anniversaire de sa mort.
Renonçant aux imprécations de Pie X, pape qui appelait en 1911 à la conversion de la France « persécutrice de l'Église », le Saint-Siège souhaite se réconcilier avec la République française après la Première Guerre mondiale. Benoît XV qualifie ainsi le pays de « Mère des saints » consécutivement aux procès de canonisation de plusieurs religieux français, et notamment celui de Bernadette Soubirous. Cette conjecture politique se maintient sous Pie XI : dans sa lettre apostolique Galliam, Ecclesiæ filiam primogenitam datée du , le nouveau pape proclame Jeanne d'Arc sainte patronne secondaire de la France tout en réaffirmant la Vierge comme patronne principale. L'incipit du document pontifical pare également l'Hexagone du titre traditionnel de « fille aînée de l'Église »246.
Postérité de Jeanne d’Arc en Angleterre
En Angleterre, tout comme en France, le souvenir de Jeanne d’Arc a traversé les siècles et demeure vivace dans la mémoire collective. Preuve en est, le fait qu’une statue la représentant a été installée en 1922 (soit deux ans après sa canonisation), en la cathédrale de Winchester, à l’entrée de la chapelle dédiée à Notre-Dame.
Elle a été réalisée suivant les instructions de l’architecte écossais Ninian Comper:
Jeanne est représentée debout sur une colonne, dont les côtés sont peints aux couleurs du royaume de France, fleurs de lys d’or sur fond bleu; les pieds posés sur un socle avec l’inscription « Johanna of Arc », elle porte une armure et un casque dorés, tient dans la main droite une épée lame pointée vers le ciel ; elle est ceinte d’une cape bleue fleurdelysée (voir illustration ci-contre).
Il est intéressant de remarquer que le lieu choisi, la cathédrale de Winchester, n'est sans doute pas sans signification. En effet, la statue de Jeanne d'Arc, à l'entrée de la chapelle, est située en diagonale par rapport au tombeau du cardinal anglais Henri Beaufort, celui-là même qui joua un rôle important durant le procèsn 24.
Selon les historiens Michael Bullen, John Crook, Rodney Hubbuck et Nikolaus Pevsner:
« ce choix a été fait dans un esprit de contrition et de réconciliation247. »
Œuvres inspirées par Jeanne d'Arc
Les œuvres inspirées par la Pucelle sont innombrables dans tous les domaines des arts et de la culture248 : architecture, bande dessinée, chansons, cinéma249, radio et télévision, jeux vidéo, littérature (poésie, roman, théâtre250), musique251 (notamment opéras et oratorios), peinture, sculpture, tapisserie, vitrail, etc.
Parmi les statues les plus célèbres, comptons celle de Frémiet, dont on compte des exemplaires à Paris, en bronze doré, et à Philadelphie aux États-Unis.
Notes et références
Notes
- Une partie du duché de Bar, le Barrois mouvant, relevait du royaume de France pour le temporel et de l'évêché de Toul pour le spirituel.
- Le duc de Bedford se fait donner le duché d'Anjou et le comté du Maine par un acte daté du et confirmé à Rouen par le jeune Henri VI le 19.
- Cette indifférence se constate alors dans tous les groupes sociaux29, y compris au sein de la noblesse où seule la venue au monde des rois et princes illustres est correctement répertoriée grâce à l'établissement d'horoscopes30.
- Selon le droit romain qui fixe la majorité juridique à 25 ans pour les procès civils et criminels, l'âge de Jeanne d'Arc la rend juridiquement incapable de répondre à moins d'être assistée d'un défenseur. Cet argument n'est finalement pas retenu par ses juges rouennais. Par la suite, la question de son âge acquiert progressivement de l'importance jusqu'à la révision du procès en 1455-1456, au moment où Pierre Mauger, avocat de la famille d'Arc, invoque la minorité de la Pucelle pour invalider le jugement de condamnation, entre autres vices de forme31. L'argument de la minorité brandi par Mauger s'avère pourtant insuffisant pour entacher de nullité le procès de condamnation32, voire contre-productif puisque l'objectif avoué du procès en nullité consiste à affirmer haut et fort l'orthodoxie des réponses de la Pucelle aux juges de Rouen, abstraction faite de son jeune âge27.
- En , une nommée Hauviette déclare être « âgée de quarante-cinq ans environ » avant d'ajouter que son amie d'enfance Jeanne d'Arc « était, à ce qu'elle disait, plus âgée qu'elle de trois ou quatre ans33. » Ces propos isolés contredisent les autres témoignages34,35,36. D'autre part, une certaine Mengette, âgée d'environ quarante-six ans37 et peut-être sœur aînée d'Hauviette, est en mesure d'apporter davantage de précisions sur la Pucelle. En conséquence, Colette Beaune et Olivier Bouzy estiment que cette autre habitante de Domrémy devait vraisemblablement être une amie d'enfance plus proche et sensiblement du même âge que Jeanne d'Arc36,38.
Par contre, Jean d'Aulon, témoin important en tant qu'ancien écuyer de la Pucelle, rajeunit celle-ci en la décrivant âgée « de seize ans, ou environ » lors de son arrivée à Chinon en 142939,34,40. - « In nocte Epiphaniarum Domini […] » (« Dans la nuit de l'Épiphanie du Seigneur »), selon la lettre de Perceval de Boulainvilliers, datée du . Le chambellan adresse ce message à Philippe Marie Visconti, duc de Milan et allié du roi de France depuis le traité d'Abbiategrasso (1424)42,43,44.
Dès l'époque de son expédition, la missive est diffusée au-delà du cercle étroit de son destinataire milanais, citée « comme source de première main » sur Jeanne d'Arc, corroborée sur plusieurs points par d'autres sources contemporaines et même versifiée par le poète Antoine Astezan en 1430. Toutefois, en raison du caractère « strictement et ouvertement hagiographique » de la première partie de la lettre, « aucun des contemporains, ni aucun des historiens de Jeanne n'[a] repris à son compte l'affirmation de Perceval de Boulainvilliers sur la venue miraculeuse de la Pucelle à l'Épiphanie avant la seconde moitié du XIXe siècle », remarque l'historien Gerd Krumeich41.
Par le biais de la naissance merveilleuse de Jeanne d'Arc, le conseiller royal exprime son espérance messianique en une renovatio mundi, un « renouvellement du monde », autrement dit un âge d'or précédé par la libération du royaume de France25. Destinés à expliquer la Pucelle au duc de Milan, ces éléments mythiques permettent à Perceval de Boulainvilliers de s'en remettre à des « références culturelles communes45 ». - Chargés d'examiner Jeanne d'Arc à Poitiers en mars-avril 1429, des docteurs en théologie concluent que « de sa naissance et de sa vie, plusieurs choses merveilleuses sont dittes comme vrayes. » Gerd Krumeich observe que cette formule « est reprise, quasiment verbatim », dans la chronique d'Eberhard Windecke, la chronique de Tournai et le Registre delphinal de Mathieu Thomassin.
Par ailleurs, le Journal d'un bourgeois de Paris — tenu en réalité par un clerc anonyme de sensibilité bourguignonne — rapporte que les partisans de Charles VII propagent de fausses rumeurs sur l'enfance de Jeanne d'Arc, petite paysanne prétendument capable de charmer « les oiseaux des bois et des champs [qui] venaient manger son pain en son giron »52.
Composé vraisemblablement après le siège d'Orléans, un poème latin énumère d'autre part de nombreux signes extraordinaires liés à la venue au monde de la Pucelle : tonnerre, tremblement de terre, mer frémissante, air qui s'enflamme53,54,55… - En 1431, les juges suscitent « une réflexion sur le surnom paternel » lorsqu'ils tentent de clarifier l'identité de l'accusée de Rouen selon le droit romain63,64 mais la forme Johanna Darc n'est jamais transcrite dans le procès-verbal du procès de condamnation65.
- Le mercredi lors du procès tenu à Rouen, les juges procèdent au premier interrogatoire de Jeanne d'Arc après sa prestation de « serment de dire la vérité sur les points qui toucheraient à sa foi. » Ils lui demandent « ses nom et surnom69,70. »
Or, au XVe siècle, le terme « surnom » (cognomen) peut désigner de manière ambiguë le surnom ou le nom de famille. Le terme « nom » lui-même signifie alternativement « nom de baptême » (autrement dit le prénom) ou nom de famille71.
Ces équivoques suscitent probablement l'incompréhension de Jeanne puisqu'elle affirme initialement ignorer son « surnom ». Au demeurant, le médiéviste Olivier Bouzy interprète sa réponse comme une marque de prudence consistant à éluder les questions relatives au surnom de Pucelle. En raison des « arrière-plans symboliques » éventuellement établis avec la Vierge Marie dans l'esprit des juges, le sobriquet de la prisonnière risquerait d'entraîner des accusations d'orgueil, voire de blasphème72. Quoi qu'il en soit, Jeanne d'Arc mentionne comme surnoms ses patronyme (d'Arc) et matronyme (Rommée) lors d'un interrogatoire ultérieur, le samedi 73,74,75,71. - La graphie « Jeanne Darc » est employée par Jules Michelet83, pour qui la Pucelle est une « transfiguration de l'esprit populaire84. » Autre historien dont les ouvrages sont massivement diffusés au XIXe siècle85,86, Henri Martin « s'est efforcé en vain d'imposer cette écriture « modernisée » du nom (la « jeune fille du peuple » ne devait pas porter de nom à particule) », relève Gerd Krumeich87.
- Née au XIXe siècle, une tradition hagiographique rattache l'origine matronymique à un hypothétique pèlerinage romain accompli par Isabelle Rommée. Or Aveline, sœur d'Isabelle, semble se nommer aussi Rommée, matronyme probable de leur mère, note Olivier Bouzy89. De surcroît, le médiéviste souligne que « les pèlerins à Rome s'appellent alors « roumieux » et non « rommés »90. » Il suggère plutôt une « origine locale » au matronyme en signalant « un étang Romé dans la forêt de la Reine, au nord-ouest de Toul »90.
- Toutefois, la médiéviste Françoise Michaud-Fréjaville relève que cet usage ne se rencontre pas dans la transcription des déclarations de Jeanne d'Arc au procès de Rouen. De même, lors des enquêtes effectuées dans la région d'origine de la Pucelle pour le procès en nullité, un tel « système de désignation » matronymique n'est pas attesté dans les déclarations d'identité des témoins féminins puisque ces femmes sont presque toujours « mises en rapport avec leur mari vivant ou mort » en tant qu'« épouse untel », « femme untel » ou « veuve untel »91.
- « Jeanne » est un prénom porté par « le tiers67 » ou « la moitié des petites filles » de la génération de la Pucelle49. En fonction des régions, les personnes prénommées « Jean » et « Jeanne » composent même les deux tiers de la population93.
- Entre autres personnalités, l'évêque Félix Dupanloup, Philippe-Hector Dunand (1835-1912)114 et l'historienne Régine Pernoud113.
- Entre autres exemples : délire théomaniaque, dépression mythomaniaque, hystérie, « hallucinations physiologiques », névrose œdipienne, pathologie d'origine sexuelle d'origine endocrinienne117 (d'où les artistes qui ont manipulé dès le début de l'iconographie johannique, l'apparence de cette femme pour suggérer son travestissement118, et les hypothèses d'hermaphrodisme, de travestisme ou de lesbianisme dans les années 1970119), épilepsie temporale (tuberculose bovine — contractée en gardant le troupeau de vaches de son père — disséminée avec atteinte cérébrale secondaire, aura extatique précédant la crise, épilepsie latérale temporale idiopathique partielle d’origine génétique)120, schizophrénie paranoïde121, trouble bipolaire de l'adolescence, trouble du comportement alimentaire de type anorexie mentale ; trouble de conversion, crise d'adolescence122.
- « Jeanne vit quelque chose, et elle l'interpréta comme une expérience mystique. Ce n'était ni une simulatrice — elle n'aurait certainement certainement pas réussi à convaincre ses contemporains si elle n'avait pas été elle-même convaincue — ni une folle. Elle crut, profondément, qu'il s'agissait là de quelque chose de divin, et comme la société du temps admettait parfaitement la possibilité de ces voix, on ne lui demanda jamais si elle les avait véritablement entendues, mais si elles étaient d'origine divine ou diabolique124. »
- Lors du procès de Rouen, le réquisitoire du promoteur Jean d'Estivet dénature l'aide apportée par Jeanne d'Arc à La Rousse afin d'assimiler cette dernière à une mère maquerelle126 et la Pucelle à une « fille d'auberge » aux mœurs légères127,128,129.
- Selon la tradition picturale, les modèles vestimentaires et capillaires anachroniques dépeignent la mode courante à l'époque de la composition des miniatures et ne reflètent aucunement les années 1420-1430140.
- Cette mode s'expliquerait « par la forme des bassinets et la façon d'attacher le camail146. »
Selon l'historienne Françoise Michaud-Fréjaville, « le terme utilisé par le Procès de condamnation est étonnant : [Jeanne d'Arc] avait tonsis capellis in rotundum ad modum mangonum, c'est-à-dire rasés en rond comme un coquet, un jeune à la mode. Le mot mangone ne désigne pas un page comme on le traduit d'habitude, mais un personnage qui améliore une apparence pour la présenter à son avantage (« relooker », si j'ose dire)147. »
La médiéviste ajoute que les juges ou les greffiers du procès de Rouen emploient à dessein le mot latin mango, usité initialement pour désigner le fardage d'une marchandise, afin d'évoquer l'apparence censément « contre nature » de la Pucelle. Du reste, mango finira par donner le terme péjoratif « muguet » qui qualifie un jeune élégant. - Les compagnons d'armes de Jeanne, les capitaines de ses compagnies, Jean Poton de Xaintrailles, La Hire, Thibault d'Armagnac, sont en effet choisis parmi les gascons du parti des Armagnacs parce que, disait-elle, « ils estaient tous soldats fols et adventureux qui ne voulaient pas rester rasibus des murailles pour esviter les traicts, mais allaient jouer de l'espée en pleins champs », ce qui lui valut d'être surnommée « l'Armagnacaise » et affublée d'un qualificatif injurieux par les Anglais lors du siège d'Orléans156.
- Une inscription sur la façade extérieure de la Salle des États du château de Blois mentionne le séjour en son sein de Jeanne d'Arc du 25 au 27 avril 1429.
- La plaque commémorative apposée à l’entrée du Château de Loches ne mentionne pas de date précise, tandis que sur la notice de présentation du château figure la date du 22 mai, lire en ligne : Jeanne d'Arc. [archive]. Consulté le .
- Les registres dits du conseil transcrivent les délibérations des jours de conseil du parlement de Paris, à distinguer des registres dits de plaidoirie, consacrés aux audiences publiques des jours de plaidoiries204.
- Voir détails section « *Condamnation et exécution*».
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Voir aussi
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- Claude Gauvard, Jeanne d'Arc : héroïne diffamée et martyre, Paris, Gallimard, coll. « L'esprit de la cité / Des femmes qui ont fait la France », , 192 p. (ISBN 978-2-0701-7855-1).
- Gerd Krumeich (trad. de l'allemand par Josie Mély, Marie-Hélène Pateau et Lisette Rosenfeld, préf. Régine Pernoud), Jeanne d'Arc à travers l'histoire [« Jeanne d'Arc in der Geschichte : Historiographie, Politik, Kultur »], Paris, Éditions Albin Michel, coll. « Bibliothèque Albin Michel. Histoire », , 348 p. (ISBN 2-226-06651-9).
Réédition : Gerd Krumeich (trad. de l'allemand par Josie Mély, Marie-Hélène Pateau et Lisette Rosenfeld, préf. Pierre Nora), Jeanne d'Arc à travers l'histoire [« Jeanne d'Arc in der Geschichte : Historiographie, Politik, Kultur »], Paris, Belin, , 416 p. (ISBN 978-2-410-00096-2).
- Régine Pernoud, La libération d'Orléans : 8 mai 1429, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Trente journées qui ont fait la France » (no 9), , 345 p. (présentation en ligne [archive]).
Réédition : Régine Pernoud (postface Jacques Le Goff), La libération d'Orléans : 8 mai 1429, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », , 304 p. (ISBN 2-07-078184-4, présentation en ligne [archive]).
- Régine Pernoud et Marie-Véronique Clin, Jeanne d'Arc, Paris, Fayard, , 447 p. (ISBN 2-213-01768-9, présentation en ligne [archive]).
- Valérie Toureille, Jeanne d'Arc, Paris, Perrin, , 432 p. (ISBN 978-2-26206-394-8, présentation en ligne [archive]).
- (en) Marina Warner, Joan of Arc : The Image of Female Heroism, Londres, Weidenfeld & Nicolson, , XXVI-349 p. (ISBN 0-297-77638-X, présentation en ligne [archive]).
Réflexions relatives aux biographies de Jeanne d'Arc
- Philippe Contamine, « Une biographie de Jeanne d'Arc est-elle encore possible ? », dans Jean Maurice et Daniel Couty (dir.), Images de Jeanne d'Arc : actes du colloque de Rouen, 25-26-27 mai 1999, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Études médiévales » (no 1), , VIII-281 p. (ISBN 2-13-049952-X), p. 1-15.
- Pierre Duparc, « Jeanne d'Arc controversée », Bulletin de la société historique de Compiègne, Compiègne, Société historique de Compiègne, t. 28 « Actes du colloque Jeanne d'Arc et le cinq cent cinquantième anniversaire du siège de Compiègne, 20 mai - 25 octobre 1430 », , p. 217-229 (lire en ligne [archive]).
- Gerd Krumeich, « Problèmes d'une biographie de Jeanne d'Arc », Francia, Sigmaringen, Jan Thorbecke, nos 34/1, , p. 215-222 (ISBN 978-3-7995-8123-3, lire en ligne [archive]).
- Régine Pernoud, Jean Tulard et Jérôme Pernoud, Jeanne d'Arc, Napoléon : le paradoxe du biographe, Monaco, Éditions du Rocher, , 217 p. (ISBN 2-268-02476-8).
- (de) Heinz Thomas, « Jeanne d'Arc. Grundzüge einer Biographie », Francia, Sigmaringen, Jan Thorbecke, nos 34/1, , p. 163-173 (ISBN 978-3-7995-8123-3, lire en ligne [archive]).
Colloques et recueils d'articles
- Colette Beaune (dir.), Jeanne d’Arc à Blois : histoire et mémoire, Blois, Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher (SSLLC), , 265 p. (ISSN 1157-0849).
- Jean-Patrice Boudet (dir.) et Xavier Hélary (dir.), Jeanne d'Arc : histoire et mythes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 292 p. (ISBN 978-2-7535-3389-9, présentation en ligne [archive]).
- Mémorial du Ve centenaire de la réhabilitation de Jeanne d'Arc, 1456-1956, Paris, J. Foret, , XXII-317 p.
- Collectif, Jeanne d'Arc. Une époque, un rayonnement : colloque d'histoire médiévale, Orléans, octobre 1979, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), , 301-[4] (ISBN 2-222-03048-X, présentation en ligne [archive]).
- Collectif, « Actes du colloque Jeanne d'Arc et le cinq cent cinquantième anniversaire du siège de Compiègne, - », Bulletin de la société historique de Compiègne, t. 28, 1982, [lire en ligne [archive]].
- Philippe Contamine, De Jeanne d'Arc aux guerres d'Italie : figures, images et problèmes du XVe siècle, Orléans, Paradigme, coll. « Varia » (no 16), , 288 p. (ISBN 2-86878-109-8, présentation en ligne [archive]).
Réédition augmentée : Philippe Contamine, Jeanne d'Arc et son époque : essais sur le XVe siècle français, Paris, Éditions du Cerf, , 380 p. (ISBN 978-2-20413-754-6).
- Dominique Goy-Blanquet (dir.), Jeanne d'Arc en garde à vue : essais rassemblés et présentés par Dominique Goy-Blanquet, Bruxelles, Le Cri, , 177 p. (ISBN 2-87106-240-4).
- Catherine Guyon (dir.) et Magali Delavenne (dir.), De Domrémy… à Tokyo : Jeanne d'Arc et la Lorraine : actes du colloque universitaire international, Domrémy et Vaucouleurs, 24-26 mai 2012, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Archéologie, espaces, patrimoines », , 408 p. (ISBN 978-2-8143-0154-2, présentation en ligne [archive]).
- Jean Maurice (dir.) et Daniel Couty (dir.), Images de Jeanne d'Arc : actes du colloque de Rouen, 25-26-27 mai 1999, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Études médiévales » (no 1), , VIII-281 p. (ISBN 2-13-049952-X).
- Françoise Michaud-Fréjaville, Cahiers de recherches médiévales, vol. 12 : Une ville, une destinée : Orléans et Jeanne d'Arc. En hommage à Françoise Michaud-Fréjaville, Orléans / Paris, CEMO / Honoré Champion, , 299 p. (ISBN 978-2-7453-5475-4, lire en ligne [archive]).
- François Neveux (dir.), De l'hérétique à la sainte. Les procès de Jeanne d'Arc revisités : actes du colloque international de Cerisy, 1er-4 octobre 2009, Caen, Presses universitaires de Caen, coll. « Symposia », , 343 p. (ISBN 978-2-84133-421-6, présentation en ligne [archive], lire en ligne [archive]).
- (en) Bonnie Wheeler (dir.) et Charles T. Wood (dir.), Fresh Verdicts on Joan of Arc, New York, Garland, coll. « The New Middle Ages / Garland Reference Library of the Humanities » (no 2 / 1976), , XVI-317 p. (ISBN 0-8153-2337-9, présentation en ligne [archive]).
Articles, contributions, communications
- Olivier Bouzy, « Jeanne d'Arc, les signes au roi et les entrevues de Chinon », dans Jacques Paviot et Jacques Verger (dir.), Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge : mélanges en l'honneur de Philippe Contamine, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, coll. « Cultures et civilisations médiévales » (no XII), , 691 p. (ISBN 2-84050-179-1), p. 131-138.
- Olivier Bouzy, « Le siège d'Orléans a bien eu lieu ou le Dasein de Jeanne d'Arc dans la guerre de Cent Ans », Connaissance de Jeanne d'Arc, Chinon, no 31, , p. 49-62 (lire en ligne [archive]).
- Olivier Bouzy, « La famille de Jeanne d'Arc, ascension sociale d'un lignage roturier du XIVe au XVIe siècle », dans Catherine Guyon et Magali Delavenne (dir.), De Domrémy… à Tokyo. Jeanne d'Arc et la Lorraine : actes du colloque universitaire international, Domrémy et Vaucouleurs, 24-26 mai 2012, Nancy, Presses Universitaires de Nancy - Éditions universitaires de Lorraine, coll. « Archéologie, espaces, patrimoines », , 408 p. (ISBN 978-2-8143-0154-2, présentation en ligne [archive]), p. 33-44.
- Philippe Contamine, « Observations sur le siège d'Orléans (1428-1429) », dans Gilles Blieck, Philippe Contamine, Nicolas Faucherre et Jean Mesqui (dir.), Les enceintes urbaines (XIIIe-XVIe siècle), Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), (lire en ligne [archive]), p. 331-343.
Article repris dans : Philippe Contamine, Pages d'histoire militaire médiévale (XIVe-XVe siècle), Paris, Institut de France, « Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres », no 32, 2005, p. 197-212.
- Philippe Contamine, « Yolande d'Aragon et Jeanne d'Arc : l'improbable rencontre de deux parcours politiques », dans Éric Bousmar, Jonathan Dumont, Alain Marchandisse et Bertrand Schnerb (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, De Boeck, coll. « Bibliothèque du Moyen Âge », , 656 p. (ISBN 978-2-8041-6553-6, lire en ligne [archive]), p. 11-30.
- Philippe Contamine, « Jeanne d'Arc à cheval : légendes, faits, images », dans Le cheval dans la culture médiévale : textes réunis par Bernard Andenmatten, Agostino Paravicini Bagliani et Eva Pibiri, Florence, SISMEL - Edizioni del Galluzzo, coll. « Micrologus' Library » (no 69), , XII-386 p. (ISBN 978-88-8450-655-9, présentation en ligne [archive]), p. 221-242.
- Claude Desama, « Jeanne d'Arc et Charles VII », Revue de l'histoire des religions, Paris, Presses universitaires de France, t. 170, no 1, , p. 29-46 (lire en ligne [archive]).
- Claude Desama, « La première entrevue de Jeanne d'Arc et de Charles VII à Chinon (mars 1429) », Analecta Bollandiana, t. 84, , p. 113-127.
- Claude Desama, « Jeanne d'Arc et la diplomatie de Charles VII : l'ambassade française auprès de Philippe le Bon en 1429 », Annales de Bourgogne, Dijon, Centre d'études bourguignonnes, t. XL, fascicule 4, , p. 290-299 (lire en ligne [archive]).
- Xavier Hélary, « Avant le procès de Jeanne d'Arc (1431) : le « dossier de l'instruction » », dans Patrick Gilli et Jacques Paviot (dir.), Hommes, cultures et sociétés à la fin du Moyen Âge : Liber discipulorum en l'honneur de Philippe Contamine, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, coll. « Cultures et civilisations médiévales » (no 57), , 413 p. (ISBN 978-2-84050-845-8, présentation en ligne [archive]), p. 123-142.
- Françoise Michaud-Fréjaville, « Sainte Catherine, Jeanne d'Arc et le « saut de Beaurevoir » », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, no 8 « La protection spirituelle au Moyen Âge », , p. 73-86 (ISSN 2115-6360, DOI 10.4000/crm.386, lire en ligne [archive]).
- Françoise Michaud-Fréjaville, « Le royaume de Bourges et l'épopée de Jeanne d'Arc », dans Pierre Allorant, Walter Badier, Alexandre Borrell et Jean Garrigues (dir.), Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 323 p. (ISBN 978-2-7535-8169-2), p. 203-216.
- François Neveux, « Les voix de Jeanne d'Arc, de l'histoire à la légende », Annales de Normandie, no 2 (62e année) « Mélanges offerts à Catherine Bougy », , p. 253-276 (lire en ligne [archive]).
- Georges Peyronnet, « L'équipée de Jeanne d'Arc de Sully-sur-Loire à Lagny-sur-Marne, mars-avril 1430 : secrets et surprises », Connaissance de Jeanne d'Arc, Chinon, no 35, , p. 31-68 (lire en ligne [archive]).
- Vladimir Raytes, « La première entrevue de Jeanne d'Arc et de Charles VII à Chinon : essai de reconstitution d'un fait historique », Bulletin de l'association des amis du Centre Jeanne d'Arc, no 13, , p. 7-18.
Articles connexes
- Capture de Jeanne d'Arc par les Bourguignons
- Mythes de Jeanne d'Arc
- Fêtes johanniques d'Orléans et de Reims
- Œuvres inspirées par Jeanne d'Arc
- Anneaux de Jeanne d'Arc
- Compagnons de Jeanne d'Arc
- Historial Jeanne d'Arc
- Affaire Thalamas
- Travestissement, identité de genre et sexualité de Jeanne d'Arc
- Liste des saintes travesties
Personnalités liées à Jeanne d'Arc
Famille :
- Jacques d'Arc, son père
- Isabelle Rommée, sa mère
- ses frères et sœur :
- Catherine d'Arc
- Jean d'Arc
- Jacquemin d'Arc
- Pierre d'Arc
Juges :
- Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, ordonnateur du procès
- Jean Alespée
- Jean d'Estivet (procureur)
- Jean de La Fontaine (examinateur)
- Jean Lemaître (vice-inquisiteur)
- Richard de Beauchamp
Anglais :
- Henri VI, roi d'Angleterre (âgé de 9 ans en 1430)
- Jean de Lancastre, duc de Bedford, régent du royaume de France, oncle d'Henri VI
- Richard de Beauchamp, comte de Warwick, tuteur d'Henri VI
- Henri Beaufort, cardinal de Winchester, assiste au procès et à l'exécution de Jeanne
- Chefs militaires :
- Jean, duc d'Alençon
- Jean de Dunois dit le « Bâtard d'Orléans »
- Étienne de Vignolles dit « La Hire »
- Raoul de Gaucourt
- Gilles de Rais
- Jean Poton de Xaintrailles
- Arnault Guilhem de Barbazan
- Antoine de Chabannes, seigneur de Dammartin
- Jacques Ier de Chabannes de La Palice, seigneur de la Palice
- Arthur de Bretagne, conétable de Richemont,
- Jean de Brosse, dit le « maréchal de Boussac »
- Jean d'Aulon
- Ambroise de Loré
- Guy XIV de Laval
- Jean V de Bueil
- Robert Le Maçon
- Louis de Coutes dit « Minguet »
- Raymond de Coutes
- Jean Pasquerel
- Thibault d'Armagnac
- Thomas de Monclars
- Aubert d'Ourches (voir Famille d'Ourches)
- John Wishart, avec un contingent d'écossais
- Jean de Metz, compagnon depuis Vaucouleurs
- Bertrand de Poulengy, compagnon depuis Vaucouleurs
Liens externes
- Le Centre Jeanne-d'Arc [archive] : service culturel de la mairie d'Orléans.
- (en) Association des études Jeanne d'Arc [archive].
- Stejeannedarc.net [archive].
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Catégories :- Jeanne d'Arc
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- Condamné à mort exécuté au XVe siècle
-
Charlemagne
Charlemagne
Denier impérial en argent de Charlemagne, inspiré des modèles romains. Au droit figure le profil imberbe et moustachu, le front ceint de lauriers, le buste couvert du paludamentum1, et l'inscription « KAROLUS IMP[ERATOR] AUG[USTUS] M[ELLE] » (Charles, empereur auguste)2,3.
Cabinet des médailles, BnF, Paris.Titre Roi des Francs –
(45 ans, 3 mois et 19 jours)Avec Carloman Ier (768-771) Couronnement à Noyon Prédécesseur Pépin le Bref
Carloman IerSuccesseur Louis Ier le Pieux Roi des Lombards –
(39 ans, 7 mois et 23 jours)Prédécesseur Didier de Lombardie Successeur Louis Ier le Pieux Empereur d'Occident –
(13 ans, 1 mois et 3 jours)Couronnement à Rome par le pape Léon III Prédécesseur Aucun Successeur Louis Ier le Pieux Biographie Dynastie Carolingiens Date de naissance (?) 742, 747 ou 748 Lieu de naissance Inconnu, possiblement à Quierzy, Jupille ou Herstal, entre autres Date de décès Lieu de décès Aix-la-Chapelle (Empire carolingien, aujourd'hui en Allemagne) Nature du décès Pneumonie Sépulture chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle Père Pépin le Bref Mère Bertrade de Laon Fratrie Carloman Ier Conjoint Himiltrude
Désirée de Lombardie
Hildegarde de Vintzgau
Fastrade de Franconie
Luitgarde d'AlémanieEnfants Avec Himiltrude :
Alpaïs
Pépin le Bossu
Avec Hildegarde de Vintzgau :
Charles le Jeune
Adélaïde
Rotrude
Pépin d'Italie
Louis Ier le Pieux
Lothaire
Berthe
Gisèle
Hildegarde
Avec Fastrade de Franconie :
Théodrade
Hiltrude
Enfants illégitimes :
Rothilde
Chrotais (ou Rothaide)
Adeltrude
Drogon de Metz
Hugues l'Abbé
Théodoric (ou Thierry)Héritier Louis Ier Religion Catholicisme Monarques de France modifier Charlemagnen 1, du latin Carolus Magnus, ou Charles Ier dit « le Grand », né à une date inconnue (vraisemblablement durant l'année 742, voire 747 ou 748, peut-être le ), mort le à Aix-la-Chapelle4, est un roi des Francs et empereur. Il appartient à la dynastie des Carolingiens. Fils de Pépin le Bref et de Bertrade de Laon, il est roi des Francs à partir de 768, devient par conquête roi des Lombards en 774 et est couronné empereur à Rome par le pape Léon III le 24 ou , relevant une dignité disparue en Occident depuis la déposition, trois siècles auparavant, de Romulus Augustule en 476.
Roi guerrier, il agrandit notablement son royaume par une série de campagnes militaires, en particulier contre les Saxons païens dont la soumission fut difficile et violente (772-804), mais aussi contre les Lombards en Italie et les musulmans d'al-Andalus. Souverain réformateur, soucieux d'unification religieuse et de culture, il protège les arts et lettres et est à l’origine de la « renaissance carolingienne ». Son œuvre politique immédiate, l’Empire carolingien, ne lui survit cependant pas longtemps. Se conformant à la coutume successorale germanique, Charlemagne prévoit dès 806 le partage de l’Empire entre ses trois fils5. Après de nombreuses péripéties, l’Empire ne sera finalement partagé qu’en 843 entre trois de ses petits-fils, lors du traité de Verdun.
Le morcellement féodal des siècles suivants, puis la formation en Europe des États-nations rivaux condamnent à l’impuissance ceux qui tentent explicitement de restaurer l’Empire d’Occident, en particulier les souverains du Saint-Empire romain germanique, d’Otton Ier en 962 à Charles Quint au XVIe siècle, voire Napoléon Ier, hanté par l’exemple du plus éminent des Carolingiens6.
La figure de Charlemagne a été l’objet d’enjeux politiques en Europe, notamment entre le XIIe et le XIXe siècle entre la nation germanique qui considère son « Saint-Empire romain » comme le successeur légitime de l’empereur carolingien, et la nation française qui en fait un élément central de la continuité dynastique des Capétiens. Charlemagne est parfois considéré comme le « Père de l’Europe »7,8,9,10 pour avoir assuré le regroupement d’une partie notable de l’Europe occidentale, et posé des principes de gouvernement dont ont hérité les grands États européens11.
Les deux principaux textes du IXe siècle qui dépeignent le Charlemagne réel, la Vita Caroli d’Éginhard et la Gesta Karoli Magni attribuée à Notker le Bègue, moine de Saint-Gall, l’auréolent également de légendes et de mythes repris au cours des siècles suivants : « Il y a le Charlemagne de la société vassalique et féodale, le Charlemagne de la Croisade et de la Reconquête, le Charlemagne inventeur de la Couronne de France ou de la Couronne impériale, le Charlemagne mal canonisé mais tenu pour vrai saint de l'Église, le Charlemagne des bons écoliers »12.
Charlemagne est, par tolérance du pape Benoît XIV, un bienheureux catholique fêté localement le 13. En effet, en 1165, l'empereur Frédéric Ier Barberousse obtient la canonisation de Charlemagne par l'antipape Pascal III13,14. De nombreux diocèses du nord de la France inscrivent alors Charlemagne à leur calendrier et, en 1661, l’université de Paris le choisit pour saint patron13. Aujourd’hui encore, la cathédrale d'Aix-la-Chapelle fait vénérer ses reliques13. Pourtant, l’Église catholique a retiré de son calendrier « l’empereur qui convertit les Saxons par l’épée plutôt que par la prédication pacifique de l’Évangile »13.
Sources
L'historien Georges Minois, spécialiste du Moyen Âge, a donné un relevé des sources qui sont expliquées ici15.
Documents officiels
On dispose de 164 diplômes du règne de Charlemagne, dont 47 originaux ; de 107 capitulaires, souvent connus par plusieurs copies encore existantes ; des comptes rendus de certaines assemblées ecclésiastiques (synodes ou conciles).
Correspondances
On dispose de 270 lettres écrites par l'abbé Alcuin, dont un bon nombre adressées à Charlemagne. Elles sont en général très verbeuses16.
On a aussi 98 lettres adressées par les papes aux Carolingiens (2 à Charles Martel, 42 à Pépin le Bref et 54 à Charlemagne), réunies à la demande de celui-ci en un volume, le Codex epistolaris Carolinus.
Annales
La tenue d'annales est une pratique qui débute en Irlande au VIIe siècle et se répand sur le continent au VIIIe.
Les Annales regni Francorum : en 788, Charlemagne décide d'établir des annales royales, en les faisant commencer rétroactivement à 741, date de la mort de Charles Martel. Ces annales royales sont effectivement réalisées et poursuivies jusqu'en 829. Les historiens discernent le travail de plusieurs auteurs : le premier opère la compilation des années 741-788 et rédige les annales jusqu'en 797 ; d'autres interviennent dans les années suivantes. Ces Annales sont connues dans 5 versions couvrant des périodes différentes, dont 4 sont proches dans la façon de rédiger (A, B, C, D), tandis qu'une cinquième (E) présente de notables différences. La version E valorise plus la personne de Charlemagne que les autres qui exaltent plutôt les Francs en général ; en même temps, elle est beaucoup plus réaliste, et évoque de nombreuses difficultés, défaites ou révoltes, qui sont passées sous silence dans les autres : par exemple, l'attaque de Roncevaux. Les versions A-D apparaissent comme une histoire officielle, parfois mensongère17, la version E comme plus critique.
Le Liber Pontificalis sont des annales constituées en fonction des règnes des différents papes (en ce qui concerne Charlemagne : Étienne III, Adrien Ier, Léon III). Il s'agit d'une histoire officielle du point de vue de la papauté.
Les annales monastiques les plus importantes couvrant la période sont les Annales mettenses priores (Metz), les Annales mosellani, les Annales de Lorsch, et la Chronique de Moissac.
Chroniques
Après Grégoire de Tours au VIe siècle, la période mérovingienne a au VIIe siècle un chroniqueur appelé Frédégaire, auteur du Liber historiæ Francorum ou Chronique de Frédégaire qui est prolongée par des continuations, réalisées sous l'égide de la famille carolingienne. La troisième continuation concerne la période 753-768. Quelques données sur le règne de Charlemagne apparaissent dans des chroniques secondaires : la Vie de Sturm (abbé de Fulda) ; les Actes des saints Pères de l'abbaye de Saint-Wandrille ainsi que dans les ouvrages concernant Louis le Pieux : Vie de l'empereur Louis de Thegan (évêque de Trèves), Poème sur Louis le Pieux d'Ermold le Noir, Vie de Louis le Pieux de l'Astronome.
Le texte le plus important est la Vita Caroli rédigée par Éginhard après la mort de l'empereur, mais présent à la cour et membre du cercle des proches à partir des années 790. La plupart des biographes médiévaux flattent leur commanditaire, Éginhard ne déroge pas à la règle en présentant Charlemagne comme un être de lumière, un monarque surhumain. Sa biographie est cependant considérée comme un compte-rendu assez fidèle de la vie de Charlemagne et de son époque18.
Deux textes d'auteurs postérieurs à l'époque de Charlemagne, le Poète saxon et le Moine de Saint-Gall, présentent un certain intérêt. Le dernier, identifié en général avec Notker le Bègue, est à l'origine d'un certain nombre d'anecdotes devenues des images d'Épinal au XIXe siècle (Charlemagne glorifiant les élèves pauvres, mais méritants et rejetant les riches paresseux). Le Poète saxon, malgré son origine, est écrit d'un point de vue parfaitement conforme à celui des Francs, et exalte l'œuvre de christianisation de Charlemagne. La chronique du Pseudo-Turpin rédigée dans la première moitié du XIIe siècle est une histoire légendaire écrite en prose sur les expéditions de Charlemagne outre Pyrénées jusqu'à sa mort19.
Parmi les auteurs non francs, les sources sont assez limitées. Une des plus intéressantes est la chronique de Crantz (Creontius), chancelier du roi de Bavière Tassilon. Cette chronique est connue seulement par l'intermédiaire tardif d'un humaniste allemand du XVe siècle, Jean Tumair, dit « Aventinus », qui a utilisé un manuscrit plus ancien. Il existe aussi des mentions concernant Charlemagne dans les écrits historiques du byzantin Théophane.
Sources non textuelles
L'épigraphie fournit un nombre assez limité d'informations. La numismatique est plus intéressante en ce qui concerne la titulature de Charlemagne, mais aussi parce qu'on trouve parfois sur les pièces un portrait de Charlemagne.
Biographie
Charlemagne est le plus illustre représentant des souverains de la dynastie carolingienne, qui lui doit d'ailleurs son nom. Petit-fils de Charles Martel, il est le fils de Pépin le Bref et de Bertrade de Laon dite « au Grand Pied ».
La date et le lieu de naissance de Charlemagne sont l'objet de controverses, en raison de l'absence de renseignements concordants dans les documents d’époque20.
Date de naissance
On dispose d'une indication sur le jour de sa naissance : un calendrier du début du IXe siècle de l'abbaye de Lorsch indique que la naissance de Charlemagne a eu lieu « le 4 des nones d'avril »21, soit le . En ce qui concerne l'année, il existe trois possibilités : 742, 747 ou 748.
La date de 742 se fonde sur un énoncé d'Éginhard, selon lequel Charlemagne est mort « dans sa soixante-douzième année »22. Mais il est apparu23 qu'Éginhard paraphrasait la Vie des douze Césars de Suétone, de sorte que l'âge qu'il attribue à Charlemagne n'est pas totalement fiable. À noter qu’Eginhard se refuse explicitement à traiter le sujet de la naissance et que la date de 742 est obtenue de façon indirecte. On trouve cependant aussi l'indication de l'âge de 71 ans dans les Annales Regni Francorum22.
Les dates de 747-748 se fondent sur un énoncé des Annales Petaviani (Annales de Petau) qui donnent la date de 747. Cela pose cependant un problème, si on retient le jour anniversaire du , car ces annales indiquent que Charlemagne est né après le départ de son oncle Carloman pour Rome, évènement qui a eu lieu après le 24. De plus, en 747, Pâques est tombé le 2 avril et les chroniqueurs n'auraient pas manqué de signaler cette coïncidence.
Cette absence de certitude concernant l'année de sa naissance est probablement liée au fait que Pépin et Berthen 2 ne se sont mariés (religieusement) qu'en 743 ou 744. Par conséquent, la naissance de Charlemagne serait, du point de vue de l'Église, illégitime en 742, légitime en 747-748. Un autre aspect concerne son âge lors des événements de sa jeunesse : 26 ans ou 20 ans en 768 à son avènement.
Les positions des historiens contemporains et de l'historiographie moderne diffèrent encore au sujet de la date de naissance. L'année 742, retenue de longue date (notamment par le père Anselme) est remise en question par Karl Ferdinand Werner et d'autres historiens qui penchent pour l'année 747n 3, voire 74830,31,32. Werner soutient l'hypothèse des années 747-748 au motif que Carloman étant né en 751, la naissance de Charlemagne en 742 représente un trop grand écart33. De surcroît, dans une lettre écrite vers 775, un clerc irlandais du nom de Cathwulf34 rappelle à Charlemagne que tout le clergé a prié avant sa naissance pour que ses parents aient un enfant, ce qui suppose qu’ils étaient déjà mariés.
Toutefois, d'autres chercheurs maintiennent la validité de la date de 742n 4 et plusieurs dictionnaires et encyclopédies se disputent toujours sur la date de naissance de l'empereurn 5.
Lieu de naissance
Divers lieux ont été évoqués : Quierzy-sur-Oise38, Ingelheim am Rhein selon Godefroi de Viterbe39, Aix-la-Chapelle (selon Victor Hugo40), Herstal41 ou Jupille41.
Le lieu de la naissance de Charlemagne n'est mentionné dans aucune source d'époque. La plus ancienne indication, qui concerne Ingelheim, vient de Godefroi de Viterbe (auteur italien du XIIe siècle42) et est retenue par certains auteurs43,44.
Un autre lieu de naissance envisagé est Quierzy-sur-Oise38 qui est une ancienne villa royale mérovingienne dans l'Aisne, entre Noyon et Chauny45. Son grand-père Charles Martel y était mort, le Mérovingien Thierry III y avait séjourné, de même que Pépin le Bref, et Charles y réside en 781 ; 3 conciles s'y sont tenus en 838, 849 et 85346.
Selon d'autres historiens, Charlemagne aurait vu le jour en Austrasie, en particulier dans l'actuelle région de Liège, à Herstal ou Jupille41, résidence la plus fréquente47 de Pépin le Bref et de certains ancêtres des Carolingiens, notamment Pépin le Gros, le père de Charles Martel48.
Enfance et jeunesse
Les renseignements jusqu’à son avènement sont limités. Charlemagne est mentionné pour la première fois dans un diplôme de 760 concernant l’abbaye de Saint-Calais. En ce qui concerne la période du règne de son père, on sait que Charlemagne a pris part à un certain nombre d'événements. Il est à la tête de la délégation qui accueille le pape Étienne II en Champagne en 754 (à 12 ou 6 ans) et il est peu après sacré par le pape, en même temps que son frère Carloman Ier. Il participe aux opérations en Aquitaine en 767-768 et il est avec sa mère dans le cortège qui ramène Pépin le Bref malade à Saint-Denis. Sa langue maternelle est le francique rhénan. De nombreuses spéculations sur son supposé illettrisme viennent d'un passage ambigu de son biographe qui peut être interprété comme ayant pour sujet son entraînement soit à l'écriture ou soit à la calligraphie, mais il ne fait en revanche aucun doute qu'il savait lire, parlait couramment le latin, et lisait le grec49.
Début du règne : avec Carloman Ier (768-771)
Avant sa mort, le , Pépin a prévu un partage du royaume entre Charles et Carloman ; les territoires qui leur sont attribués sont disposés de façon assez curieuse : ceux de Charlemagne forment un arc occidental de la Garonne au Rhin, ceux de Carloman sont regroupés autour de l’Alémanie ; l’Austrasie, la Neustrie et l’Aquitaine sont partagées entre eux.
Charlemagne et Carloman se font proclamer roi par leurs fidèles, le 9 octobre 768, respectivement à Noyon et Soissons.
Charlemagne est ensuite occupé par les affaires d’Aquitaine (voir infra), qu’il réussit à régler sans l’aide de son frère.
Puis intervient la question des mariages lombards, qui occupe les années 769-771.
En 771, après un peu plus de trois années de règne et de paix relative entre les deux frères, Carloman Ier meurt brusquement au palais carolingien de Samoussy50, près de Laon. Dès le lendemain de sa mort, Charles s'empare de son royaume, usurpant l'héritage de ses neveux. La veuve de Carloman Ier, Gerberge de Lombardie, se réfugie en Italie auprès du roi des Lombards, avec ses fils et quelques partisans.
Charles est désormais souverain de tout le royaume franc.
Conditions de l’expansion territoriale
Royaume franc en 768 et son environnement
Le royaume inclut des territoires solidement tenus par les Francs : Austrasie, Neustrie, Bourgogne, Provence, Alémanie et des territoires semi-autonomes : l’Aquitaine (avec la Vasconie et la Septimanie), la Bavière et la Frise.
Hors du royaume, on trouve :
- au-delà de la Manche, les royaumes anglo-saxons ;
- dans la péninsule armoricaine, les principautés bretonnes ;
- au-delà des Pyrénées, l’Espagne musulmane, tenue depuis 756 par le califat des Omeyyades de Cordoue, et dans les Asturies, le royaume chrétien d’Oviedo ;
- au-delà des Alpes, le royaume des Lombards, les États pontificaux (créés par Pépin le Bref), le duché lombard de Bénévent, les possessions byzantines (Naples, Pouilles, Calabre) ; mais Byzance a dû laisser l'exarchat de Ravenne tomber aux mains des Lombards en 751 ;
- au-delà du Rhin, entre la mer du Nord, l’Elbe, la Fulda, se trouve la Saxe, pays « barbare » sans structure politique forte.
Plus éloignés : les Scandinaves du Danemark ; les Slaves (Wilzes, Abodrites, Linons (de), Sorbes), au-delà de l’Elbe ; les Slaves méridionaux et les Avars (semi-nomades turcophones) en Pannonie.
L’empire byzantin a perdu beaucoup de territoires en Asie du fait de l’expansion arabo-musulmane ; dans l’ensemble, les relations des Francs avec l'Empire d'Orient sont plutôt tendues. L’empire musulman, en Asie et en Afrique, est dirigé par le califat des Abbassides de Bagdad, avec lequel au contraire les relations sont plutôt bonnes, en l’absence d’hostilité religieuse, alors qu’il existe un contentieux religieux avec Byzance.
La papauté byzantine fait encore partie de l'Italie byzantine mais, accaparé par sa lutte contre l'empire musulman, l'empereur d'Orient n'a plus les moyens de protéger Rome menacée par les Lombards. La papauté se tourne donc de plus en plus vers les Francs51, en particulier vers la famille carolingienne que les papes soutiennent depuis l'époque de Charles Martel.
Organisation politique du royaume franc
Dans le royaume franc, les puissants (principalement les ducs, comtes et marquis) accueillent des hommes libres qu'ils éduquent, protègent et nourrissent. L'entrée dans ces groupes se fait par la cérémonie de la recommandation : ces hommes deviennent des guerriers domestiques (vassi) attachés à la personne du seniorn 6. Le seigneur doit entretenir cette clientèle par des dons pour entretenir sa fidélité52.
La monnaie d'or devenant rare du fait de la distension des liens commerciaux avec Byzance (qui perd le contrôle de la Méditerranée occidentale au profit des musulmans), la richesse ne peut guère provenir que des routes commerciales de l'Adriatique ou de la guerre. Celle-ci procure du butin et permet éventuellement de conquérir des terres qui peuvent être redistribuées53,54. En l'absence d'expansion territoriale, les liens vassaliques se distendent. Pour se pérenniser, une puissance doit s'étendre. Depuis des générations, les Pépinides étendent ainsi leurs dominations, et leurs comtes, s'enrichissant, cèdent des terres à leurs propres vassaux. Charles Martel et Pépin le Bref reprennent à l'Église une grande partie de ses biens pour les distribuer aux vassaux. Ceci leur permet, tout en stabilisant leurs acquis, d'avoir les moyens d'être à la tête d'une armée sans égale dans l'Occident médiéval55.
Charlemagne se retrouve avec le même problème : il doit s'étendre en permanence pour entretenir ses vassaux et éviter la dissolution de ses possessions. Pendant tout son règne, il tente de les fidéliser par tous les moyens : en leur faisant prêter serment (serment général de fidélité en 789), en leur allouant des terres (seule richesse de l'époque) qu'ils doivent lui restituer à leur mort, en envoyant des missi dominici pour les contrôler et pour surveiller ce qui se trame à travers son empire56.
Armée et guerre à l'époque de Charlemagne
Le principe fondamental de l'armée de Charlemagne reste celui de l'armée franque : elle est composée par les hommes libres qui ont le droit et le devoir de participer à l'armée (y compris ceux des territoires récemment conquis). L'armée peut être convoquée chaque année pendant la période de guerre (printemps-été). De fait sur les 46 années du règne de Charlemagne, on ne trouve que deux années où il n'y ait pas eu de convocation de l'armée (790 et 807).
Les historiens estiment les effectifs potentiellement mobilisables de 10 000 à 40 000 hommes.
Concrètement, il y a chaque année une assemblée des grands du royaume, censés représenter l'ensemble du peuple des libres, couramment appelée lors du champ de mai ; cette assemblée prend diverses décisions (ou plutôt : entérine les décisions du roi) et en particulier celle de lancer une expédition contre tel ou tel ennemi. Cette décision est diffusée auprès des intéressés, soit par les vassaux directs du roi auprès de leurs dépendants, soit par les comtes, évêques et abbés auprès des habitants de leur ressort. Chaque guerrier mobilisé doit apporter son équipement et ses vivres pour trois mois57 et se rendre au point de rassemblement de l'armée (ou des différents corps prévus).
Les forces mobilisées se décomposent entre la cavalerie lourde, la cavalerie légère et l'infanterie. L'armée de Charlemagne ne semble pas utiliser beaucoup de matériel technique, en particulier lors des quelques sièges de ville qui ont eu lieu (Pavie, Saragosse, Barcelone…).
Par ailleurs, Charlemagne dispose d'un certain nombre de guerriers dépendant directement de lui, qui forment sa garde, et qui peuvent être utilisés pour des opérations urgentes.
Consolidation et élargissement du territoire
Durant les trois premières décennies du règne de Charlemagne, le territoire du royaume s'accroît nettement, quoique de façon plus ou moins solide : intégration complète des duchés d'Aquitaine et de Bavière ; conquête du royaume des Lombards (774), de la Saxe, de quelques territoires en Espagne, dans les possessions byzantines et dans les pays slaves ; expéditions contre les Avars et les Bretons.
Aquitaine et Vasconie
En 768, Pépin, juste avant de mourir, a obtenu la soumission de l’Aquitaine et de la Vasconie, le duc Waïfre ayant été assassiné par des gens de son entourage. De 768 à 771, le duché est partagé entre Charles et Carloman.
En 769, le père de Waïfre, Hunald Ier, sort du monastère où il avait été relégué et entre en rébellion. Traqué par l’armée franque, il se réfugie en Vasconie ultérieure, mais le duc Loup II préfère se soumettre et livre Hunald Ier à Charlemagne. Dès lors l’Aquitaine revient sous le contrôle des Francs qui en avaient perdu la jouissance en 660 au profit des Vascons.
En 781, Louis (dit Louis le Pieux ou Louis le Débonnaire) est couronné à Rome roi d’Aquitaine. Ce royaume d’Aquitaine reste en place jusqu’à l’avènement à l’empire de Louis en 814, avec deux dépendances : le duché de Vasconie, au sud de la Garonne, où Sanche Ier Loup succède à Loup II ; le comté de Septimanie (Narbonne, Carcassonne), dirigé par le comte Milon, un Wisigoth, puis par Guillaume de Gellone, comte de Toulouse et marquis de Septimanie à partir de 790 environ.
Cependant, dès 812, les Vascons sont de nouveau astreints à la soumission de Louis le Débonnaire et cela ne semble pas les satisfaire. Semen Ier Loup et ses hommes, des Euskariens des deux versants des Pyrénées, reprennent les armes quelque temps après et se révoltent contre les Francs. Au plaid annuel tenu à Toulouse en 812, Louis le Débonnaire exige « qu'on châtiât cet esprit de rébellion »58, ce que l'assemblée décida par acclamation59.
Une nouvelle expédition de Louis le Débonnaire arriva jusqu'à Pampelune en passant par Dax puis par le difficile passage des Pyrénées. Son objectif est d'y raffermir son autorité chancelante. Selon sa biographie Vita Hludovici Pii, dans la Vasconie transpyrénéenne Louis était libre d'exiger toute futilité publique et particulière60.
Après avoir séjourné à Pampelune, Louis retourne en Aquitaine par la route de Roncevaux et prend la précaution, cette fois-ci, afin de ne pas répéter la défaite de 778, de s'emparer comme otages des femmes et des enfants vascons qu'il ne libéra qu'une fois arrivé dans une zone sûre où son armée ne risquait plus d'embuscade.
Quand Louis le Pieux succède à Charlemagne en 814, la présence carolingienne sur la totalité de son immense territoire reste fragile. L'absence de Louis le Pieux dans la Marche hispanique, la Septimanie, la Vasconie et même le Toulousain se fait sentir. Cependant, à l'exception sans doute de la Vasconie, la légitimité carolingienne s'enracine61.
Italie
De toutes les guerres de Charlemagne, celles qu'il entreprit contre les Lombards en se substituant ainsi à l'empire d'Orient comme protecteur de la papauté, sont les plus importantes par leurs conséquences politiques et celles aussi où se montre le plus clairement le lien qui rattache intimement la conduite de Charles à celle de son père. L'alliance avec les papes les imposait, non seulement dans l'intérêt du royaume franc, mais dans celui du roi des Francs lui-même. Pépin le Bref avait espéré, à la fin de son règne, un arrangement pacifique avec les Lombards. Charles épousa Désirée, la fille de leur roi Didier. Mais ce mariage ne servit à rien. Les Lombards continuèrent de menacer Rome et leur roi noua même contre son gendre de dangereuses intrigues avec le duc des Bavarois et avec la propre belle-sœur de Charles62.
En 773, Charlemagne intervient à la demande du pape contre Didier. L'armée franque traverse les Alpes durant l', met le siège devant Pavie (septembre) et occupe assez facilement le reste du royaume lombard. Pavie affamée et en proie à des épidémies tombe en . Charlemagne s'adjuge lui-même le titre de roi des Lombards Gratia Dei Rex Francorum et Langobardorum (« roi des Francs et des Lombards par la grâce de Dieu ») le tandis que certains historiens affirment qu'il est proclamé roi par l'archevêque de Milan qui lui aurait posé la couronne de fer de Lombardie sur la tête63. Charlemagne prend alors le titre de roi des Lombards ; Didier est envoyé comme moine à Corbie, le reste de sa famille est aussi neutralisé, à l'exception d'Adalgis qui se réfugie à Constantinople. Le duché de Spolète se soumet à la domination franque en acceptant comme duc un protégé du pape, Hildebrand. Le duché de Bénévent reste aux mains d'Arigis, gendre de Didier, mais doit fournir des otages, en particulier son fils Grimoald, qui sera élevé à la cour. En 776, les Francs conquièrent le duché du Frioul.
En 781, le second fils de Charlemagne, Carloman, alors rebaptisé Pépin, est couronné à Rome roi d'Italie, titre qui ne correspond pas à un État formel ; par la suite, Pépin assume sous le contrôle de Charlemagne la fonction de roi des Lombards. La principale personnalité du royaume au début du règne de Pépin est Adalard, cousin de Charlemagne. Les problèmes sont assez nombreux : relations avec Arigis et avec les Romains d'Orient.
Ainsi, l'État lombard, dont la naissance avait mis fin à l'unité politique de l'Italie, attira sur elle, en mourant, la conquête étrangère. Elle n'était plus désormais qu'un appendice de la monarchie franque et elle ne devait s'en détacher, à la fin du IXe siècle, que pour tomber bientôt après sous la domination germanique. Par un renversement complet du sens de l'histoire, elle qui avait jadis annexé le nord de l'Europe était maintenant annexée par lui ; et cette destinée n'est en un sens qu'une conséquence des bouleversements politiques qui avaient transporté de la Méditerranée au nord de la Gaule le centre de gravité du monde occidental.
Et pourtant, c'est Rome, mais la Rome des papes, qui a décidé de son sort. On ne voit pas quel intérêt aurait poussé les Carolingiens à attaquer et à conquérir le royaume lombard si leur alliance avec la papauté ne les y avait contraints. L'influence que l'Église, débarrassée de la tutelle de Byzance, va désormais exercer sur la politique de l'Europe, apparaît ici pour la première fois en pleine lumière. L’État ne peut désormais se passer de l'Église. Entre elle et lui se forme une association de services mutuels qui, les mêlant sans cesse l'un à l'autre, mêle aussi continuellement les questions spirituelles aux questions temporelles et fait de la religion un facteur essentiel de l'ordre politique. La création de l'Empire d'Occident, en 800, voulue comme la renaissance de l'ancien Empire romain d'Occident, est la manifestation définitive de cette situation nouvelle et le gage de sa durée dans l'avenir62.
Saxe
Au-delà du Rhin, un puissant peuple conservait encore, avec son indépendance, la fidélité au vieux culte national : les Saxons, répartis entre quatre groupes (Westphales, Ostphales, Angrivarii, Nordalbingiens) et établis entre l'Ems et l'Elbe, depuis les côtes de la mer du Nord jusqu'aux montagnes du Harz. Seuls de tous les Germains, c'est par mer qu'à l'époque du grand ébranlement des invasions, ils étaient allés chercher des terres nouvelles. Durant tout le Ve siècle, leurs barques avaient inquiété les côtes de Gaule aussi bien que celles de Grande-Bretagne. Il y eut des établissements saxons, encore reconnaissables aujourd'hui à la forme des noms de lieux, à l'embouchure de la Canche et à celle de la Loire. Mais c'est seulement en Grande-Bretagne que des Saxons et des Angles, peuples du Sud du Jutland étroitement apparentés à eux, s'établirent durablement. Ils refoulèrent la population celtique de l'île dans les districts montagneux de l'Ouest, Cornouailles et pays de Galles d'où, se trouvant trop à l'étroit, elle émigra au VIe siècle en Armorique, qui prit dès lors le nom de Bretagne comme la partie conquise de la Grande-Bretagne reçut le nom d'Angleterre. Ces Saxons insulaires ne conservèrent pas de rapports avec leurs compatriotes du continent. Ils les avaient si bien oubliés qu'à l'époque où, après avoir été évangélisés par Grégoire le Grand, ils entreprirent la conversion des Germains, ce n'est pas vers eux, mais vers la Haute-Allemagne que leurs missionnaires dirigèrent leurs efforts.
Au milieu du VIIIe siècle, les Saxons continentaux étaient donc encore relativement préservés de l'influence romaine et chrétienne. Pendant que leurs voisins se romanisaient ou se convertissaient, leurs institutions et leur culte national propres s'étaient développés et affermis. Le royaume franc, dont ils étaient limitrophes, n'était pas en mesure d'exercer sur eux le prestige et l'attraction dont l'Empire romain avait jadis été l'objet de la part des barbares. À côté de lui, ils conservaient leur indépendance à laquelle ils tenaient d'autant plus qu'elle leur permettait d'en piller les provinces limitrophes. Ils étaient attachés à leur religion comme à la marque et à la garantie de leur indépendance64.
Depuis 748, ils sont tributaires du royaume franc ; le tribut, établi en 758 à 300 chevaux par an, n'est cependant pas payé à la fin du règne de Pépin le Bref et le royaume subit régulièrement des incursions saxonnes.
Charlemagne fait sa première expédition en Saxe en 772, détruisant en particulier le principal sanctuaire, l'Irminsul, symbole de la résistance du paganisme saxon et lieu de réunion des païens qui lui apportaient une offrande après chaque victoire ; puis, à partir de 776, après l'intermède italien, commence une guerre acharnée contre les Saxons, qui, commandés par Widukind, un chef westphalien, lui opposent une vigoureuse résistance. Suivent plusieurs campagnes marquées par la dévastation de différentes parties de la Saxe et la soumission provisoire de chefs, mais aussi par un revers grave des Francs (de) en 782 au Süntel, près de la Weser. Cette défaite entraîne une opération de représailles qui s'achève par le massacre de 4 500 Saxons à Verden. Widukind finit par se soumettre en 785 et se fait baptiser.
Charlemagne impose alors le Capitulaire De partibus Saxoniæ (premier capitulaire saxon), une législation d'exception qui prévoit la peine de mort pour de nombreuses infractions, en particulier pour toute manifestation de paganisme (crémation des défunts, refus du baptême pour les nouveau-nés). Une politique de déportation des Saxons et de colonisation par des Francs a lieu en même temps. La législation d'exception prend fin en 797 (troisième capitulaire saxon), mais la soumission définitive n'est vraiment atteinte qu'en 804.
Jusqu'alors le christianisme s'était répandu relativement paisiblement parmi les Germains. En Saxe cependant, Charlemagne employa la force : de là les violences contre tous ceux qui sacrifieraient encore aux « idoles » et de là aussi l'acharnement que mirent les Saxons à défendre leurs dieux devenus les protecteurs de leurs libertés. Dans certains milieux nationalistes allemands l'image de Charlemagne est celle du « Bourreau des Saxons » issue du massacre de Verden65. Ainsi en 1935, pour commémorer l'événement, le régime nazi construisit le monument de Sachsenhain (de).
La conquête des Saxons permettait également de mettre fin une fois pour toutes à la menace permanente que les Saxons faisaient peser sur la sécurité du royaume franc. Une fois l'annexion et la conversion de la Saxe, dernier élément de l'ancienne Germanie, achevées, la frontière orientale de l'Empire carolingien atteignit l'Elbe et la Saale. Elle se dirigeait de là jusqu'au fond de la mer Adriatique par les montagnes de Bohême et le Danube, englobant le pays des Bavarois66.
Espagne
Depuis leur défaite à Poitiers, les musulmans n'avaient plus menacé la Gaule. L'arrière-garde qu'ils avaient laissée dans le pays de Narbonne en avait été refoulée par Pépin le Bref. L'Espagne, où venait de s'installer l'émirat de Cordoue, ne regardait plus vers le Nord et dirigeait son activité vers les établissements islamiques proches de la Méditerranée. Les progrès de l'islam dans les sciences, les arts, l'industrie et le commerce sont aussi rapides que ses conquêtes. Mais ces progrès eurent pour conséquence de le détourner des grandes entreprises de prosélytisme pour les concentrer sur lui-même. En même temps que les sciences se développèrent et que l'art s'épanouit, surgirent des querelles religieuses et politiques. L'Espagne n'en était pas plus épargnée que le reste du monde musulman. C'est l'une d'elles qui provoqua l'expédition de Charles au-delà des Pyrénées67.
Alliance avec Suleyman ibn al-Arabi (777)
En 777, lors de l'assemblée de Paderborn, en Saxe, Charlemagne reçoit des émissaires de plusieurs gouverneurs musulmans d'Espagne, y compris celui de Barcelone, en rébellion contre l'émirat de Cordoue. Sulayman s'engage à permettre aux Francs de s'emparer de Saragosse. Charlemagne décide de donner suite et d'intervenir dans le Nord de l'Espagne, sans doute moins pour des raisons religieuses (des lettres du pape de cette époque montrent que celui-ci préférerait une intervention en Italie, contre des chrétiens) que pour sécuriser la frontière sud de l'Aquitaine.
Expédition de 778
Une double expédition est mise sur pied au , et durant l'été les deux armées se rejoignent devant Saragosse, mais à ce moment, la ville est tenue par des loyalistes, contrairement à ce que prétendait Suleyman. Menacés d'une intervention de l'émir de Cordoue, les Francs lèvent le siège et quittent l'Espagne, après avoir pillé Pampelune. Cet échec est augmenté du revers assez grave subi par l'arrière-garde de Charlemagne face aux Vascons lors de la traversée des Pyrénées. L'embuscade68, est principalement menée par des Basques, mais il est probable qu'y participent aussi des habitants de Pampelune et des ex-alliés musulmans de Charlemagne69, mécontents d'une retraite aussi rapide (les otages remis par Suleyman sont libérés au cours de l'opération).
Pour les contemporains, cette expédition passa à peu près inaperçue. Le souvenir du comte Roland tué dans l'embuscade ne se perpétua tout d'abord que parmi les gens de sa province, dans le pays de Coutances. Il fallut l'enthousiasme religieux et guerrier qui s'empara de l'Europe à l'époque de la première croisade pour faire de Roland le plus héroïque des preux de l'épopée française et chrétienne et transformer la campagne dans laquelle il trouva la mort en une lutte gigantesque entreprise contre l'islam par « Carles li reis nostre emperere magne »70.
Constitution de la marche d'Espagne (785-810)
Par la suite, Charlemagne n'intervient plus personnellement en Espagne, laissant le soin des opérations aux responsables militaires de l'Aquitaine, les comtes de Toulouse Chorson, puis Guillaume de Gellone, puis le roi Louis lui-même. Malgré une défaite subie par Guillaume en Septimanie (793), les Aquitains réussissent à conquérir quelques territoires en Espagne : notamment Gérone, Barcelone (801), la Cerdagne et Urgell. En revanche, malgré trois tentatives menées par Louis, ils échouent à reprendre Tortosa. En 814, Saragosse et la vallée de l'Èbre restent donc musulmans, pour encore très longtemps.
Les territoires reconquis forment la marche d'Espagne.
Autres
Bavière
Depuis 748, elle est dirigée par le duc Tassilon, petit-fils de Charles Martel, imposé par Pépin le Bref à la mort du duc Odilon. Cependant Tassilon cherche à préserver son indépendance, épousant en 763 Liutberge, fille de Didier de Lombardie et future belle-sœur de Charlemagne.
Bien que Tassilon ne soit pas intervenu lors de la campagne contre les Lombards en 773-774, Charlemagne s'efforce de renforcer son contrôle. Tassilon doit prêter serment de fidélité en 781, puis de nouveau en 787. En 788, il est mis en jugement devant l'assemblée, condamné à mort, puis gracié et enfermé dans un monastère ainsi que son épouse et ses deux fils. Charlemagne nomme des comtes pour la Bavière et place son beau-frère Gérold à la tête de l'armée avec le titre de præfectus. En 794, Tassilon comparaît de nouveau devant l'assemblée et proclame sa renonciation au trône de Bavière, désormais totalement intégrée au royaume franc.
Avars
Ce peuple de cavaliers, d'origine turque, avait au VIe siècle anéanti les Gépides (avec l'aide des Lombards) et s'était depuis lors installé dans le bassin du moyen-Danube, d'où il harcelait, avec ses vassaux Slaves, à la fois l'Empire byzantin et la Bavière.
En 791, avec l'aide de son fils Pépin d'Italie, Charlemagne mène contre les Avars une première expédition. En 795, il réussit à s'emparer de leur camp retranché, le Ring avar, avec un trésor considérable, fruit de plusieurs dizaines d'années de pillages. En 805, les derniers Avars rebelles sont définitivement soumis.
Ce furent des campagnes d'extermination : les Avars furent massacrés au point de disparaître en tant que peuple. L'opération terminée, Charles, pour parer à de nouvelles agressions, transforma la Pannonie, peuplée de Slaves notamment Carantanes, en une marche, c'est-à-dire un territoire de garde soumis à une administration militaire. Ce fut la « marche » orientale (marca orientalis), point de départ de l'Autriche moderne qui en a conservé le nom71.
Frisons
L'annexion de la Frise orientale (la région s'étendant du Zuiderzee jusqu'à l'embouchure de la Weser) par les Francs n'est acquise, en apparence, qu'après 782, voire 785. La situation demeura tendue encore plusieurs années pour les Francs.
Bretons
Venus au Ve siècle de Bretagne, les Bretons sont des chrétiens organisés en principautés, subdivisées en seigneuries dirigées par un mac'htiern. Ils occupent l'Ouest de la péninsule armoricaine (Domnonée, Cornouaille et Vannetais). Le Vannetais (Broërec pour les Bretons) a cependant été pris par les Francs ; à la fin du VIIIe siècle, les comtés de Nantes, Rennes et Vannes forment la marche de Bretagne. Les Bretons sont en principe tributaires du royaume franc, mais cela n'empêche pas des opérations de pillage.
En 786, Charlemagne envoie des forces considérables pour soumettre les mac'htierned. D'autres expéditions sont organisées par la suite en 799, avec le comte Guy de Nantes, puis en 811, toujours avec un succès limité. Malgré cela, une partie de l'aristocratie bretonne ralliée fournit des cadres à la monarchie franque ; c'est d'elle que, sous le règne de Louis le Pieux, sortira Nominoë.
Slaves
Dès avant la fin du VIIe siècle, les Slaves s'étaient avancés en Europe centrale. Ils avaient pris possession du pays abandonné par les Germains entre la Vistule et l'Elbe, par les Lombards et les Gépides en Bohême et Moravie. De là ils avaient franchi le Danube et s'étaient introduits dans les Balkans où ils s'étaient répandus jusque sur les côtes de la mer Adriatique.
De ce côté encore, il fallait assurer la sécurité de l'Empire. Depuis 807 d'autres « marches » furent établies le long de l'Elbe et de la Saale, barrant le passage aux tribus slaves des Sorabes et des Abodrites.
Cette frontière fut en même temps, comme le Rhin l'avait été aux IVe et Ve siècles, la frontière entre l'Europe chrétienne et le paganisme. Il est intéressant pour l'appréciation des idées religieuses de ce temps, de constater qu'il y eut là momentanément un renouveau de l'esclavage. Le paganisme des Slaves les mettant en dehors de l'humanité, ceux d'entre eux qui étaient faits prisonniers étaient vendus comme du bétail. Aussi le mot qui dans la plupart des langues occidentales désigne l'esclave (esclave, sklave, slaaf) n'est pas autre chose que le nom même du peuple slave72.
Étendue territoriale
À son apogée, l'Empire carolingien recouvre les territoires actuels de la France, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Autriche, de la Hongrie et de la Slovénie, une bonne moitié de l'Italie et une petite partie de l'Espagne, ainsi que les îles anglo-normandes et les principautés d'Andorre, de Monaco et de Liechtenstein. Il exerce également une autorité indirecte sur les États pontificaux, la Silésie, la Bohême, la Moravie, la Slovaquie et la Croatie.
Couronnement impérial (25 décembre 800)
Facteurs généraux du couronnement
Situation en Europe occidentale
Élargi par la conquête à l'Est jusqu'à l'Elbe et au Danube, au sud jusqu'à Bénévent et jusqu'à l'Èbre, la monarchie franque, à la fin du VIIIe siècle, renferme à peu près tout l'Occident chrétien. Les petits royaumes anglo-saxons et espagnols, qu'elle n'a pas absorbés, ne sont qu'une quantité négligeable et ils lui prodiguent d'ailleurs les témoignages d'une déférence qui pratiquement équivaut à la reconnaissance de son protectorat. En fait, la puissance de Charles s'étend à tous les pays et à tous les hommes qui reconnaissent dans le pape de Rome l'autorité centrale de l'Église, au moment où les prétentions de la papauté à la juridiction universelle se développent. En dehors d'elle, ou c'est le monde barbare du paganisme, ou le monde ennemi de l'islam, ou enfin le vieil Empire byzantin, chrétien sans doute, mais d'une orthodoxie bien capricieuse et de plus en plus se groupant autour du patriarche de Constantinople et laissant le pape à l'écart.
L’idée même d’empire, d’imperium, est présente dans les esprits de plusieurs personnalités à la fin des années 790, en particulier chez Alcuin.
« De plus, le souverain de cette immense monarchie est à la fois l'obligé et le protecteur de l'Église. Sa foi est aussi solide que son zèle pour la religion est ardent. Peut-on s'étonner dans de semblables conditions que l'idée se soit présentée de profiter d'un moment si favorable pour reconstituer l'Empire romain, mais un Empire romain dont le chef, couronné par le pape au nom de Dieu, ne devra son pouvoir qu'à l'Église, et n'existera que pour l'aider dans sa mission, un Empire qui, n'ayant pas d'origine laïque, ne devant rien aux hommes, ne formera pas à proprement parler un État, mais se confondra avec la communauté des fidèles dont il sera l'organisation temporelle, dirigée et inspirée par l'autorité spirituelle du successeur de saint Pierre ? Ainsi, la société chrétienne recevrait sa forme définitive. L'autorité du pape et de l'empereur, tout en restant distinctes l'une de l'autre, seront pourtant aussi étroitement associées que, dans le corps de l'homme, l'âme l'est à la chair. Le vœu de Saint Augustin serait accompli. La cité terrestre ne serait que la préparation de l'acheminement à la cité céleste. Il s'agit d'une conception grandiose mais uniquement ecclésiastique, dont Charles n'a jamais saisi exactement, semble-t-il, toute la portée et toutes les conséquences »73.
Situation dans l’Empire byzantin
Depuis 792, l’Empire est de fait dirigé par Irène, mère de l'empereur Constantin VI, mais en 797, elle assume officiellement le titre de basileus, ce qui dans la société de l’époque est un peu incongru, d'autant que son fils est mort peu après avoir été aveuglé sur l'ordre de sa mère74. Les milieux carolingiens estiment que dans ces conditions, le titre impérial byzantin n’est pas légitimement porté.
Situation de la papauté
Un autre facteur est la relation entre le pape et les autorités byzantines : l'empereur et le patriarche de Constantinople. Ce dernier étant soutenu par un État encore prestigieux, riche et puissant, les papes de Rome trouvent un soutien équivalent dans le royaume franc des Carolingiens, qui de son côté trouve dans la papauté la légitimité romaine et sacrée à laquelle ils aspirent.
En 796, le pape Adrien Ier est remplacé par Léon III, dont la position à Rome est beaucoup plus faible que celle de son prédécesseur face à la hiérarchie ecclésiastique et face à la noblesse romaine, bien qu’il ait été élu très rapidement et très facilement. Il est notamment poursuivi par des rumeurs sur l’immoralité de son comportement. Léon III est donc très dépendant de la protection de Charlemagne.
Attentat contre Léon III () et ses conséquences
Le , Léon III subit un véritable attentat : au cours de la procession des Grandes Litanies, il est jeté à bas de sa mule, et molesté, puis emprisonné ; le bruit court que ses assaillants lui ont coupé la langue et crevé les yeux, ce qui se révèlera inexact, mais permettra de parler de miracle. Quelques jours plus tard, il est délivré grâce à l’intervention du duc franc Winigise de Spolète, qui l’emmène à Spolète, puis, avec des missi de Charlemagne, est organisé un voyage pontifical à Paderborn.
De Paderborn à Rome (-)
Léon III passe environ un mois à Paderborn, rencontrant plusieurs fois Charlemagne. Le contenu politique de leurs discussions est ignoré ; on ne sait pas en particulier si l’attribution du titre impérial a été discutée. Mais on peut noter qu’un poème écrit durant cette entrevue, parle de Charlemagne comme du Père de l’Europe et d’Aix-la-Chapelle comme de la Troisième Rome. En tout cas, Charlemagne s'engage à venir à Rome pour traiter le différend entre Léon et ses adversaires.
Il semble que Charlemagne ait envisagé un voyage à Rome dès le début de 799, avant cette crise, puisque, dans une lettre, Alcuin demande à en être dispensé pour raisons de santé. Le voyage est confirmé à Paderborn, mais Charlemagne ne se précipite pas à Rome. Il faut laisser le temps à Léon de rétablir sa position à Rome. Il est aussi possible qu'il ait paru judicieux d'être à Rome pour la Noël de l’an 800.
Léon est de retour à Rome, avec une escorte et quelques hauts dignitaires francs, à la fin ; les missi reçoivent une plainte officielle contre lui. Une commission est réunie au Latran75 et une enquête est menée. Dans l'ensemble, malgré tout, la situation de Léon est à peu près rétablie.
Charlemagne passe le printemps et l' dans une tournée en Neustrie, s'attardant particulièrement à Boulogne, où est envisagé le problème de la défense des côtes, puis à Tours, où il rencontre Alcuin, mais aussi Louis d'Aquitaine. Il part ensuite pour l'Italie, une expédition militaire contre Bénévent étant aussi envisagée. Le cortège fait étape à Ravenne : Pépin est envoyé contre Bénévent tandis que Charlemagne part pour Rome.
Il arrive aux abords de Rome le . Selon le protocole byzantin, le basileus, s'il venait à Rome, devrait être accueilli par le pape lui-même à 6 milles de Rome. Il est donc significatif que Charlemagne, seulement roi des Francs et des Lombards, soit accueilli par le pape à 12 milles, à Mentana76.
Charlemagne gagne Rome le 24 et s'établit au Vatican, en dehors des murs de la ville.
Après une semaine de cérémonies religieuses et de Laudes, Charlemagne décide de procéder à un jugement de Léon III et, en même temps, des conjurés de 799. Une assemblée de prélats francs et romains, présidée par Charlemagne, est réunie à Saint-Pierre : elle va durer jusqu'au . Les responsables de l'attentat, en présence de Charlemagne, renoncent à accuser le pape, et chacun d'entre eux s'efforce de rejeter la responsabilité sur les autres. Ils seront condamnés à mort, la peine étant ensuite commuée en bannissement. En ce qui concerne Léon III, en l'absence d'accusateurs, Charlemagne aurait pu s'en tenir là. Mais il veut que les choses soient mises au net et impose à Léon une procédure de jugement par serment purgatoire, une procédure germanique77.
Le serment a lieu le : Léon jure qu'il n'a commis aucun des crimes dont il a été accusé. Puis l'assemblée évoque la question de l'accession de Charlemagne au titre impérial. Les arguments utilisés, sans doute par les prélats de la suite de Charlemagne78, concernent la vacance du trône à Constantinople et le fait que Charlemagne ait sous son contrôle les anciennes résidences impériales d'Occident, notamment Rome, mais aussi Ravenne, Milan, Trèves. L'assemblée accueille favorablement ces arguments et Charlemagne accepte l'honneur qui lui est proposé.
Il est prévu qu'une cérémonie ait lieu le , à l'occasion de la messe de Noël, qui a lieu habituellement à Saint-Jean-de-Latran, mais aura lieu cette fois dans la basilique Saint-Pierre.
Cérémonie du
Le jour de Noël de l'an 800, Charlemagne est donc couronné empereur d'Occident par le pape Léon III. Il se montre courroucé que les rites de son couronnement soient inversés au profit du pape. En effet, ce dernier lui dépose subitement la couronne sur la tête alors qu'il est en train de prier, et ensuite seulement le fait acclamer et se prosterne devant lui. Une manière de signifier que c'est lui, le pape, qui fait l'empereur — ce qui anticipe sur les longues querelles des siècles ultérieurs entre l'Église et l'Empire. Selon Éginhard, le biographe de Charlemagne (Vie de Charlemagne79), l'empereur serait sorti furieux de la cérémonie : il aurait préféré que l'on suive le rituel byzantin, à savoir l'acclamation, le couronnement et enfin l'adoration — c'est-à-dire, selon les Annales royales, le rituel de la proskynèse (prosternation), le pape s'agenouillant devant l'empereur. Éginhard évoque même que « Charlemagne aurait renoncé à entrer dans l'Église ce jour-là, s'il avait pu connaître d’avance le dessein du pontife ». C'est en se souvenant[réf. souhaitée] de cet épisode que Napoléon prend soin, un millénaire plus tard, lors de son couronnement en présence du pape, de se poser la couronne lui-même sur la tête.
En 813, Charlemagne fit changer, en faveur de son fils Louis le Pieux, le cérémonial qui l'avait froissé : la couronne fut posée sur l'autel et Louis la plaça lui-même sur sa tête, sans l'intervention du pape. Cette nouveauté, qui disparut par la suite, ne changeait rien au caractère de l'Empire. Bon gré, mal gré, il restait une création de l'Église, quelque chose d'extérieur et de supérieur au monarque et à la dynastie. C'était à Rome qu'en était l'origine et c'était le pape seul qui en disposait comme successeur et représentant de saint Pierre. De même qu'il tient son autorité de l'apôtre, c'est au nom de l'apôtre qu'il confère le pouvoir impérial80.
Réaction byzantine
Mais l'Empire byzantin refuse de reconnaître le couronnement impérial de Charlemagne, le considérant comme une usurpation81.
Charles et ses conseillers objectent que l'Empire romain d'Orient est alors dirigé par une femme, l'impératrice Irène. Par conséquent, le titre d'empereur est considéré comme vacant. C'est notamment l’avis d'Alcuin, le principal conseiller de Charlemagne, pour qui le titre impérial ne peut être assumé que par un homme82.
Afin d'éviter un affrontement, Irène cherche la paix avec les Francs, mais le couronnement de Charlemagne comme « empereur des Romains » est perçu par l'opinion publique romaine d'Orient comme une rébellion83. De son côté, Charlemagne se considère désormais comme l'égal des basileis (empereurs byzantins). Si les Byzantins refusent de reconnaître son titre impérial, il le fera reconnaître par la force. La menace d'une guerre est réelle83.
Selon le chroniqueur byzantin Théophane le Confesseur, Charlemagne aurait alors envisagé de conclure un mariage avec l'impératrice Irène. Dans cette optique, il envoie des ambassadeurs à Constantinople en 801. Irène, de son côté n'est pas opposée à l'idée d'un mariage et envoie en retour une ambassade à Aix-la-Chapelle à l’automne 801 afin de valider les contours du projet qui permettrait de réunifier l'Empire romain, fut-il devenu germanique en Occident et hellénique en Orient84. Néanmoins l'aristocratie grecque, hostile à Irène, voit dans ce projet un acte sacrilège et organise en un coup d'État qui renverse l'impératrice85.
Avec le traité de paix d’Aix-la-Chapelle en 812, l’empereur d'Orient Michel Ier Rhangabé finit par parer Charlemagne du titre d'empereur, mais en utilisant des formules détournées évitant de se prononcer sur la légitimité du titre, telles que : « Charles, roi des Francs […], que l'on appelle leur empereur ». C'est l'empereur byzantin Léon V l'Arménien qui accepte vraiment de lui reconnaître le titre d'empereur d'Occident en 81386.
Théorie carolingienne de l'Empire
Charlemagne considère que la dignité impériale ne lui est conférée qu'à titre personnel, pour ses exploits, et que son titre n'est pas appelé à lui survivre. Dans ses actes, le souverain se titre « empereur gouvernant l’Empire romain, roi des Francs et des Lombards » (Karolus, serenissimus augustus, a Deo coronatus, magnus et pacificus imperator, Romanum gubernans imperium, qui et per misericordiam Dei rex Francorum et Langobardorum). Dans son testament, en l'an 806, il partage l'Empire entre ses fils, suivant la coutume franque, et ne fait aucune mention de la dignité d'empereur. C'est seulement en 813, quand il n'a plus qu'un seul fils encore vivant, le futur Louis le Pieux, que Charlemagne décide dans son testament du maintien de l'intégralité de l'Empire et du titre impérial.
Selon les lettrés de l'époque, comme Alcuin, le prince idéal doit avoir un but religieux, et lutter contre les hérétiques et les païens, y compris hors des frontières. Mais il doit avoir aussi un but politique : ne pas se contenter de la dignité royale, et devenir empereur d'Occident. Léon III va dans ce sens, mais pour lui le pouvoir spirituel l'emporte sur le pouvoir temporel, ce qui explique cette organisation lors du couronnement de Charlemagne.
Avec ce couronnement, Charlemagne est désormais présenté comme un « nouveau David », un christus Domini (un « prêtre-roi »)87.
Fin du règne
Son fils Pépin d'Italie meurt en 810 et le cadet Charles en 811. En 813, il fait prendre, par cinq synodes provinciaux, une série de dispositions concernant l'organisation de l'Empire (pour plus de détails, cf. concile de Tours, concile de Mayence, conciles d'Arles, concile de Chalon). Elles sont ratifiées la même année par une assemblée générale convoquée à Aix-la-Chapelle, au cours de laquelle il prend la précaution de poser lui-même la couronne impériale sur la tête de Louis, l'unique survivant de ses fils.
Charlemagne meurt le à Aix-la-Chapelle, d'une affection aiguë qui semble avoir été une pneumonie aiguë91.
Selon Éginhard92, Charlemagne n'ayant laissé aucune indication concernant ses funérailles, après de simples cérémonies mortuaires dans la cathédrale d'Aix-la-Chapelle (l'embaumement et la mise en bière précèdent cette cérémonie au cours de laquelle une effigien 7 vivante est probablement placée sur son cercueil pour le représenter93), il est inhumé dans une fosse le jour même sous le dallage de la Chapelle palatine. Le moine Adémar de Chabannes, dans son Chronicon, chronique rédigée entre 1024 et 1029, rend ces funérailles plus fastueuses, créant le mythe d'un Otton III qui a retrouvé un caveau voûté dans lequel l’Empereur à la barbe fleurie est assis sur un siège d’or, revêtu de ses insignes impériaux, ceint de son épée d’or, avec dans ses mains un évangéliaire d’or, et sur sa tête un diadème avec un morceau de la Vraie Croix94. En 1166, Frédéric Barberousse, après avoir obtenu la canonisation de Charlemagne, fait rouvrir le tombeau pour déposer ses restes dans un sarcophage en marbre dit sarcophage de Proserpine. Le , Frédéric II entreprend une seconde translatio dans une châsse en or et en argent95. Selon la légende, à l'occasion de cette exhumation, fut trouvé pendu au cou de Charlemagne le talisman qu'il portait constamment sur lui96.
Au lendemain de sa mort en 814, son vaste empire est borné à l'ouest par l'océan Atlantique (sauf la Bretagne), au sud, par l'Èbre, en Espagne, par le Volturno, en Italie ; à l'est par la Saxe, la rivière Tisza, les contreforts des Carpates et l'Oder ; au nord par la Baltique, le fleuve Eider, la mer du Nord et la Manche.
Aspects généraux du règne
Le règne de Charlemagne est d'abord la continuation et comme le prolongement de celui de son père Pépin le Bref. Aucune originalité n'y apparaît : alliance avec l'Église, lutte contre les païens, les Lombards et les musulmans, transformations gouvernementales, souci de réveiller les études de leur torpeur, tout cela se rencontre en germe déjà sous Pépin. Comme tous les grands remueurs d'histoire, Charles n'a fait qu'activer l'évolution que les besoins sociaux et politiques imposaient à son temps. Son rôle s'adapte si complètement aux tendances nouvelles de son époque qu'il en paraît être l'instrument et qu'il est bien difficile de distinguer dans son œuvre ce qui lui est personnel et ce qu'elle doit au jeu même des circonstances97.
Relations diplomatiques
Au cours de son règne, Charlemagne a entretenu des relations diplomatiques avec deux puissances importantes du bassin méditerranéen : l'Empire byzantin et le Califat abbasside de Bagdad, ainsi qu'avec le royaume anglo-saxon de Mercie.
Empire romain d'Orient
Au cours de son règne, Charlemagne entretient avec les empereurs byzantins des relations ambivalentes, tantôt amicales tantôt hostiles. Entre le royaume franc et l’Empire romain d'Orient (qui ne sera appelé « byzantin » que sept siècles plus tard, au XVIe siècle), des divergences profondes existent, qu’elles soient politiques ou culturelles : la plus importante concerne l'héritage romain dont les deux puissances se réclament. Comme Charlemagne, les empereurs romains d'Orient, les basileioi, se considèrent comme des empereurs romains. Leur but, comme celui de Justinien, est de reconquérir les territoires perdus en Occident, plutôt que déléguer le titre et l'autorité à Charlemagne. D’autre part, l'orthodoxie de rite grec de la « pentarchie » chrétienne, professée par les Églises patriarcales de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem98, possède des différences liturgiques et canoniques avec le christianisme occidental de rite latin professé par l'Église de Rome. Dans ses conditions, Charlemagne choisit d'adopter une politique pragmatique vis-à-vis de ses homologues byzantins82.
Dans un premier temps, de 768 à 780, il se contente d’adopter une politique passive vis-à-vis de l’Empire byzantin, observant de manière attentive les guerres que mènent les empereurs byzantins Constantin V (741-775) et Léon IV (775-780) contre les Bulgares et les Arabes. La situation change brutalement avec l’arrivée au pouvoir en 780 de l’impératrice Irène82.
Après avoir assis son autorité, celle-ci porte son regard sur une région également convoitée par Charlemagne : l’Italie. Même s’ils ne possèdent plus que la pointe sud de la péninsule, les Byzantins considèrent toujours l’Italie comme une composante naturelle de l’Empire. Pour éviter la confrontation, Irène propose à Charlemagne un mariage entre son fils Constantin et la fille de Charlemagne, Rotrude. D’abord hésitant, Charlemagne se montre finalement ouvert à la proposition byzantine et donne son accord pour un futur mariage entre leurs enfants. Un traité d’alliance est également scellé entre les deux parties83.
À partir de 787, les relations se tendent brutalement. La première raison est l’absence des évêques francs au concile de Nicée. Ce concile, organisée à l’initiative d’Irène afin de rétablir le culte des images, a fortement déplu au clergé franc. Celui-ci décide alors de rédiger son propre traité théologique, le Libri Carolini. Charlemagne, lui-même, n’est pas convaincu par la légitimité du concile de Nicée. Sous prétexte que ses états comptent plus de chrétiens que l’Empire Byzantin depuis qu’il a annexé la Saxe et la Bavière, il pense être plus légitime qu’Irène à convoquer un concile82. La seconde raison est la politique expansionniste de Charlemagne en Italie. Irène voit d’un très mauvais œil Charlemagne annexer le duché de Bénévent et en faire un état vassal99. Ces deux raisons conduisent à l’abandon fin 787 du projet de mariage entre le fils d’Irène, Constantin, et la fille de Charlemagne, Rotrude100.
En 790, Irène est renversée par son fils, Constantin VI. Ce dernier tente alors de renouer le dialogue avec le roi des Francs. Néanmoins, les discussions n’ont pas le temps d’aboutir. En 797, Irène renverse à son tour son fils et en profite pour s’adjuger seule le pouvoir suprême. Elle se fait alors proclamer « basileus » (empereur). Considérant le titre d’empereur comme vacant car occupé par une femme, Alcuin, le principal conseiller de Charlemagne, suggère alors à ce dernier de prendre le titre d’« empereur des Romains ». Le pas est franchi le jour de Noël 80082.
À Constantinople, l’événement est perçu comme une provocation et Charlemagne comme un usurpateur. Du point de vue romain d'Orient, il ne peut y avoir deux empereurs que s'ils se reconnaissent mutuellement et non si l'un d'eux s'auto-proclame. La menace d'une guerre est réelle83. Après un an d’hésitation, les deux parties semblent néanmoins se diriger vers un compromis raisonnable : un mariage entre Irène et Charlemagne. Dans ses écrits, le chroniqueur byzantin Théophane le Confesseur note ainsi que
« Cette année-là (en 800), le roi des Francs Charles fut couronné par le pape Léon et après avoir pensé faire attaquer la Sicile par une flotte, il changea d'avis et songea à conclure un mariage et la paix avec Irène ; à cette fin, il envoya l'année suivante […] des ambassadeurs à Constantinople83. »
Un certain nombre d'historiens, arguant que seul Théophane y fait référence, considèrent toutefois ce mariage comme une simple rumeur. Quoi qu'il en soit, il n'aura pas lieu car lorsque ses ambassadeurs quittent Aix-la-Chapelle en avril 803, Irène a déjà été renversée par un coup d'État101. Son successeur, l’empereur Nicéphore Ier, envoie une ambassade à Charlemagne afin de maintenir la paix, mais refuse catégoriquement de lui reconnaître le titre d’empereur. Des affrontements ont alors lieu dans le Frioul et l’Istrie82. Nicéphore ayant été tué en 811 lors d’une bataille contre les Bulgares, son successeur Michel Ier rouvre les négociations avec Charlemagne et finit par conclure avec lui un accord tacite de reconnaissance mutuelle des deux empires82.
Califat abbasside de Bagdad
Ces relations posent la question des relations avec l'islam ; il semble qu'en fait, les Francs, même les hommes d'Église, ne perçoivent pas à cette époque les musulmans d'un point de vue religieux. L'islam est très mal connu et plus ou moins assimilé à un paganisme.
Alors qu'il existe une tension entre les Francs et l'émirat de Cordoue, qui contrôle l'Espagne et mène des attaques contre l'Aquitaine, Charlemagne entretient de bonnes relations avec le calife abbasside de Bagdad, Hâroun ar-Rachîd, son allié de fait contre l'émirat, mais aussi contre l'Empire byzantin. On note que les Annales appellent Haroun Aaron, et le présentent parfois comme roi des Perses.
Une première ambassade est envoyée par Charlemagne en 797, à propos de l'accès aux lieux saints de Jérusalem.
Haroun répond par une ambassade qui arrive en Italie en 801, donc, par un heureux hasard, peu de temps après le couronnement impérial, avec des cadeaux remarquables : entre autres, un éléphant blanc nommé Abul-Abbas, qui accompagnera Charlemagne jusqu'à sa mort en 810n 8. Le calife l'assure en outre que la pleine liberté resterait assurée aux pèlerins chrétiens.
Une autre ambassade d'Haroun a lieu en 806, avec cette fois une horloge hydraulique.
Rois de Mercie, particulièrement Offa
Administration de l'Empire
Réduit aux ressources de ses domaines privés, l'empereur ne pouvait subvenir aux besoins d'une administration digne de ce nom. Faute d'argent, l'État est obligé de recourir aux services gratuits de l'aristocratie, dont la puissance ne peut grandir que pour autant que l'État s'affaiblisse. Pour parer à ce danger, dès la fin du VIIIe siècle, un serment spécial de fidélité, analogue à celui des vassaux, est exigé des comtes au moment de leur entrée en charge. Mais le remède est pire que le mal. En effet, le lien vassalique en rattachant le fonctionnaire à la personne du souverain, affaiblit ou même annule son caractère d'officier public. Il lui fait, en outre, considérer sa fonction comme un fief, c'est-à-dire comme un bien dont il a la jouissance et non plus comme un pouvoir délégué par la couronne et exercé en son nom102.
L’administration de l'Empire par les comtes est contrôlée par les missi dominici. Il s'agit probablement d'un emprunt à l’Église adapté aux nécessités de l’État. S'inspirant de la division de l'Église en archevêchés comprenant plusieurs diocèses, Charlemagne répartit l'Empire en de vastes circonscriptions (missatica) comprenant chacune plusieurs comtés. Dans chacune de ces circonscriptions, deux envoyés impériaux, les missi dominici, un laïc et un ecclésiastique, sont chargés de surveiller les fonctionnaires, de noter les abus, d'interroger le peuple et de faire chaque année rapport sur leur mission. Rien de plus salutaire qu'une telle institution pourvu toutefois qu'elle ait un pouvoir de sanction. Or, elle n'en a aucune car les fonctionnaires sont pratiquement inamovibles. On ne découvre nulle part que les missi dominici aient réussi à redresser les défauts qu'ils ont dû partout noter en quantité ; la réalité a été plus forte que la bonne volonté de l'empereur102.
Les capitulaires, qui constituent l'essentiel de l’œuvre législative de Charlemagne parvenue jusqu'à nous, sont des directives élaborées à la cour au cours de grandes assemblées appelées plaids. Rédigés sur le modèle des décisions promulguées par les conciles, ils fourmillent d'essais de réformes, de tentatives d'amélioration, de velléités de perfectionner ou d'innover dans tous les domaines de la vie civile ou de l'administration. Ainsi, Charlemagne introduisit au tribunal du palais, à la place de la procédure formaliste du droit germanique, la procédure par enquête qu'il emprunta aux tribunaux ecclésiastiques.
Pour leur plus grande part cependant, le contenu des capitulaires indiquent plutôt un programme que des réformes effectives et leurs innombrables décisions sont loin d'avoir été toutes réalisées. Celles qui l'ont été, par exemple l'institution des tribunaux d'échevins, sont loin d'avoir pénétré dans toutes les parties de l'Empire. Les forces de la monarchie n'étaient pas à la hauteur de ses intentions. Le personnel dont elle disposait était insuffisant et, surtout, elle trouvait dans la puissance de l'aristocratie une limite qu'elle ne pouvait ni franchir ni supprimer103.
Politique religieuse
Charlemagne a joué un rôle important dans le fonctionnement de l'Église, ainsi que dans la réforme liturgique.
En effet, Charlemagne, à la suite de décisions de même nature prises par son père Pépin le Bref, associe l'unification politique à l'unification religieuse des territoires sous sa domination104.
Alors que l'Église de Rome ne le demande pas elle-même, Charlemagne impose de force la liturgie romaine à l'ensemble de l'Église occidentale105. En 798, le Concile de Rispach contraint les évêques à s'assurer que leurs prêtres accomplissent les rites conformément à la tradition romaine105.
Certains rites disparaissent complètement en raison de cette décision, supplantés par le rite romain (comme le rite eusébien), alors que d'autres parviendront à se maintenir, tels que le rite ambrosien106,107.
Charlemagne veille aux besoins matériels du clergé, comblant de donations les évêchés et les monastères et les plaçant sous la protection et le contrôle d’« avoués » nommés par lui ; il rend la dîme obligatoire dans toute l'étendue de l'Empire. De nombreux capitulaires sont consacrés aux problèmes de la discipline ecclésiastique.
Certains textes sont aussi consacrés à des points concernant la doctrine, principalement :
- le rejet de l'iconoclasme byzantin et le choix de l'iconodulie ;
- le rejet de l'adoptianisme, doctrine soutenue à ce moment par certains évêques de l'Espagne musulmane, comme Elipand, archevêque de Tolède ;
- la modification du credo nicéen provoquant la « querelle du Filioque »108.
Des récits du XIIe siècle, tel Le Pèlerinage de Charlemagne, lui inventent un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle ou un voyage à Jérusalem, faisant de lui l'empereur des chrétiens et le mythe du chef des croisés109. Selon le récit légendaire de son retour de Jérusalem appelé Descriptio110, il est raconté que le « roi de Constantinople » lui aurait offert des reliques de la Passion (le Saint Suaire, un clou et un morceau de bois de la Vraie Croix, la Sainte Lance et le périzonium) et d’autres reliques d’importance (langes de Jésus, chemise de la Vierge). Rapportées à Aix-la-Chapelle, elles sont conservées dans sa chapelle et font l'objet d'ostensions solennelles. Le petit-fils de Charlemagne, l'empereur Charles II le Chauve, après un séjour à Aix en 876, transfère ces reliques à l'abbaye royale de Saint-Denis, à l'exception du Saint-Suaire donné à l'église Saint-Corneille de Compiègne et le périzonium toujours conservé dans la cathédrale d'Aix-la-Chapelle.
Politique économique
Charlemagne abandonne la frappe de l'or devenu trop rare en Occident pour pouvoir alimenter les ateliers monétaires. Il n'y eut plus dès lors que des monnaies d'argent. Son homogénéisation en 781 par Charlemagne, est un progrès énorme. Le rapport qu'il fixe entre les monnaies est resté en usage dans toute l'Europe jusqu'à l'adoption du système métrique et en Grande-Bretagne jusqu'en 1971. L’unité en est la livre, divisée en 20 sous comprenant chacun 12 deniers. Seuls les deniers sont des monnaies réelles : le sou et la livre ne servent que comme monnaies de compte, et il devait en être ainsi jusqu'aux réformes monétaires du XIIIe siècle111. Le denier d'argent, monnaie unique de l'Empire carolingien, est le modèle direct ou indirect du monnayage occidental produit du IXe au XIIIe siècle112.
Les Carolingiens ont pris d'autres mesures pour favoriser le commerce : ils entretiennent les routes, favorisent les foires113. Cependant, ce commerce est encadré : les prix sont fixés depuis 794 (capitulaire de Francfort), l'exportation des armes est prohibée.
Ce qui restait de l'impôt romain a disparu à la fin de l'époque mérovingienne ou s'est transformé en redevances usurpées par les grands. Deux sources alimentent encore le trésor impérial : l'une intermittente et capricieuse : le butin de guerre ; l'autre permanente et régulière : le revenu des domaines appartenant à la dynastie. Cette dernière seule est susceptible de fournir aux besoins courants les ressources nécessaires. Charles s'en est occupé avec soin et le capitulaire De Villis prouve, par la minutie de ses détails, l'importance qu'il attachait à la bonne administration de ses terres. Mais ce qu'elles lui rapportaient, c'étaient des prestations en nature, tout juste suffisantes au ravitaillement de la Cour. À vrai dire, l'Empire carolingien n'a pas de finances publiques et il suffit de constater ce fait pour apprécier à quel point son organisation est rudimentaire si on la compare à celle de l'Empire byzantin et du Califat abbasside avec leurs impôts levés en argent, leur contrôle financier et leur centralisation fiscale pourvoyant aux traitements des fonctionnaires, aux travaux publics, à l'entretien de l'armée et de la flotte114.
Transformations de la société rurale et féodalité
À partir de 800, les campagnes militaires se font plus rares et le modèle économique franc basé sur la guerre cesse d'être viable. Il repose sur une main-d'œuvre alternativement combattante ou servile où l'agriculture est encore largement inspirée du modèle antique esclavagiste. Mais ces esclaves ont une productivité faible, car non seulement ils ne sont pas intéressés aux résultats de leur travail, mais ils sont coûteux en saison morte. En période de paix, nombreux sont les hommes libres qui choisissent de poser les armes pour le travail de la terre, plus rentable. Ceux-ci confient leur sécurité à un protecteur, contre ravitaillement de ses troupes ou de sa maison. Certains arrivent à conserver leur indépendance, mais la plupart cèdent leur terre à leur protecteur, et deviennent exploitants d'une tenure (ou manse), pour le compte de ce dernier115.
Inversement, les esclaves sont émancipés en serfs, dépendants d'un seigneur auxquels ils versent une redevance et deviennent plus rentables. Cette évolution se fait d'autant mieux que l'Église condamne l'esclavagisme entre chrétiens. La différence entre paysans libres et ceux qui ne le sont pas s'atténue.
Renaissance carolingienne
Les lettrés du temps utilisent le terme renovatio pour qualifier le mouvement de renouveau en Occident qui caractérise la période carolingienne, après deux siècles de déclin.
Depuis la chute de l'Empire romain, en 476, les rois Ostrogoths, fortement romanisés, respectent le patrimoine culturel latin et s'entourent de lettrés tels que Cassiodore ou Boèce. De plus, dès 535, l'empereur romain d'Orient Justinien reconquiert l'Italie.
Dans l'Italie byzantine des lettrés, tels Cassiodore, préservent et enrichissent les connaissances qui sont conservées dans les bibliothèques italiennes depuis la chute de l'Empire romain. Au VIIIe siècle, l'Italie byzantine est soumise à la pression des Lombards, qui profitent du fait que les Romains d'Orient, accaparés par leur lutte contre les musulmans en Asie, ne peuvent plus protéger l'Italie. Rome s'affranchit alors de la tutelle impériale et des tensions apparaissent entre Rome et Byzance particulièrement durant le premier iconoclasme et la querelle des images. De nombreux artistes et lettrés byzantins s'installent à Rome où l'art se développe rapidement. L'exarchat de Ravenne tombe aux mains des Lombards seulement en 751 : ils administrent l'Italie du Nord, mais ne détruisent pas plus le patrimoine culturel que ne l'ont fait avant eux les Ostrogoths. La papauté apporte son soutien à la constitution d'un empire d'Occident capable de la défendre à la fois contre les Lombards et les autorités impériales d'Orient. Dès 774, Charlemagne vainc les Lombards et prend ainsi le contrôle de l'Italie du Nord et de son précieux patrimoine culturel.
La chute du royaume wisigoth, lors de l'invasion de l'Espagne par les Sarrasins, fait que de nombreux intellectuels et ecclésiastiques, comme Théodulf d'Orléans ou Benoît d'Aniane, rejoignent la cour de Pépin le Bref. Les Carolingiens bénéficient ainsi de connaissances venues du royaume wisigoth et de l'Espagne byzantine qui se voulaient les héritiers de l'Empire romain et les conservateurs de sa culture.
Depuis le VIe siècle, le monachisme est très fortement développé en Irlande et en Northumbrie. Les monastères irlandais conservent les connaissances latines et grecques, et sont le siège d'une vie intellectuelle intense. Les invasions conduites par les Vikings font venir des îles Britanniques des érudits qui contribuent, avec l'instauration de la règle de saint Benoît d'Aniane, à l'essor de la vie monastique dans le royaume carolingien.
Cette poussée monastique et la facilitation de l'écriture aboutissent à un meilleur partage des connaissances. Ainsi, de nombreux érudits de toute l'Europe viennent à la cour de Charlemagne et, en y partageant leurs connaissances, déclenchent la renaissance carolingienne. Parmi ceux-ci, on compte :
- Alcuin, arrivé d’Angleterre en 782, est l’un des principaux conseillers de l’empereur. Il participe activement au renouveau biblique : la bible d'Alcuin est l’un des plus anciens manuscrits d’Occident. Il institue à Aix-la-Chapelle une école palatine pour former les futures élites laïques et religieuses. Il met en place un vaste programme d'éducation reprenant la structure des sept arts libéraux de Martianus Capella, Cassiodore, Boèce, transmise par Bède le Vénérable116 ;
- Théodulf, Wisigoth (originaire de l’actuelle Espagne), poète, théologien, s’oppose à Constantinople sur la question de l’iconoclasme ;
- Benoît d'Aniane qui instaure une réforme religieuse en Aquitaine, puis unifie la liturgie en 817, forme des centaines de moines qui vont essaimer dans tout l'empire répandant la règle bénédictine ;
- Éginhard, historien et biographe de Charlemagne (voir ci-dessous) ;
- Paul Diacre, auteur d'une Histoire des Lombards, enseigne le grec ancien aux clercs ;
- Pierre de Pise, lettré italien.
Charlemagne développe l’utilisation de l’écrit comme moyen de diffusion de la connaissance (particulièrement l’usage de la langue latine) et promeut la poésie dans son Académie palatine57. Il pousse également les évêques à améliorer l'instruction des clercs et, secondé par Alcuin, impose aux écoles cathédrales et monastiques le souci des règles exactes du chant. L'étude des livres saints et des lettres antiques sont remises à l'honneur et dans les écoles se forme une génération de clercs qui professe pour la barbarie du latin mérovingien le même mépris que les humanistes devaient témoigner, sept siècles plus tard, au jargon scolastique. Cela étant, la renaissance carolingienne est aux antipodes de la Renaissance proprement dite. Entre elles, il n'y a en commun qu'un renouveau de l'activité intellectuelle. La Renaissance, purement laïque, retourne à la pensée antique pour s'en inspirer. La renaissance carolingienne, exclusivement ecclésiastique et chrétienne, voit surtout dans les anciens des modèles de style. Pour elle, l'étude ne se justifie qu'à des fins religieuses et les clercs carolingiens n'écrivent qu'à la gloire de Dieu117. Le biographe Thégan note qu'à la veille de sa mort, Charlemagne lui-même corrigeait le texte des Évangiles avec l'aide de Grecs et de Syriens présents à sa cour118.
Les scriptoria se développent dans les abbayes carolingiennes : Saint-Martin de Tours, Corbie, Saint-Riquier, etc. Le succès de ces ateliers de copiage est rendu possible grâce à l’invention d’une nouvelle écriture, la Minuscule caroline, qui gagne en lisibilité, car les mots sont séparés les uns des autres, et les lettres mieux formées. L’Évangile de Godescalc, un évangéliaire écrit par un scribe franc entre 781 et 783 sur ordre de Charlemagne, est le premier exemple daté d’écriture minuscule caroline.
À sa cour, il encourage l'étude de certains auteurs de l’Antiquité, et Platon y est connu (Aristote ne sera redécouvert qu’à partir du XIIe siècle en Occident). En 789, il promulgue le capitulaire Admonitio generalis qui ordonne que soit créée dans chaque évêché une école destinée aux enfants laïcs.
Sous son règne, l'art préroman apparaît, et un bon nombre de cathédrales sont construites dans tout l’Empire. Elles seront pour la plupart toutes reconstruites lors de la renaissance ottonienne et au XIIe siècle. Certains de ces monuments reprennent le plan hexagonal des églises d’Orient. La chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle en est un exemple, ainsi que la petite église de Germigny-des-Prés entre Orléans et Saint-Benoît-sur-Loire.
Charles n'a pas uniquement favorisé les études par sollicitude pour l’Église ; le souci du gouvernement a contribué aussi aux mesures qu'il a prises dans leur intérêt. Depuis que l'instruction laïque avait disparu, l’État devait forcément recruter parmi les clercs l'élite de son personnel. Déjà sous Pépin le Bref, la chancellerie ne se compose plus que d'ecclésiastiques et l'on peut croire que Charles, en ordonnant de perfectionner l'enseignement de la grammaire et de réformer l'écriture, a eu tout autant en vue la correction linguistique des diplômes expédiés en son nom ou des capitulaires promulgués par lui, que celle des missels et antiphonaires. Mais il a été plus loin et visé plus haut. Charlemagne désirait également faire pénétrer l'instruction parmi les fonctionnaires laïcs en les mettant à l'école de l'Église. De même que les Mérovingiens avaient cherché à calquer leur administration sur l'administration romaine, il a voulu imiter dans la mesure du possible, pour la formation des agents de l’État, les méthodes employées par l’Église pour la formation du clergé. Son idéal a sans doute été d'organiser l'Empire sur le modèle de l’Église, c'est-à-dire de le pourvoir d'un personnel d'hommes instruits, éduqués de la même façon, se servant entre eux et avec le souverain de la langue latine qui, de l'Elbe aux Pyrénées, servirait de langue administrative comme elle servait déjà de langue religieuse. Il était effectivement impossible de maintenir l'unité d'administration de son immense empire où se parlaient tant de dialectes, au moyen de fonctionnaires illettrés et ne connaissant que la langue de leur province. L'inconvénient n'eût pas existé dans un État national où la langue vulgaire eût pu devenir, comme dans les petits royaumes anglo-saxons, la langue de l’État. Mais dans cette bigarrure de peuples qu'était l'Empire, l'organisation politique devait revêtir le même caractère universel que l'organisation religieuse et s'imposer également à tous ses sujets, de même que l’Église embrassait également tous les croyants. L'alliance intime de l’Église et de l’État achevait de recommander le latin comme langue de l'administration laïque. Il ne pouvait y avoir, en dehors de lui, aucune administration écrite. Les besoins de l’État l'imposaient : il devint, pour des siècles, la langue de la politique et de la science119.
Vue d'ensemble
Contemporains de Charlemagne
Europe chrétienne
- Les papes
Zacharie (741), Étienne II (752), Paul Ier (757), Étienne III (767), Adrien Ier (772), Léon III (795-816) - Les empereurs romains d'Orient
Constantin V (741), Léon IV (775), Constantin VI (780, régence d'Irène), Irène (797), Nicéphore Ier (802), Staurakios (811), Michel Ier (811), Léon V (813-820) - Les rois anglo-saxons
Offa de Mercie (757), Cynewulf du Wessex (757), Æthelred de Northumbrie (774), Æthelberht II d'Est-Anglie (c. 779), Beorhtric de Wessex (786), Cenwulf de Mercie (796), Sigered d'Essex (c. 798), Cuthred de Kent (798), Ecgberht du Wessex (802), etc. - Les rois asturiens
Alphonse Ier (739), Fruela Ier (757), Aurelio (768), Silo (774), Mauregat (783), Bermude Ier (789), Alphonse II (791-842)
Monde musulman
- Les califes
Marwān II (744), dernier calife omeyyade, As-Saffah (750), premier calife abbasside, Al-Mansur (754), Al-Mahdi (775), Al-Hadi (785), Haroun ar-Rachid (786), Al-Amin (809), Al-Ma’mūn (813-833) - Les gouverneurs et émirs de Cordoue
Yusuf ibn 'Abd al-Râhman al-Fihri (747), gouverneur, Abd al-Rahman Ier (756), premier émir omeyyade de Cordoue, Hicham Ier (788), Al-Hakam Ier (797-822)
Chronologie du règne de Charlemagne
- : avènement de Charles et de Carloman, rois des Francs.
- 769 : révolte de l'Aquitaine qui se soumettra après la menace faite aux Vascons qui lui livrera le duc rebelle. L'Aquitaine fera partie du royaume de Charlemagne.
- 771 : mort de Carloman.
- 772 : Adrien Ier pape ; première campagne en Saxe ; mariage avec Hildegarde.
- 773 : campagne en Lombardie ; début du siège de Pavie.
- 774 : prise de Pavie ; Charlemagne roi des Lombards.
- 776 : expédition dans le Frioul ; campagne en Saxe.
- 777 : expédition dans le duché de Bénévent ; campagne en Saxe : assemblée de Paderborn ; ambassade du gouverneur de Saragosse (Suleyman al-Arabi).
- 778 : naissance de Louis ; expédition en Espagne : Saragosse, Pampelune ; Roncevaux.
- 779 : capitulaire de Herstal ; disette.
- 780 : expédition dans le duché de Bénévent.
- 781 : voyage à Rome : couronnement de Louis (Aquitaine) et de Pépin (Italie).
- 782 : insurrection des Saxons ; Süntel, Verden.
- 783 : mort de Berthe et d’Hildegarde de Vintzgau ; mariage avec Fastrade de Franconie ; campagne en Saxe.
- 785 : fin de l’insurrection saxonne ; soumission de Widukind ; capitulaire saxon.
- 785 : soumission des Frisons.
- 787 : révolte de Tassilon en Bavière ; expédition dans le duché de Bénévent.
- 788 : soumission de la Bavière ; éviction de Tassilon.
- 789 : Admonitio generalis ; soumission des Wilzes.
- 789-790 : il établit une marche de Bretagne.
- 790 : second capitulaire saxon ; aucune campagne militaire en 790.
- 791 : campagne contre les Avars ; conquête de l’Istrie.
- 792 : conspiration de Pépin le Bossu ; Libri carolini.
- 793 : révolte des Saxons ; incursion sarrasine en Septimanie ; famine ; capitulaire de Ratisbonne.
- 794 : mort de Fastrade et remariage avec Liutgard ; concile de Francfort.
- 795 : campagne contre les Avars ; Léon III pape.
- 796 : soumission des Avars de Pannonie.
- 797 : soumission de la Saxe ; troisième capitulaire saxon ; ambassade de Charlemagne à Hâroun ar-Rachîd.
- 798 : ambassade byzantine (Irène) ; ambassade asturienne (Alphonse II ; concile d’Aix (contre l’adoptianisme).
- 799 : attentat contre Léon III ; voyage de Léon III à Paderborn (été).
- 800 : mort de Liutgard ; tournée de Charlemagne en Gaule (Boulogne, Tours) puis voyage à Rome.
- : Charlemagne couronné empereur d’Occident.
- 801 : ambassade byzantine (Irène) ; prise de Barcelone (Louis).
- 802 : ambassade d'Haroun al-Rachid (éléphant) ; capitulaire des missi dominici.
- 803 : soumission des Avars ; ambassade byzantine (Nicéphore).
- 804 : soumission définitive des Saxons après 32 ans de guerres ; Léon III à Reims, puis Aix-la-Chapelle.
- 805 : conquête de la Vénétie (Pépin) ; campagne en Bohême (Charles) ; famine ; capitulaire de Thionville.
- 806 : projet de partage de l’empire ; reconquête de la Vénétie par les Byzantins.
- 808 : insurrection des Wilzes, bataille de Taillebourg contre les Sarrasins.
- 809 : concile d’Aix (question du Filioque).
- 810 : mort de son fils Pépin ; ambassade byzantine (Nicéphore) ; Charlemagne s'installe définitivement à Aix-la-Chapelle.
- 811 : mort de son fils Charles ; capitulaire de Boulogne (marine).
- 812 : campagne contre les Wilzes ; ambassade byzantine : Michel Ier reconnaît Charlemagne comme empereur d’Occident.
- 813 : association de son fils Louis à l'Empire.
- : mort de Charlemagne à Aix-la-Chapelle.
Points particuliers
Généalogie de Charlemagne
Ascendance
Ansegisel Pepin de Herstal Begge d'Andenne Charles dit Martel (v. 690-† 741), maire du palais d’Austrasie (719), maire du palais de Neustrie (719), maire du palais de Bourgogne (719) Childebrand? Alpaïde Pépin dit le Bref (v. 715-† 768), maire du palais de Bourgogne (741), maire du palais de Neustrie (741), maire du palais d’Austrasie (747), roi des Francs (751) Hervé? (comte de Hesbaye) Lambert II de Hesbaye Berthe? Rotrude (?-?) X Charles dit le Grand ou Charlemagne Hugobert N de Laon N (sœurs d'Irmine) Caribert ou Héribert (?-?), comte de Laon Thierry III (vers 657-691), roi des Francs de Neustrie Bertrade de Prüm Dode, reine des Francs Bertrade ou Berthe de Laon dite au Grand Pied (?-† 783) Gisèle. (?-?) Descendance
Date Conjoint Enfants 768 Himiltrude (concubine ou épouse) - Pépin le Bossu (vers 770-811), enfermé par son père à l'abbaye de Prüm en 792
769 Désirée de Lombardie (épouse) 771 Hildegarde de Vintzgau (épouse) - Charles le Jeune (vers 772-811)
- Adélaïde (morte en 774)
- Rotrude (vers 775-6 juin 810), mariée à Rorgon Ier, comte du Maine
- Pépin (777-810), roi d'Italie
- Louis le Pieux (778-840), empereur d'Occident
- Lothaire (778-779), frère jumeau de Louis
- Berthe (vers 779-823), mariée à Angilbert, abbé de Saint-Riquier
- Gisèle (781-après 814)
- Hildegarde (782-783)
783 Fastrade de Franconie (épouse) - Théodrade (vers 785-vers 853), abbesse d’Argenteuil
- Hiltrude (née vers 787), abbesse de Faremoutiers
vers 794 Luitgarde d'Alémanie (épouse) ? Madelgarde (concubine) - Rothilde (vers 790-852), abbesse de Faremoutiers
? ? (concubine) - Rothaide (vers 784-après 814)
? Gerswinde de Saxe (concubine) - Adeltrude
vers 800 Regina vers 806 Adalinde (épouse) - Thierry ou Théodoric (807-après 818), clerc
La distinction entre épouses et concubines légitimes et officielles est parfois difficile à établir. Les historiens recensent cinq ou six épouses, voire « neuf femmes ou concubines, d’autres amours moins relevées et moins durables, une multitude de bâtards, les mœurs licencieuses de ses filles qu’il semble avoir trop aimées »120. On ne peut pas dire qu'il pratiquait la polygamie, interdite chez les Francs, mais plutôt une monogamie sérielle et des mariages afin de nouer des alliances, notamment avec des aristocrates francs de l'Est, pour mieux les tenir, certains aristocrates de Franconie ayant mal accepté l'usurpation de Pépin le Bref vis-à-vis de Childéric III121.
Éginhard évoque les rumeurs d'incestes de Charlemagne envers ses filles qu'il « ne voulut en donner aucune en mariage, ni à un homme de chez lui, ni à un étranger, mais il les retint toutes chez lui, auprès de lui, jusqu'à sa mort, disant qu'il ne pouvait pas se passer de leur compagnie. Mais pour cette raison, lui qui fut comblé par ailleurs eut à subir la malignité d'un sort contraire : il n'en laissa cependant rien paraître et fit comme si, à leur sujet, aucun soupçon d'inceste n'avait jamais vu le jour, comme si aucune rumeur ne s'était répandue »122. Cette rumeur de l'inceste - fréquente au Moyen Âge - est un mythe né du fait que Charlemagne ne voulait pas marier officiellement ses filles à des aristocrates ou à des vassaux qui pourraient diluer son héritage ou acquérir un trop grand pouvoir123. En revanche, il laissa plusieurs d'entre elles nouer des unions illégitimes, mais quasiment officielles, leurs amants pouvant même officier à la Cour, tel Angilbert qui vécut deux ans avec Berthe et avec qui il eut deux enfants. Charlemagne lui aurait d'ailleurs fait épouser sa fille en secret124.
Noms de Charlemagne
Le vrai nom de Charlemagne est Karl, transcrit en latin Carolus (latin classique) ou Karolus (usage de la chancellerie franque, des monétaires, etc.).
Ce nom de Karl vient du mot, en vieux haut-allemand, karal, qui signifie « homme » (de sexe masculin)n 9.
Charlemagne est la transcription française de Carolus Magnus (« Charles le Grand »). Dès l'époque de Charlemagne, on trouve dans certains textes Karolus suivi de magnus, mais ce dernier en position d'adjectif par rapport à un autre nom : Karolus magnus rex Francorum (« Charles, grand roi des Francs »), Karolus magnus imperator (« Charles, grand empereur »). L'utilisation de Carolus Magnus tout court est une dénomination littéraire dont le premier exemple se trouve dans un texte de Nithard (vers 840), donc plusieurs décennies après la mort de l'intéressé. Cette épithète se généralise progressivement dans les documents de la Chancellerie apostolique65.
Dans La Chanson de Roland125, en ancien français, l'empereur est nommé de différentes façonsn 10 : Carles (vers 1) ou Charles (28, vers 370), Carles li magnes (68, vers 841) ou Charles li magnes (93, vers 1195), traductions de Carolus magnus, mais aussi Carlemagnes (33, vers 430) ou Charlemaignes (138, vers 1842). L'adjectif grant est fréquent dans la Chanson de Roland, mais n'est pas utilisé pour nommer l'empereur. Par la suite, c'est la forme contractée qui s'est imposée : la formule « Charles le Grand » est rare dans l'usage actuel, contrairement à ce qu'on a en allemand (Karl der Große).
En ce qui concerne le nom de son frère Carloman, c'est une transcription française de Karlmann, dans lequel mann signifie aussi « homme » ; le « -man » de Carloman n’a donc pas de rapport avec le « -magne » de Charlemagne.
Par ailleurs, de même qu'en allemand et dans d'autres langues, « César » est devenu synonyme d'empereur (kaiser, tsar), le nom de Charlemagne, sous la forme Karl ou Karolus, a pris en hongrois (király)126, dans les langues slaves127 (король (« korol ») en russe, král en tchèque, król en polonais, kralj en croate, etc.) et dans les langues baltes (karalius pour le lituanien et karalis pour le letton128) la signification de roi.
Monogramme de Charlemagne
Les historiens Bruno Dumézil et Martin Gravel le considèrent comme illettré, mais pas analphabète : les diplômes royaux émis par l'empereur ne comportent en effet aucune souscription manuscrite, Éginhard suggère aussi qu'il n'a jamais su écrire (présentant la vie de l'empereur sous le jour qui lui semble le plus flatteur, l'auteur de la première biographie de Charlemagne n'aurait certainement pas hésité à le mentionner), disant juste de lui qu'il s'essayait à la lecture121. Afin de lui permettre de signer autrement que d’une simple croix, Éginhard lui apprend à tracer ce signe simple, un monogramme, qui contient toutes les lettres de son nom en latin Karolus. Les consonnes sont sur les branches de la croix, les voyelles contenues dans le losange central (A en haut, O est le losange, U est la moitié inférieure). Il y a cependant encore débat pour savoir si Charlemagne est vraiment l'auteur de son monogramme, seule la portion centrale serait écrite par lui-même, les autres lettres seraient l'œuvre d'un secrétaire121.
En revanche, Charlemagne a appris à lire tardivement. Sa langue maternelle est le francique rhénan ; il parle couramment le latin et le grec121.
Résidences de Charlemagne
Au début de son règne, Charlemagne n’a pas de lieu de résidence fixe ; c'est un empereur itinérant. Il se déplace avec sa cour de villa en villa comme celles de Metz ou de Thionville où il rédigera un premier testament en 805.
À partir de 790, l'empereur réside le plus souvent à Aix-la-Chapelle qui devient capitale de l'Empire carolingien.
Apparence
Au 22e chapitre de sa Vita Karoli Magni, Éginhard livre une description de l'apparence physique de Charlemagne :
« Il était fortement construit, robuste et de stature considérable, bien que non exceptionnelle, puisque sa hauteur était de sept fois la longueur de son pied. Il avait une tête ronde, vaste et vivante, un nez légèrement plus grand que d'habitude, des cheveux blancs mais toujours attrayant, une expression claire et gaie, un cou court et gras, et il jouissait d'une bonne santé, sauf pour les fièvres qui l'ont affecté dans les dernières années de sa vie. Vers la fin, il a traîné une jambe. Même alors, il a obstinément fait ce qu'il voulait et a refusé d'écouter les médecins, en effet, il les détestait, parce qu'ils voulaient le convaincre d'arrêter de manger de la viande rôtie, comme à son habitude, et se contenter de viande bouillie. »
Le portrait physique dépeint par Éginhard est rapproché de certaines représentations peu ou prou contemporaines de l'empereur.
Conservé au Département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France, un denier frappé à Mayence vers 812-814 paraît ainsi témoigner d'une « individualisation plus grande de l'effigie impériale » qui prend « toutes les caractéristiques d'un véritable portrait » de Charlemagne. Cette représentation diffère des monnaies antérieures du souverain carolingien, qui arborent de longues titulatures et des effigies indistinctes peut-être inspirées d'une pièce antique de cinq aurei figurant l'empereur romain Dioclétien129.
En outre, une statuette équestre en bronze, dite de Charlemagne, représente un empereur carolingien, probablement Charlemagne ou son petit-fils Charles le Chauve130, comme un « nouveau César ». Le cavalier tient dans sa main droite un globe (symbole de l’universalité de l’empire sur lequel il règne), et dans la main gauche, aujourd'hui vide, vraisemblablement son épée Joyeusen 11. Cette sculpture de 20 cm reprend les modèles antiques (tunique courte, manteau de type chlamyde à fibule saillante, statue équestre typique de l'iconographie romaine, s'inspirant notamment de la statue équestre de Marc Aurèle), mais aussi la mode franque (chausses avec bandes molletières, souliers ornés de bijoux quadrilobes, couronne à bandeau gemmé). Selon l'historienne de l'art Danielle Gaborit-Chopin, l'apparence de l'empereur carolingien moustachu de la statuette coïncide remarquablement avec le profil de Charlemagne figurant dans le denier frappé à Mayence vers 812-814131.
En 1861, des scientifiques ont ouvert le tombeau de Charlemagne pour analyser son squelette ; sa taille fut estimée à 1,90 m32. En 1988, l'analyse de la suture osseuse de son crâne permet d'estimer un âge à sa mort de 66 ans, soit 37 ans de plus que l'espérance de vie moyenne de ses contemporains132. En 2010, une radiographie et une scannographie de son tibia a estimé sa taille à 1,84 m. Charlemagne faisait donc partie des rares personnes de grande taille de son époque, étant donné que la hauteur moyenne des hommes de son temps était de 1,69 m. La largeur de l'os laisse penser qu'il était gracile et n'avait pas une construction corporelle robuste133.
Historiographie
L'historien Jean Favier précise que l'historiographie de Charlemagne ne commence qu'au XVIIe siècle134 avec en 1677 la première publication des capitulaires par le bibliothécaire royal Étienne Baluze et à la même époque son évocation dans le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet135, lequel connaissait le texte d'Eginhard qui n'était pas encore imprimé136.
On peut remarquer que ces textes avaient déjà été imprimés et traduits plusieurs fois avant 1677, et que l'intérêt pour l'histoire de sa vie est plus ancien : la Vita Karoli Magni d'Eginhart est imprimée à Cologne en 1521, à Utrecht en 1711 ; la fausse chronique romancée De Vite Caroli et Rolandi, attribuée au moine Jean Turpin et pleine d'épisodes inventés, est publiée à Paris, d'abord sans date, puis en 1527, puis à Lyon en 1583. Le recueil de ses capitulaires est publié à Ingolstadt en 1548, avec des notes d'Amerbach, et la même année à Paris, mais avec des retranchements, par Jean du Tillet, évêque de Meaux, édition terminée en 1588 par Pierre Pithou, avec des notes de François Pithou. Des éditions complètes paraissent en 1603 et 1620, cette dernière avec la publication in-folio de la carte de l'empire de Charlemagne par P. Bertius137. Sa fête avait été fixée le par le roi Louis XI137, en 1661 l'Université de Paris l'avait choisi comme saint patron137, et la même année, Louis XIV consacre à Charlemagne un paragraphe des Mémoires pour l'instruction du Dauphin, montrant qu'il le connaissait assez bien sous certains aspects138.
Le travail de publication de documents est poursuivi au XVIIIe siècle par des érudits souvent issus du clergé régulier. Les plus notables sont le père Anselme (ordre des Augustins) et dom Martin Bouquet (bénédictin de Saint-Maur), le premier éditeur d'Eginhard139. Son Recueil des historiens des Gaules et de la France consacre un volume à Pépin le Bref et à Charlemagne.
L'édition systématique des documents historiques recommence au XIXe siècle ; en ce qui concerne Charlemagne, ce sont les historiens allemands (Percy Ernst Schramm, Karl Ferdinand Werner) qui assurent une grande part du travail dans les Monumenta Germaniæ Historica. En France, à partir de 1822, est publié le Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 (Isembert) et à partir de 1835, la Collection de documents inédits sur l'histoire de France. À partir de 1840, Benjamin Guérard publie un certain nombre de documents d'abbayes. Le premier à chercher à démêler les mythes de la réalité du personnage est le médiéviste Gaston Paris dans son Histoire poétique de Charlemagne en 1865140.
Charlemagne est étudié de façon assez détaillée dans les Histoire de France publiées au XIXe siècle : celle de Jules Michelet (1833), qui lui est en général défavorable et qui commet quelques erreurs141, de François Guizot142 (1843) plus équilibré, celle d'Arthur Kleinclausz dans le Lavisse143 (1903).
Depuis le IXe siècle, la figure de Charlemagne, ses mythes et ses symboles sont utilisés, et ce jusqu'au XXe siècle qui voit Charlemagne consacré comme le Père de l'Europe, cependant la culture mémorielle et identitaire de cet empereur s'est estompée au XXIe siècle65. Les études sur Charlemagne se développent au XXe siècle, en France, en Belgique, en Allemagne et en Grande-Bretagne, avec plusieurs biographies.
Empereurs germaniques et Charlemagne
La dynastie saxonne se rattache symboliquement à Charlemagne à travers le choix d'Aix-la-Chapelle comme lieu de couronnement royal par Otton Ier. En 962, il est couronné empereur à Rome, mais ses successeurs le sont à Aix-la-Chapelle jusqu'à Ferdinand Ier en 1536. Pour ce couronnement, est utilisée une « couronne de Charlemagne » dont l'intéressé est souvent doté sur des représentations ultérieures.
Le dimanche de la Pentecôte de l'an mil, Otton III fait ouvrir, de façon très discrète, le tombeau de Charlemagne et prélève quelques reliques, dont une dent. Une seconde ouverture a lieu en 1165, cette fois en public, à l'occasion de l'élévation de Charlemagne au rang de saint.
Canonisation (1165)
En 1165, dans le cadre des conflits entre la papauté et l'empire, Frédéric Barberousse145 et l'antipape Pascal III procèdent à la canonisation de Charlemagne146. La cérémonie religieuse d'élévation des ossements de Charlemagne par Renaud de Dassel, archevêque de Cologne et Alexandre II, évêque de Liège147 a lieu le , en présence d'une nombreuse assistance. Ils sont placés dans une châsse provisoire, remplacée par une autre plus précieuse aux alentours de 1200.
En 1179, le troisième concile du Latran révoque toutes les décisions de cet antipape, ce qui n'empêche pas le culte de cet empereur « quasi saint » de se répandre dans toute l'Europe (notamment sous Louis XI) et en particulier à Aix-la-Chapelle où ses reliques sont enchâssées. Son culte s’est ainsi étendu au fil des siècles puis finira par s'éteindre au XVIe siècle148.
L’Église catholique préfère ne pas le compter au nombre des saints, en raison de la conversion des Saxons par la violence ; mais son titre de bienheureux est toléré (et donc son culte) par le pape Benoît XIV149.
Charlemagne est entré dans l’ordo (calendrier liturgique) de plusieurs diocèses situés dans la région d'Aix-la-Chapelle, où ses ossements sont encore exposés à la vénération des fidèles. Sa fête est fixée au , anniversaire de sa mort.
Capétiens et Charlemagne
La dynastie des Capétiens a aussi cherché à se rattacher à Charlemagne par des mariages dans la famille des comtes de Vermandois, les Herbertiens, descendants de Pépin d'Italie, fils de Louis le Pieux, en particulier celui du grand-père d'Hugues Capet avec Béatrice de Vermandois.
Lors du couronnement des rois de France, sont aussi utilisés des objets dits de Charlemagne : l'épée Joyeuse, des éperons d'or. Ces objets, ainsi que son échiquier personnel en ivoire, font partie du trésor des rois de France, conservé dans la basilique Saint-Denis jusqu'en 1793. Ils se trouvent actuellement au musée du Louvre (galerie Richelieu)150, sauf l'échiquier (perdu).
Au XIIIe siècle, époque où les rois de France s'affirment comme égaux à l'empereur (Philippe Auguste), l'abbaye de Saint-Denis, lieu de l'inhumation de Pépin le Bref, joue un rôle important dans l'élaboration d'une figure de Charlemagne « français », alors que les empereurs d'Allemagne soutiennent en général un Charlemagne « allemand » (d'où l'affirmation de la naissance à Ingelheim par Guillaume de Viterbe au XIIe siècle).
Charlemagne est particulièrement mis en valeur par la dynastie des Valois, en particulier par le roi Charles V, qui procède à des échanges de reliques avec son oncle, l'empereur Charles IV. Durant son sacre, le souverain français utilise un sceptre terminé par une statuette de Charlemagne, appelé sceptre de Charles V ou sceptre de Charlemagne. À la fin du XVe siècle, dans la perspective des guerres d'Italie, un « Charlemagne » fait partie du cortège d'accueil d'Anne de Bretagne lors de son mariage avec le roi Charles VIII ; leur fils aîné est nommé Charles-Orland (1492-1495), Orland étant la francisation d'Orlando, le nom italien de Roland (cf. Orlando furioso).
La figure de Charlemagne est moins présente à partir du XVIe siècle. Elle est parfois utilisée par les opposants à la monarchie (les Guise, Saint-Simon, Boulainvilliers).
Napoléon Ier et Charlemagne
Charlemagne est quasi totalement ignoré par la Révolution française, comme le montre le comportement des autorités après la conquête d'Aix-la-Chapelle en 1794. Quelques objets précieux sont ramenés à Paris, mais rien de particulier n'est fait autour.
En revanche, Napoléon lui accorde une certaine importance à partir de 1804, dans la perspective du rétablissement de l'Empire151. D'une part, Aix-la-Chapelle est l'objet d'une visite, d'abord de Joséphine (juillet), puis de Napoléon lui-même (septembre) ; à cette occasion, une partie des biens pillés en 1794 est restituée. D'autre part, le souvenir de Charlemagne joue un rôle dans la cérémonie du sacre, avec notamment les « honneurs de Charlemagne » : l'épée, le sceptre de Charles V, et une couronne faite pour l'occasion, qui n'est pas utilisée, puisque Napoléon se couronne lui-même de la couronne de lauriers, un des « honneurs de Napoléon ».
Charlemagne et l'école
Les liens établis entre Charlemagne et l'école sont anciens, notamment en France.
Depuis 1661, Charlemagne est le patron de l'université de Paris, qui le fête encore annuellement au XIXe siècle et dans plusieurs collèges encore dans la première moitié du XXe siècle. À l'heure actuelle, l'Association des lauréats du concours général tient toujours son repas annuel aux environs de la Saint-Charlemagne.
Au XIXe siècle, le rôle de Charlemagne dans la scolarisation devient un lieu commun de l'enseignement primaire, qui se prolonge une bonne partie du XXe siècle. Par exemple, un manuel152 des années 1950 donne les renseignements suivants :
- page 83 (début du chapitre « Les Carolingiens ») : deux vignettes (Roland à Roncevaux, Charlemagne, barbu, séparant les bons des mauvais élèves) ;
- page 91 (paragraphe 8 : « Charlemagne veut qu'on soit instruit ») : Les rois Francs ne s'étaient pas occupés de l'instruction de leurs sujets. Il n'en fut pas de même pour Charlemagne. Il fonda des écoles, dans lesquelles les moines instruisaient les enfants des pauvres comme ceux des riches. Il y en avait même une dans le palais de l'Empereur, qui aimait à la visiter souvent pour gronder les paresseux et récompenser les travailleurs.
Dans ce contexte, on peut comprendre la chanson Sacré Charlemagnen 12 interprétée par France Gall dans les années 1960, même si Charlemagne n'a pas inventé l'école. L'enseignement existait bien avant lui153.
Charlemagne et l'Europe
La figure de Charlemagne a été utilisée pour défendre de nombreuses causes tout à fait opposées.
La guerre franco-allemande de 1870 et les deux guerres mondiales au XXe siècle voient le développement en France d'une vague d'antigermanisme qui fait de Charlemagne le symbole de l'envahisseur, d'où sa relative disparition dans l'historiographie française154.
Au XXe siècle, en Allemagne, sous le régime national-socialiste, Himmler et les SS vitupérèrent l’action néfaste de Charlemagne qu’ils rendaient responsable de la christianisation des Germains et du massacre des Saxons, reprenant l'image du « Boucher des Saxons »155. Néanmoins, en privé, Adolf Hitler critiquait ces discours car Charlemagne avait selon lui le mérite d'avoir diffusé la culture occidentale en Allemagne156. Des débats entre scientifiques nazis existaient sur le bien-fondé de s'approprier le personnage de Charlemagne, mais Hitler imposa progressivement sa vision. Ainsi, en 1942 à l'occasion du 1 200e anniversaire de la naissance de Charlemagne, de grands articles dans les quotidiens nationaux allemands considérèrent, dans leur vision propagandiste, que cette boucherie était nécessaire pour la construction d'un grand empire. De plus, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, afin de favoriser le recrutement de volontaires français, le nom de Charlemagne, héros et conquérant revendiqué par les deux nations française et allemande, fut donné à la division SS dite Division Charlemagne65.
Charlemagne est actuellement présenté dans le cadre de l'Union européenne comme « le père de l'Europe » bien que l'Europe ne soit qu'un concept géographique jusqu'au XVIe siècle et qu'on se réfère à la respublica christiana au temps de Charlemagne157. Chaque année, un prix international Charlemagne d'Aix-la-Chapelle est décerné à Aix-la-Chapelle à une personnalité qui a œuvré en faveur de l’Europe. Le premier à le recevoir en 1950, Richard Coudenhove-Kalergi, suggère dans son discours lors de l'attribution du prix, de créer une Union européenne qu'on appellerait « Union Charlemagne »65.
Charlemagne dans la littérature et l'art
Littérature
La figure de Charlemagne est idéalisée dans la culture médiévale, notamment au travers des chansons de geste, dans lesquelles il fait partie des Neuf Preux.
La légende carolingienne est au Moyen Âge l'une des sources les plus importantes de la littérature en langue vulgaire. C'est d'elle que sort directement le plus ancien poème épique français : La Chanson de Roland. Et elle inspire encore, en pleine Renaissance, L'Arioste, dans son Orlando furioso.
Époque carolingienne
Éginhard, dans Le couronnement de Charlemagne. Chroniqueur franc, ami et conseiller de Charlemagne, Éginhard a écrit sur lui une biographie plutôt élogieuse. En voici un extrait :
« Venant à Rome pour rétablir la situation de l’Église, qui avait été fort compromise, il y passa toute la saison hivernale. Et, à cette époque, il reçut le titre d’empereur et d’auguste. Il y fut d’abord si opposé qu’il s’affirmait ce jour-là, bien que ce fut celui de la fête majeure, qu’il ne serait pas entré dans l’église, s’il avait pu savoir à l’avance le dessein du pontife. »
Chansons de geste
Le personnage de Charlemagne apparaît dans plusieurs chansons de geste, dont la plus connue est la Chanson de Roland. Ces poèmes ont été regroupés dès le Moyen Âge dans un cycle (ou « geste ») appelé cycle du Roi.
Dans la Chanson de Roland, Charlemagne apparaît comme un patriarche : …Carlemagne qui est canuz et vielz (chenu et vieux) (41, vers 538), Carles li velz a la barbe flurie (77, vers 970).
Époques moderne et contemporaine
- Saint-Just, dans le chant I de son poème Organt, fait allusion à Charlemagne en ces termes :
« Il prit un jour envie à Charlemagne
De baptiser les Saxons mécréants :
Adonc il s’arme, et se met en campagne,
Suivi des Pairs et des Paladins francs.
Monsieur le Magne eût mieux fait à mon sens
De se damner que de sauver des gens,
De s’enivrer au milieu des Lares,
De caresser les Belles de son temps,
Que parcourir maints rivages barbares,
Et pour le Ciel consumer son printemps. »- Honoré de Balzac, dans Sur Catherine de Médicis : la reine met sur le compte des erreurs tactiques de Charlemagne, l'obligation où elle est de faire la guerre aux huguenots. Elle s'en réclame aussi pour justifier que les descendants de Charlemagne soient en droit de reprendre une couronne usurpée par les descendants de Hugues Capet158
« Charlemagne se trompait en s'avançant vers le nord. Oui, la France est un corps dont le cœur se trouve au golfe du Lion, et dont les deux bras sont l'Espagne et l'Italie. On domine ainsi la Méditerranée qui est comme une corbeille où tombent les richesses de l'Orient159. »
- Dans sa nouvelle « Thus we frustrate Charlemagne »160, l’auteur américain de science-fiction Raphaël Aloysius Lafferty montre des scientifiques — qui maîtrisent le voyage temporel — se livrer à des expériences, en modifiant l’issue de la bataille de Roncevaux, en 778. Ce qui aboutit à transformer à plusieurs reprises leur présent (ce dont ils n’ont du reste pas conscience) et crée finalement des uchronies.
- L’auteur français de romans policiers historiques Marc Paillet a fait paraître de 1995 à 2000 une série de huit romans161 mettant en scène deux missi dominici de Charlemagne, l’abbé Erwin le Saxon et le noble Nibelungide Childebrand (lequel est un personnage historique réel).
Art
Charlemagne est avant tout représenté dans des enluminures, comme l'attestent les Grandes Chroniques de France dont les thèmes du couronnement, du roi guerrier et du défenseur de la chrétienté sont les plus féconds, ou des manuscrits du XVe siècle, tel celui du Miroir des Saxons, qui voient une multiplication des thèmes iconographiques162.
Contrairement à la grande majorité des représentations artistiques, qui datent souvent du XIXe siècle, Charlemagne n'avait pas de barbe (les Francs se rasant le menton) mais une moustache. L'expression le désignant comme étant l'empereur à la barbe fleurie et qui apparaît dans La Chanson de Roland peut s'expliquer par le fait que l'empereur, constamment en guerre (son règne ne sera marqué que par trois années de paix), était souvent mal rasé lors de ses campagnes163. Cette expression est surtout due au fait que le port de la barbe souligne la virilité et la dignité du souverain (ainsi l'iconographie de Charlemagne le montre traditionnellement imberbe avant son couronnement impérial) ou est un symbole de sagesse lorsqu'elle est blanche (l'iconographie de Charlemagne le montre avec une barbe de plus en plus grande, sa sagesse s'accroissant avec l'âge). Quant au terme « fleurie », il serait en fait une mauvaise traduction du terme « flori » qui signifie blanc en ancien français164.
Il est souvent vêtu de drapés à l'antique, ses représentations s'inspirant de la Vita Caroli rédigée par Éginhard, qui a calqué sa biographie sur celle que Suétone a faite d’Auguste, le premier empereur romain, dans sa Vie des douze Césars. En réalité, il devait porter des vêtements cousus, un manteau teint de pourpre, et avoir une coupe de cheveux au bol et la longue moustache franche165.
L'hymne national de la principauté d'Andorre rappelle la légende selon laquelle l'Andorre aurait été créée par Charlemagne166.
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Charlemagne visitant le chantier du palais d'Aix-la-Chapelle (musée des beaux-arts de Dijon).
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Saint Charlemagne piétinant des monstres, par Jaume Cascalls vers 1345. Cathédrale Sainte-Marie de Gérone.
Héraldique
La vie de Charlemagne est antérieure à l'apparition de l'héraldique, mais sa notoriété lui a valu l'attribution d'armes qui, du fait de l'anachronisme, relèvent des armoiries imaginaires. À Charlemagne, empereur d'Occident et roi des Francs, on attribue naturellement un parti d'Empire (aigle bicéphale) et de France (fleurs de lis). La première description de ces armes se trouve dans les Enfances Ogier, composées vers 1275 par Adenet le Roi, ménestrel et poète à la cour des ducs de Brabant. C'est avec la diffusion de la légende des Neuf Preux, apparue dans Les Vœux du Paon, poème composé vers 1312 par Jacques de Longuyon qu'elles ont connu un succès durable. Ces armes furent reproduites dans les chroniques et généalogies armoriées des dynasties se rattachant à Charlemagne, et sur les monuments élevés à la gloire de l'empereur et du saint, tant en Allemagne qu'en France, où s'est développé le culte de saint Charlemagne. Lors de la réception solennelle de Charles Quint par François Ier, à Paris, le 1er janvier 1540, ces armes furent présentées comme le symbole du rapprochement entre le royaume de France et le Saint-Empire167.
Hiérosme de Bara, dans son ouvrage Le Blason des Armoiries, le blasonne ainsi : « Party, le premier, moitié de l'Empire qui est d'or, à une demie aigle esployée de sable, membrée & diadesmée de gueulles; le deuxiesme de France, qui est d'azur, semé de fleur de lys d'or. »168
Le jésuite Marc Gilbert de Varennes (en) dans Le roy d'armes, donne d'autres armoiries imaginaires à Charlemagne. Il écrit que « Charlemagne Roy de France et Empereur d'Occident portoit d'azur, à un aigle éployé d'or, diadémé, langué, & armé de gueules, l'estomach chargé de l'escu de France, qui estoit d'azur, aux fleurs de lis sans nombre, d'or : & telles armes furent portées par les empereurs François ses descendants, iusques à ce que ceux de la maison de Saxe usurpèrent l'Empire sur les François, car alors ils changèrent les émaux anciens de l'Empire, & prirent le métal, & la couleur des armes de leur Othon, surnommé le grand, qui portoit selon sa naissance, fascé d'or, & de sable de six pièces, blasonnant les armes de l'Empire, d'or & de sable, armé, lampassé, & couronné d'un diadème de gueules169. » On suppose que c'est en partie de ce blasonnement donné pour Charlemagne que Napoléon s'inspira pour définir les armoiries de l'Empire Français dans le décret du 21 messidor An XII (10 juillet 1804)170.
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Armoiries imaginaires de Charlemagne d'après Le Blason des Armoiries de Jérôme de Bara (version en couleurs de 1628).
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Version du Grand armorial colorié, par Alexandre LeBlancq, ms. fr. 5232, Bibliothèque nationale de France.
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Armoiries imaginaires de Charlemagne d'après les fresques du château de la Manta.
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Armoiries imaginaires attribuées à Charlemagne telles qu'on peut les voir dans Les écus armoriés des Neuf Preux. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. 18651, fol. 1r. (BnF, Paris).
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Armoiries de Charlemagne d'après le jésuite Marc Gilbert de Varennes dans Le roy d'armes.
Hommages
En France, un grand nombre de rues, d'associations culturelles, de bâtiments communaux, d'entreprises, d'établissements scolaires utilisent le nom de Charlemagne et de ses ancêtres. Aux Pays-Bas et en Belgique néerlandophone, on trouve plusieurs Karel de Grotestraat. En revanche, l'usage toponymique de Karl der Große est assez rare dans les pays germanophones : une Karl-der-Große-Straße à Barum-St. Dionys (Basse-Saxe, district de Lunebourg). À Zurich un Zentrum Karl der Grosse (graphie suisse avec deux s) sert comme plateforme pour le discours politique et sociétal.
- Statues de Charlemagne à Paris (devant la cathédrale Notre-Dame de Paris), Liège (boulevard d’Avroy), Rome (dans le grand hall de la basilique Saint-Pierre au Vatican, par Agostino Cornacchini, dans le Musée Grévin)
- Grand vitrail à Metz dans la salle d'honneur de la gare.
- Statue de Charlemagne au palais de justice de Paris, réalisée en 1860 par Henri Lemaire.
- Plusieurs pièces de monnaie françaises ont été frappées avec le chef de Charlemagne.
Représentations dans la culture populaire
Chanson
Sacré Charlemagne est une chanson écrite par Robert Gall, composée par George Liferman et interprétée par France Gall en 1964.
Téléfilm
En 1993, Clive Donner réalise un téléfilm intitulé Charlemagne, le prince à cheval, diffusé sur France 2. Charlemagne est incarné par l'acteur français Christian Brendel171.
Documentaire
L'émission Secrets d'histoire du sur France 2, intitulée Sacré Charlemagne !, lui était consacrée172,173.
Voir aussi
Sources primaires imprimées
- Éginhard, Vie de Charlemagne, édité et traduit par Louis Halphen, Paris, Les Belles Lettres, 1994, 128 pages.
- Jules Viard (éd.), Les Grandes Chroniques de France : publiées pour la Société de l'Histoire de France par Jules Viard, t. III : Charlemagne, Paris, Librairie ancienne Édouard Champion, , XXVI-312 p. (présentation en ligne [archive], lire en ligne [archive]).
Bibliographie
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Environnement, société
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Articles connexes
Liens externes
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Notes et références
Notes
- La francisation de Carolus Magnus fut sujette à plusieurs orthographes :
- Charles-Magne ;
- Charles-magne (sans majuscule) ;
- Charles Magne (sans tiret) ;
- Charlesmagne (avec un s).
- Pépin et Berthe ne sont pas « roi et reine », Pépin étant alors maire du palais.
- Karl Ferdinand Werner en 1973, dans un article consacré à ce sujet25 ; Pierre Riché en 198326, récusant catégoriquement, sans argumentation, la date de 742 et « la bâtardise de Charlemagne »27 ; Geneviève Bührer-Thierry en 200128, sans argumentation ; Stéphane Lebecq29.
- Arthur Kleinclausz en 1934 : « avec quelque vraisemblance, l'an 742, le »35 ; Jean Favier en 199936, après argumentation ; Georges Minois en 201022, après argumentation ; Renée Mussot-Goulard37, sans argumentation.
- Dictionnaire du Moyen Âge : probablement le 2 avril 748.
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Dictionnaire Essentiel, Hachette, 1992 : 742.
Petit Larousse illustré, 1996 : 747.
Le Petit Larousse compact, 2006, p. 1266 : 742 ou 747. - Vassus signifie jeune homme fort et a donné en français « vassal » en opposition à Senior qui signifie vieux et a donné « seigneur. »
- Effigie mortuaire consistant en un mannequin de bois dont seules la tête et les mains sont en cire, le visage est réalisé d’après le masque mortuaire.
- Les Annales notent la mort d'Abul Abbas, en parallèle à celle de Rotrude un peu avant.
- En suédois actuel, karl signifie toujours « homme ».
- Dans ces exemples, le nom est au cas sujet, d'où la présence de « -s ». Cas régime : Carlun, Charlun, Carlemagne, Charlemaigne.
- L’hypothèse d’un sceptre ou d’une lance, autres attributs de pouvoir, est également plausible.
- « Qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer l'école ? C'est ce sacré Charlemagne ! »
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Vercingétorix
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Vercingétorix
Statère d'électrum vers , au nom de Vercingétorix, il pourrait y être représenté sous les traits du dieu Apollon. On remarque le « s » final : « Vercingetorixs ». Département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France.Naissance Vers note 1
Gergovie (actuelle Auvergne)Décès (à environ 36 ans)
RomeOrigine Celte, Arverne Commandement Chef de la coalition gauloise Conflits Guerre des Gaules Faits d'armes Siège d'Avaricum
Siège de Gergovie
Siège d'AlésiaHommages Statue à Alise-Sainte-Reine
Statue équestre à Clermont-FerrandFamille Celtillos (père)
Gobannitio (oncle)
Vercassivellaunos (cousin)modifier Vercingétorix, né aux environs de note 1 sur le territoire arverne, l'actuelle Auvergnenote 2, et mort à l'automne -46 dans une prison de Rome, est le chef et le roi du peuple celte des Arvernes1. Il fédère une partie des peuples gaulois dans le cadre d'une révolte contre les forces romaines au cours de la dernière phase de la guerre des Gaules de Jules César.
Fils de Celtillos, probable chef arverne, Vercingétorix arrive au pouvoir après sa désignation officielle comme chef des Arvernes en -52. Il établit immédiatement une alliance avec d'autres tribus gauloises, prend la tête du commandement, combine toutes les forces, et les conduit dans la plus importante révolte des Gaulois contre le pouvoir romain. Il remporte la bataille de Gergovie face à Jules César dans laquelle de nombreux Romains et alliés sont tués. En conséquence, les légions romaines de César se retirent d'Arvernie (actuelle Auvergne).
Cependant, César parvient à exploiter les divisions internes entre les peuples gaulois pour facilement subjuguer leurs territoires, et la tentative de Vercingétorix d'unir les Gaulois contre l'invasion romaine arrive tardivement. À la bataille d'Alésia, les Romains assiègent et défont ses forces. Afin de sauver autant de ses hommes que possible, il se livre aux Romains. Il est retenu prisonnier pendant cinq ans. En -46, dans le cadre du triomphe de César, Vercingétorix est exhibé dans les rues de Rome, au sein du défilé triomphal, puis exécuté par étranglement sur ordre de César. Il est principalement connu grâce aux Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César.
Oubliée jusqu'au milieu du XIXe siècle, sa figure de représentant de la civilisation gauloise est largement mise en avant sous Napoléon III ; puis, dans le cadre de l'affrontement franco-allemand, il incarne une figure mythique et nationale de tout premier ordre pour la France, dans une partie importante de l'historiographie du temps. Entre 1870 et 1950, l'histoire de la France telle qu'elle est enseignée à des générations d'écoliers, fait de lui le tout premier chef de la nation.
Biographie
Les sources primaires
Les documents historiques témoignant de la vie de Vercingétorix sont peu nombreux et doivent être critiqués et interprétés, particulièrement à la lumière de l'archéologie2. À part le récit immédiat de César, ce sont essentiellement des écrits d'auteurs qui écrivent très longtemps après les faits, dont Strabon3, Plutarque4, Florus résumant Tite-Live5, et Dion Cassius6. Vercingétorix est donc avant tout connu au travers des Commentaires sur la Guerre des Gaules, destinés au Sénat romain, que Jules César rédige tout au long de ses campagnes et compile après sa victoire finale d'Alésia sur les Gaulois. Les éléments relatifs à Vercingétorix sont tout entiers contenus dans le livre VII des Commentaires.
Cependant, les progrès importants de l'archéologie de la France gallo-romaine au cours des quarante dernières années ont livré de très nombreux éléments permettant de mieux cerner le personnage et son contexte.
Les origines de Vercingétorix
Naissance
Vercingétorix est probablement né en Auvergne, à Gergovie selon Strabon7. Il est aussi possible de songer à la ville de Nemossos, mentionnée par Strabon8, qui est parfois assimilée à l'actuelle Clermont-Ferrand, mais les fouilles archéologiques les plus récentes semblent révéler la capitale des Arvernes non pas sous l'actuelle Clermont-Ferrand, mais plutôt à Corent. Les fouilles actuelles révèlent l'exceptionnelle urbanisation de cette zone de la Limagne et son développement polycentrique ; il semblerait qu'à l'époque de Jules César coexistaient là trois oppidums fortifiés, celui de Gergovie, celui de Gondole et l'agglomération de Corent. De nouvelles découvertes restent cependant possibles.
Sa date de naissance n'est pas non plus connue, si ce n'est par une déduction du texte de César qui fait référence à un adulescens en -529, soit, en droit romain, à un homme de moins de trente ans. On peut donc en déduire une naissance autour de l'an -8010, quoique l'on retienne la date de -82 par convention.
Il est le fils de Celtillos, chef d'un des principaux clans arvernes, un des peuples gaulois les plus puissants et qui fut opposé à Rome à la fin du IIe siècle av. J.-C. Son père aurait été mis à mort par les familles aristocratiques arvernes pour avoir tenté de rétablir la royauté à son profit (principatus totus Galliae)11, abolie et remplacée par un régime aristocratique dans les années -120 par Rome, imposant ses conditions de vainqueur et emmenant en captivité Bituitos, le dernier roi vaincu près d'Orange12. Ce rejet de la monarchie valait sans doute autant que la crainte d'une dénonciation du traité passé avec Rome, source de paix et de profit pour ce peuple depuis 60 ans13.
Le nom de Vercingétorix
Plutarque, dans ses Vies parallèles des hommes illustres, à propos de la biographie de César, estropie son nom en « Ουεργεντοριξ (Ouerguén'torix) » ; Strabon le cite sous une autre forme. Mais tant César lui-même que de nombreuses monnaies font état de ce nom, les monnaies précisant son onomastique exacte : VERCINGETORIXS15. Pour l'historien romain Florus, son « nom même semblait fait pour engendrer l'épouvante »16.
Pendant longtemps, après la « redécouverte » des Gaulois et de Vercingétorix au XIXe siècle, les auteurs se sont interrogés pour savoir si le mot « Vercingétorix » était un nom de personne, ou s'il voulait dire « le chef » en langue arverne17,18. Ainsi Jules Michelet le nomme dans son Histoire de France : « le » Vercingétorix19. Il y aurait alors plusieurs rois ainsi titrés dans l'histoire gauloise, ce qui expliquerait la relative abondance et la répartition des pièces de monnaie gauloises portant cette inscription. Mais la difficulté restait cependant que « le » Vercingétorix portait alors ce nom avant même que ne lui soit conféré le titre de roi.
D'après des auteurs comme Pierre-Yves Lambert20, la lettre latine « X » correspond à un Chi grec et se prononce donc comme une jota espagnole adoucie, donc comme le χ grec oriental (l'alphabet grec étant certainement arrivé en Gaule grâce aux Phocéens, qui sont des Grecs orientaux).
La signification de Ουερκινγέτοριχς (Ouérkinguétorikhs écrit Vercingetorixs en latin) serait : « grand roi des fantassins »21 ou « chef suprême des guerriers ». Veros « vrai » réduit à ver en préfixe veut dire « grand » ; rixs veut dire « roi » ; cingetos veut dire à la fois « marcheur » et « guerrier », donc fantassin (le terme de fantassin étant vraisemblablement générique) soit « Roi-suprême-des-Guerriers »22.
Un allié des Romains
Selon Serge Lewuillon, Vercingétorix avait dû probablement, comme de nombreux aristocrates gaulois du temps de César, frayer avec César, avant de prendre les armes contre lui ; il a pu lui adresser des rapports sur la situation de la Gaule ; ainsi s'expliquerait le fait que César attribue à Vercingétorix un caractère de fourberie. Pour Vincent Guichard, Vercingétorix serait un Gaulois tiraillé, un officier de César qui finit par se révolter. Commentant une tradition selon laquelle Vercingétorix espérait le pardon de César « parce qu'ils avaient été amis », Christian Goudineau explique que Vercingétorix avait dû être un chef allié des Romains, comme César en avait beaucoup ; mais il avait trahi, et fut donc exécuté23.
La guerre des Gaules
La situation en Gaule au Ier siècle av. J.-C.
Après la défaite des Allobroges à la bataille de Solonion en -61, la Narbonnaise est définitivement soumise, tandis que l'Aquitaine, la Belgique et la Celtique (catégorisation gréco-romaine complètement étrangère aux diverses nations gauloises) restent des territoires encore indépendants de Rome. César, qui est gouverneur de la Gaule cisalpine et de la transalpine (la Narbonnaise), en parle comme constituant les peuples de la Gaule chevelue.
« Gallia est omnis divisa in tres partes », dit César (« la Gaule est divisée en trois parties ») : les Aquitains, les Celtes et les Belges. Après la conquête du Midi de la France, la transalpine, dans les années -125/-122, de nombreux traités commerciaux avaient ébauché des liens importants avec Rome. La Gaule comprend alors plus de soixante peuples, dont certains très connus, comme les Arvernes, les Éduens, les Séquanes, les Rèmes. Au total, ces territoires sont très peuplés et comptent de 9 à 10 millions d'habitants24.
Depuis le milieu du IIe siècle av. J.-C. et surtout après la conquête romaine du sud, les Éduens ont fait allégeance à Rome et tissé avec elle des liens commerciaux, politiques et militaires très forts. Traditionnellement, les Arvernes, peuple puissant dominant le Massif central, s'y opposent et les conflits sporadiques s'enchaînent jusqu'à la défaite arverne de -12125.
La guerre des Gaules
En -58, Vercingétorix est un jeune homme d'une vingtaine d'années, issu de l'aristocratie et en âge de se battre, lorsque Jules César, prenant prétexte de la migration vers la Saintonge des Helvètes forcés par la pression croissante des Germains d'Arioviste, envahit la Gaule à la tête de ses légions romaines et de contingents alliés gaulois pour venir en aide aux inféodés traditionnels de Rome, les Éduens, menacés à leur tour par les Germains26. Il veut soumettre les peuples gaulois à l'autorité de Rome pour servir sa gloire et confisquer leurs légendaires richesses.
Celtillos, l'un des principaux chefs des tribus arvernes, tente alors de prendre la tête du « parti anti-romain » en Gaule, que les Séquanes (affaiblis par le récent affrontement avec Arioviste) avaient dirigé au cours du siècle précédent27, mais il est exécuté par les familles nobles arvernes favorables au gouvernement aristocratique (l'oncle de Vercingétorix Gobannitio faisant partie de ceux-là) et qui refusent son autorité28.
Son fils Vercingétorix est alors formé aux armes et comme beaucoup de fils d'aristocrates, entre probablement à ce moment dans l'entourage militaire de César, dont il devient l'un des contubernales (« compagnon de tente »). Il est probablement envoyé par les Arvernes auprès de César, librement, à la tête d'un escadron de cavalerie gauloise et non pas livré comme otage (pratique romaine courante pour s'assurer de la loyauté ou de la neutralité de la nation à qui l'on demande cet otage), comme le suggère Dion Cassius qui décrit leur amitié29. Deux éminents historiens, Yann Le Bohec30 et Paul M. Martin César31 accréditent pour leur part la thèse d'un Vercingétorix ancien officier de cavalerie de Jules César. César le forme aux méthodes de guerre romaines32 en échange de sa coopération et de ses connaissances du pays et des pratiques de la Gaule chevelue. Il aurait été le commandant du corps de cavaliers arvernes, réquisitionné au titre des accords conclus en -12033.
La guerre commence et va durer plus de six ans, César conduisant avec succès les aigles romaines au-delà du Rhin et en Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne). Elle va s'échelonner en de nombreuses campagnes menées chaque année contre les tribus insoumises.
En -58, César décide d'intervenir pour empêcher les Germains d'Arioviste de menacer la paix en Gaule, le bat en Alsace, près de Mulhouse, et fixe pour des siècles la frontière entre Gaulois et Germains sur le Rhin. Ceux-ci ne peuvent plus franchir le fleuve pour s'établir en Gaule sans l'aval des Romains34.
En , jouant sur la rapidité de déplacement de ses troupes, César se dirige vers le nord-est et décide d'affronter les Belges qui avaient assemblé des masses d'hommes sur les rives de l'Aisne. Il s'enferme dans ses camps et attend de voir la désunion produire ses effets ; puis il affronte successivement et victorieusement les Nerviens de Boduognatos, puis les Bellovaques. Impressionnés, les peuples de l'Armorique se soumettent à leur tour. La Gaule est soumise, la guerre est finie et Rome célèbre le héros en octroyant dix jours de réjouissances27.
Cependant, César reste en Gaule et doit affronter, à partir de -56, la montée des résistances, particulièrement à l'impôt, et la rébellion des puissants Vénètes du Morbihan et de leurs alliés d'Armorique et d'outre-Manche, les Bretons. La punition des Vénètes est impitoyable, les élites supprimées et le peuple réduit en esclavage.
Au cours de l'hiver 54-, une nouvelle révolte d'un peuple de la Meuse, les Éburons, qui réussit à détruire une légion, oblige César à mobiliser une dizaine de légions et il n'hésite pas à pratiquement exterminer ce peuple. Des révoltes sporadiques, comme celle des Carnutes ou des Sénons éclatent au printemps -53. Les Carnutes massacrent à Orléans des négociants romains, le chef sénon Acco est supplicié et Labienus, lieutenant de César, met au pas les Trévires35.
L'hiver -53 arrivant, César rejoint la Gaule cisalpine (Italie du Nord), un de ses commandements militaires. Les Gaulois, connaissant l'anarchie politique qui règne à Rome, tentent un nouveau soulèvement. Vercingétorix se présente désormais en rival36.
Vercingétorix, chef de la révolte gauloise de
Prise du pouvoir
Voulant peut-être profiter de la situation très difficile que connaît Rome avec l'écrasement des légions de Crassus par les Parthes en -53, la fin du Premier triumvirat, et du mécontentement qui couve dans une Gaule lasse de ces années de guerre, Vercingétorix, révoquant l'alliance romaine, revendique à nouveau l'indépendance qui fut fatale à son père :
« Le ressentiment de l'indépendance perdue et l'ennui de la domination romaine faisaient dans la Gaule des progrès rapides, et devenaient chaque jour plus vifs, parce que chaque jour aussi, cette domination devenait plus oppressive37. »
— Amédée Thierry, Histoire des Gaulois
Dans l'hiver de 53 à , des commerçants romains sont massacrés par les Carnutes à Orléans38. À l'annonce du massacre39, Vercingétorix prend le pouvoir chez les Arvernes et s'impose à la tête du parti anti-romain, notamment grâce à l'art du discours prisé chez les Gaulois comme chez les Romains qu'il a côtoyés. À la fin de -53 et au début de -52, plusieurs armées gauloises alliées traditionnelles des Romains font peu à peu défection et se rangent sous la bannière de Vercingétorix40.
Selon César, le massacre d'Orléans fut précédé par des réunions tenues « au milieu des bois »41, bois dans lesquels on reconnaît souvent la forêt des Carnutes. Toujours selon César, le plan du soulèvement général de la Gaule semblait déjà dressé. César toutefois ne nomme aucun des Gaulois présents à cette réunion. Selon C. Goudineau, « ces lignes doivent être lues avec beaucoup de circonspection »42, le récit de César organisant la mise en scène classique d'une conjuration semblable à celle de Catilina décrite par Salluste. Quoi qu'il en soit, l'annonce du massacre d'Orléans entraîne l'apparition de Vercingétorix dans le récit de César43. Vercingétorix, on l'a vu, revendique une position politique forte, semblable sans doute à celle qu'avait eue son père. Selon César, il réunit ses inféodés qui s'arment43 :
« L'exemple y fut suivi : Vercingétorix, fils de Celtillos, Arverne, jeune homme qui était parmi les plus puissants du pays, dont le père avait eu l'empire de la Gaule et avait été tué par ses compatriotes parce qu'il aspirait à la royauté, convoqua ses partisans et n'eut pas de peine à les enflammer. »
— César, De Bello Gallico, livre VII
Mais Vercingétorix se heurte à l'oligarchie arverne, son oncle Gobannitio en tête, qui est peut-être responsable de l'exécution de son père, et qui le chasse de la ville. Cette opposition de l'oncle au neveu n'est pas fortuite : pour Serge Lewuillon elle est déterminée par le système de parenté gaulois où « la relation avunculaire met en jeu de préférence le côté de la mère, c'est-à-dire la partie la plus sophistiquée du système de la parenté, mais aussi celle qui produit les formules les plus souples et les plus efficaces de l'échange »44. L'opposition de Gobannitio à Vercingétorix avait donc des causes politiques mais peut aussi s'expliquer à travers ce que l'anthropologie des systèmes de parenté révèle.
Chassé de Gergovie, Vercingétorix lève des troupes dans la campagne puis revient en force quelques jours plus tard45, mobilisant le peuple et s'imposant comme le véritable commandant suprême : il est proclamé roi et envoie des ambassades aux principaux peuples de Gaule. Selon Robin Seager46 le vocabulaire employé par César dans ce récit de la prise de pouvoir est extrêmement connoté et très significatif pour son lectorat romain : les mots qu'il choisit sont à la fois très familiers mais engagent aussi de la part de ces lecteurs des réactions attendues : Vercingétorix est présenté comme un homme au pouvoir considérable, mais la phrase décrivant ses soutiens campagnards utilise des termes propres à le discréditer aux yeux des sénateurs romains, les termes de César sont en effet ceux, utilisés à la même époque pour qualifier les soutiens de Catilina ou Clodius : César dénie donc à Vercingétorix toute légitimité politique et le présente comme un homme dangereux.
La tactique de Vercingétorix
Vercingétorix, tout au long de cette année -53, va montrer un réel talent militaire et politique et donner du souci à l'un des stratèges romains les plus talentueux. Son action prend deux formes : il organise la résistance sous forme de guerre de harcèlement (à laquelle la géographie gauloise se prête excellemment) en recourant à la politique de la terre brûlée, ayant compris que l'armée romaine était très dépendante de la logistique de son ravitaillement47 et il s'emploie à fédérer le plus grand nombre possible de tribus de Gaule contre Jules César.
En , il lance de multiples ambassades auprès des peuples gaulois pour tenter de les rallier, n'hésitant pas à garantir l'alliance par l'échange d'otages. Il tente de s'imposer aux Éduens (dans l'actuelle Saône-et-Loire), alliés des Romains ou, à tout le moins, de les neutraliser. Il envoie un de ses alliés, le Cadurque Lucterios, vers le sud, au contact de la province narbonnaise et réussit à retourner les Rutènes et leurs alliés. La Narbonnaise est ainsi directement menacée. Vercingétorix réussit lui-même à gagner à sa cause les Bituriges, normalement membres de la confédération éduenne. Il inspire rapidement une union des peuples du centre et de l'ouest de la Gaule contre le proconsul48.
César, sentant le danger imminent d'une insurrection générale de la Gaule, interrompt son séjour en Cisalpine et rejoint fin janvier Narbonne pour rétablir la confiance. Dans un geste tactique audacieux, il traverse la Cévenne enneigée, menaçant le pays arverne, et de là, rapidement, rejoint Agedincum (Sens) plus au nord. Il y retrouve en février six légions cantonnées pour l'hiver pour lutter contre la sédition qui se répand au centre de la Gaule, quatre autres légions restant réparties sur la frontière avec les Trévires et celle avec les Germains49.
Les campagnes du printemps -52
Vercingétorix met en œuvre sa stratégie : éviter l'affrontement direct avec les légions, épuiser l'armée romaine par une course poursuite en créant des « abcès de fixation successifs » et en lui supprimant toute capacité à se nourrir sur l'habitant grâce à la politique de la terre brûlée50.
Voyant César concentrer ses forces, il reprend l'offensive et affronte les Boïens, un peuple allié de Rome, et surtout membre de la confédération éduenne, testant ainsi sa solidité et défiant le seul peuple gaulois qui lui résiste. Il met le siège devant l'oppidum de Gorgobina (près de Sancerre). Mais le talent et l'intelligence stratégiques de Jules César permettent à ce dernier de bénéficier de l'aide logistique des Boïens, des Rèmes (région de Reims), et surtout des Éduens, en passant des pactes avec tous ceux longtemps réticents à rejoindre les troupes arvernes et la coalition gauloise.
Ainsi, Jules César, après un passage au travers de la Brie ravagée, parvient à prendre la ville de Cenabum (Orléans) qu'il pille et livre aux flammes, puis traverse la Sologne à son tour désertée et assiège Avaricum (Bourges) qui n'a pas brûlé. On s'interroge sur la raison de cette préservation de la ville par les Gaulois, alors que plus de vingt villes des Bituriges avaient brûlé peu avant. César dit que Vercingétorix s'est laissé fléchir par les notables Bituriges qui veulent préserver la ville. Christian Goudineau, résumant les débats historiographiques, penche pour une tactique délibérée de Vercingétorix qui veut « fixer » les légions : les exposer à la guerre d'usure des Gaulois dans un siège long d'une place réputée inexpugnable, pour mieux les détruire lorsqu'elles seront suffisamment affaiblies.
La tactique a échoué grâce à l'art remarquable de César en matière de siège, qui n'hésite pas à créer un camp retranché par ses légionnaires malgré un climat peu agréable, et réussit après de longues semaines à investir la ville. Des dizaines de milliers de défenseurs sont exterminés51.
La fin de la confédération éduenne (avril-mai -52)
« Vercingétorix demande aux différents peuples de lui fournir des soldats […] De semblables mesures lui permettent de combler les pertes d'Avaricum. Teutomatos, roi des Nitiobroges (près d'Agen), dont le père avait reçu du Sénat le titre d'ami vint le rejoindre avec une forte troupe de cavaliers et des mercenaires recrutés en Aquitaine »
— César, De Bello Gallico, VII, 31
Si la chute d'Avaricum est incontestablement un revers pour Vercingétorix, une partie de sa stratégie est en passe de réussir : les légions souffrent et surtout les alliés de Rome commencent à changer de camp. Encore plus menaçants pour César, les Éduens semblent sur le point de rejoindre la coalition gauloise. En effet, le parti pro-romain mené par Cotos perd le pouvoir au profit de Convictolitavis, d'une famille puissante, comme Dumnorix, l'ancien chef éduen que César avait fait mettre à mort en En quelques semaines, les Éduens, hésitants, basculent en faveur de Vercingétorix.
Dans le même temps, d'autre peuples de la confédération comme les Parisii et les Sénons se révoltent, obligeant César à envoyer Labienus avec deux légions pour ramener l'ordre52.
La victoire de Gergovie en juin -52
Vercingétorix remonte alors la rive droite de l'Allier ; César le poursuit sur la rive gauche.
Vercingétorix, fidèle à sa tactique, s'enferme dans Gergovie, près de l'actuel Clermont-Ferrand. César, dans ses Commentaires, prétend qu'il atteint son but de « rabattre la jactance gauloise et redonner du courage aux siens53 », tout en ayant limité ses pertes à 700 légionnaires, alors que les autres auteurs font état d'un revers inquiétant de César : Plutarque précise que tout allait bien « jusqu'au moment où le peuple éduen entra à son tour dans la guerre. En se joignant aux rebelles, ils provoquèrent un profond découragement dans l'armée de César. C'est pourquoi, celui-ci leva le camp »54.
César prend la route du nord-ouest pour faire sa jonction avec les troupes de Labienus et réprimer la révolte des Sénons. Pendant ce temps, l'insurrection se généralise. Vercingétorix parvient à reprendre son titre de chef des Arvernes et à rallier les Éduens à sa cause. Il s'efforce de les lancer contre la province romaine pour achever de déstabiliser César ; mais il n'y réussit pas.
Vercingétorix s'impose définitivement comme chef de guerre de la coalition gauloise à Bibracte55. Une grande partie des peuples gaulois est alors unifiée pour la première fois de son histoire. Il veut probablement défaire César de manière définitive, et croit en sa supériorité, bien que la moitié de ses troupes potentielles ne lui soient pas encore parvenues (elles constitueront l'armée de secours à Alésia).
La reddition d'Alésia (septembre -52)
Jules César a regroupé ses troupes qui forment douze nouvelles légions, soit plus de 50 000 légionnaires, mais il a perdu tous ses auxiliaires gaulois. Il s'efforce de regagner la province, puis l'Italie du Nord. Vercingétorix ne veut pas le laisser échapper et envoie donc sa cavalerie affronter les cavaliers germains de César, à quelques kilomètres d'Alésia : la bataille tourne à l'avantage des Germains58.
Vercingétorix regroupe les forces gauloises (80 000 combattants selon César) à Alésia, oppidum des Mandubiens. Il demande à tous les peuples gaulois de fournir des renforts. Ce sera l'armée de secours, qui atteint plus de 250 000 cavaliers et soldats selon César59.
Pendant ce temps, César déploie ses dix légions dans des camps placés tout autour et se met en position de siège en faisant construire une énorme double fortification réalisée autour de la place forte, pour empêcher les Gaulois de sortir et se ravitailler, et pour se protéger des attaques des troupes gauloises extérieures60.
Vercingétorix est défait au bout d'une quarantaine de jours de siège, ses troupes mourant de faim. Les armées de renfort gauloises, enfin arrivées, lancent une série d'attaques menées par les chefs lémovices ou éduens : les Romains ne sont pas loin de céder, mais le siège n'est pas brisé. Après que le chef gaulois a envoyé des négociateurs pour traiter de la reddition et que César a répondu en exigeant la livraison des armes et des chefs, le lendemain de la retraite de ses troupes, soit le selon plusieurs auteurs61,62, Vercingetorix lui est livré (Vercingetorix deditur, arma proiciuntur, « on livre Vercingétorix [autre traduction possible : Vercingétorix se livre], on jette les armes »)63 et selon la mythologie offre sa vie en échange de celle des survivants d'Alésia dans un acte de devotio64. Les Gaulois sont désarmés, sortent de la citadelle et sont emmenés en captivité65. Selon Plutarque66, le chef arverne tourne rituellement67 autour de l'estrade où se tient le vainqueur sur sa sella curulis (siège curule proconsulaire) puis met pied à terre et sans un mot, il jette ses armes (épée, javelot et casque) et ornements (phalère, torque) à ses pieds. Selon Dion Cassius68, le chef gaulois tombe aux genoux de César, et le supplie en lui pressant les mains. Selon Florus, Vercingétorix s'agenouille et tend les deux mains en disant « Tiens, dit-il, tu as vaincu, toi, le plus valeureux des hommes, un homme valeureux ! », citation probablement apocryphe69. La scène est ainsi présentée comme un rituel d’oblation, assez bien attesté chez les peuples celtiques et germaniques70.
L'historiographie française nationaliste du XIXe siècle, avec à sa tête Henri Martin, s'est appuyée sur la version brodée de Plutarque4 pour faire de ce rituel classique de reddition le sacrifice d'un jeune chef gaulois héroïque au destin tragique tout en écornant l’image du vainqueur César, rancunier et impitoyable : le chef gaulois sortant d'Alésia sur son cheval blanc, traversant les lignes romaines et le camp romain avec ses cohortes de légionnaires alignées, se présentant devant César et jetant avec dédain (ultime défi) ses armes au pied du vainqueur, est devenue une image d'Épinal71.
Christian Goudineau est fortement opposé à ce scénario qu'il juge irréaliste. En mettant en parallèle, le récit de la reddition d'Alésia et celui de la reddition des Atuatuques en , il émet l'hypothèse que Vercingétorix est livré désarmé après un échange diplomatique — mentionné par César. Alors que celui-ci quitte l’oppidum, ses troupes jettent leurs armes par-dessus le rempart, afin que Jules César puisse constater, de visu, la réalité de leur désarmement2. Jean-Louis Brunaux considère qu'il n'est probablement pas arrivé seul, mais enchaîné, encadré par des centurions72.
Cette défaite est due aussi bien à la supériorité logistique de son ennemi qu'au manque d'entente entre les peuples et divers chefs gaulois, peu habitués à se battre ensemble, et aux retards pris par la mobilisation des troupes de secours.
Ce qu'il reste de l'alliance gauloise est d'abord emmené par le chef de l'armée de secours, Lucterios, et résiste jusqu'à la prise d'Uxellodunum en , où elle connaît un terrible châtiment : les mains qui se sont dressées contre Rome sont amputées.
La mort de Vercingétorix
Jules César exhibe Vercingétorix comme trophée, symbole de sa longue campagne militaire en Gaule, en vue de son triomphe à Rome, cette mode d'exposer à la foule les captifs illustres datant du général Paul Émile73. Il est maintenu prisonnier vraisemblablement dans les geôles du Tullianum, jusqu'au triomphe de Jules César, entre août et septembre -4666,68. Il faut cependant considérer cette version avec prudence, Rome n'avait pas pour habitude de maltraiter les chefs vaincus, il était en effet important de les présenter riches et en bonne santé afin que le triomphe de l'armée romaine n'en soit que plus grand74,75[source insuffisante].
Lors du défilé d'un triomphe romain, les chefs vaincus par le général célébré défilaient à la suite des membres du Sénat et il était d'usage de les exécuter à l'issue de ce triomphe. Vercingétorix est donc exhibé à cette occasion, traîné enchaîné derrière le char de César76. Aucun historien contemporain de César n'ayant mentionné l'exécution de l'Arverne, on a peut-être douté dès l'Antiquité de sa mise à mort et pensé que Vercingétorix a bénéficié, comme son prédécesseur le roi des Arvernes Bituitos, d'un régime de liberté. Il aurait vécu ses dernières années dans une villa et non pas un cachot, pour finir exécuté sous la pression du Sénat contre la volonté de Jules César. En effet, il est important de rappeler la culture et la clairvoyance dont faisaient preuve ces deux hommes qui s'admiraient mutuellement, d’où leur probable amitié74,75[source insuffisante]. Jean-Louis Brunaux considère que la nécessité politique a pris le pas sur toute autre considération : César aurait fait de son ennemi emblématique une victime expiatoire en laissant les geôliers de Vercingétorix l'étrangler dans sa prison, peut-être dans les heures qui ont suivi le triomphe (ce qui aurait représenté un geste généreux lui évitant la multitude de tortures cruelles que subissaient les prisonniers de condition inférieure). Par cette mort discrète, il aurait effacé le destin héroïque du chef arverne77. La version classique telle qu'enseignée jadis dans les manuels scolaires reprend quant à elle la théorie d'une lente agonie ou d'une mort de faim dans un cul de basse-fosse, son corps étant par la suite exposé publiquement dans l'escalier des Gémonies avant d’être jeté dans le Tibre78.
La table en pierre exposée dans le Tullianum (prison Mamertine) de Rome donne une liste de détenus qui y ont été emprisonnés et ont été exécutés. Vercingétorix y est dit « decapitato (décapité) ».
Portrait de Vercingétorix
Aucune sculpture antique représentant Vercingétorix n'ayant jamais été retrouvée, les peintres, illustrateurs et sculpteurs du XIXe siècle, comme Bartholdi, ont dû imaginer le chef gaulois. Pour ce faire, ils se sont inspirés des descriptions littéraires de Jules César et des auteurs anciens79, dépeignant les Gaulois comme grands, chevelus et moustachus alors que les monnaies gauloises les représentent plutôt imberbes, avec des cheveux courts et bouclés.
Les seuls objets connus qui pourraient représenter Vercingétorix de son vivant sont les monnaies. Depuis les travaux de Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu qui révolutionnèrent la numismatique gauloise dans les années 1950 et 196080, on a recensé 25 statères d'or au nom de Vercingétorix et deux de bronze81. Ces monnaies sont intéressantes car elles arborent un portrait souligné du nom Vercingetorixs avec une tête imberbe et des cheveux courts bouclés82, aux antipodes du guerrier moustachu et casqué de l'imagerie scolaire traditionnelle.
Faut-il pour autant en conclure que le profil — sans particularité — figurant sur ces statères représente Vercingétorix ? Certains spécialistes répondent par la négative et penchent plutôt pour une représentation de type hellénistique83, d'une divinité qui pourrait être Apollon84. Brigitte Fischer, suivant en cela Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu, ne voit sur ces monnaies que des représentations d'Apollon imitant en cela le statère de Philippe II de Macédoine85,86. Pour Jean-Louis Brunaux en revanche, ces statères constituent bien la seule représentation physique de Vercingétorix : selon lui si le portrait d'Apollon figurant sur les statères de Philippe II de Macédoine est bien utilisé comme modèle par les graveurs monétaires gaulois du IIIe siècle av. J.-C., ce n'est plus le cas pour ceux du Ier siècle av. J.-C. et le fait que sur les statères de Vercingétorix la légende figure sous le portrait — contrairement aux statères de Philippe II de Macédoine — indique qu'il s'agit bien du portrait du chef gaulois87.
Paradoxalement, le vrai visage de Vercingétorix pourrait apparaître non pas sur un denier gaulois mais sur un denier romain frappé en par L. Hostilius Saserna88,89. Il montre le portrait d'un chef90 gaulois au visage las et émacié, les cheveux coiffés en longues mèches, portant moustache et barbiche, avec un bouclier gaulois muni d'une spina derrière la tête. L'autre face montre un aurige conduisant un bige sur lequel se trouve un guerrier gaulois nu brandissant une lance et tenant un bouclier. Faisant remarquer que ce denier a été frappé par un proche de Jules César à une époque où Vercingétorix était en captivité à Rome, certains numismates retiennent qu'il pourrait s'agir du portrait de Vercingétorix lui-même91. En effet, au moment de la réalisation de cette monnaie, Vercingétorix était le Gaulois le plus célèbre présent à Rome et ne pouvait être que le modèle par excellence pour les graveurs. D'autres estiment que le portrait représente un personnage plus âgé que ne l'était Vercingétorix à l'époque (environ 32 ans) et songent à une allégorie de la victoire romaine sur les Gaulois92.
Les Romains s'enorgueillissaient de montrer sur leurs monnaies des trophées représentant des peuples vaincus (guerriers entravés) ou leurs prestigieux symboles (armes, carnyx)93 mais la représentation monétaire du visage du chef ennemi reste exceptionnelle. La pièce de L. Hostilius Saserna pourrait s'expliquer par la volonté de présenter un personnage hors du commun, Vercingétorix, le fédérateur des Gaulois. Son portrait émacié serait le reflet de quatre années de captivité éprouvante, ou traduirait la volonté de marquer l'aspect affaibli et désespéré d'un prestigieux ennemi.
L'archéologue Jean-Louis Brunaux rappelle en tout cas que le portrait de Vercingétorix ne peut s'accorder avec la vision traditionnelle des Gaulois en braies, le torse nu sous leur manteau et affichant une forte pilosité (chevelure hirsute, parfois retenue en chignon, longues moustaches tombantes). Les aristocrates arvernes avaient en effet abandonné depuis longtemps cette tenue pour adopter la mode venue de Marseille ou de Rome, celle d'arborer un visage glabre et des cheveux courts, et de porter la toge romaine94.
Vercingétorix dans l'histoire française
Jusqu'au XIXe siècle, les historiens français orientent leurs travaux sur les origines des Francs (par exemple les origines troyennes des dynasties royales) et sur les premiers rois mérovingiens. Néanmoins, plusieurs historiens se sont attachés à mettre en lumière les origines gauloises et ont traité de Vercingétorix, soit d'un point de vue purement historique, soit au point de vue des idées politiques : par exemple Scipion Dupleix (1569-1661), dans ses Mémoires des Gaules parus en 1619 (pages 373 à 388).
Dès 1581, l'auteur (sous pseudonyme) du traité De la puissance légitime du prince sur le peuple et du peuple sur le prince, prend l'exemple de Vercingétorix à l'appui de la thèse principale de son ouvrage : « Ambiorix, roy des Eburons ou Liegeons, confesse que lors les Royaumes de la Gaule estoyent tels, que le peuple légitimement assemblé n'avoit pas moins de puissance sur le Roy que le Roy sur le peuple. Ce qui apparaît aussi en Vercingétorix, lequel rend raison de son fait devant l'assemblée du peuple » (page 120).
En 1629, Jean Bodin parle de Vercingétorix dans les Six livres de la République.
Au XIXe siècle, la figure de Vercingétorix est « redécouverte », ainsi que l'importance des Gaulois pour l'histoire de France. Cette redécouverte est l'œuvre d'Amédée Thierry qui publie en 1828, l’Histoire des Gaulois depuis les temps les plus reculés et dans laquelle Vercingétorix est présenté comme le défenseur de « l'indépendance de la Gaule »96. Bien que suivant au plus près le texte de César, il en donne une version vivante et romantique qui fait de son ouvrage un immense succès populaire. Sous le Second Empire, le duc d'Aumale publie en 1858 dans la Revue des Deux Mondes97 une étude dans laquelle il reconsidère l'historiographie royaliste présentant la France réalisée à travers les Mérovingiens (avec comme premier roi Clovis), les Carolingiens et les Capétiens, et proclame que Vercingétorix est « le premier des Français »98. Henri Martin dans son Histoire de France populaire (1867 à 1875) célèbre sous une veine « nationale » les Gaulois, grands blonds aux yeux bleus, et leurs chefs, dont Vercingétorix. Un autre historien, Rémi Mallet écrit : « Henri Martin parvient à doter la France et les Français d'ancêtres réels et sympathiques […]. Il réussit à vulgariser et à faire admettre définitivement l'existence de Vercingétorix99. »
Une heureuse défaite selon Napoléon III
Napoléon III écrit dans son Histoire de Jules César (1865–1866) - ouvrage où il entendait justifier l'exercice du pouvoir autoritaire, et montrer que « le césarisme fait le bonheur des peuples100» : « Tout en honorant la mémoire de Vercingétorix, il ne nous est pas permis de déplorer sa défaite. Admirons l'amour sincère de ce chef gaulois pour l'indépendance de son pays. Mais n'oublions pas que c'est au triomphe des armées romaines qu'est due notre civilisation : institutions, mœurs, langue, tout nous vient de la conquête. Aussi sommes-nous bien plus des fils des vainqueurs que ceux des vaincus101 ». Napoléon III tient par ailleurs en Algérie en 1865 un discours dans lequel il dit aux Algériens que vaincus, ils sont promis à ressusciter, comme les Gaulois, dans un ordre nouveau, une civilisation nouvelle ; comme celle de Vercingétorix, leur défaite ouvre sur une victoire102.
Cependant, au cours de ses recherches sur Jules César, qu'il regarde comme porteur de civilisation dans des terres « barbares », Napoléon III est amené à s'intéresser à la Gaule. Il contribue à la redécouverte et à la mise en valeur de l'histoire des peuples gaulois.
En 1866, l'empereur fait ériger une statue de sept mètres de haut de Vercingétorix, par Aimé Millet, sur le site présumé du siège d'Alésia qu'il avait fait fouiller par le colonel Stoffel à Alise-Sainte-Reine, à 60 km au nord-ouest de Dijon, en Bourgogne103. Sur le socle, dessiné par l'architecte Eugène Viollet-le-Duc, on peut lire :
- « La Gaule unie
- Formant une seule nation
- Animée d'un même esprit,
- Peut défier l'Univers104. »
En pleine époque des nationalismes européens, la figure de Vercingétorix va ainsi jouer un rôle essentiel dans la construction des stéréotypes nationaux de la France, à l'instar d'Hermann le Germain en Allemagne105.
Le héros gaulois de la IIIe République
C'est la Troisième République, surtout, qui instrumentalise Vercingétorix en insistant sur son rôle héroïque de résistant à l'envahisseur et symbole de ce qui fait l'essence française. Cette propagande est destinée à exalter le patriotisme des Français en exacerbant le sentiment de revanche après la défaite de 1870 contre l'Allemagne fraîchement unifiée derrière la Prusse. L'image du patriote gaulois qui se lève contre l'envahisseur est magnifiée par les manuels scolaires, dont le Lavisse : « La Gaule fut conquise par les Romains, malgré la vaillante défense du Gaulois Vercingétorix qui est le premier héros de notre histoire »106. Cette vision de l'histoire est reprise par le célèbre Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, paru en 1877, imprimé à 7 millions d'exemplaires dans les trente années suivantes, et qui dans un chapitre faisait dialoguer le jeune Alsacien avec un écolier d'Auvergne :
« Laquelle voudriez-vous avoir en vous, de l'âme héroïque du jeune Gaulois, défenseur de vos ancêtres, ou de l'âme ambitieuse et insensible du conquérant romain ?
- Oh ! s'écria Julien tout ému de sa lecture, je n'hésiterais pas, j'aimerais encore mieux souffrir tout ce qu'a souffert Vercingétorix que d'être cruel comme César. »Ce n'est qu'avec Camille Jullian qui publie, en 1901, son ouvrage Vercingétorix107 que se constitue enfin l'image moderne de Vercingétorix. Camille Jullian écrit : « Les historiens de tous les pays et de toutes les tendances, ceux qui n'ont eu que dédain pour la faiblesse des Gaulois, ceux à qui le mirage des idées fait oublier la vie des hommes, et qui se refusent à chercher des héros, Allemands acharnés à flageller la France sous le nom de Gaule, Français qui redoutent de céder à leur patriotisme, tous se sont inclinés de respect devant le sacrifice de Vercingétorix. Et s'il a échoué dans sa tâche, ce fut surtout la faute d'autres hommes. […] Entre lui et César, je n'hésite pas, il était le véritable héros, l'homme digne de commander à des hommes, et de plaire aux dieux. Mais les dieux de ce temps, comme dira le poète, n'aimaient pas les nations vaincues108 ». Comme l'a dit Albert Grenier, successeur de Camille Jullian au Collège de France : « Cherchant Vercingétorix, Jullian a trouvé la Gaule ». Elle a depuis été constamment précisée, même si l'on a vu que les éléments précis sur sa vie reposent encore essentiellement sur la lecture critique du texte éminemment politique de César.
Aujourd'hui, loin des circonstances historiques qui ont motivé sa promotion en héros national, la figure de Vercingétorix reste un des puissants symboles de l'identité nationale française en s’inspirant de la tradition historiographique antérieure fossilisée dans les mémoires. Sans doute plus que le reste, l’incertitude qui règne sur la connaissance de nos origines entretient la part de mythe qu’elle recèle109.
Représentations et utilisation du personnage
Avec la disparition des Gaulois et de Vercingétorix de l'histoire pendant plus de dix-huit siècles, il n'y a pas de représentations de celui-ci dans la statuaire ou la peinture avant le XIXe siècle. Il faut attendre 1865 pour voir se réaliser les statues officielles monumentales de Vercingétorix à Alise-Sainte-Reine (par Millet, 1865) et Clermont-Ferrand (par Frédéric Auguste Bartholdi, 1903). Au XXe siècle, Vercingétorix et Jules César ont été représentés à égalité de stature par deux des trois statues d'honneur de l'étrange palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, dans la Drôme.
De très nombreuses représentations de Vercingétorix, images d'Épinal, tableaux, ont été réalisées au cours du XIXe siècle : Bertin, salon de 1867, Chatrousse, salon de 1877, Mouly, salon de 1886, Segoffin, salon de 1911.
Figure radicale du Puy-de-Dôme, Étienne Clémentel lui consacre, avec le librettiste Joseph-Henri Louwyck et le compositeur Joseph Canteloube, une épopée lyrique en quatre actes, dont la première a lieu à l'opéra Garnier le .
-
François-Émile Ehrmann, Vercingétorix appelant les Gaulois à la défense d'Alésia, vers 1869.
-
Henri-Paul Motte, Vercingétorix se rend à César, 1886.
Astronomie
- (52963) Vercingetorix, astéroïde
Bande dessinée
Durant la seconde partie du XXe siècle, le héros populaire figure à de nombreuses reprises dans la bande dessinée :
- De nombreux volumes d’Astérix, la série crée par René Goscinny et Albert Uderzo, y font référence. Au surplus, plusieurs albums reprennent la scène de la reddition du roi arverne après la bataille d'Alésia. Dans la scène d'ouverture d’Astérix le Gaulois, premier tome pré-publié en 1959 et paru en album en 1961, Vercingétorix est représenté jetant ses armes non pas « aux pieds » mais sur les pieds de Jules César, véritable « parodie graphique » du tableau de Lionel Royer56. D'une « nouveauté révoltante et subversive110 », cette « scène-clé » est reprise quasiment à l'identique dans Le Bouclier arverne, onzième tome publié en 1968 : le général romain hurle l'onomatopée « Ouap ! » puis sautille en tenant ses membres endoloris tandis que le chef gaulois se drape dans sa dignité en demeurant debout, le visage impassible et les bras croisés. Le ridicule cible derechef César mais épargne Vercingétorix, dont le bouclier — symbole de l'arme défensive, donc du bien-fondé de la résistance gauloise — constitue le MacGuffin de l'aventure111. De telles représentations n'égratignent pas le mythe national « revivifié par la Résistance encore récente lors de l'Occupation. »
Cependant, Vercingétorix apparaît de manière bien différente dans Le Domaine des dieux, dix-septième tome publié en 1971. Une case de l'album dépeint l'attitude soumise du roi arverne, agenouillé, tête baissée et saluant son vainqueur à la romaine, conformément au point de vue de César qui retrace la scène devant ses conseillers. En l'occurrence, le dictateur parle de lui à la troisième personne du singulier, allusion au style employé dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules.
Le romaniste Pierre Marlet en conclut que la série Astérix « ne détruit pas le mythe de Vercingétorix en tant que tel [mais elle] prend pourtant ses distances vis-à-vis de l'hagiographie traditionnelle en métamorphosant en bouffon le cruel vainqueur112. »
Le chef arverne ne sera par la suite plus mentionné dans les albums de la série jusqu'en 2019, année de parution du trente-huitième album, intitulé La Fille de Vercingétorix. Cet album qui paraît l'année des soixante ans de la série est le quatrième réalisé par le duo Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, qui ont repris la série à la suite d'Uderzo en 2013, et le premier à porter le nom de Vercingétorix dans son titre. Dans cet album, le village d'Astérix accueille une jeune fille, nommée Adrénaline et escortée par deux guerriers arvernes, présentée comme la fille du grand chef gaulois, vaincu autrefois à Alésia113. - La série de bande dessinée Alix écrite et dessinée par Jacques Martin où le personnage apparaît à deux reprises, la première fois dans Le Sphinx d'or, le tome 2 paru en 1956 où on assiste à la bataille d'Alésia au début de l'album qui se conclut par la reddition de Vercingétorix et son emprisonnement ; il apparaît alors portant les cheveux longs noirs et la moustache, conformément aux représentations du personnage dans l'art, et des Gaulois en général à cette époque. Et la deuxième fois dans l'album éponyme, Vercingétorix, le tome 18 paru en 1985 qui est centré sur le rôle de Vercingétorix dans la lutte entre Pompée et César et nous raconte des événements fictifs sur sa possible destinée suivant son emprisonnement après la défaite d'Alésia. Son apparence physique diffère cette fois beaucoup de sa première apparition, il apparaît le visage rasé avec les cheveux roux, bouclés et beaucoup plus courts ; ce changement s'explique par une plus grande conformité avec l'imagerie désormais connue de la noblesse gauloise à la suite des découvertes archéologiques, ainsi que par la toilette qu'il a subie depuis son incarcération à Rome après la bataille d'Alésia.
- Le premier album de l’Histoire de France en bandes dessinées des éditions Larousse s'intitule De Vercingétorix aux Vikings et la première partie est une transposition de la guerre des Gaules intitulée Vercingétorix - César (1er album paru le ).
- Le tome 11 de la série Vae victis !, Celtill le Vercingétorix, paru en 2001, lui est spécialement dédié. La suite de la série décrit quelques épisodes de la guerre des Gaules, du siège d'Avaricum à celui d'Alésia. Dans cette série, le nom « Vercingétorix » est considéré comme un titre et non comme un nom propre, le personnage s'appelant Celtill. Le personnage apparaît également dans les autres épisodes de la série ou l'on voit sa vie avant qu'il ne devienne roi des Arvernes.
- Les tomes 2 et 3 de L'Extraordinaire Aventure d'Alcibiade Didascaux, aux éditions Athéna, narrent les migrations celtiques, la guerre des Gaules et la romanisation.
- L'album Alésia de Silvio Luccisano, Jean-Louis Rodriguez, Christophe Ansar, Jean-Marie Michaud, Laurent Libessart, Eriamel et Ludovic Gobbo, publié en septembre 2011 par AssoR Hist & BD et MuséoParc Alésia, relate en détail le siège et la bataille d'Alésia.
- Vercingétorix, allié de Jules César au début de la guerre, apparaît dans le premier tome de La guerre des Gaules de Tarek et Vincent Pompetti, publié chez Tartamudo en 2012.
- L'album Vercingétorix d’Éric Adam, Didier Convard, Stéphane Bourdin et Fred Vignaux, de la collection « ils ont fait l'histoire » aux éditions Glénat, lui est consacré. Il relate les évènements de la guerre des Gaules.
- Les sièges d'Avaricum et de Gergovie sont racontés dans l'album Gergovie de Silvio Luccisano, Jean-Louis Rodriguez et Christophe Ansar.
Cinéma et télévision
- 1909 : Vercingétorix court-métrage muet produit par Charles Pathé sorti à Paris le avec des scènes coloriées114.
- 1914 : Jules César, film muet en noir et blanc italien d'Enrico Guazzoni, avec Bruto Castellani dans le rôle de Vercingétorix.
- 1962 : Jules César, conquérant de la Gaule d'Amerigo Anton avec Rick Battaglia dans le rôle de Vercingétorix.
- 2001 : Vercingétorix : La Légende du druide roi de Jacques Dorfmann avec Christophe Lambert dans le rôle de Vercingétorix.
- 2002 : Jules César de Uli Edel avec Heino Ferch dans le rôle de Vercingétorix.
- 2005 : Rome : dans cette série télévisée américaine produite par HBO, Vercingétorix joué par Giovanni Calcagno apparaît dans deux épisodes de la saison 1 : l'épisode 1, Le Vol de l'aigle et l'épisode 10, Le Triomphe de César.
- 2007 : Vercingétorix : Le roi des guerriers, le héros national, le dernier Gaulois…, film documentaire en 3 épisodes de Jérôme Prieur115, édition Arte DVD
- 2011 : Alésia, le rêve d'un roi nu, docufiction de Gilles Boustani et Christian Boustani avec Yann Trégouët dans le rôle de Vercingétorix. Ce film est projeté dans le cadre de l'exposition permanente du MuséoParc Alésia sur le site d'Alésia116.
- 2015 : Le dernier Gaulois, docufiction animé réalisé en capture de mouvement de Samuel Tilman avec Romain Ogerau dans le rôle de Vercingétorix117.
Littérature
- Georges Bordonove, Vercingétorix : avec lui commence véritablement l'histoire de la France, Paris, Éditions Pygmalion/G. Watelet, , 227 p. (ISBN 978-2-857-04514-4, OCLC 634382877)
- Roger Caratini, Les grandes impostures de l'histoire de France, t. 1 : De Vercingétorix à Napoléon, Neuilly-sur-Seine, Lafon, , 298 p. (ISBN 978-2-749-90181-7, OCLC 470499105)
- Jean Markale, Vercingétorix, Hachette, 1982, (ISBN 2-01-008692-9)
- Jean-Michel Thibaux, Vercingétorix, Plon, 1990, (ISBN 9782259027236)
- Jean Séverin, Vercingétorix, Robert Laffont, 1992, (ISBN 9782221038215)
- Georges Bordonove, Vercingétorix, Pocket, 2000, (ISBN 9782266105897)
- François Migeat, Et ton nom sera Vercingétorix, Robert Laffont, 2006, (ISBN 9782221103746)
- Camille Jullian, Vercingétorix, Tallandier, 2012, (ISBN 9782847349771)
- Danielle Porte, Vercingétorix : celui qui fit trembler César, Ellipses, 2013, (ISBN 9782729876531)
- Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, Gallimard, 2018, (ISBN 9782070178926).
Jeux vidéo
- 1998 : Vercingétorix apparaît dans Age of Empires: The Rise of Rome développé par Ensemble Studios et édité par Microsoft.
- 2003 : Vercingétorix apparaît dans Praetorians développé par Pyro Studios et édité par Eidos Interactive.
- 2013 : Vercingétorix apparaît dans Total War: Rome II développé par The Creative Assembly et édité par Sega.
Ces trois jeux vidéo sont des jeux de stratégie temps réel conçus pour être joués sur ordinateur personnel. Dans ces trois jeux qui se déroulent pendant l'Antiquité romaine, Vercingétorix apparaît comme chef des Gaulois et ennemi dans la campagne romaine qui retrace la guerre des Gaules du point de vue de César.
Numismatique
- Vercingétorix figure sur une pièce de 10 € en argent éditée en 2012 par la Monnaie de Paris pour représenter sa région natale, l'Auvergne.
- Vercingétorix figure sur une médaille souvenir éditée en 2012 par le MuséoParc Alésia et pouvant être acquise sur place, le haut de son corps est représenté dans la posture de sa statue d'Alise-Sainte-Reine sculptée par Aimé Millet et érigée en 1866.
Référencement
Notes
- Aucune source ne donne la date précise de la naissance de Vercingétorix. La date de -80 est une approximation issue d'une déduction du texte de César qui l'appelle adulescens, ce qui signifie qu’il a un peu moins de 30 ans (âge auquel on devient réellement adulte à Rome et où on peut briguer les premières magistratures du cursus honorum).
- Auvergne et pays arverne sont synonymes. Auvergne est l'évolution du toponyme Arvernia. Tous ces noms sont synonymes et désignent la terre des Arvernes/Auvergnats. Arvernia désigne l'Auvergne en latin. Alvernia est toujours le nom italien, sicilien, piémontais et catalan pour l'Auvergne. Alvergna en vénitien. Auvernia en espagnol, portugais, basque, galicien, albanais, asturien, aragonais ou encore ladin. Aovergn en breton et en normand. Owernia en polonais.
Références
- Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, Réédition du texte par les éditions Folio, 2013. Réédition de la traduction de L.-A. Constans, 1950 éditions Les Belles Lettres., de -57 à -43 av. j.-c. (ISBN 978-2-07-037315-4), « On le chasse de la ville forte [Gobannitio et pari pro-romain arverne] de Gergovie. […] Il rassemble de grandes forces et chasse ses adversaires qui, peu de jours auparavant, l'avaient chassé lui-même. Ses partisans le proclame roi. Il envoie des ambassades à tous les peuples […]. ».
- Christian Goudineau, Le dossier Vercingétorix, Actes Sud, coll. « Babel » (no 985), , 466 p. (ISBN 978-2-7427-8556-8, 2760929493 et 9782742785568).
- Géographie, IV, 2, 3.
- Vie de César, XXV-XXVII.
- Épitomé de Tite Live, I, 45.
- Histoire romaine, XL, 41.
- « Gergovie, cité arverne située sur un mont élevé et ville natale de Vercingétorix » Géographie, IV, 2, 3, traduction française F. Lasserre, CUF, Paris, 1966, p. 148-149.
- IV, 3, 1 : « Les Arvernes sont fixés au bord de la Loire. Leur capitale est Nemossus, qui est située sur le fleuve. » (tr. fr. F. Lasserre, CUF, Paris, 1966, p. 148.
- L'adulescentia est l'âge antérieur à l'exercice des magistratures : trente ans est l'âge auquel on devient réellement adulte à Rome, et où on peut briguer les premières magistratures du cursus honorum.
- Goudineau, p. 278.
- Joseph Hellegouarc’h, Vocabulaire latin des relations et des partis politiques à Rome à la fin de l’époque républicaine, Les Belles Lettres, , p. 560-561.
- Vincent Guichard, « Les Arvernes », in Le dossier Vercingétorix, p. 249.
- C. Goudineau, p. 277.
- On peut remarquer que cette pièce semble issue du même coin d'avers que celle affichée en tête d'article
- D. et Y. Roman, Histoire de la Gaule, Fayard, Paris, 1997, p. 65 et n. 165 p. 651.
- Florus, Histoire romaine, livre III, 11; tr. fr. J. Pierrot (1826).
- Suzanne Citron, L'Histoire de France autrement, Éditions de l'Atelier, 1995, p. 14 : il est tout à fait possible que Vercingétorix, plutôt qu'un nom propre, soit un titre signifiant « roi très puissant » ou « super-roi guerrier ».
- Ange de Saint-Priest, Encyclopédie du dix-neuvième siècle, vol. 25, Au Bureau de l'Encyclopédie du XIXe siècle, , 800 p. (lire en ligne [archive]), p. 122, note que, « selon les philologues modernes, le nom de Vercingétorix ne serait pas un nom d'homme, mais un titre qui désignait la haute autorité du généralissime ».
- Le catalogue de l'exposition Vercingétorix et Alésia (1994) précise page 201, dans la deuxième édition de son histoire de France, publiée en 1869, Jules Michelet, parlait encore « du Vercingétorix des Arvernes ».
- Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise. Description linguistique, commentaire d'inscriptions choisies, de Éditions Errance, 2002, (ISBN 978-2877722247).
- Pierre-Yves Lambert, "La langue gauloise", Errance ; André Caussat et Jean-Marie Ricolfis, "Celtes et gaulois, la langue", éd. du CNDP.
- Xavier Delamarre, Les noms du compagnon en gaulois [archive], Studia Celtica Fennica, Vol 2 (2005): Essays in Honour of Anders Ahlqvist, publication en ligne décembre 2012.
- S. Lewuillon, V. Guichard et Chr. Goudineau s'expriment dans le documentaire de Jérôme Prieur, Vercingétorix, épisode 1, « Le roi des guerriers », DVD Arte Éditions, 2012.
- Pierre Cabannes, dans « De l'an 58 à l'an 50 avant J.-C. », dans Les grandes dates de l'Histoire de France, Seuil, 2005 ; Cette valeur est une estimation couramment évoquée (cf. manuel scolaire de 6e sur l'Antiquité, Bordas, 1970) mais nombre de spécialistes modernes évitent tout chiffrage en raison de leur grande incertitude.
- Karl Fezrdinand Werner, Les Origines, histoire de France, Fayard, 1984, 169-171.
- « La Gaule avant la conquête romaine », dans Histoire de la France, s.d. Georges Duby, éd. Larousse, 1970.
- K.F. Werner, p. 172.
- César, La Guerre des Gaules, VII, 4.
- Dion Cassius, livre XV de son Histoire Romaine mais César ne cite toutefois pas Vercingétorix dans les noms de ses contubernales.
- Yann Le Bohec, César, chef de guerre : César stratège et tacticien, Paris, Editions Tallandier, , 511 p. (ISBN 979-10-210-0449-8).
- Paul Marius Martin, Vercingétorix : Le politique, le stratège, Paris, Librairie Académique Perrin, , 263 p. (ISBN 978-2-262-03070-4).
- Vercingétorix les mettra en pratique en menant la tactique de la terre brûlée ou en établissant, lors des campagnes de guerre, des camps gaulois « à la romaine ».
- Vercingétorix [archive] Conférence de Christian Goudineau le .
- K.F. Werner, p. 171.
- Jean-Louis Brunaux, Les Gaulois, Les Belles Lettres, , p. 275.
- Jean-Louis Brunaux, Les Gaulois, Les Belles Lettres, , p. 65.
- Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, 1828, cité par C. Goudineau, p. 27.
- César, B.G., VII, III.
- César, B.G., VII, III, 3.
- C. Goudineau, p. 288.
- César, B.G., VII, I, 4.
- Regards sur la Gaule, Paris, 1998, p. 171.
- César, B.G., VII, IV, 1.
- Serge Lewuillon, Vercingétorix ou le mirage d'Alésia, Bruxelles/Paris, Editions Complexe, , 223 p. (ISBN 2-87027-712-1 et 9782870277126, présentation en ligne [archive]), p. 100.
- César, B.G., VII, IV, 4.
- R. Seager, « Caesar and Gaul : some perspective on the Bellum Gallicum », dans F. Cairns et E. Fantham (dir.), Caesar against Liberty. Perspectives on his Autocracy, Cambridge, 2003, p. 19-34 et surtout p. 29.
- Henri Soulhol, dans Le dossier Vercingétorix, p. 321 et Henri Soulhol, Vers Alésia, sur les traces de César et de Vercingétorix : interprétation stratégique et tactique de la Guerre des Gaules, Éd. des Écrivains, 2000.
- C. Goudineau, p. 291.
- César, De Bello Gallico, L. VII.
- Henri Soulhol, Le dossier Vercingétorix, p. 322.
- C. Goudineau, p. 297.
- C. Goudineau, p. 299.
- César, De Bello Gallico, L, VII, 53.
- C. Goudineau, p. 304.
- César, De Bello Gallico, VII, 63.
- Marc Blancher, « « Ça est un bon mot ! » ou l’humour (icono-)textuel à la Goscinny », dans Viviane Alary et Danielle Corrado (dir), Enjeux du jeu de mots : perspectives linguistiques et littéraires, Berlin, De Gruyter, coll. « The Dynamics of Wordplay » (no 2), , VI-315 p. (ISBN 978-3-11040-657-3), p. 279.
- Ce tableau présente de nombreuses invraisemblances (Vercingétorix fier et défiant César, arrivant armé) et anachronismes (gaulois ligoté avec un casque à crête alors que les guerriers portaient à cette époque un casque lisse, Vercingétorix sur un grand étalon).
- C. Goudineau, p. 306.
- 250 000 fantassins et 8 000 cavaliers selon César, 300 000 combattants selon Plutarque.
- C. Goudineau, p. 312.
- Jean-Louis Brunaux, Alésia : 27 septembre 52 av. J.-C., Paris, Gallimard, coll. « Les Journées qui ont fait la France », , 384 p. (ISBN 978-2-07-012357-5)
C'est la thèse développée par Jean-Louis Brunaux, reprenant les calculs de Jérôme Carcopino.
- Jérôme Carcopino (6° édition, augmentée), Jules César, Presses Universitaires de France, , 608 p., broché (ISBN 978-2-13-042817-6)
L'auteur y calcule notamment la date de la reddition de Vercingétorix (p. 332), en utilisant les tables de concordance des dates préjuliennes-juliennes de l’astronome Urbain Le Verrier que l’on peut trouver dans Histoire de Jules César de Napoléon III.
- César, Guerre des Gaules, VII, 89 : « César ordonne qu’on lui remette les armes, qu’on lui amène les chefs. Il installe son siège devant son camp : c’est là qu’on lui amène les chefs ; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds. Il distribue les prisonniers à l’armée entière à titre de butin, à raison d’un par tête ». Le récit succinct de César sur la reddition de Vercingétorix permet à l'historiographie française nationaliste de broder une scène à l'avantage du héros gaulois.
- André Wartelle, Alésia, Nouvelles Éditions Latines, , 333 p. (ISBN 978-2-7233-0413-9, présentation en ligne [archive]), p. 280.
- C. Goudineau, p. 327.
- Plutarque, Vie de César, XXX.
- Coutume celtique de faire un cercle magique autour de son ennemi.
- Dion Cassius, Histoire de Rome, XL, 41.
- Florus, Épitomé, I, 45-III.
- Paul M. Martin, « Vercingétorix devant César : quatre récits pour une reddition », L'Histoire, no 119, , p. 87.
- Jean-Paul Demoule, On a retrouvé l'histoire de France : Comment l'archéologie raconte notre passé, Robert Laffont, , 333 p. (ISBN 978-2-221-11157-4 et 2-221-11157-5, lire en ligne [archive]).
- Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, Gallimard, 2018, Vercingétorix, Gallimard, , p. 301.
- Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, Gallimard, 2018, Vercingétorix, Gallimard, , p. 309.
- Harmand 1984.
- Paul Marius Martin, Vercingétorix : le politique, le stratège, Paris, Perrin, , 263 p. (ISBN 978-2-262-03070-4 et 2262030707).
- Christian Goudineau, « Vercingétorix, loser magnifique », Le Point, (lire en ligne [archive], consulté le ).
- Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, Gallimard, 2018, Vercingétorix, Gallimard, , p. 311.
- Dion Cassius XLIII, 19, 4 signale sa mise à mort à l'occasion du triomphe. Les circonstances exactes ne sont pas précisées par analogie avec la mort de Simon, fils de Gioras, décrite par Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, VII, 154 que l'on déduit en général une mort par strangulation, voir Luciano Canfora, César, le dictateur démocrate, Paris, Flammarion, 2001, p. 383, n. 75.
- Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, Virgile, L'Énéide (VIII), Diodore de Sicile (Ier siècle) et Arrien (IIe siècle).
- Colbert de Beaulieu (J.-B.) et Lefevre (G.), « Les monnaies de Vercingétorix », Gallia, 21, 1963.
- Ces monnaies semblent toutes provenir du trésor de Pionsat. À partir de ces pièces, on a identifié 11 coins de droits et 10 de revers, ce qui fait qu'au moins 75 000 pièces d'or ont dû être frappées. Ces monnaies d'or sont légères et d'un aloi assez faible, environ 40 % d'or sur un poids total moyen de 7,30 g pour une norme de 8 g (B. Fischer). Les deux pièces de bronze, trouvées à Alésia, sont des monnaies d'urgence frappées au moment de la bataille. Catalogue Vercingétorix Alésia, RMN, 1994 (p. 206-207).
- Jean Babelon, Les Monnaies racontent l'histoire, Fayard, , p. 81.
- On retrouve des portraits très similaires sur des monnaies antiques de Massalia qui n'ont rien à voir avec Vercingétorix.
- Brigitte Fischer dans Le dossier Vercingétorix, p. 232 et J.-B. Colbert de Beaulieu et B. Fischer, « Recueil des inscriptions gauloises, IV. Les légendes monétaires », Gallia, 1998.
- On peut prendre opinion sur cette thèse en parcourant cette série de monnaies [archive] de Philippe II.
- C. Goudineau, Le Dossier Vercingétorix, p. 232. On a retrouvé ces statères jusqu'en Dordogne. Ils auraient été ramenés en Gaule par des mercenaires gaulois.
- Jean-Louis Brunaux, Les Gaulois : Vérités et légendes, p. 132-133.
- « L.Hostilivs Saserna », www.forumfw.com, ???? (lire en ligne [archive], consulté le ).
- Sear, Roman Coins, Vol. 1, Millenium Edition, no 419, p. 153.
- Il porte noblement une sorte de paludamentum avec fibule.
- « Les images des gaulois sur les monnaies romaines » [archive], sur www.sacra-moneta.com (consulté le ).
- Ernest Babelon, Vercingétorix, étude d'iconographie numismatique, Lulu, (ISBN 978-1-291-47296-7), p. 34.
- Celtes et monnaies [archive].
- Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, Editions Gallimard, , p. 257.
- (en) « Le gaule Litavicus » [archive], sur Metropolitan Museum (consulté le )
- Sylvie Caucanas, Rémy Cazals et Pascal Payen, Retrouver, imaginer, utiliser l'Antiquité, Privat, , 271 p. (ISBN 978-2-7089-0520-7), p. 55.
- duc d'Aumale, « Alesia, Études sur la septième campagne de César dans les Gaules », Revue des Deux Mondes, t. 15, , p. 64-146 (lire en ligne [archive]).
- André Simon, Vercingétorix et l'idéologie française, Imago, , p. 30
- Cité par Suzanne Citron dans L'Histoire de France autrement, p. 15.
- Christian Goudineau dans le documentaire de Jérôme Prieur, Vercingétorix, épisode 2 (« Le héros national »), DVD Arte Éditions, 2012.
- Napoléon III, Histoire de Jules César (1865-1866), cité dans le documentaire de Jérôme Prieur, Vercingétorix, épisode 2 (« Le héros national »), DVD Arte Éditions, 2012.
- Serge Lewuillon, dans le documentaire de Jérôme Prieur, Vercingétorix, épisode 2 (« Le héros national »), DVD Arte Éditions, 2012.
- Idéal Productions, « Statue de Vercingétorix, oppidum d'Alésia, visite centre d'interprétation et statue Vercingétorix » [archive], sur www.alesia.com (consulté le ).
- Vercingétorix aux Gaulois assemblés (César, Guerre des Gaules, livre VII, 29).
- Alfred Grosser, La France semblable et différente, Paris, Alvik, , 251 p. (ISBN 978-2-914833-25-7), p. 13.
- Histoire de France, cours moyen, Ernest Lavisse, 1884.
- Jullian, Camille, Vercingétorix, Paris, Hachette, , 406 p. (lire en ligne [archive]).
- Histoire de la Gaule, t. 3, 1908-1920, cité dans le documentaire Vercingétorix de Jérôme Prieur, épisode 2, « Le héros national », Arte Éditions, 2012.
- « Bruno Tranchant, Vercingétorix ou l’archétype du héros national »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • http://hebdo.parti-socialiste.fr/2007/11/07/1002/" rel="nofollow" class="external text">Google • Que faire ?).
- André Stoll (trad. de l'allemand par André Stoll et Alain Morot), Astérix, l'épopée burlesque de la France [« Asterix, das Trivialepos Frankreichs »], Bruxelles / Paris, Complexe / Presses universitaires de France, , 175 p. (ISBN 2-87027-019-4), p. 33.
- Pierre Marlet, « Le sceptre de Tintin et le bouclier d'Astérix confrontés à leur mythe national », dans Viviane Alary et Danielle Corrado (dir), Mythe et bande dessinée, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », , 534 p. (ISBN 978-2-84516-332-4), p. 111 ; 116-117.
- Pierre Marlet, « Le sceptre de Tintin et le bouclier d'Astérix confrontés à leur mythe national », dans Viviane Alary et Danielle Corrado (dir), Mythe et bande dessinée, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », , 534 p. (ISBN 978-2-84516-332-4), p. 117-118.
- Cf. Astérix : Le 38e et prochain album s'appellera "La fille de Vercingétorix", sur 20 minutes.fr [1] [archive]
- Catalogue des films français de fiction de 1908 à 1918 de Raymond Chirat, Éric Le Roy, Cinémathèque française, musée du cinéma, 1995.
- Vercingétorix. Le roi des guerriers, le héros national, le dernier Gaulois… [archive].
- « Alésia, le rêve d'un roi nu » [archive], sur AlloCiné (consulté le ).
- « Le dernier Gaulois : tout sur l'émission, news et vidéos en replay » [archive], sur France2 (consulté le ).
Bibliographie
Textes anciens
- Jules César (trad. Théophile Baudement), La Guerre des Gaules, Paris, Firmin Didot, (lire sur Wikisource)
- Dion Cassius (trad. Étienne Gros), Histoire romaine, Paris, Firmin Didot, 1845-1870 (lire sur Wikisource)
- Plutarque (trad. Alexis Pierron), Vies des hommes illustres, t. 3, Paris, Charpentier, (lire sur Wikisource), p. 538-615
Histoire et documents
- Alain Deyber, Paul. M. Martin (préface), Vercingétorix, chef de guerre, Lemme éditions, 2018, 259 p. avec glossaire du vocabulaire militaire de la guerre des Gaules.
- Christian Amalvi, De l'art et la manière d’accommoder les héros de l'histoire de France : essai de mythologie nationale, Paris, Albin Michel, , 473 p. (ISBN 978-2-226-03511-0, OCLC 931402068)
- Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, Gallimard, 2018
- Jean-Louis Brunaux, Les Gaulois : Vérités et légendes, Perrin, , 256 p. (ISBN 978-2-262-07231-5 et 2-262-07231-0). .
- Suzanne Citron, Le Mythe national. L’histoire de France en question, Paris, Les Editions ouvrières-EDI, 1991
- Alain Duval et al., Vercingétorix et Alésia, RMN, 1994 (ISBN 9782711827893)
- Paul Eychart, La Bataille de Gergovie. Printemps 52 av. J.-C. : les faits archéologiques, les sites, le faux historique, Créer, coll. « Histoire », 2001 (ISBN 2902894422)
- (de) Rudolf Fellmann, Christian Goudineau, Vincent Guichard, Michel Redde, Henry Soulhoul, Caesar und Vercingetorix, Éditions Philipp von Zabern, 2000 (ISBN 9783805326292)
- Matthieu Maxime Gorce, Vercingétorix, chef des Gaulois, Payot, 1935
- Matthieu Maxime Gorce, Vercingétorix devant Gergovie, Le Minaret, 1942
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- Bertrand Solet, Vercingétorix, Pocket Junior, 2000 (ISBN 9782266102902)
- Alain Surget & Fabrice Parme, Les Enfants du Nil, Tome 6 : Le secret de Vercingétorix, Castor Poche, 2005 (ISBN 9782081630635)
- auteur inc., Vercingétorix, Hachette Histoire Juniors, 1979 (ISBN 9782010056161)
Histoire de l'art
- Marie-Thérèse Moisset, « L'iconographie de Vercingétorix à travers les manuels d'Histoire », Bulletin du Musée des Antiquités Nationales (titre exact de la publication à trouver), 1976, no 8
- Antoinette Ehrard, « Vercingétorix dans les Beaux-arts », Bulletin du Musée des Antiquités Nationales (titre exact de la publication à trouver), 1994
- Hélène Jagot, « Le Vercingétorix d'Aimé Millet (1865), image équivoque du premier héros national français » Histoire de l'art, no 57, 2005
Bandes dessinées
- Alain de Bussac et Véronique Bene, Vercingétorix, L'Instant durable, 1982 (ISBN 9782864040040)
- Claude Carré et Jean-Marie Michaud, Vercingétorix, la B.D. du film, Casterman, 2001 (ISBN 9782203356405)
- Clapat et Cornélius Crane, Alcibiade Didascaux chez les Gaulois, tome 3 : De la révolte de Vercingétorix à la Gaule romaine, Athéna éd., 1999 (ISBN 9782913314016)
- Victor de La Fuente et Raphaël, Victor Mora et Pierre Castex, L'Histoire de France en bandes dessinées no 1 : Vercingétorix, César, Larousse, 10/1976
- Jacques Martin, Vercingétorix (série Alix), Casterman, 1985 (ISBN 9782203312180)
- Simon Rocca et Jean-Yves Mitton, Vae victis, t. 11, Celtil, le vercingétorix, 2001 (ISBN 9782845650435)
- Tarek et Vincent Pompetti, La Guerre des Gaules, tome 1, Tartamudo, 2012
Théâtre
- Modeste Anquetin, Le Dévouement de Vercingétorix et le dernier jour de la Gaule : tragédie gauloise en cinq actes, en vers, Paris : A. Pierret, 1898 (lire en ligne [archive])
- Charles Dormontal, Vercingétorix, drame théâtral en IV actes, Paladins de France, 1964
Filmographie
- Vercingétorix : La Légende du druide roi, film de Jacques Dorfmann avec Christophe Lambert, 2001
- Vercingétorix. Le roi des guerriers. Le héros national. Le dernier Gaulois, film documentaire en 3 épisodes de Jérôme Prieur, 2006
Annexes
Articles connexes
Liens externes
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Château de Versailles
Château de Versailles
Vue aérienne du château en 2013.Période ou style Classicisme Type Palais Architecte Louis Le Vau
Jules Hardouin-Mansart
Robert de Cotte
Jacques V Gabriel
Ange-Jacques Gabriel
André Le Nôtre
Frédéric Nepveu
Philibert Le Roy
Dominique PerraultDébut construction 1623 Fin construction 2017 :
aucune transformation/rénovation depuis cette datePropriétaire initial Couronne de France Destination initiale Résidence royale Propriétaire actuel État français Destination actuelle Musée de l'Histoire de France et lieu de réunion du Congrès du Parlement français (dans l'aile du Midi, à la salle du Congrès) Protection Classé MH (1862, 1906, 1964)
Patrimoine mondial (1979)Site web http://www.chateauversailles.fr Coordonnées 48° 48′ 17,26″ nord, 2° 07′ 13,34″ est Pays France Région Île-de-France Département Yvelines Commune Versailles Géolocalisation sur la carte : Francemodifier Le château de Versailles est un château et un monument historique situé à Versailles dans les Yvelines, en France. Il fut la résidence principale des rois de France Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Le roi, la cour et le gouvernement y résidèrent de façon permanente du au , à l'exception des années de la Régence de 1715 à 1723. Voulu par Louis XIV afin de glorifier la monarchie française, le château est le plus important monument de son règne et l'un des chefs-d'œuvre de l'architecture classique. Il exerça une grande influence en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles dans le domaine de l'architecture et des arts décoratifs1.
Le château est constitué d'un ensemble complexe de cours et de corps de bâtiments préservant une harmonie architecturale. Il s'étend sur 63 154 m2, répartis en 2 300 pièces dont 1 000 sont affectées au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon2.
Le parc du château de Versailles s'étend sur 815 ha, contre plus de 8 000 ha avant la Révolution françaisenote 1, dont 93 ha de jardins. Il comprend de nombreux éléments, dont le Petit et le Grand Trianon (qui fut la résidence de Napoléon Ier, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe Ier, et Napoléon III), le hameau de la Reine, le Grand et le Petit Canal, une ménagerie (aujourd’hui détruite), une orangerie et la pièce d'eau des Suisses.
Localisation
Le château de Versailles est situé au nord-ouest du territoire de la commune de Versailles sur la place d'Armes, à 16 kilomètres au sud-ouest de Paris, en France. On entend, par « château de Versailles », à la fois la construction palatiale et ses proches abords, ainsi que l'ensemble du domaine de Versailles, incluant alors — entre autres — les Trianons, le Grand Canal et le parc du château de Versailles.
Histoire
Ancien Régime
Aux origines du lieu
Avant le château, la première mention de Versailles remonte à 1038 dans une charte de l’abbaye Saint-Père de Chartres3. En 1561, le domaine de Versailles et sa demeure seigneuriale sont vendus à Martial de Loménie, secrétaire des finances de Charles IX4.
Albert de Gondi, comte de Retz, favori italien de la reine Catherine de Médicis, devient, contre 35 000 livres, propriétaire de la seigneurie de Versailles et de son château, consistant alors en une demeure seigneuriale située à l’emplacement de l’actuel hôtel des Affaires étrangères et de la Marine5.
En 1589, un mois avant qu'il ne devienne roi de France, le roi de Navarre séjourne à Versailles6. Revenant de Blois, il s'y arrête du 7 au et est reçu par Albert de Gondi ; il y retourne en 1604 et 1609. Dès 1607, le futur Louis XIII, alors âgé de six ans, fait sa première chasse à Versailles7.
Au début du XVIIe siècle, les terres environnantes sont la propriété, d'une part, de la famille de Gondi et, d'autre part, du prieuré Saint-Julien de Versailles dont le prieur est Mathieu Mercerie. De 1622 à 1654, Jean-François de Gondi est archevêque de Paris dont dépend hiérarchiquement le prieuré Saint-Julien. Jean-François de Gondi, seigneur de Versailles, est donc propriétaire du domaine qui est acquis par le roi en 16238. « La terre et seigneurie de Versailles » sont elles vendues au roi le par ce même Jean-François de Gondi9,note 2. Sur le terrain de l'actuel château de Versailles, ne se trouve alors qu'un moulin à vent10.
Louis XIII : les origines du château
Premier château
En 1623, Louis XIII, atteint d’agoraphobie et pris d'un besoin de retraite spirituelle11, décide de faire construire un modeste pavillon de chasse en brique et pierre au sommet du plateau de Versailles, sur le chemin allant de Versailles à Trianon12, en un lieu appelé le Val-de-Galie. Il fait acheter le le moulin et la maison du meunier sis sur la butte entourée de marais13,14. On ignore le nom de l'architecte mais le maître maçon se nomme Nicolas Huaut12. Comme le mentionne le marché publié par Jean Coural en 195915, le bâtiment consiste alors en un simple corps de logis de 35 mètres de long sur 5,80 mètres de large, s'élevant sur trois niveaux (trois étages : rez-de-chaussée, premier étage et galetas) à sept travées auquel s'ajoutent deux ailes en retournote 3, légèrement plus basses (deux étages) et également en sept travées, de 27,30 mètres de long sur 4,85 mètres de large16. L'ensemble est entouré de fossés précédés d'une terrasse et d'un jardin de deux hectares dessiné par l'intendant des jardins du roi Jacques Boyceau. L'avant de la cour est fermé par un mur percé d'une porte cochère surmontée d’un tympan sculpté aux armes royales17. Louis XIII participe personnellement à l'élaboration du plan de ce premier édifice18 et en prend possession le .
S’il constitue son rendez-vous de chasse favori, il ne forme pourtant qu’une construction rustique et purement utilitaire13. La disposition bastionnée de terre et les fossés qui l’entourent, rappellent encore certaines constructions féodales5. Ses matériaux de médiocre qualité (moellon avec mortier de chaux et sable enduit d'un crépi, encadrement des fenêtres en fausses pierres de plâtre) rappellent quant à eux l'hôtel de Guénégaud19.
Louis XIII achète à Jean de Soisy un terrain dont la famille de celui-ci est propriétaire depuis le XIVe siècle20 et y fait bâtir une nouvelle habitation. Dans sa petite demeure, il reçoit de temps à autre sa mère Marie de Médicis et son épouse Anne d’Autriche13. Elles ne font qu’y passer sans jamais y coucher, le château de Louis XIII ne comportant pas d'appartement pour les femmes21.
L’appartement du roi comprend une petite galerie où était accroché un tableau représentant le siège de La Rochelle, puis viennent quatre pièces dont les murs sont couverts de tapisseries13. Le salon du roi occupe le centre de l’édifice, emplacement qui correspond aujourd'hui à celui du lit de Louis XIV22.
Le , le cardinal de Richelieu se rend secrètement à Versailles dans le but de regagner la confiance du roi en dépit des pressions exercées sur ce dernier par la reine mère et le parti dévot23. Cet événement sera connu, plus tard, sous le nom de journée des Dupes et constitue pour le château le premier acte politique d'importance avant qu'il ne devienne une résidence d'État24. Richelieu resta Premier ministre et la reine mère fut exilée.
Ce château est surnommé à cause de sa petite taille « le chétif château », ou « le chestif chasteau » en ancien français, par le maréchal de Bassompierre13. Saint-Simon l'appelle aussi « le château de cartes », à cause de ses couleurs (les briques rouges, le toit d'ardoises noires et la pierre blanche) qui rappellent celles d'un jeu de cartes, ou « le méchant cabaret à rouliers » pour souligner ainsi la modestie de la construction de Louis XIII par rapport à celle de son fils25. Un inventaire de 1630 fait en effet état uniquement pour l'appartement du roi au premier étage de quatre pièces tendues de tapisseries, d'une antichambre, d'une garde-robe, d'un bureau et d'une chambre15.
Deuxième château
Le , Louis XIII rachète le domaine de Versailles à Jean-François de Gondi, archevêque de Parisnote 2.
En débutent des travaux d’agrandissement qui sont dirigés par l’ingénieur-architecte Philibert Le Roy : à chaque angle sont ajoutés des petits pavillons en décroché, les ailes sont remaniées ; en 1634, le mur fermant la cour est remplacé par un portique en pierre à six arcades garnies de ferronneries27. Le nouveau château reçoit sa première décoration florale ; les jardins sont agencés « à la française » par Boyceau et Menours28, décorés d’arabesques et d’entrelacs. Les crépis sur moellons sont remplacés par des façades de briques et de pierre. Une terrasse servant de promenade, avec une balustrade décorée d’oves, est aménagée en 1639 devant la façade principale du château au-dessus du parterre qui est accessible par un escalier. Ce château correspond actuellement à la partie en U qui entoure la cour de marbre29.
En 1643, sentant sa mort approcher, Louis XIII déclare : « Si Dieu me rend la santé, disait-il à son confesseur, le jésuite Jacques Dinet, j'arrêterai le cours du libertinage, j'abolirai les duels, je réprimerai l'injustice, je communierai tous les huit jours, et sitôt que je verrai mon dauphin en état de monter à cheval et en âge de majorité, je le mettrai en ma place et je me retirerai à Versailles avec quatre de vos Pères, pour m'entretenir avec eux des choses divines et pour ne plus penser de tout qu'aux affaires de mon âme et de mon salut30 ».
Le , il meurt laissant le Royaume à son fils Louis XIV, âgé de quatre ans et trop jeune pour gouverner. Sous la régence d’Anne d'Autriche, Versailles cesse alors d'être une résidence royale pendant presque dix-huit ansnote 4.
Louis XIV
Contexte : la régence d'Anne d'Autriche
À la mort de Louis XIII, le , son descendant, le jeune Louis XIV, n'est âgé que de quatre ans et huit mois. Selon un édit du défunt roi passé en avril, le gouvernement de la France est alors confié à sa veuve, Anne d'Autriche, assistée d'un conseil de régence comprenant le duc d'Orléans, lieutenant-général du Royaume, le cardinal Mazarin, le chancelier Séguier, les secrétaires d'État Bouthillier et son fils Chavigny. Mais la reine, qui ne souhaite pas gouverner avec ces créatures placées par Louis XIII et feu le cardinal de Richelieu31, obtient du Parlement, le l'administration du Royaume et l'éducation du jeune roi32. Bien vite, cependant, la reine prend conscience de l'extrême difficulté à exercer seule le pouvoir33. Elle fait donc appel au cardinal Mazarin en lui donnant, le , le poste de Premier ministre. Elle fait également de lui le tuteur de son fils. Le lendemain de la mort du roi31, Louis et son jeune frère, le duc Philippe d’Anjou, ont quitté Saint-Germain-en-Laye pour s’installer à Paris, au Palais-Cardinal, rebaptisé Palais-Royal34.
Un petit château pour un petit roi : 1641-1659
On sait que le futur Louis XIV était venu une première fois à Versailles en avec son frère, pour échapper à une épidémie de vérole qui frappait Saint-Germain-en-Laye35. Après la mort de Louis XIII, le petit pavillon de chasse de Versailles, avec son architecture de brique et pierre désuète, tombe dans un oubli relatif. Jusque-là supervisé par Claude de Saint-Simon, père du célèbre mémorialiste, le domaine royal est administré, sans grande conviction, à partir de 1645 par le président au parlement de Paris, René de Longueil, qui prend la charge de capitaine des chasses et par Nicolas du Pont de Compiègne qui devient intendant. La terre de Versailles survit chichement avec 4 000 livres annuelles tirées du produit de ses fermes36.
Le jeune Louis se rend à Versailles le , pour une partie de chasse, où il est reçu par le capitaine des chasses de Longueil. Il revient dîner sur les lieux les 15 et 37. Les troubles causés à Paris par la Fronde des princes contraignent le roi et la régente à un séjour forcé de trois mois à Poitiers d' à . Au terme d'un voyage de retour de plusieurs mois, Anne d'Autriche et son fils font étape à Versailles le pour dîner avant de rejoindre Saint-Germain-en-Laye. Le , le roi accompagné de Monsieur, son frère, et d'une partie de la cour va « prendre le divertissement de la Chasse à Versailles ». Il y retourne pour la même occupation les 8 et . Le , le jeune Louis passe la nuit à Versailles et y retourne deux semaines plus tard pour chasser. Le , il vient chasser le renard en compagnie du cardinal Mazarin et reste dormir sur place38.
Du fait de ces visites régulières, on remplace, dans la charge de capitaine des chasses, le président de Longueil, peu impliqué dans la gestion du domaine, par Louis Lenormand, sieur de Beaumont, le . Mais l'intérêt du souverain pour Versailles ne se confirme pas. Le jeune monarque de 14 ans préfère aller chasser à Vincennes. En cinq années, il ne vient à Versailles que quatre fois, de la fin 1654 à l'automne 166039. Le domaine traverse alors une période de déshérence et d’irrégularités, marquée par les querelles violentes entre le colérique concierge du château, Henry de Bessay, sieur de Noiron (nommé en 1654), et le jardinier Guillaume Masson (nommé en 1652). En mars 1665 Noiron tire un coup de pistolet sur Masson et le menace de son épée. Le jardinier indélicat, quant à lui, exploite le parc à son profit en détournant du foin ou du bois, et en utilisant les terres comme pâturages pour ses bêtes ou celles de propriétaires des environs40.
La situation ne s’améliore guère par la suite. Pour des raisons administratives, l’intendant Nicolas du Pont de Compiègne démissionne de sa charge. À sa place on nomme, le , Louis Lenormand, sieur de Beaumont, qui cumule donc la charge d’intendant avec celle de capitaine des chasses dont il est titulaire depuis cinq ans41. Mais M. de Beaumont se décharge des fonctions d’intendance, qui ne correspondent pas à son rang, sur son propre intendant, Denis Raimond qui se révèle peu efficace. Le laisser-aller règne sur le domaine royal, encore aggravé par l’assassinat, en forêt de Saint-Germain-en-Laye, de M. de Beaumont, le 42.
Premiers aménagements modestes : 1660-1664
En , le roi amorce la reprise en main du domaine. Au lieu de donner un successeur à M. de Beaumont, il donne commission d’intendance à son proche serviteur, Jérôme Blouin, premier valet de chambre du roi, « ayant clefs des coffres de nostre chambre et couchant en icelle43 ». Ce dernier remet de l'ordre dans la gestion du domaine en congédiant, sur ordre du roi, le jardinier Hilaire II Masson, accusé de déprédations. Louis XIV demande également que l'inventaire du château soit vérifié. Et le concierge Henry de Bessay, sieur de Noiron, doit, sur ordre du roi du , se retirer à Saint-Germain-en-Laye44. Quatre mois après son mariage avec Marie-Thérèse d'Autriche45, Louis XIV va « prendre le divertissement de la Chasse46 » avec son épouse à Versailles, le . C’est à cette époque que l’intérêt du roi pour le domaine de son père se manifeste de façon explicite. Il envisage d’agrandir le jardin et de créer un nouveau parc d’une « étendue considérable47 ». Dès le mois de novembre, Blouin se met en quête de financements pour ces travaux à venir. À cet effet, il remet en vente le fermage de la seigneurie et parvient non sans difficulté à le faire accepter par le receveur-fermier alors en place, Denis Gourlier, pour la somme de 5 200 livres48.
Le premier changement effectif à Versailles concerne le verger. Le roi souhaite en faire régulariser la forme et augmenter la surface. Il veut également le clore d’un mur. Il ordonne que les terrains nécessaires à cette opération soient mis à sa disposition au . Entre l’automne 1660 et le début de 1661, les travaux d’arpentages sont menés49. Le , alors que le cardinal Mazarin vient de mourir, Louis XIV annonce qu’il exercera le pouvoir directement, sans nommer un nouveau Premier ministre50. Le lendemain, sa première décision officielle consiste en la nomination de Jean-Baptiste-Amador de Vignerot du Plessis, marquis de Richelieu, comme capitaine des chasses en remplacement de M. de Beaumont assassiné en 1660. Mais la gestion du domaine de Versailles, non mentionnée dans la capitainerie attribuée à Du Plessis, demeure sous le contrôle de Blouin.
Dans les premiers mois de 1661, le roi charge le peintre Charles Errard de remettre en état les appartements du château. Mais avec la naissance prochaine du dauphin et le mariage à venir de Monsieur, frère du roi, la famille royale va s'agrandir. Il faut donc procéder rapidement à un réaménagement de la distribution des pièces. Le rez-de-chaussée et l'étage sont divisés en appartements royaux ou princiers, desservis par deux nouveaux escaliers dans les ailes latérales. L'escalier de Louis XIII au centre du corps de logis est supprimé51.
L'historiographie romantique veut que les architectes et jardiniers de Versailles Charles Le Brun, André Le Nôtre et Louis Le Vau se soient inspirés du château de Vaux-le-Vicomte, mais en fait Louis XIV n'a pas eu à capter tous ces talents au service de Nicolas Fouquet au profit de la monarchie puisqu'ils sont au service du roi depuis des années11.
Première campagne : 1664-1668
Sans compter des modifications mineures effectuées à partir de 1661, auxquelles le roi ne consacra qu’une somme modeste d’un million et demi de livres52, les phases de construction se déclenchèrent en 1664 avec la première campagne de construction. En dépit des résultats de la construction d’un des plus merveilleux palais d’Europe, les poursuites de Louis XIV déclenchèrent des critiques sournoises parmi ses courtisans53. Il reste cependant des témoignages de ces secrètes oppositions ; le lieu parut surtout mal choisi ; Saint-Simon le rapportant ainsi : Versailles, lieu ingrat, triste, sans vue, sans bois, sans eaux, sans terre, parce que tout est sable mouvant et marécage, sans air, par conséquent qui n’est pas bon54.
À cette époque, Versailles n’était qu’une résidence d’agrément, où des fêtes étaient données dans les jardins, le Louvre demeurant officiellement le palais royal. Dans une lettre restée célèbre, Colbert se plaignit d’ailleurs que Louis XIV délaissât le Louvre :
« Pendant le temps qu'elle a dépensé de si grandes sommes en cette maison, elle a négligé le Louvre, qui est assurément le plus superbe palais qu'il y ait au monde et le plus digne de la grandeur de Nostre Majesté. Et Dieu veuille que tout d'occasions qui la peuvent nécessiter d'entrer dans quelque grande guerre, en luy ostant les moyens d'achever ce superbe bastiment, ne luy donnent pas longtemps le déplaisir d'en avoir perdu le temps et l'occasion ! ...
Ô quelle pitié, que le plus grand roy et le plus vertueux, de la véritable vertu qui fait les plus grands princes, fust mesuré à l'aune de Versailles55 ! »
Cette phase de construction résultait des exigences de logement pour les membres de la cour invités au divertissement nommé fête des Plaisirs de l’Île enchantée56 : pendant une semaine en , Louis XIV présenta le divertissement — un prélude en allégorie de la guerre de Dévolution — comme hommage officiel à sa mère, Anne d'Autriche, et à sa femme, Marie-Thérèse d'Autriche ; mais en réalité, le roi offrit la fête à sa favorite, Louise de La Vallière57. Au cours des fêtes de 1664 et 1668, les courtisans mesurèrent l’incommodité du petit château, car beaucoup ne trouvèrent pas de toit pour dormir58. Le roi, désireux d’agrandir celui-ci, confia cette tâche à Le Vau qui présenta plusieurs projets59. Le premier prévoyait la destruction du château primitif et son remplacement par un palais à l’italienne. Le deuxième projet proposait d’agrandir le château, côté jardin, par une enveloppe de pierre59. Sur les conseils de Colbert, le roi opta pour la seconde solution60.
À partir de 1664, Louis XIV fit aménager Versailles de façon à pouvoir y passer plusieurs jours avec son Conseil et membres de la Cour61. Il décida de conserver le château initial bâti par Louis XIII, plus pour des raisons financières que sentimentales59. Le Vau tripla la superficie du château59, qui fut décoré avec beaucoup de luxe, en reprenant notamment le thème du soleil62, omniprésent à Versailles. Le jardin de Versailles, particulièrement apprécié par Louis XIV, fut orné de sculptures de Girardon et de Le Hongre59.
En 1665, les premières statues sont installées dans le jardin et la grotte de Téthys construite63. La première orangerie, la ménagerie et la grotte de Téthys caractérisèrent la construction à cette époque. Deux ans plus tard, commença le creusement du Grand Canal64. Les oiseaux et mammifères de la ménagerie servirent de modèles entre 1669 et 1671, au flamand Pieter Boel, peintre du roi, pour les compositions intitulées les Douze mois, dans les dessins de Charles Le Brun pour la manufacture des Gobelins. Le Louvre conserve vingt de ces études65.
Deuxième campagne : 1669-1672
La deuxième campagne de construction fut inaugurée avec le traité d’Aix-la-Chapelle, le traité qui a mis fin de la guerre de Dévolution, et fut célébrée par la fête qui aura lieu le . Connue sous le terme de « Grand Divertissement royal de Versailles », elle sera marquée par la création de George Dandin, de Molière, et des Fêtes de l’Amour et du Hasard, de Lully66. Comme lors de la fête de 1664, certains courtisans ne trouvèrent pas de toit pour dormir58, ce qui conforta le Roi dans ses projets d’agrandir le château. Le projet finalement accepté60 fut caractérisé par une enveloppe de pierre59.
À cette époque, le château commença à prendre des aspects qu’on voit aujourd’hui. La modification la plus importante de cette période fut l’enveloppe du château de Louis XIII. L’enveloppe « connue également comme le château neuf afin de se distinguer du vieux château de Louis XIII » environna celui-ci au nord, à l’ouest et au sud. Le château neuf fournit des logements nouveaux pour le roi, la reine et les membres de la famille royale. Le premier étage fut réservé complètement pour deux appartements : le grand appartement de la Reine (côté sud) et le grand appartement du Roi (côté nord). Au rez-de-chaussée du château neuf, deux appartements furent aménagés : l’appartement des bains, côté nord ; l’appartement pour le frère et belle-sœur du roi, le duc et la duchesse d’Orléans. À l’ouest, une terrasse s'édifia sur les jardins ; celle-ci fut supprimée quelques années plus tard pour faciliter le passage entre les appartements du roi et de la reine. À son emplacement fut construite la galerie des Glaces. Au deuxième étage, des appartements furent aménagés pour d'autres membres de la famille royale et membres choisis de la cour67. À la mort de Louis Le Vau, le , Colbert désigna les travaux architecturaux à François II d'Orbay68.
[réf. nécessaire]Précisions de construction
- Le rez-de-chaussée, constitué par un soubassement souligné par les lignes horizontales des refends, s’éclaire par des fenêtres cintrées sur les parterres.
- L’étage fut pourvu de colonnes ioniques, de niches et de hautes fenêtres rectangulaires (cintrées par Mansart en 1679). Cet étage reçut un décor sculpté : statues placées dans les niches et bas-reliefs rectangulaires surmontant les fenêtres (ils disparaîtront en 1679).
- Le second étage, ou attique, reçut une décoration d’ordre corinthien et fut surmonté d’une balustrade sur laquelle reposaient des trophées et des pots à feu.
Troisième campagne : 1678-1684
Avec le traité de Nimègue, qui mit fin à la guerre de Hollande, se déclencha la troisième campagne de construction à Versailles. Sous la direction de Jules Hardouin-Mansart, le château prit les aspects ce que nous lui connaissons aujourd’hui. La galerie des Glaces avec ses salons jumeaux — le salon de la Guerre et le salon de la Paix, les ailes au nord et au sud — dits respectivement « aile de Noble » et « aile des Princes » (également « aile du Midi ») et des travaux herculéens aux jardins furent les caractéristiques de marque de cette ère du règne du Roi-Soleil. À cette époque, Le Brun acheva le décor des grands appartements69.
Les eaux marécageuses répandaient un « mauvais air » responsable d'épidémies de paludisme mortel chez les ouvriers du chantier et de fièvres tierces parmi les courtisans, ces derniers étant parfois soignés par de la poudre de l'écorce de quinquina, un médicament ramené du Pérou par les jésuites. Le comblement des marais, les efforts d'équipement et de salubrité dans les années 1680 permirent la régression des maladies70.
Chronique de construction
Cette section ne cite pas suffisamment ses sources (mars 2017).1678 :
- La façade sur les jardins est remaniée
- Deux cuves allongées, en marbre blanc enrichi de bronzes dorés, furent ajoutées dans le cabinet des bains
- Début des travaux de la pièce d’eau des Suisses et du bassin de Neptune ainsi que les terrassements nécessaires au doublement du parterre du Midi et à la construction de la nouvelle orangerie
1679 :
- La galerie des Glaces, le salon de la Guerre et de la Paix remplacent la terrasse et les cabinets du Roi et de la Reine71
- Le bâtiment central, du côté de la Cour de marbre est surmonté d’un étage. Une horloge encadrée de statues de Mars par Marsy et d’Hercule par Girardon ornent la nouvelle façade
- Orbay commença la construction d’un second escalier destiné à faire pendant à l’escalier des Ambassadeurs : l’escalier de la Reine
- Dès l’achèvement des ailes des Ministres, on entreprit la construction des Grandes et des Petites Écuries Les travaux se poursuivirent dans les jardins qui s’enrichissaient de statues et de nouveaux bosquets
1681 :
-
- La machine de Marly commença à pomper l’eau de la Seine
- Excavation du Grand Canal et de la pièce d'eau des Suisses
- Multiplication des bosquets ainsi que des fontaines dans le jardin72
1682 :
Dès lors que Louis XIV décida d'installer la Cour et le pouvoir central à Versailles, en 1682, le château rassembla des milliers de personnes : la famille royale et ses officiers commensaux (ceux qui la servaient), les courtisans et leurs propres domestiques, les ministres et leurs multiples commis, mais aussi tout un personnel de serviteurs, d'ouvriers, de marchands. Ces « gens du château », comme on les nommait, permettaient la bonne marche quotidienne de la « mécanique » versaillaise et de l'État73.
Quatrième campagne : 1699-1710
Peu après la défaite de la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697), et vraisemblablement aussi par l’influence pieuse de Madame de Maintenon, Louis XIV se chargea d’entamer sa dernière campagne de construction à Versailles. La quatrième campagne de construction (1699-1710) fut caractérisée par l'élévation de la dernière chapelle (la chapelle du château de Versailles actuelle). Cette dernière fut dessinée par Jules Hardouin-Mansart et, après sa mort, achevée par Robert de Cotte en 1710, premiers architectes du Roi successifs. De même, l’agrandissement de l’appartement du roi fut entrepris à cette époque avec l’achèvement du salon de l'Œil-de-bœuf et la chambre du roi. Avec le parachèvement de la chapelle, virtuellement toutes les constructions du Roi-Soleil touchèrent à sa fin. Les constructions versaillaises ne se poursuivront que pendant le règne de Louis XV74.
Les travaux importants se déroulèrent en période de paix. Inversement, en période de guerre, les travaux et dépenses connurent un net ralentissement. Une idée fausse répandue par l'historiographie de la Troisième République veut que le chantier de Versailles ait ruiné le pays. L'historien François Bluche a pu évaluer la charge des chantiers de Versailles en se basant sur les archives comptables des bâtiments du roi (archives comptabilisant ensemble le château de Versailles, les eaux et les jardins, mais aussi Trianon, Marly et Clagny), et les estime à 80 millions de livres tournoinote 5, soit moins de 3 % annuels dans les dépenses de l'État (en prenant en compte les principales charges réparties entre 1664 et 1715)75. C'est l'hydraulique du parc du château de Versailles qui représenta la dépense la plus importante du chantier, le Roi-Soleil se voulant être le maître des eaux : sur 65 millions de livres tournois que coûtèrent l'ensemble des travaux du château avant 1690, 25note 6 furent affectés aux eaux de Versailles, soit près de 40 %76.
Dans une note datant de la fin du règne de Louis XIV, le premier architecte du Roi Jacques Gabriel recense que le château — hors ses dépendances en ville — dispose des appartements du roi et de la reine, de 20 appartements princiers et de 189 appartements à destination des courtisans77.
Réception de l'ambassade de Perse : 1715
Louis XIV organise l'année de sa mort sa dernière cérémonie à Versailles lors d'une audience extraordinaire accordée le dans la galerie des Glaces au Mehmet Rıza Beğ de Perse78, l'ambassadeur du Chah Huseyin de Perse. Il est accompagné de l'Arménien Hagopdjan de Deritchan. C'est aussi la première manifestation d'envergure à laquelle assiste le futur Louis XV79.
Le une seconde audience est accordée à l'ambassade qui débouche cette fois sur la signature du traité de commerce et d'amitié entre la France et la Perse. Celui-ci prévoit — notamment — l'établissement d'un consulat de Perse à Marseille, principal port de commerce avec l'Orient dont les Arméniens détenaient le monopole. Hagopdjan de Deritchan est ainsi choisi pour le rôle de premier consul dans le but de faciliter leurs activités et faire reconnaître le protectorat dont ils bénéficient.
Cet événement révèle le contexte historique dans lequel Montesquieu écrit ses Lettres persanes78 qu'il fait éditer en 1721 à Amsterdam sous le pseudonyme « Pierre Marteau » alors que la ville comptait de nombreux marchands arméniens et perses.
Louis XV
Cette section ne cite pas suffisamment ses sources (mars 2017).Versailles sous la Régence
Louis XV naît à Versailles le . Les 3 et , après la mort de Louis XIV, il accomplit ses premiers actes de roi lors de la messe célébrée pour lui à la chapelle de Versailles. Mais il n'est encore qu'un enfant. Son tuteur Philippe d’Orléans (dit le Régent, cousin au 2e degré de Louis XV) quitte Versailles le et s’installe dans sa résidence parisienne du Palais-Royal et la Cour aux Tuileries. Durant cette Régence, le duc de Noailles propose de raser le château80.
En 1717, Pierre le Grand, tsar de Russie, visite Versailles et réside au Grand Trianon81.
Retour de la Cour à Versailles
En 1722, âgé de 12 ans, Louis XV est fiancé à Marie-Anne-Victoire d'Espagne et la cour se réinstalle à Versailles dans les appartements de Louis XIV, après sept années passées à Vincennes puis aux Tuileries. Ce retour a lieu au moment de la puberté du roi. Selon certaines rumeurs, le Régent aurait voulu éloigner le jeune monarque de l'opinion parisienne. D'autres ont véhiculé l'idée que le cardinal aurait eu l'initiative du départ, pour ôter Louis XV de l'influence de l'entourage de Philippe d'Orléans. Il semble, d'après Bernard Hours, que le roi ait adhéré au projet. Hours se focalise sur des témoignages qui tendent à montrer son attachement au château de Versailles, tels ceux du maréchal de Villeroi. Ce retour symboliserait la prise de possession de l'héritage de son aïeul82.
L'avocat Barbier raconte qu'en arrivant à Versailles le jeune Louis XV âgé de douze ans se serait couché sur le parquet de la Galerie des Glaces pour admirer les peintures de la voûte, et les courtisans l'auraient alors imité83.
L'absence de la Cour durant six années a engendré une dégradation importante des lieux. Un fonds spécial de 500 000 livres est affecté aux « réparations extraordinaires » entre les mois d'avril et juillet 1722.
Premiers aménagements de Louis XV
Trois projets de Louis XV furent menés à leur terme : l'achèvement du grand appartement avec l'aménagement du salon d'Hercule, le bassin de Neptune et l'ajout au château d'un opéra royal.
C'est dans le domaine des arts que Louis XV rencontra le moins d'entraves à son action, il fut particulièrement moderne et novateur. Bien que peu attiré par la musique et la peinture, il voua le plus vif intérêt pour l'architecture. Le marquis d'Argenson, rapportant l'opinion de Madame de Pompadour, écrivait d'ailleurs dans son journal que : « La marquise et ses amis disent qu'on ne peut amuser le Roi absolument que de dessins d'architecture, que Sa Majesté ne respire qu'avec des plans et des dessins sur la table. »84. Passion héréditaire et personnelle, il eut pour précepte François Chavallier, proche de Vauban. Il n'est donc guère étonnant que Louis XV décida d'accommoder le château à ses propres goûts.
La construction, l'ameublement et l'entretien des résidences royales étaient dévolus à deux services : les Bâtiments et le Garde-meuble. Au sein du premier service, la deuxième personne la plus importante après le directeur général était le premier architecte. En 1708, au décès de Mansart, ce poste fut dévolu à son beau-frère et disciple, Robert de Cotte. Ce dernier, épuisé et presque aveugle, meurt en 1734, sans s'être vu confier d'importants chantiers, tout à l'inverse de ses successeurs, les Gabriel père et fils. Le premier fut assisté du second, tant et si bien qu'il est difficile de distinguer la part de chacun dans nombre de projets.
Dès le retour du roi en 1722, les appartements du Roi furent complètement modifiés. Le premier étage constitua l'appartement intérieur du Roi, conservant ses fonctions cérémoniales. Au second étage, en revanche, Louis XV fit aménager ses petits appartements et petits cabinets, d'usage privé. Cette même année il se fit installer un cabinet de tour, dans une mansarde et toujours au deuxième étage, donnant sur la cour de marbre. Le premier commissaire de police de la ville de Versailles Pierre Narbonne réalise un recensement de la cour de Versailles en 172285 : 4 000 personnes logées dans l'enceinte même du château et environ 2 700 personnes dans les dépendances (essentiellement le personnel appelé à l'époque les « utilités »86), sans compter les 1 434 hommes de la garde simple du roi pour lesquels aucun logement n'est noté87.
En 1723, un cabinet des bains fut aménagé. Les façades d'une des cours intérieures reçurent des têtes de cerfs, ce qui lui donna l'appellation de cour des Cerfs. On peut voir dans cette initiative du Roi son goût prononcé pour la chasse.
La nouvelle administration des Bâtiments, à la tête de laquelle se trouvait depuis 1708 le duc d’Antin, entame la décoration de la grande salle (salon d’Hercule) sous la responsabilité de Robert de Cotte qui dirige les travaux suivant les projets élaborés dans les dernières années du règne de Louis XIV. Ce salon achève le grand appartement de Le Brun et l’esprit de grandeur rejoint celui du siècle précédent.
En 1729 débutent des travaux de renouvellement du décor de la chambre de la Reine. Robert de Cotte fournit les dessins des nouvelles boiseries. Les travaux sont achevés par Gabriel père et fils en 1735. C'est également en 1729 que reprennent les travaux dans le salon d'Hercule.
1729-1736 : le salon d’Hercule
La décoration de ce nouveau salon débute, dès 1712. Il se trouve à l'emplacement de l'ancienne chapelle, détruite en 1710. Le chantier est placé sous la direction de Robert de Cotte, le décorateur de la nouvelle chapelle royale. Cependant la mort du roi Louis XIV, en 1715 interrompt le chantier. Les parois sont recouvertes de marbres choisis par Louis XIV de son vivant et décorées par deux œuvres de Véronèse. Le salon d’Hercule relie les appartements du Roi au vestibule de la chapelle. Plus tard, Gabriel envisage de remplacer l’escalier des Ambassadeurs par un nouvel escalier qui déboucherait dans cette salle. Celui-ci ne reprend qu'après le retour de Louis XV au château, en 1729. La nouveauté réside dans le plafond compartimenté d’aucun cadre sculpté. François Lemoyne saisit l’occasion de rivaliser avec Véronèse en peignant L’Apothéose d’Hercule entre 1733 et 1736 par François Lemoyne. Sur le mur du fond est exposée une immense toile de Véronèse offerte par la République de Venise au roi Louis XIV en 1664, Le Repas chez Simon. L'aménagement de la pièce fut terminé en 1736. Mais l'inauguration n'eut lieu que le , par un « bal paré » donné à l'occasion du mariage de la fille aînée de Louis XV avec l'Infant d'Espagne. Le salon d'Hercule servit de cadre à d'exceptionnels « grands couverts » (en 1769 pour le mariage du duc de Chartres, ou en 1782 pour la naissance du Dauphin) et à des audiences extraordinaires comme celle de l'ambassade du sultan du Mysore Tipou Sahib en 88.
Versailles au temps des guerres de Louis XV
En 1737, Louis XV transforme le premier étage du corps central le long de la cour de Marbre, côté nord, en appartement privé destiné à l'habitation et au travail. Il fait renouveler les soieries des appartements du Roi et de la Reine. L'objectif était également de soutenir les manufactures de Lyon. Cette année-là voit également la construction d'un chenil pour les meutes de Louis XV.
En 1738 à 1760, les pièces de l’appartement de collectionneurs de Louis XIV sont constamment remaniées. Les travaux commencent en 1738 par la création de la chambre à coucher privée du Roi, et se stabilisent vers 1760.
En 1741, Philibert Orry, qui avait remplacé le duc d’Antin, fait procéder à l’achèvement du Bassin de Neptune.
En 1742, Louis XV y accorde audience à Saïd Méhemet Pacha, ambassadeur extraordinaire du Grand Seigneur, sultan de l'Empire ottoman. Un traité d'alliance militaire contre l'Autriche est conclu avec l'Empire ottoman89 dans la guerre de Succession d'Autriche. Il promet un soutien qui devait s'ajouter à ceux de la Prusse et de l'Empire russe89, mais qui n'aura finalement pas lieu. Louis XV subira de plus un revers d'alliance de la part de la Russie. Versailles n'avait pas reçu d'ambassade depuis 1715.
En 1745, à la tête de l’Administration des Bâtiments du Roi, Charles François Paul Le Normant de Tournehem succède à Philibert Orry, grâce à l’influence de sa pupille — peut-être même sa fille naturelle — Madame de Pompadour.
Le se déroule le bal des Ifs90.
En 1750, Louis XV introduit un nouveau type de pièces dans les appartements royaux : la salle à manger des retours de chasse. Il connaît une série d'histoires sentimentales de courte durée dans le parc aux cerfs.
En 1751, mort de Tournehem qui est remplacé par le marquis de Marigny, frère de Madame de Pompadour. Sous ses directives vont se révéler l’architecte Ange-Jacques Gabriel, et deux sculpteurs de boiseries, Verbeckt et Rousseau. C’est l’appartement de Marie Leczinska qui fournit à Gabriel et à Verbeckt l’occasion de travailler ensemble.
En 1752, destruction de l’escalier des Ambassadeurs, de la Petite Galerie et du cabinet des Médailles. Ces témoins glorieux du règne de Louis XIV sont détruits pour la création d’un appartement destiné à l’aînée des Filles de France : Madame Adélaïde. Dernière vente de mobilier de Louis XIV après celle de 1741 et de 175111.
En 1755, la seconde transformation consiste à réunir l’ancien cabinet du Roi (ou du Conseil) avec le cabinet des Thermes (ou des Perruques) pour former le grand salon du Conseil. Jules Antoine Rousseau sculpte les boiseries dorées. Gabriel réutilise une partie des anciens panneaux pour décorer les murs. Au second étage se développent les cabinets intérieurs du roi. Dans cette partie du château, aucune dorure ne colore les boiseries. Des couleurs vives et variées égayent les statues, peintes selon les techniques élaborées par Martin, l’inventeur du fameux « vernis Martin ». L’élément essentiel de cet appartement est une petite galerie éclairée sur la cour de Marbre. Des tableaux de Boucher, Carle van Loo, Lancret, Pater et Parrocel sont accrochés sur les boiseries colorées.
Versailles demeure un haut lieu de la diplomatie française, le : un traité d'alliance est signé à Versailles avec l'Autriche, il met fin à 250 ans de conflits avec les Habsbourg et opère en Europe un véritable renversement des alliances, qui fut défavorable à la France puisqu'elle perdit ses colonies d'Amérique à la suite de la Guerre de Sept Ans qui s'acheva en 176391.
Le , un attentat est commis par Damiens contre le Roi dans la cour de marbre.
Œuvre de Gabriel à Versailles sous Louis XV
Pendant toute sa carrière, Ange-Jacques Gabriel, nommé Premier architecte du roi en 1742, doit faire face à des problèmes de logement, la reine met en effet au monde huit princesses :
- Marie-Louise de France (« Madame Troisième ») et Madame Thérèse meurent très jeunes.
- Madame Henriette est emportée par la maladie en 1752.
- Madame Élisabeth devient duchesse-infante de Parme.
- Madame Louise prend le voile et se retire au carmel de Saint-Denis.
- Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie y vivent longtemps avant de le quitter pour le château de Bellevue, ancienne demeure de la marquise de Pompadour que Louis XVI leur donne à son avènement.
Pour loger toutes ces princesses dans des appartements qui conviennent à leur rang, Gabriel effectue de multiples travaux. Au fil des années « Mesdames » changent d’appartements, passant de l’aile du Midi à l’aile du Nord, et au rez-de-chaussée du Corps central (et même au premier étage comme nous l’avons noté pour Adélaïde). Ces déménagements successifs aboutissent à la disparition complète de l’appartement des bains, de l’escalier des Ambassadeurs, et au cloisonnement de la Galerie basse. Ces appartements sont détruits par Louis-Philippe, quelques splendides boiseries ont échappé à ce saccage et témoignent du luxe qui régnait chez Mesdames.
Selon la tradition établie sous Louis XIV, le dauphin et son épouse prennent possession des deux appartements du rez-de-chaussée situés sous l’appartement de la Reine et, en retour d’équerre, sous une partie de la galerie des Glaces. De merveilleuses décorations sont alors créées. Le XIXe siècle ravagea cet ensemble. Seules sont conservées la chambre du dauphin et la bibliothèque.
De 1761 à 1768 Ange-Jacques Gabriel construit le Petit Trianon.
En 1769, la princesse Adélaïde déménage et son appartement est réuni à celui de Louis XV. Les deux pièces importantes de l’appartement intérieur sont la nouvelle chambre du roi et son cabinet intérieur, cette dernière formant la plaque tournante entre les anciens salons et les « salles neuves » de l’appartement d’Adélaïde.
Dans la seconde partie du règne de Louis XV des projets de reconstruction des façades en regard de la ville vont prendre corps. On reproche aux murs de Le Vau leurs matériaux et leur disposition.
En 1770, le , mariage du dauphin (futur Louis XVI) avec Marie-Antoinette de Lorraine, archiduchesse d’Autriche, célébré dans la chapelle royale. Dans un même temps a lieu l’inauguration de l’Opéra royal à l’occasion du festin royal, elle marque le sommet de l’art de Gabriel.
En 1771 Gabriel présente au roi son « grand projet » de reconstruction de toutes les façades côté ville. Seule l’aile droite, qui menaçait ruine, fut édifiée. Avec son pavillon à colonnes, les règles de l’architecture classique furent respectées. Le roi donna son agrément à ce projet. Comme l’argent manquait dans les caisses royales, Madame Du Barry se chargea de réunir les fonds à cette opération.
En 1772, les travaux du « grand projet » débutent et ne sont jamais achevés, mais donnent naissance à l’aile Louis XV. À l’intérieur de l’aile, les travaux du grand escalier dit grand degré débutent, mais ne seront achevés qu’en 1785. À la fin de l’Ancien Régime, le palais sera la résidence royale la plus luxueuse de toute l’Europe.
Pendant que Gabriel poursuit son œuvre la vie de la cour continue, toujours brillante et luxueuse, émaillée de bals et de fêtes. La distraction favorite de ce siècle est le théâtre. On apprécie Voltaire pour ses tragédies et sa prose. Madame de Pompadour donne une grande impulsion à ce mouvement.
Louis XV est responsable de la destruction d’ensembles splendides datant de Louis XIV, mais il a su créer à l’intérieur du palais de magnifiques décorations. Les jardins et en particulier Trianon se sont enrichis du Pavillon français et du Petit Trianon.
Le roi apprécie le style incognito et multiplie les bals masqués. Néanmoins la monotonie de ces festivités n'obtient pas le succès de celles qu'organisait Louis XIV, malgré les dépenses qu'elles occasionnent.
1758-1770 : Opéra royal
L'Opéra royal de Versailles est sans doute l’œuvre majeure de Gabriel, il fut inauguré le à l'occasion du mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette.
Louis XVI
Sous Louis XVI, la vie de cour à Versailles se perpétua, mais des restrictions d'ordre financier furent appliquées à la Maison du roi. De plus, l'entretien du château se révéla coûteux. L’absence de commodités (salle de bains, chauffage) dans les appartements rendit de plus en plus pressante la nécessité d’une rénovation profonde des bâtiments, mais le manque d’argent fit remettre le projet jusqu’à la Révolution française. Marie-Antoinette imposa d'importantes dépenses pour l'aménagement du Petit Trianon, ce qui contribua à la rendre impopulaire. Le , fête de l'Assomption, est commémoré par une grande procession à laquelle doivent assister tous les courtisans. Celle-ci rappelle la consécration de la France à Marie, décrétée par Louis XIII. C'est au cours de la cérémonie du que le roi fait arrêter dans la galerie des Glaces, pleine de monde, son grand aumônier, le prince-cardinal Louis de Rohan, compromis dans l'affaire dite du Collier de la reine.
Bibliothèque de Louis XVI
À son avènement en 1774, Louis XVI veut pour lui une pièce dédiée à sa détente. Le choix se porte sur une bibliothèque. Elle est commencée dès le début de son règne. Le décor, dessiné par Ange-Jacques Gabriel, est sculpté par Jules-Antoine Rousseau. Jean-Claude Quervelle réalise une grande table à plateau monoxyle pour permettre à Louis XVI d'exposer ses biscuits de Sèvres92. Deux globes, un terrestre et un céleste, complètent ce décor en 1777. C'est dans cette bibliothèque que Louis XVI décide de l'arrestation de son grand aumônier le , après avoir été mal conseillé par le baron de Breteuil et son garde des Sceaux Armand Thomas Hue de Miromesnil.
1783 : le cabinet doré
Cette pièce fut créée pour abriter une partie des collections de Louis XIV. Sous Louis XV, elle prit diverses affectations. Ainsi, elle servit au roi de pièce d'exposition pour son service de vaisselle d'or, d'où l'un de ses noms de « cabinet de la Vaisselle d'or ». Elle fut ensuite rattachée aux appartements de Madame Adélaïde, fille de Louis XV. Cette pièce devient dès lors son cabinet de musique où Adélaïde reçut des leçons de harpe de Beaumarchais. Mozart y aurait joué pour la famille royale en 1763. Sous Louis XVI, cette pièce redevient une pièce d'exposition. En 1788, Louis XVI y expose l'un de ses achats personnels, le cabinet des papillons.
Révolution française (1789-1799)
Versailles vit l’apogée de la France des Bourbons, mais aussi sa chute : c’est à Versailles que se tinrent les états généraux de 1789.
Journées d'octobre
Le , malgré la pluie, le peuple de Paris, conduit par des femmes, marche sur Versailles où il se heurte aux grilles du château. Une fusillade éclate. Le peuple envahit le château, et ramène la famille royale à Paris. Abandonné après le départ de la famille royale pour Paris , le château ne retrouvera jamais ses fastes. Avant de partir, le roi déclare au gouverneur du château : « Tâchez de me sauver mon Versailles ! »93. Avec eux, la famille royale emporte « le mobilier, les pendules, les tentures, le linge et tout le nécessaire »93 : l'intendance en profite pour faire de grands ménages et des restaurations93 ; néanmoins, et pour la première fois depuis 1723 (lorsque Louis XV revient à Versailles), « le gouverneur ordonne alors de fermer les contrevents, et le château sombre dans l'obscurité »93. Il est néanmoins préservé dans le but de le mettre à la disposition des citoyens pour en faire, comme il est prévu pour tous les châteaux royaux, un lycée, un gymnase, un musée du Génie94. La surveillance du château fut confiée à la Garde nationale de Versailles pour éviter les dégradations, ils menaient à bien cette mission aux côtés des Suisses restés au château95.
Versailles après le départ de la famille royale
Le mobilier du château est transporté dans des garde-meubles. Ainsi, le fameux secrétaire à cylindre de Louis XV par Oeben et Riesener, après avoir subi des modifications de son décor et de ses ornements (suppression de tout ce qui rappelait la royauté) est affecté à l'hôtel de la Marine[réf. nécessaire], place de la Concorde. Le château n'est pas plus pillé que soumis à des dégradations, sinon certains insignes de la royauté (fleurs de lys, couronnes, etc.) qui sont martelés93.
En 1790 la municipalité de Versailles fit appel à la générosité du Roi pour venir en aide aux centaines d'ouvriers sans travail dont le nombre augmentait de jour en jour. Louis XVI versa un salaire à 600 travailleurs à partir du mois de janvier pour l'entretien du Grand Canal. Mais six mois plus tard, il cessa les paiements en expliquant qu'il ne pouvait plus subvenir à leurs besoins ; les travaux prirent fin et l'état du Grand Canal se dégrada jusqu'à ce qu'il se transforme en un marais putride. Un décret du protégea le Grand Canal en le réservant à l'installation d'une école de natation95.
Au début de 1791, les tableaux, les glaces et tous les emblèmes trop explicites de la royauté sont décrochés des murs et des plafonds. Les œuvres d'art sont envoyées au Louvre, devenu le musée central des arts en 1792.
Après le , le concierge du palais, Boucheman, qui était déjà en poste sous Louis XVI, fut chargé de dresser la liste des personnes habitant toujours le château, il en dénombra 70 ; celles qui étaient installées sans motif reçurent l'ordre d'évacuer les lieux, entre le 12 et le des scellés furent apposés sur les portes des différents appartements. Les habitants qui étaient restés dans le château étaient essentiellement des personnes chargées de son entretien et de sa surveillance95.
De la Convention au Directoire
La Convention, le , après la chute de la monarchie, vend à l'encan le mobilier du château (17 000 pièces, qui vont de l'argenterie aux boutons de porte96) : 17 182 lots, étalés sur les années 1793-1796. Les plus belles pièces partent pour l'Angleterre, achetées par des mandataires du roi George III, et meublent ou décorent le palais de Buckingham ou le château de Windsor. Charles-François Delacroix, le père du peintre Eugène Delacroix, pense en 1793 qu'il faudrait le démolir et y passer la charrue95 ; la Convention pense par ailleurs, un temps, à raser le château93. Les sans-culottes arrachent les fleurs des jardins pour planter des pommes de terre et des oignons97, le Petit Trianon devient une gargote et des clubs révolutionnaires s'installent dans l'opéra et la chapelle royale96.
Le château toutefois n'était pas totalement fermé au public, au mois d' treize citoyens et huit « gardes-bosquets » disposaient des clés du château, ils étaient habilités à y faire entrer des groupes de visiteurs et à leur faire découvrir les salles du château et le parc de Versailles en échange d'une rémunération95.
Entre la fin de l'année 1793 et le début de l'année 1794 le pourtour du Grand Canal fut mis en culture ; 200 pommiers furent plantés à son extrémité en 1795. Les matelots et les gondoliers du canal conservèrent leur logement, étant chargés de l'entretien de la flottille. En les animaux de la Ménagerie furent transférés au Muséum d'Histoire naturelle à Paris95.
Il est quelque temps dépôt central du département de Seine-et-Oise pour les œuvres d'art pillées chez les nobles émigrés93. En 1795, il devient un « muséum » (confirmé par Bonaparte en 1799)93 ; le , il prend le nom de musée central des arts, puis en 1797 de musée spécial de l'École française, abritant 350 chefs-d'œuvre, dont de Nicolas Poussin, alors que le musée du Louvre présente les collections de Hollande et des Pays-Bas98. Alors, « le château n'est plus qu'une carcasse vide, à l'exception notable des deux institutions qu'il abrite : le Muséum national et le dépôt central des objets d'art de Seine-et-Oise. Un fourre-tout où se distingue, entre autres, une partie des anciennes collections royales »96.
En 1796 l’École centrale de Versailles fut installée dans l'aile des ministres nord du château, les salles de classes étaient meublées avec le mobilier de l'hôtel des Affaires étrangères, le potager du château fut mis à la disposition du professeur de sciences naturelles95.
Consulat et Empire (1799-1814)
Le , Duroc, grand maréchal du palais, prit possession du palais au nom de la couronne impériale. Le le pape Pie VII, venu pour le sacre de l'Empereur, bénissait la foule depuis la fenêtre centrale de la galerie des Glaces99. Les 13 et , l'Empereur visita le château et décida de repousser son installation dans le palais au profit du Grand Trianon.
L'Empire installé, les aménagements de Versailles commencent : on commande en 1806 une série de tentures destinées à l'ameublement et on décida de faire tisser à la manufacture des Gobelins des tapisseries d'après des sujets impériaux100 : l'Empereur et sa famille, l'Empereur et ses chefs de corps, les Grands Hommes de l'Antiquité et les statues du musée dont le Laocoon. Le , l'Empereur confia à l'architecte Jacques Gondouin la transformation du palais. Gondouin présenta deux projets101 :
- le premier, économique se contentait de doubler le pavillon Gabriel sur la cour par la construction d'une aile qui aurait abrité un théâtre, et les deux pavillons auraient été reliés par une galerie, ménageant une cour impériale au fond de laquelle la cour de marbre aurait simplement été remaniée par un plaquage de pierre ;
- le second projet, plus ambitieux, ménageait un ensemble de cours intérieures en s'inspirant des projets de Gabriel. À cela s'ajoutait la réfection du Grand Commun, de l'orangerie et du petit parc, la remise en eau du Grand Canal.
En 1806 et 1807, les dépenses liées aux nouvelles guerres entraînèrent l'arrêt des travaux, ce qui permit à Guillaume Trepsat et Pierre Fontaine de proposer leurs propres projets très proches du premier projet de Jacques Gondouin102. Après une visite du château le , l'Empereur abandonna le projet de Jacques Gondouin et ordonna la consolidation des bâtiments et la remise en état immédiate des lambris, glaces et serrures103.
En 1810, après son mariage avec l'archiduchesse Marie-Louise, Napoléon Ier souhaita de nouveau s'installer dans un Versailles transformé ; il ordonna que des crédits spéciaux soient alloués et fit appel à Alexandre Dufour qui lança les premiers travaux très rapidement dont la remise en eau du Grand Canal104. Dufour souhaitait détruire la cour de marbre et de construire en avant une aile avec un pavillon central qui aurait abrité la salle du trône ; en pendant de la chapelle, il envisageait un théâtre qui en aurait repris le plan105.
En 1811, à la suite de la naissance du roi de Rome, Napoléon Ier songea un temps à faire de Versailles son palais impérial93, voire un palais pour son fils, avant qu'il ne décide la construction du palais du Roi de Rome à Chaillot96. La maison des enfants de France devait s'installer dans l'aile du Midi, près de leur mère, Marie-Louise qui aurait logé dans les appartements de la Reine. Deux projets retinrent l'attention de Napoléon Ier :
- celui de Jean-François Heurtier qui proposa une vaste colonnade sur fond de cour ;
- celui de Pierre Fontaine et Alexandre Dufour qui proposèrent un nouveau projet prévoyant la construction d'un bâtiment faisant pendant au Grand Commun, l'un et l'autre intégrés au château et reliés par une façade sur la cour, la colonnade masquant l'arrière de la chapelle du palais106.
La fin précipitée du Premier Empire empêcha la réalisation de ces travaux et Versailles resta inutilisé jusqu’au retour de la monarchie, l'Empereur séjournant néanmoins de façon régulière au Grand Trianon96. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon Ier rappela ses projets pour Versailles107. Il s'agissait de transformer en un palais digne de l'Empire qu'il entendait construire108.
Restauration (1814-1830)
Après la Restauration, Louis XVIII entreprend des travaux en vue de faire du château sa résidence d'été93 pour six millions de francs98 : néanmoins, conscient du risque couru à se réinstaller à Versailles, pour son image de souverain non absolu, il recule, mais permet aux bâtiments une restauration bienvenue à la suite des déconvenues des deux dernières décennies93, travaux que poursuit Charles X93.
En 1815, Philippe Louis Marc Antoine de Noailles, prince de Poix devient gouverneur de la Maison royale de Versailles et de Trianon, lieutenant-général, marguillier d'honneur de la paroisse et secrétaire général du gouvernement de Versailles. À ce titre, il représente le roi à Versailles et a en plus le soin de tout ce qui regarde la fabrique et l'œuvre de la paroisse Saint-Louis. Auguste de Rambaud, fils de son amie Agathe de Rambaud, ancien commissaire des guerres, est son secrétaire intime.
Philippe Louis Marc Antoine de Noailles meurt le à Paris. Son éloge est prononcé à la Chambre des pairs par Armand-Maximilien-François-Joseph-Olivier de Saint-Georges, marquis de Vérac, mari d'une de ses nièces, et son successeur dans le gouvernement de Versailles.
De 1830 à 1870
Louis-Philippe Ier confie à son ministre Camille Bachasson, comte de Montalivet, la tâche de transformer le château en musée : c’est de cette époque que date la dédicace « À toutes les gloires de la France », présente sur les frontons de l'aile Gabriel et du pavillon Dufour.
Galeries historiques du musée
En 1833 Louis-Philippe Ier décide, pour sauver Versailles de la ruine, de le transformer en un musée de l'histoire de France célébrant les conquêtes militaires de l'Ancien Régime, de la Révolution française, de l'Empire et même de la Restauration110. Très attaché à ce projet destiné à marquer l'entreprise de réconciliation nationale (entre monarchie et république111) menée par la monarchie de Juillet, le roi surveille de très près l'exécution des travaux et les commandes des tableaux.
La restauration du château est dirigée par l'architecte Pierre Fontaine. Les travaux, payés sur la cassette personnelle du roi, s'élèvent à plus de 23 millions de francs. Parmi les modifications apportées au château, on peut citer l'ajout d'une tourelle néoclassique en forme d'échauguette, engagée dans l'encoignure de la cour royale (et qui devait être doublée par une seconde tourelle, côté Nord). Elle est destinée à mieux relier les attiques, pour faciliter le parcours des galeries d'exposition du nouveau musée de l'histoire de France. Cette tourelle de Louis-Philippe sera supprimée au début du XXe siècle pour des motifs esthétiques et des raisons de sécurité, le poids de cet édifice menaçant la structure du toit du château.
Louis-Philippe fait également restaurer le Grand Trianon pour son usage personnel. En octobre 1837, il y célèbre le mariage de sa fille, la princesse Marie, avec le duc de Wurtemberg.
Installée dans l'aile du Midi à la place des appartements des princes (ceux-ci sont littéralement détruits111), la galerie des Batailles a été conçue personnellement par Louis-Philippe. Elle surprend par ses vastes dimensions (120 mètres de long sur 13 mètres de large). Elle est ornée de trente-deux tableaux de grandes dimensions célébrant les actions militaires glorieuses de l'histoire de France depuis la bataille de Tolbiac en 496 jusqu'à celle de Wagram en 1809. Le peintre le plus sollicité a été Horace Vernet.
Le musée de l'histoire de France du château de Versailles, dédié « à toutes les Gloires de la France », est inauguré officiellement par Louis-Philippe le , dans le cadre des festivités qui marquent le mariage du prince royal avec la princesse Hélène de Mecklembourg. Il comprend notamment la salle des Croisades dont les frises portent les armes et les noms des chevaliers croisés, ouverte au public en 1843.
Le musée rencontre un très grand succès. Victor Hugo commente :
« Ce que Louis-Philippe a fait à Versailles est bien. Avoir accompli cette œuvre, c'est avoir été grand comme roi et impartial comme un philosophe ; c'est avoir fait un monument national d'un monument monarchique ; c'est avoir mis une idée immense dans un immense édifice ; c'est avoir installé le présent dans le passé, 1789 vis-à-vis de 1688, l'empereur chez le roi, Napoléon chez Louis XIV ; en un mot, c'est avoir donné à ce livre magnifique qu'on appelle l'histoire de France cette magnifique reliure qu'on appelle Versailles112. »
Les collections du musée, consacrées d'abord aux peintures (6 000) et aux sculptures (1 500), puis aussi au remeublement du château, comptaient environ 65 000 œuvres en 2014113, dont 18 861 en ligne sur le site du château au (8 593 estampes, 3 689 peintures et miniatures, 1 577 objets d'art, 1 403 dessins et pastels, 1 178 meubles, etc.)114. À lui seul, le Cabinet des dessins et gravures comprend au total 90 pastels, environ 1 400 dessins et environ 28 000 gravures, soit près de 30 000 œuvres et le Cabinet des médailles en compte 2 600.
Réceptions officielles de Napoléon III
Sous le Second Empire, on assiste seulement à la « mise en place d'une salle commémorant les victoires de Crimée et d'Italie. Toutefois Napoléon III s'attache à conserver le château et ses dehors dans les meilleures conditions possibles »115[réf. incomplète]. En 1855, il dîne avec la reine Victoria dans la galerie des Glaces116.
L'impératrice Eugénie, qui vouait un culte à Marie-Antoinette[réf. nécessaire], fut à l'origine d'un regain d'intérêt pour le château de Versailles. C'est sous son influence que lors de l'Exposition universelle de 1867, des meubles prestigieux furent réintégrés dans le patrimoine du château. Ainsi, le grand serre-bijoux de Schwerdfeger ou le bureau de Roentgen.
De 1870 à nos jours
Troubles de 1870-1871
La France est vaincue et le château devient le quartier général de l’armée prussienne lors du siège de Paris pendant la guerre de 1870. La galerie des Glaces sert d'hôpital117, 400 lits sont installés dans le château et 1 000 pièces d'artillerie sur la place d'Armes118. Le roi et sa cour investissent Versailles le 118 ; ils fêtent Noël et le réveillon dans les appartements royaux, dînant de plats à base de salade de hareng118. Le Kronprinz royal prussien décore ses soldats sous la statue équestre de Louis XIV118. L’Empire allemand est proclamé dans la galerie des Glaces le , avec l'union décidée entre la confédération de l'Allemagne du Nord et les États du Sud sous l'égide du chancelier Otto von Bismarck. Le roi de Prusse ne loge alors pas au château, mais à la préfecture119. Les troupes ne partent que le , alors qu'Adolphe Thiers signe l'armistice.
L'état de délabrement du château fait dire à Émile Zola en 1874 : « Quand l'homme ferme portes et fenêtres et qu'il part, c'est le sang de la maison qui s'en va. Elle se traîne des années au soleil, avec la face ravagée des moribondes ; puis, par une nuit d'hiver, vient un coup de vent qui l'emporte. C'est de cet abandon que meurt le château de Versailles. Il a été bâti trop vaste pour la vie que l'homme peut y mettre »120.
Installation de la République à Versailles
En 1871, la Commune de Paris amène le gouvernement français et son administration à s'établir à Versailles119 et notamment à la préfecture121. On installe alors l'Assemblée nationale dans l'ancien Opéra royal, puis on regroupe les 23 000 prisonniers de la Commune dans l'orangerie. Quelques-uns sont exécutés dans le parc, au mur des Fédérés (à Satory)119. En 1875, les lois constitutionnelles organisent un Parlement bicaméral : le Sénat continue de siéger dans l'Opéra royal alors que la Chambre des députés se dote d'une nouvelle salle, la salle du Congrès, plus grand hémicycle parlementaire d'Europe122 construit dans l'ancienne grande cour de l'aile du Midi.
En application de la loi du 22 juillet 1879 relative au siège du pouvoir exécutif et des chambres à Paris, les deux assemblées regagnent Paris en 1879, tout en conservant des locaux au sein du château jusqu'en 2005119.
Sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, le château reste en effet le lieu de réunion du Congrès du Parlement, chargé d'élire le président de la République française jusqu'en 1962 et de réviser la Constitution119.
Versailles de Nolhac
Pierre de Nolhac arrive au château de Versailles en 1887, en tant qu'attaché de conservation, puis est nommé conservateur du musée le 123. Entre-deux, le château et les jardins a été déserté pendant vingt ans, si bien qu'on en a même oublié le nom des bassins119. Dès son arrivée au château, il envisage de mettre en place de véritables galeries historiques, organisées de façon scientifique, par opposition à Louis-Philippe qui avait créé les premières galeries d'histoire dans une optique de glorification de l'histoire de France. Parallèlement, il entreprend de rendre au château son aspect antérieur à la Révolution. Pour atteindre ces deux buts, Nolhac supprime des salles, décroche des œuvres, remet au jour certains décors historiques, etc. Il raconte par exemple dans ses Mémoires : « la première salle sacrifiée fut celle des rois de France qui alignait sur la cour de Marbre les effigies imaginaires, ou authentiques, de nos rois depuis Clovis »124.
La révolution opérée par Nolhac donne une notoriété nouvelle au château. Des membres de la haute société et de la noblesse se pressent pour découvrir les nouveaux aménagements, tel le duc d'Aumale, l'ancienne impératrice Eugénie ou encore Marcel Proust119. Nolhac s'emploie également à faire venir des personnalités étrangères. Le , le tsar Nicolas II et son épouse arrivent à Versailles125, accueillis par le président Félix Faure126. Nolhac organise également des événements qui visent à faire connaître le château à des donateurs potentiels. Le propriétaire du journal New York Herald, Gordon Bennett, donne 25 000 francs permettant de restructurer les salles du XVIIIe siècle. Le développement des dons privés amène à la création de la Société des amis de Versailles, en .
Deux guerres mondiales
À l'approche de la Première Guerre mondiale, Nolhac met en place différents dispositifs visant à protéger le château. Les tapisseries de l'Histoire du Roy sont mises en caisse. Les œuvres et les objets précieux sont stockés sous l'aile Gabriel et l'accès est muré118. Ces précautions ont été inutiles parce qu'aucune destruction n'a été à déplorer au cours du conflit.
En souvenir de l'humiliation subie par la France en 1871, le gouvernement français décide de faire signer dans la galerie des Glaces le traité de Versailles. Le est signé ce traité de paix par David Lloyd George, Georges Clemenceau, et Thomas Woodrow Wilson aux côtés des représentants allemands. Ainsi la France récupère l'Alsace-Lorraine au même endroit où elle l'avait perdue. Le château et ses jardins demeurent néanmoins dans un piteux état119.
Le , Nolhac quitte ses fonctions, après trente-deux ans consacrés à Versailles.
L'effort de Nolhac pour sortir de l'oubli le château n'a pas permis d'établir un financement pérenne. Ainsi, au sortir du conflit, le château qui n'a pas été entretenu fait face à d'importantes difficultés financières. À la suite de sa visite en France, John Davison Rockefeller décide de financer la réhabilitation du château de Versailles, notamment le gros œuvre et les pièces d'eau, dans le parc119. Il effectue un premier versement en 1924, un second en 1927. La générosité de ce ressortissant américain incite le gouvernement français à allouer un budget de restauration annuel au château.
À l'approche de la Seconde Guerre mondiale, l'inspecteur général des Beaux-Arts Pierre Ladoué prend des dispositions pour protéger les œuvres (les boiseries sont déposées et les pièces majeures sont envoyées en Sarthe ; on mure les accès à la galerie des Glaces127). Le drapeau nazi flotte sur le château119, mais lorsque les Allemands arrivent, il ne reste pour tout personnel que le conservateur en chef, son épouse, et un pompier handicapé127. Cette période est marquée par les images de soldats allemands visitant la galerie des Glaces, lieu de naissance de l'Empire allemand. En , Goebbels visite le château128. À la fin de la guerre, les œuvres sont raccrochées et des travaux de restauration commencent, notamment dans la chambre de la Reine. En , le quartier général allié s'installe à l'hôtel Trianon Palace tout proche. Fred Astaire danse pour les soldats américains devant le château (du côté des jardins), lesquels visitent aussi les bâtiments pour observer les toiles127.
Période Mauricheau-Beaupré
Déjà, en 1951, le conservateur en chef, Charles Mauricheau-Beaupré alerte le sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, André Cornu, sur l'état de délabrement de Versailles : il pleut dans la galerie des Glaces, et les peintures sont menacées129. Après une visite d'une journée, le ministre chiffre les travaux de rénovation à environ 5 milliards de francs ; en février 1952, il sollicite, par voie radiophonique, l'aide des Français en leur faisant prendre conscience de l'état de l'ancien palais royal : « Vous dire que Versailles menace de ruine, c'est vous dire que la culture occidentale est sur le point de perdre un de ses plus nobles fleurons. Ce n'est pas seulement un chef-d'œuvre que l'art de la France doit craindre de voir disparaître, mais en chacun de nous une image de la France qu'aucune autre ne saurait remplacer »129. Aussitôt, plusieurs mécènes se font connaître : le gouverneur de la Banque de France (il donne dix millions de Francs), Georges Villiers (président du Conseil national du patronat français) ainsi que de nombreux artistes (les écrivains Roger Nimier et Jean Cocteau, les peintres Henri Matisse et Maurice Utrillo)129, et surtout la population (enfants, soldats, etc.).
Période Van der Kemp
Versailles a servi de palais national à la disposition de la présidence de la République. Il sert à accueillir des chefs d’État étrangers, comme Nikita Khrouchtchev en 1960126, John Kennedy en 1961121, Élisabeth II en 1957122 et 1972, le shah d’Iran en 1974, Mikhaïl Gorbatchev en 1985, Boris Eltsine en 1992 ou Vladimir Poutine en 2017. Pour cela, en 1959, le général de Gaulle réaménage le Grand Trianon, pour loger les chefs d'État étrangers et leur entourage122 : une aile est par ailleurs réservée au président de la République française (avec « chambres, salons, cuisines, chapelle », etc.122) ; en 1999, ces pièces sont restituées au château. Le pavillon de la Lanterne est, lui, réservé au Premier ministre, jusqu'à 2007 où Nicolas Sarkozy en fait une résidence présidentielle secondaire122.
Lieu symbolique, le château de Versailles est l’objet d’un attentat dans la nuit du 25 au 26 juin 1978130. La bombe à retardement posée par deux nationalistes bretons endommage une dizaine de salles dont la galerie des Batailles, faisant pour trois millions de francs de dégâts.
En 1982, du 4 au , il abrite le « sommet de Versailles », la 8e réunion du G7 avec les dirigeants des sept pays démocratiques les plus industrialisés.
Création de l'Établissement public
Le , par le décret no 95-463131, le gouvernement a procédé à la création de l'Établissement public du musée et du domaine national de Versailles regroupant dans une structure unique le musée national du château de Versailles et le domaine national de Versailles. Ce nouveau statut confère à l'établissement public une autonomie de gestion financière et une personnalité juridique. En 2010, par le décret no 2010-1367132, le nom de l'établissement public est modifié et devient Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. Depuis 2001, le château fait partie du réseau des résidences royales européennes133.
Dernières institutions publiques disposant de locaux au sein du château (environ 25 000 m2 de locaux principalement dans l’aile du Midi), en vertu de la loi du relative au siège du pouvoir exécutif et des chambres à Paris et de l’ordonnance no 58-1100 du , l'Assemblée nationale et le Sénat acceptent en 2005, en adoptant une proposition de loi émise par Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale, de « mettre à la disposition du public les locaux dits du Congrès, au château de Versailles »134. Toutefois, en adoptant un amendement, le Sénat a refusé la restitution de la salle des séances du Congrès, considérée comme un « lieu de mémoire de l’histoire parlementaire de notre pays ».
Dans la lignée du « Grand Louvre » débute en 2003 le projet du « Grand Versailles », série de modernisations et de restaurations du château, de ses parcs, dépendances et du Petit Trianon, financés par l'État et le mécénat d'entreprise. Menée en deux phases, cette succession de travaux s'achève en 2017 et apporte au château des décors extérieurs et intérieurs restaurés, la réfection des toitures et menuiseries, un nouveau système de chauffage et autres modernisations techniques, la réhabilitation du Grand Commun135. Pour adapter le château au tourisme de masse136, l'accès des visiteurs est simplifié, avec la fermeture de la cour royale par la construction d'une « grille royale » (déplaçant la statue équestre de Louis XIV du XIXe siècle) et la mise en place de deux entrées uniques — le pavillon Dufour pour l'accueil des visiteurs individuels, l'aile Gabriel pour les groupes —, alors qu'il y avait auparavant six entrées possibles137. Le projet « Grand Versailles numérique » permet également le développement des premiers outils numériques culturels français, avec l'élaboration d'outils numériques enrichissant la visite du château et du domaine ou permettant de les visiter virtuellement138,139.
La réalisation majeure du « Grand Versailles » est la transformation du pavillon Dufour et sa « Vieille aile » pour accueillir les visiteurs140,137. Jusqu'alors, ils abritaient plusieurs services du château (conservation, communication, présidence…) qui ont déménagé en 2014 dans le Grand Commun140,135. Le pavillon et l'aile sont entièrement modifiés par l'architecte Dominique Perrault, désigné par concours140,note 7. Si l'administration du château prétend que l'aile et son pavillon « comportent très peu d'éléments historiques », l'aménagement détruit en réalité un escalier datant de la construction du pavillon (XIXe siècle), les pièces du rez-de-chaussée de la « Vieille aile » de Mansart (l'antichambre, la salle de Conseil, la salle des Ambassadeurs, la salle du Grand maître de la Maison du Roi) et l'entresol, ainsi que les salles du 1er étage du pavillon (dont le Salon central datant de la Restauration)136. Dans le pavillon Dufour et la « Vieille aile » décloisonnés, Perrault aménage au rez-de-chaussée un espace d'accueil (portiques, consigne, audioguide), au 1er étage un restaurant nommé Ore affecté à Alain Ducasse, au 2d étage un auditorium sous les toits, au sous-sol des boutiques et commodités dans d'anciens réservoirs, et creuse un escalier pour la sortie des visiteurs dans la cour des Princes136. Pour le restaurant, il supprime la différence de niveau entre l'étage du pavillon et de l'aile, de deux époques différentes, en rehaussant le plancher du pavillon d'un mètre136. La décoration de l'accueil est critiquée pour son apparence trop moderne et clinquante, semblable aux hôtels de luxe de pays du Golfe136. La nouvelle configuration est ouverte en et inaugurée au mois de juin par le président de la République137.
À partir de 2008, le domaine de Versailles accueille chaque année une exposition d'art contemporain, dans les jardins, cours ou à l'intérieur du château141.
Les onze salles au rez-de-chaussée de l'aile du Nord — d'anciens appartements des princes du sang, dont il ne subsiste aucune décoration — sont remaniées pour en faire la « galerie de l'Histoire du Château », racontant la construction et l'évolution du domaine de Versailles, à travers des maquettes, des films et des tableaux142. Cette présentation, ouverte en 2009, permet d'initier les visiteurs à l'histoire et la topographie complexe du château de Versailles, avant d'entrer dans les Grands Appartements142.
Château actuel
Le château de Versailles témoigne de l'art français aux XVIIe et XVIIIe siècles. Pour cela, le château ainsi que le domaine font l'objet de plusieurs protections au titre des monuments historiques143. Après une première mention sur la liste des monuments historiques de 1862, un arrêté détaillé est pris le . Il concerne le palais et ses dépendances, le petit parc et ses dépendances, le Grand et le Petit Trianon avec leurs parcs respectifs et dépendances (dont la ferme de Gally), ainsi que le grand parc143. Un périmètre de protection étendu, en lieu et place des 500 mètres habituellement créés autour des monuments historiques est créé par décret du . Il concerne une zone de cinq kilomètres de rayon autour de la Chambre du Roi143 et d'un quadrilatère dans le prolongement du grand canal, de six kilomètres de long et de 2 à 3,5 kilomètres de large suivant les endroits143. L'ensemble du domaine est inscrit depuis 1979 sur la liste du patrimoine mondial établie par l'UNESCO144.
En , la presse évoque l'hypothèse selon laquelle 4 lots de mobilier présents dans le château sont des faux145,146. Ces copies avait été acquises entre 2008 et 2012 pour 2,7 millions d'euros147.
Organisation générale
Le château proprement dit s'organise autour de trois cours ouvertes ; il intègre un corps central en forme de U reliant deux ailes au Nord (dite aile du Nord) et au Sud (dite aile du Midi).
Place d'Armes et Cours ouvertes
Le château est situé à l'Ouest de la ville de Versailles, au sommet de la butte Montbauron, il vient couronner une succession de quatre cours successives se surplombant les unes aux autres.
Chacun de ces degrés, de plus en plus prestigieux et à l'espace resserré, créent une progression qui se veut impressionnante vers le cœur du pouvoir symbolisé par la chambre royale au milieu du corps central du château :
- La place d'Armes : cette esplanade a été aménagée à partir de 1660 et est sise à la convergence des avenues de Saint-Cloud (Nord-Ouest), de Paris (Est) et de Sceaux (Sud-Est). Comme son nom l'indique, c'était une place de parade et de revue militaire. Elle est encadrée à l'Est par les Grandes et Petites Écuries. Depuis 2009, elle accueille la statue équestre de Louis XIV, auparavant placée dans la cour d'honneur.
- La cour d'Honneur : séparée de la place d'Armes par la grille d'honneur (bleue et or), la cour d'Honneur constitue l'entrée principale du château ; elle dessert les ailes des Ministres au Nord et au Sud et la cour royale à l'Ouest.
- La cour royale : clôturée à l'est par la grille d'honneur plaquée d'or (détruite en 1792 et restituée en 2009), elle dessert le côté[style à revoir] du Roi au Nord (par l'escalier des Ambassadeurs aujourd'hui disparu) et le côté[style à revoir] de la Reine au Sud (par l'escalier de la Reine) ainsi que la Cour de marbre à l'Ouest.
- La cour de Marbre : Surélevée de cinq marches, la cour de Marbre est pavée de marbre noir et blanc et constitue la Cour de ce qui était le Château vieux. Réservée à l'usage exclusif du Roi, y accéder et y être admis constituait alors un privilège.
Cours intérieures
Chaque aile Nord et Sud comprend deux cours intérieures permettant la desserte des appartements privés :
- Petite Cour du Roi (Nord-Est)
- Cour des Cerfs (Nord-Ouest)
- Cour du Dauphin (Sud-Ouest)
- Cour de la Reine (Sud-Est)
Corps central
Le corps central est en fait constitué de deux parties : le Château Vieux côté est et le Château Neuf, qui vient le chemiser et l'agrandir du Nord Ouest eu Sud-Ouest.
Château Vieux
On peut aujourd'hui observer sa façade de briques rouges encadrant la cour de Marbre. Il se présente sous la forme d'un rez-de-chaussée surmonté de deux étages et intègre à l'intérieur :
- les petits appartements privés du Roi au Nord
- le cabinet du Conseil
- la chambre Royale
- le salon de l'Œil de Bœuf
- la grande Antichambre
- la salle des Gardes au Sud
Château Neuf
Le Château Neuf vient chemiser le château vieux et double sa largeur sur le corps central. Il lui adjoint deux ailes une au Nord et l'autre au Sud. On le reconnait pas sa façade de pierre blonde. Il se présente sous la forme d'un rez-de-chaussée surmonté d'un étage de grande hauteur et d'une attique.
Rez-de-chaussée
Le rez-de-chaussée abrite des appartements princiers réservés à la famille royale au XVIIIe siècle, avec du nord au sud148 :
- en dessous du Grand Appartement du Roi, l'appartement de Madame Adélaïde et l'appartement de Madame Victoire, ou appartements de Mesdames ;
- l'appartement du Capitaine des gardes, donnant sur la cour de Marbre ;
- au centre, le petit appartement de la Reine, donnant sur la cour de Marbre. Au milieu de cet appartement, le vestibule de Marbre et, en dessous du milieu de la galerie des Glaces, la galerie basse conservent les originaux de plusieurs statues de grands sculpteurs, dont Girardon et Le Hongre, commandées en 1674 pour orner le jardin où elles ont été remplacées par des copies autour de 2010 ;
- l'appartement du Dauphin ;
- en dessous du Grand Appartement de la Reine, l'appartement de la Dauphine.
Premier étage
Au premier étage, le corps central comprend le Grand Appartement du Roi au nord, la galerie des Glaces à l'ouest côté jardin et le Grand Appartement de la Reine au sud149 :
- du côté nord, le Grand Appartement du Roi est relié à l'aile du Nord par le salon d'Hercule et comprend une enfilade de salles portant des noms d'allégorie (Abondance) ou de dieux grecs (Vénus, Diane, Mars, Mercure, Apollon), aboutissant au salon de la Guerre qui donne sur le jardin. Dans la même partie du bâtiment, l'appartement intérieur du Roi regroupe des pièces encadrant la petite cour du Roi ou donnant sur la cour de Marbre et la cour Royale. Le petit appartement du Roi contient quelques pièces et passages situés entre le Grand Appartement et la cour des Cerfs ;
- au milieu du corps central, face au jardin, la galerie des Glaces relie le salon de la Guerre au Grand Appartement de la Reine. Elle jouxte l'appartement particulier du Roi qui donne sur la cour de Marbre et comprend en particulier la Chambre du Roi, le salon de l'Œil-de-bœuf et le cabinet du Conseil. L'appartement de madame Du Barry est situé au-dessus du Petit Appartement du Roi ;
- du côté sud, le Grand Appartement de la Reine, symétrique à celui du Roi, occupe la partie sud du corps central et comprend une enfilade de pièces : salon de la Paix, chambre de la Reine, Grand Cabinet ou salon des Nobles, antichambre du Grand Couvert, salle des Gardes. Les cabinets intérieurs de la Reine occupent plusieurs côtés de la cour du Dauphin et l'appartement de madame de Maintenon regroupe quelques pièces donnant sur la cour Royale.
Deuxième étage et attique
Le petit appartement du roi et les cabinets intérieurs de la Reine se poursuivent au deuxième étage150.
L'appartement de madame du Barry et l'appartement du marquis de Maurepas sont situés au-dessus de l'appartement intérieur du roi. Celui de la marquise de Pompadour surplombe en attique le Grand Appartement du Roi.
Aile du Midi
- Galerie des Batailles
- Salle du Congrès
- Galerie de Pierre haute Sud
- Galerie de Pierre basse Sud
- Hôtel du Grand Contrôle (dans le prolongement de l'aile du midi)
Aile du Nord
- Chapelle du château de Versailles, côté sud
- Opéra royal du château de Versailles, côté nord
- Salles du XVIIe siècle
- Salles du XIXe siècle
- Salles des Croisades
- Galerie de Pierre haute Nord
- Galerie de Pierre basse Nord
Dépendances
Jardin
Au pied du château se trouvent les parterres d'Eau, du Nord et du Midi sous lequel se trouve l'orangerie.
Dans l'axe de la grande perspective qui part du parterre d'Eau, se trouvent le parterre de Latone et le Tapis vert qui ouvrent sur le Grand Canal.
Les bosquets principaux151 sont : le bosquet des Bains d'Apollon, le bosquet de la Colonnade, le bosquet des Dômes et celui des Rocailles.
Les jardins accueillent les grandes eaux musicales et nocturnes organisées par Château de Versailles Spectacles, d’avril à octobre152.
Parc
- La pièce d'eau des Suisses,
- Le Grand Canal,
- Les Trianons.
Six structures subsidiaires sont situées aux alentours du château de Versailles comptent dans l’histoire et dans l’évolution du château : la Ménagerie, le Trianon de porcelaine, le Grand Trianon — dit également Trianon de Marbre, le Petit Trianon, le hameau de la Reine et le pavillon de la Lanterne.
Visiteurs et fréquentation
- 3 924 786 (2003)
- 4 329 611 (2004)
- 4 480 081 (2005)
- 4 741 758 (2006)
- 5 326 317 (2007)153
- 6 725 000 (2009)
- 7 396 929 (2010)154
- 7 721 244 (2011)
Évolution du nombre de visiteurs depuis 2009 (en millions) 2019155 2018156 2017157 2016158 2015159 2014160 2013161 2012161 2011161 2010161 2009161 Château 4,6 4,5 4,3 4 4,4 4,6 4,5 4,4 4 3,8 3,5 Galerie des carrosses 0,186 0,171 0,154 NC NC NC NC NC NC NC NC Châteaux de Trianon et Domaine de Marie-Antoinette 1,4 1,5 1,5 1,3 1,5 1,6 1,5 1,4 1,3 1,1 1,3 Spectacles 2 1,9 1,7 1,4 1,6 1,5 1,5 1,5 1,5 1,1 0,8 Total 8,2 8,1 7,7 6,7 7,4 7,7 7,5 7,3 6,7 6 5,7 Évolution des principales nationalités de visiteurs depuis 2013 2019155 2018156 2017157 2016158 2015159 2014160 2013161 France 19 % 21 % 21 % 21 % 19 % 20 % 21 % États-Unis 16 % 15 % 15 % 14 % 14 % 13 % 15 % Chine 13 % 10 % 12 % 13 % 13 % 9 % 6 % Italie 4 % 5 % 3 % 3 % 5 % 5 % 4 % Japon 4 % 4 % 3 % 2 % 4 % NC NC Allemagne 4 % 5 % 3 % 3 % 5 % 5 % 4 % Brésil 4 % 4 % 4 % 3 % 4 % 4 % 5 % Corée du Sud 4 % 3 % 4 % 4 % 5 % NC NC Espagne 3 % 3 % 2 % 3 % 3 % 3 % 3 % Royaume-Uni 3 % 3 % 3 % NC NC NC NC Canada 3 % 3 % 3 % 3 % 3 % 3 % 4 % Russie 2 % NC NC NC NC NC NC Australie 2 % 2 % 2 % NC NC NC NC Mexique 2 % 2 % 2 % NC NC NC NC Argentine NC 2 % 3 % NC NC NC NC Autres pays 17 % 19 % 19 % 20 % 26 % 29 % 34 % Versailles et les arts
Dans la littérature
Compte tenu de sa place dans l'histoire de France, le château a également marqué la littérature française : par exemple avec L'Allée du Roi de Françoise Chandernagor, la série des Angélique de Anne et Serge Golon. L'intrigue des romans d'Annie Jay s'y déroule au temps de Louis XIV.
Au cinéma et à la télévision
Le domaine est le cadre de nombreux films, et ce dès le début du XXe siècle162. Certains films ont marqué le château.
En 1954, Sacha Guitry réalise Si Versailles m'était conté..., qui retrace l'histoire du château de Versailles au travers de quelques épisodes et portraits des personnalités qui y ont vécu.
En 2006, Sofia Coppola réalise Marie-Antoinette, qui reçoit l'Oscar des meilleurs costumes.
En 2007, la série britannique Doctor Who sort un épisode intitulé La Cheminée des temps dans lequel l'histoire se déroule au château de Versailles et où Madame de Pompadour apparaît.
En 2012 Benoît Jacquot réalise Les Adieux à la reine tiré du livre éponyme de Chantal Thomas.
En 2014, Alan Rickman réalise Les Jardins du roi, qui met en scène la construction des jardins de Versailles.
En 2015, Canal+ sort la série franco-canadienne de fiction historique Versailles, qui met en scène les premières années au trône de Louis XIV ainsi que ses relations au sein de la cour.
Le film fantastique The King's Daughter de Sean McNamara, prévu pour 2018, y a été tourné.
Bande dessinée et manga
Le château fut représenté en 1979 dans la série animée Lady Oscar, créée d'après le manga shōjo de Riyoko Ikeda La Rose de Versailles paru en 1972.
Jeux et jeux vidéo
- Castlevania: The New Generation sur Megadrive : le cinquième niveau du jeu se déroule au château de Versailles.
- Versailles 1685 : Complot à la Cour du Roi-Soleil sur CD-Rom, coproduit avec la Réunion des musées nationaux et Cryo Interactive en 1996, ainsi que sa suite, Versailles II : Le Testament.
- Assassin's Creed: Unity : plusieurs séquences de mémoires d'Arno Dorian se situent dans le château de Versailles, pendant la Révolution française.
- Paris 1919 : à vous de gagner la paix !, jeu de société pédagogique créé par Louis-Gilles Pairault et Stéfan Crisan, permettant de rejouer le traité de Versailles de 1919, éditions Astéroid-games, 2019163.
Notes et références
Notes
- Soit dix fois moins qu'à l'époque.
-
« Le , fut présent l’illustrissime et révérendissime Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, seigneur de Versailles, reconnoît avoir vendu, cédé et transporté... à Louis XIII, acceptant pour Sa Majesté, messire Charles de L'Aubespine, garde des sceaux et chancelier des ordres du roi, et messire Antoine Rusé, marquis d'Effiat, surintendant des finances, etc., la terre et seigneurie de Versailles, consistant en vieil château en ruine et une ferme de plusieurs édifices ; consistant ladite ferme en terres labourables, en prés, bois, châtaigneraies, étangs et autres dépendances ; haute, moyenne et basse justice... avec l'annexe de la grange Lessart, appartenances et dépendances d’icelle, sans aucune chose excepter, retenir, ni réserver par ledit sieur archevêque, de ce qu'il a possédé audit lieu de Versailles, et pour d'icelle terre et seigneurie de Versailles, et annexe de la grange Lessart, jouir par Sadite Majesté et ses successeurs rois, comme de choses appartenantes. Cette vente, cession et transport faits, aux charges et devoirs féodaux seulement, moyennant la somme de soixante-mille livres tournois, que ledit sieur archevêque reconnoît avoir reçues de Sadite Majesté, par les mains de..., en pièces de seize sous, de laquelle somme il se tient content, en quitte Sadite Majesté et tout autre, etc. »
— Jacques-François Blondel, Architecture françoise, ou Recueil des plans, élévations, coupes et profils des églises, maisons royales, palais, hôtels & édifices les plus considérables de Paris., t. 4, Paris, Charles-Antoine Jombert, 1752-1756, p. 93.
- Dans l'aile nord, les cuisines et le logement du concierge, dans l'aile sud, au sud le garde-meuble et les latrines ; sous les toits, des chambres pour les compagnons du Roi.
- De la mort de Louis XIII, en 1643, jusqu'à celle de Mazarin, en 1661, aucun travail d'envergure n'est réalisé à Versailles : ce n'est qu'après la fête donnée à Vaux-le-Vicomte par Fouquet en 1661 que Louis XIV relance le chantier de Versailles (Solnon 2003, p. 28-29).
- Des études récentes évaluent ce coût à 80 milliards de francs actuels (2,4 milliards d’euros, soit le coût d'un sous-marin nucléaire), mais cette comparaison est sujette à caution, le cours de la livre tournoi variant beaucoup au XVIIe siècle.
- Ces 25 millions correspondant essentiellement au système d'approvisionnement en eau. Les fontaines et les statues coûtent en tout 3 millions de livres tournois. Jean-François Solnon, Versailles. Vérités et légendes, Perrin, , p. 134.
- Le projet de Perrault a été choisi car il était le seul à ne pas ajouter d'élévation moderne dans la cour des Princes137, alors que la contrainte aurait pu être inscrite dans le concours dès le départ136.
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- Vivien Richard, « Les lits de Louis XIII à Versailles. Entre sobriété et majesté : manifeste d’un dessein royal », dans In Situ. Revue des patrimoines, 2019, no 40 (lire en ligne) [archive].
- Établissement public du musée et du domaine national du Château de Versailles, « Un grand projet pour Versailles », Grand Versailles numérique, (lire en ligne [archive]).
- Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, « Rapport d'activité - 2009 » [archive], (consulté le ).
- « La restauration de Versailles et le contresens des dévots culturels », Le Figaro, (lire en ligne [archive], consulté le ).
- Michèle Leloup, « Versailles en grande toilette », L'Express, (lire en ligne [archive]).
- ministère de la Culture et de la Communication et Groupe Monnoyeur, « Restitution de la grille royale du château de Versailles », Mission du mécénat (version électronique), (lire en ligne [archive], consulté le ).
- Odile Caffin-Carcy, « Que devint Versailles après le départ de la Cour ? », p. 53-80, Revue historique, no 579, juillet- (ISBN 978-2-130436447).
- (mul) « Horloge astronomique 1749-1753. Claude-Siméon Passemant (1702-1769) » [archive], Gérard Guilbaud, Notre patrimoine Horloger
Autres ouvrages
Annexes
Articles connexes
Liens externes
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- Bulletin du Centre de recherche sur le château de Versailles [archive], sur le site crcv.revues.org
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- Site officiel du projet Grand Versailles numérique [archive], sur le site gvn.chateauversailles.fr
- Site officiel de Château Versailles Spectacles [archive], sur le site chateauversaillesspectacles.fr
- Site du Grand Parc de Versailles [archive], sur le site grandparcdeversailles.org
- Château de Versailles : un chantier de quatre siècles ! [archive]
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- Les archives de la gestion des travaux au château de Versailles (palais, Petites-Écuries et Grandes-Écuries, haras de la Ménagerie) sous le Second Empire [archive] sont conservées aux Archives nationales (France)
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Fortifications et constructions de Vauban
L’œuvre de Vauban est monumentale car il a conçu et suivi la réalisation de plus de 150 places fortes ainsi que de vastes ouvrages civils en France. Douze sites, qui ont bénéficié de leur inscription de l’œuvre remarquable de Vauban sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, permettent d’en fournir une analyse scientifique en croisant plusieurs critères typologiques :
- l’évolution des conceptions défensives de Vauban, organisées après lui en premier, deuxième et troisième système ;
- une déclinaison géographique complète (sites de plaine, de bord de mer et de montagne) ;
- le type d’ouvrage (fort, enceinte urbaine ou citadelle) ;
- l'adaptation des fortifications existantes et la création ex nihilo.
Contexte
Développement de la fortification bastionnée
À la Renaissance, une nouvelle école de fortification émerge et pose les bases de nouvelles manières de défendre les places fortes : le tracé à l'italienne. Elle introduit le glacis, une zone en pente douce, privée de tout couvert, qui entoure la forteresse. Autre nouveauté, le chemin couvert, qui sépare le fossé du glacis : il permet de déployer des mousquetaires, pour fusiller tout assaillant qui s'aventurerait sur le glacis. Il est légèrement en contrebas des courtines principales qui sont armées par les canons de la place, ce qui permet l'étagement des feux ; il n'est pas protégé côté forteresse, et n'offre donc aucun avantage après sa prise. L'usage de la terre extraite du fossé dans la construction redevient prépondérant, la maçonnerie est employée principalement pour bâtir deux murs encadrant le fossé, l'escarpe côté courtine et la contrescarpe côté glacis1. La tour disparaît au profit du bastion, entre lesquels s'intercalent des demi-lunes, qui remplacent les premiers ouvrages détachés.
Toutes ces nouvelles techniques sont formalisées, en France, dans un premier traité de fortification : La fortification reduicte en art et demonstrée, écrit par Jean Errard et publié en 16042. Il y détermine les distances entre les ouvrages en fonction de la portée de l'arquebuse et préconise l'étagement des feux. Antoine De Ville et Blaise de Pagan poursuivent son œuvre, en particulier en introduisant l'usage de réduits, au sein des ouvrages, pour retarder leur chute en fournissant aux défenseurs une position de repli où ils peuvent se réfugier et bénéficier d'un avantage, au sein même de l'ouvrage. Le principe de l'échelonnement dans la profondeur est né3, il est ensuite perfectionné par leurs successeurs, dont Sébastien Le Prestre de Vauban. On peut également citer Daniel Specklin qui écrivit Architectura von Vestungen.
Le système Vauban
Fort de son expérience de la poliorcétique, il conçoit ou améliore les fortifications de nombreuses villes et ports français. Cela commence en 1666 avec la prise en main des travaux du fort de Brisach. Ce premier chantier lui attirera l'inimitié de l'intendant d'Alsace, Charles Colbert de Saint-Marc qui n'hésitera pas à falsifier des pièces comptables pour le discréditer4 et se poursuit jusqu'à la mort de l'ingénieur en 1707. Ces travaux gigantesques sont permis par la richesse du pays5. Il révolutionne aussi bien la défense des places fortes que leur capture. Il dote la France d'un glacis de places fortes pouvant se soutenir entre elles : pour lui, aucune place n'est imprenable, mais si on lui donne les moyens de résister suffisamment longtemps des secours pourront prendre l'ennemi à revers et lever le siège. De plus, si la ville tombe, Vauban, qui ne souhaite pas que les assiégés résistent jusqu'au dernier, estime qu'une place bien défendue peut permettre une reddition avec les honneurs. Cela entraine pour les assiégés de pouvoir quitter la ville arme à la main et libres. Ces troupes libérées pourront être employées ultérieurement et peut-être avec plus de réussite6. Vauban va ainsi pousser le roi à révolutionner la doctrine militaire défensive de la France en concentrant les places fortes sur les frontières du Royaume c’est la « ceinture de fer » qui protège le pays : le pré carré du roi7. À l’intérieur du pays, où le danger d’invasion est moindre, les forteresses sont démantelées. Paris perd par exemple ses fortifications, d’une part, pour libérer des troupes devenues inutiles et qui sont transférées aux frontières et d’autre part, pour éviter aux révoltes de trouver asile dans l’une d’elles comme cela avait été le cas lors de la Fronde8.
Au total, Vauban a créé ou élargi plus de 180 forteresses (construction d'environ 119 places ou villes fortifiées, 34 citadelles, 58 forts/châteaux et plusieurs dizaines de bâtiments de défenses (réduits et redoutes))9 et donné son nom à un type d'architecture militaire : le système Vauban qui a largement été repris même hors de France, par exemple pour les fortifications de la ville de Cadix.
Le pré carré
La guerre aux frontières Nord de la France fait que la frontière est peu homogène avec un enchevêtrement de places françaises et ennemies. Vauban, afin de consolider les frontières du royaume et en rendre efficace la défense prône une gestion raisonnable de celles-ci. Il envisage de se défaire des places trop exposées10 et de s'emparer par la négociation ou la force des places ennemies trop avancées. Ce concept débouchera sur le pré carré.
Le pré carré est une double ligne de villes fortifiées qui protège les nouvelles frontières du Royaume de France contre les Pays-Bas espagnols. Le pré carré a été conçu par Vauban au XVIIe siècle après la conquête du nord de l’actuelle France.
- Première ligne (d'ouest en est) : Dunkerque, Bergues, Furnes, fort de Kenocq, Ypres, Menin, Lille, Tournai, fort de Mortagne, Condé, Valenciennes, Le Quesnoy, Maubeuge, Philippeville, Dinant.
- Deuxième ligne : Gravelines, Saint-Omer, Aire-sur-la-Lys, Béthune, Arras, Douai, Bouchain, Cambrai, Landrecies, Avesnes, Mariembourg, Rocroi, Charleville-Mézières11.
À l'origine de cette expression, cette lettre adressée par Vauban à Louvois en : "Sérieusement, Monseigneur, le roi devrait un peu songer à faire son pré carré. Cette confusion de places amies et ennemies ne me plaît point. Vous êtes obligé d'en entretenir trois pour une. Vos peuples en sont tourmentés, vos dépenses de beaucoup augmentées et vos forces de beaucoup diminuées, et j'ajoute qu'il est presque impossible que vous les puissiez toutes mettre en état et les munir. Je dis de plus que si, dans les démêlés que nous avons si souvent avec nos voisins, nous venions à jouer un peu de malheur, ou (ce que Dieu ne veuille) à tomber dans une minorité, la plupart s'en irait comme elles sont venues. C'est pourquoi, soit par traité ou par une bonne guerre, Monseigneur, prêchez toujours la quadrature, non pas du cercle, mais du pré. C'est une belle et bonne chose que de pouvoir tenir son fait des deux mains12."
La mise en place de ce système ne se fit pas sans heurts, ainsi, lorsque le , il envoie un dossier proposant de rationaliser les places fortes, la réponse de Louvois est sans appel « (...)si vous n'étiez pas plus habile en fortification que le contenu de votre mémoire donne lieu de croire que vous l'êtes sur la matière dont il traite, vous ne seriez pas digne de servir le roi de Narsingue, qui, de son vivant, eut un ingénieur qui ne savait ni lire, ni écrire, ni dessiner »13.
Conception et construction d'une fortification
Vauban était régulièrement sollicité pour, à l'instar de ses écrits sur la prise ou la défense des places fortes, rédiger un précis de construction. L'intéressé répondait invariablement que chaque place était unique, car il fallait tenir compte de son environnement et s'y adapter14.
Tout au long de sa carrière, Vauban perfectionna l'architecture des forteresses qu'il construisit ou aménagea. Ainsi, on lui attribue trois systèmes de fortification15.
- Premier système :
Au début de sa carrière d'ingénieur aux fortifications, son travail était très proche de ce qui avait été fait par les architectes italiens et français de l'époque. Lui-même reconnaissait qu'il « paganisait »10.
- Deuxième système :
Tirant expérience de la poliorcétique, il développa un deuxième système. S'étant rendu compte que la prise d'un bastion entraînait invariablement la prise rapide de la ville, il décida de séparer ces derniers de l'ouvrage. Cette modification avait pour avantage de mieux protéger l'artillerie et de créer une deuxième ceinture de protection16.
- Troisième système :
Ce dernier système est l'aboutissement de plusieurs décennies d'expérience militaire. Ce type d'ouvrage ne fut construit qu'une fois, ce fut Neuf-Brisach, en Alsace, destiné à remplacer la place de Vieux-Brisach (Alt-Breisach en rive droite du Rhin, perdue par la France). Il reprend les évolutions du deuxième système qui augmentait encore la défense en profondeur notamment par l'implantation de « tours-bastions » renforçants les bastions17.
Évolution de la conception des citadelles sous VaubanChoix de l'emplacement
Vauban cherchait le meilleur emplacement possible pour ses citadelles, que ce soit l'emplacement proprement dit ou l'importance de cet emplacement. Ainsi, en 1686, à la suite d'un projet de fort dans l'île de Giesenheim, l'ingénieur s'oppose à cette idée, car selon lui, cet ouvrage n'empêcherait en rien une armée de remonter le long du Rhin18. Pour la citadelle de Mont-Royal, il choisit, au lieu de renforcer un site préexistant - la place de Trarbach -, de créer de toutes pièces un nouvel ouvrage. Une fois l'emplacement choisi et les grandes lignes du projet dessinées, il délègue aux ingénieurs et dessinateurs la charge de réaliser le projet définitif19.
Construction du plan-relief
Construits en bois et en carton, les plans-reliefs étaient des maquettes destinées à présenter le projet de construction au Roi20. Cependant, ils n'avaient pas que cette fonction. Ils servaient également à montrer la puissance du Roi, si une place était prise ou détruite par l'ennemi, cela permettait d'en garder la trace et si elle était reprise, le plan-relief servait comme base de travail pour apporter des améliorations. En raison de leur importance militaire, ces maquettes étaient à l'époque classées « secret-défense »21. Depuis 1927, la collection est classée monument historique22.
Établissement des plans
Pour l'établissement des dessins et plans, Vauban disposait d'une équipe de dessinateurs qui travaillaient pour lui. Les frères Francart étaient installés au château de Bazoches et effectuaient tous les dessins, plans et croquis dont il avait besoin23.
Construction
Vauban adopte la formule de plans en polygone régulier dont l'angularité limite la régularité des tirs perpendiculaires, les seuls réellement efficaces, et permet aux assiégés de contrôler la totalité du périmètre de l'enceinte. La figure la plus répandue est celle du pentagone, cinq saillants, appelés bastions, étant reliés par des courtines dans lesquelles sont percées portes et poternes24.
Vauban, pour la construction des ouvrages défensifs, critique ouvertement les financiers qui veulent réaliser des économies pouvant se révéler désastreuses sur le plan militaire. Il insiste sur le fait de « bâtir solidement et donner le prix juste des ouvrages »25.
Aménagements
Lors de sa construction, le fort bénéficie d'aménagements. Ainsi des arbres sont plantés sur la muraille ainsi qu'à l'intérieur de la ville. Cela n'est pas dans un but esthétique, mais dans un objectif militaire. À cette époque, les sièges des villes se faisaient à la belle saison lorsque les feuilles des végétaux offraient un rideau masquant l'intérieur de la ville et de son système défensif aux yeux des assiégeants. De plus, lors d'un siège, les arbres pouvaient être employés à renforcer une muraille affaiblie, fournir du bois de chauffe26, etc.
Pour la construction de plusieurs fortifications, dont celle de Neuf-Brisach, Vauban fit construire des canaux, dont le canal Vauban (Neuf-Brisach) permettant l'acheminement des pierres extraites des carrières.
La fortification de la façade maritime
Après ses premiers travaux à Belle-île en 1682, Vauban revient en Bretagne en 1685 à Saint-Malo où il établit un projet de fortification pour la ville qui sera refusé par le Roi. De là, il se rend à Granville où il établit également un projet tout comme à Cherbourg (Cherbourg-en-Cotentin depuis 2016). Il poursuit sa route vers le nord et propose des fortifications pour plusieurs villes traversées. Le Roi ne retiendra que deux villes à renforcer, Brest et Dunkerque27 et quelques forts y compris insulaires (Oléron, Tatihou).
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Le Château-d'Oléron : plan-relief avec fortifications de Vauban.
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La Tour Vauban de Camaret-sur-Mer.
La fortification en zone montagneuse
La fortification de ces zones est un défi pour l'ingénieur : contrairement aux plaines et vallons du Nord du royaume, chaque zone fortifiée est différente de sa voisine et nécessite un aménagement au cas par cas. À Besançon, comme la citadelle est surplombée par des hauteurs, il décide de remplacer les bastions par des tours bastionnées qui abritent des canons protégés dans des casemates qui seront à même de défendre plus efficacement le site en cas d'attaque ennemie23. La défense en zone montagneuse peut être considérée comme un quatrième système en raison du choix de l'implantation qui privilégiait les défenses naturelles. Ainsi, un emplacement judicieusement choisi et favorable à la défense permettait d'alléger les constructions du système défensif28.
De juillet à , lors de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, le duc de Savoie, opposé à la France, pénètre et ravage le Queyras et la vallée de la Durance. Le roi prend conscience de la fragilité de sa frontière alpine et envoie Vauban en urgence pour la fortifier. L'ingénieur interviendra sur plusieurs sites le long de cette frontière, dont Briançon et Château-Queyras, par exemple. Après des recherches approfondies dès , il choisit en novembre le plateau des mille vents (ou Millaures) à la confluence du Guil et de la Durance afin de verrouiller la route des Alpes : le projet de la forteresse nouvelle de Mont-Dauphin naît. Il a également prévu d'installer une population civile, car il y a des terres cultivables à proximité et des matériaux de construction en abondance. Le coût de ce projet est, dans un premier temps, estimé à 770 000 livres. Cependant, ce chantier rencontre de nombreuses difficultés, dont des affaissements de terrains, qui retardent les travaux. Vauban rejette cependant ces retards sur les ingénieurs locaux. La construction d'un fort en un tel lieu et à mille mètres d'altitude entraîne une logistique lourde. Une fois le fort construit, 100 à 300 mulets sont employés pour approvisionner la citadelle, seuls animaux pouvant emprunter les sentiers alpins accidentés29. Depuis 2008, les places fortes de Briançon et Mont-Dauphin sont inscrites au Patrimoine mondial de l'UNESCO, parmi douze sites majeurs fortifiés par Vauban30,31.
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Plan-relief de Briançon en 1736, échelle 1/600e. Les fortifications de la ville et ses alentours ont reçu des améliorations et des créations nouvelles projetées par Vauban dès 1692.
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Plan-relief de la forteresse de Mont-Dauphin, place forte créée par Vauban. Plan-relief construit en 1695. Échelle 1/600e.
Les réalisations civiles
Aqueduc de Maintenon
Depuis l'installation de la cour à Versailles, la population de la ville a décuplé. Afin de l'alimenter en eau, de nombreux aménagements ont été effectués, mais ils se révèlent insuffisants. Il est projeté de détourner la partie haute de l'Eure pour alimenter le château par un canal d'environ 80 kilomètres32 qui doit enjamber la vallée de l'Eure que Vauban propose de franchir au niveau de Maintenon par un siphon, moins coûteux que l'aqueduc initialement prévu. Mais c'est finalement cette dernière solution qui sera retenue, car plus apte, selon Louvois, à glorifier le rayonnement du Roi. L'aqueduc de Maintenon devait avoir une longueur de presque 6 kilomètres, comporter 242 arches et culminer à 68 mètres de hauteur33. Le chantier employa environ 30 000 hommes, dont deux tiers de soldats. En raison des guerres et de leur coût, ce chantier sera abandonné en 1689 et restera inachevé, tout en ayant coûté 8 millions de livres34.
Canal du Midi
Fin 1685, Vauban inspecte le « canal de communication des mers » connu actuellement sous le nom de canal du Midi. Cet ouvrage avait pour objectif de relier l'Atlantique à la Méditerranée afin d'éviter d'avoir à passer par le détroit de Gibraltar. Pierre-Paul Riquet, dès 1662, lança le projet d'étudier la faisabilité d'un tel ouvrage. En 1665, devant le projet présenté, Colbert, par « lettres patentes du Roi », permet l'exécution d'une première étude, notamment concernant l'acheminement de l'eau en quantité suffisante pour alimenter un tel canal. Le projet approuvé, les travaux, prévus pour un coût initial de six millions de livres, commencent, financés par les États de Languedoc, par le roi et par Riquet lui-même lorsque les fonds viennent à manquer. Ce dernier meurt en 1680 avant que l'ouvrage ne soit terminé par son fils pour une dépense finale de 18 millions de livres. Toutefois, en l'état, l'ouvrage n'est pas exploitable et Vauban est chargé de déterminer les travaux à effectuer et les améliorations à apporter pour que le canal puisse être exploité ; en particulier, il fait creuser la Percée des Cammazes. Afin de mener à terme ce chantier, il confie celui-ci à Antoine Niquet qui n'hésitera pas à prendre des libertés vis-à-vis du projet de Vauban35.
Après cet ouvrage, Vauban s'intéresse à un autre projet, aménager un canal dans les Flandres afin de relier Tournai à Dunkerque via Lille. Cet ouvrage aurait, selon le proposant, l'avantage d'assécher plus de dix mille arpents de marais et de capter une part non négligeable du commerce transitant habituellement plus au nord, mais hors du territoire français36.
Les canaux des Flandres
Au cours des années 1680, les conquêtes françaises ont intégré plusieurs villes dans le royaume. Alors que leurs débouchés fluviaux naturels se situent en territoire ennemi en se dirigeant vers le nord et les Pays-Bas espagnols. Il faut songer à faire parvenir ce qui est produit dans ces nouvelles annexions vers les ports français comme Dunkerque. Le seul moyen est de creuser un réseau de canaux, d'aménager un certain nombre de rivières comme l'Aa. Vauban y travaille et entre 1687 et 1693, il relie la Scarpe à la Deûle, creuse le canal de la Sensée qui joint Arleux à Douai en 169037.
Il multiplie les projets d'aménagement, ainsi, il projette de travailler sur l'Escaut pour le rendre navigable, de créer un nouveau canal qui relierait Tournai à Lille et pousserait jusqu'à la Deûle et la Lys.
Château d'Ussé
C’est au XVIIe siècle que le château d'Ussé fut transformé en demeure de plaisance avec le charmant pavillon construit par le Maréchal de Vauban pour le mariage de sa fille avec le Marquis de Valentinay, fils du propriétaire, contrôleur des finances du Roi Louis XIV. C’est en sa faveur que le château acquiert ses plus belles lettres de noblesse et accède au marquisat38,39.
Vauban et l'urbanisme
Héritage
Les chantiers de Vauban furent parfois longs à achever ; ainsi, les ingénieurs durent en terminer plusieurs, parfois plusieurs décennies après le décès de leur concepteur que celui-ci avait initiés. À titre d'exemple, le château du Taureau fut terminé en 1745.
Le travail de Vauban sur les fortifications influença durablement ses successeurs. Ils s'évertuèrent à imiter, copier, interpréter le travail de l'architecte. Portant leurs travaux sur les tirs en enfilade et la défense en profondeur, ils négligèrent l'impact des tirs frontaux et abandonnèrent peu à peu le principe de l'enceinte symétrique28.
Frontières françaises
La France a conservé un grand nombre de places fortifiées par Vauban, sans que les modifications ultérieures, excepté les démantèlements, aient dénaturé leur aspect.
En Allemagne à Fribourg-en-Brisgau, Forteresse de Mont-Royal, Kehl et Landau in der Pfalz, en Belgique à Audenarde, Ath, Château de Bouillon, Furnes, Fort de Knocke, Menin, Mons, Namur, et Ypres; à Luxembourg de Luxembourg (ville) et aux Pays-Bas à Maastricht mais aussi à Soleure en Suisse, au Portugal la cité aux 12 branches de la ville d'Almeida
À travers le Monde
Au Viêt Nam, sous la dynastie Nguyễn et plus particulièrement sous le règne de Gia Long, plusieurs citadelles furent construites40,41,42. Elles reprennent dans les grandes lignes les principes de fortification de Vauban.
Sur la côte atlantique du Maroc s'élève une forteresse édifiée par le sultan Mohammed ben Abdellah. Ce dernier, en 1764, demande à Théodore Cornut de lui tracer les plans d'une citadelle construite dans la ville d'Essaouira.
Au Japon, la citadelle de Goryōkaku fut construite pendant la deuxième moitié du XIXe siècle.
Ces monuments sont présentés comme étant conçus à partir de modèles imaginés par Vauban. En replaçant ce dernier dans le contexte de l'architecture militaire, il n'est pas l'inventeur de cette architecture, il l'a juste perfectionnée. La citadelle de Bourtange (Pays-Bas) illustre ce propos puisqu'elle fut construite vers 1590, soit plus de quarante ans avant la naissance de l'ingénieur.
Vers 1960, la commune de Vlagtwedde a pris l'initiative de remettre les fortifications en leur état historique. La totalité des remparts, des fortifications et des fossés a été reconstruite selon les plans de 1742.
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Plan de la citadelle de Hué lors de l'attaque française en 1885.
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La citadelle d'Essaouira, au Maroc, typique de l'architecture Vauban.
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La citadelle de Goryōkaku au Japon
Patrimoine mondial de l'UNESCO
Depuis 2008, douze sites remarquables fortifiés par Vauban sont classés au patrimoine mondial par l'UNESCO, soulignant l'importance de l’œuvre de l'ingénieur. Ces sites sont : Arras, Besançon, Blaye-Cussac-Fort-Médoc, Briançon, Camaret-sur-mer, Longwy, Mont-Dauphin, Mont-Louis, Neuf-Brisach, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Vaast-la-Hougue, Villefranche-de-Conflent. Une association française permettait déjà depuis 2005 de fédérer ces douze sites dans le Réseau des sites majeurs de Vauban30.
Notes et références
- Ian Hogg - Fortifications, histoire mondiale de l'architecture militaire - Éditions Atlas - 1983 - p. 112
- Ian Hogg - Fortifications, histoire mondiale de l'architecture militaire - Éditions Atlas - 1983 - p. 120
- Blaise François de Pagan (comte de Merveilles), Les fortifications de monsieur le comte de Pagan : Avec ses théorèmes sur la fortification, Chez F. Foppens, (lire en ligne [archive]), p. 14.
- Bernard Pujo - Vauban - page 39.
- Barros, Salat, Sarmant, op. cit..
- Collectif - Sous la direction de Viviane Barrie-Curien - Guerre et pouvoir en Europe au XVIIe siècle - Éditions Veyrier - collection Kronos - 1991 - (ISBN 2851995510) - p. 142.
- Claude Dufresnes, Le bonheur est dans le pré carré, Historia thématique no 106 [archive], mars-avril 2007, page 40.
- Frédéric Négroni, La Révolution militaire aux XVIe et XVIIe siècles [1] [archive].
- Philippe Prost, Vauban : Le style de l'intelligence, Paris, Archibooks, , 110 p. (ISBN 978-2-35733-011-5), p. 13.
- Collectif - Sous la direction de Viviane Barrie-Curien - Guerre et pouvoir en Europe au XVIIe siècle - Éditions Veyrier - collection Kronos - 1991 - (ISBN 2851995510) - p. 140.
- Bernard Pujo - Vauban - page 99.
- Bernard Pujo - Vauban - page 63.
- Bernard Pujo - Vauban - page 142.
- Précision donnée vers la fin de l'article [archive].
- Ian Hogg - Fortifications, histoire mondiale de l'architecture militaire - Éditions Atlas - 1983 - p. 122.
- Ian Hogg - Fortifications, histoire mondiale de l'architecture militaire - Éditions Atlas - 1983 - p. 125.
- Ian Hogg - Fortifications, histoire mondiale de l'architecture militaire - Éditions Atlas - 1983 - p. 126-128.
- Bernard Pujo - Vauban - page 136.
- Bernard Pujo - Vauban - page 139.
- L'Histoire et la vie d'une place forte de Vauban - éd. Berger-Levrault - 1984.
- Collectif - Sous la direction de Viviane Barrie-Curien - Guerre et pouvoir en Europe au XVIIe siècle - Éditions Veyrier - collection Kronos - 1991 - (ISBN 2851995510) - p. 149.
- Les plans-reliefs, monuments historiques [archive].
- Bernard Pujo - Vauban - page 138.
- Luc Mary, Vauban, le maître des forteresses, Archipel, , p. 101.
- Bernard Pujo - Vauban - page 152.
- Collectif - Sous la direction de Viviane Barrie-Curien - Guerre et pouvoir en Europe au XVIIe siècle - Éditions Veyrier - collection Kronos - 1991 - (ISBN 2851995510) - p. 132.
- Bernard Pujo - Vauban - page 133
- Ian Hogg - Fortifications, histoire mondiale de l'architecture militaire - Éditions Atlas - 1983 - p. 129.
- Joël Cornette - L'Histoire no 323, septembre 2007 - p. 74-75 (pour tout le paragraphe).
- « Briançon et Mont-Dauphin : patrimoine mondial - La valeur universelle de l’oeuvre de Vauban - Ministère de la Culture et de la Communication [archive] », sur www.culturecommunication.gouv.fr (consulté le ).
- ADDET 05, « Briançon - Mont-Dauphin (UNESCO): Hautes-Alpes [archive] », sur www.hautes-alpes.net (consulté le ).
- Plusieurs dessins et plans d'époque ainsi que des photos actuelles [archive].
- Plusieurs photos de l'aqueduc [archive].
- Bernard Pujo - Vauban - page 126.
- Bernard Pujo - Vauban - page 130 (pour tout le paragraphe).
- Bernard Pujo - Vauban - page 143.
- Isabelle Warmoes, Vauban, bâtisseur du Roi-Soleil : [exposition, Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine, 13 novembre 2007-5 février 2008], Paris, Somogy - Éditions d'art, , 431 p. (ISBN 978-2-7572-0121-3), p. 331.
- histoire du château d'Ussé [archive]
- Ussé sur sites-vauban.org [archive].
- Informations sur la citadelle de Hué [archive].
- Mémoire relatant les fortifications au Viêt Nam [archive].
Annexes
Bibliographie et sources
- Luc Mary, Vauban, le maître des forteresses, Éditions de l'Archipel, ;
- Bernard Pujo, Vauban, Albin Michel, , 374 p. (ISBN 978-2-226-05250-6) ;
- Anne Blanchard, Vauban, Fayard, , 682 p. (ISBN 978-2-213-59684-6) ;
- A. Allent, Histoire du corps impérial du génie, vol. 1 (seul paru) : Depuis l'origine de la fortification moderne jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, Paris, , p. 45-526 Étude sur Vauban ;
- Martin Barros, Nicole Salat et Thierry Sarmant, Vauban, l'intelligence du territoire, Paris, Service historique de la défense et Nicolas Chaudun, (réimpr. 2007), 175 p. (ISBN 978-2-35039-044-4) ;
- Mont-Dauphin, chronique d'une place forte du roi, Bénédicte de Wailly, Editions du Net, 2014
Articles connexes
- Sébastien Le Prestre de Vauban
- Liste des villes fortifiées par Vauban
- Réseau des sites majeurs de Vauban classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO le
- Fortification
- Siège
Liens externes
- Fortifications. Du système bastionné au système polygonal. [archive]
- Vidéos de présentation des 14 sites du réseau Vauban [archive]
- Les places fortes des Hauts-de-France : Yves Roumegoux, « Le directeur général des fortifications des places de terre et de mer en 1691 », 2021 [archive]
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Sébastien Le Prestre de Vauban
Sébastien Le Prestre
Marquis de Vauban
Vauban, avec sa cicatrice ronde à la joue gauche, due à un tir de mousquet reçu lors du siège de Douai. Dessin attribué à Hyacinthe Rigaud.Surnom Vauban Naissance
Saint-Léger-de-Foucheret (aujourd'hui Saint-Léger-Vauban)Décès (à 73 ans)
ParisOrigine Français Allégeance Royaume de France Arme Génie militaire Dignité d'État Maréchal de France Conflits Fronde,
Guerre de Dévolution,
Guerre de la Ligue d'Augsbourg,
Guerre de Hollande,
Guerre de Succession d'EspagneFaits d'armes 49 prises de ville, défense de Camaret Distinctions Chevalier de l'ordre de Saint-Louis
Chevalier de l'ordre du Saint-EspritHommages Hommes illustres (Louvre) Autres fonctions Ingénieur et architecte militaire
Gouverneur de Lille (1668-1707)
Commissaire général des fortifications (1678-1703)
Membre de l'Académie des sciencesFamille Famille Le Prestre de Vauban modifier Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, dit Vauban, né le à Saint-Léger-de-Foucheret et mort le à Paris, est un ingénieur, architecte militaire, urbaniste, hydraulicien et essayiste français. Il est nommé maréchal de France par Louis XIV.
Vauban préfigure les philosophes du siècle des Lumières. D'après Fontenelle, dans l'éloge funèbre prononcé devant l'Académie, Vauban a une vision scientifique, sinon mathématique de la réalité et en fait un large usage dans ses activités.
Expert en poliorcétique, il donne au royaume une « ceinture de fer » pour faire de la France un pré carré — selon son expression — protégé par une ceinture de citadelles. Il conçoit ou améliore une centaine de places fortes. L'ingénieur n'a pas l'ambition de construire des forteresses inexpugnables : la stratégie consiste plutôt à gagner du temps en obligeant l'assaillant à mobiliser des effectifs dix fois supérieurs à ceux de l'assiégé. Il dote la France d'un glacis qui la rend inviolée durant tout le règne de Louis XIV — à l'exception de la citadelle de Lille prise une fois — jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, période où les forteresses sont rendues obsolètes par les progrès de l'artillerie.
La fin de sa vie est marquée par l'affaire de La Dîme royale. Dans cet essai, distribué sous le manteau malgré l'interdiction qui le frappe, Vauban propose un audacieux programme de réforme fiscale pour tenter de résoudre les injustices sociales et les difficultés économiques des « années de misère » de la fin du règne du Roi Soleil : la grande famine de 1693-1694 fait 1,3 million de morts, soit un vingtième de la population française.
Douze ouvrages de Vauban, regroupés au sein du réseau des sites majeurs de Vauban, sont classés au patrimoine mondial de l'UNESCO le 1,2.
Le musée des Plans-reliefs aux Invalides à Paris et le musée des Beaux-Arts de Lille accueillent l'essentiel des maquettes et des plans-reliefs des places ou des ouvrages construits ou remaniés par Vauban.
Biographie
Enfance
Sébastien Le Prestre de Vauban, né le , est baptisé le dans l’église de Saint-Léger-de-Foucheret, dans le Morvan (un décret impérial transforma son nom en Saint-Léger-Vauban en 1867). Il est issu d’une famille de hobereaux nivernais récemment agrégés à la noblesse (quatrième génération pour l'ascendance paternelle)3 : les origines lointaines sont obscures et les « brûlements » et les pillages des guerres de Religion permettent, quand il faut répondre aux enquêtes de noblesse ordonnées par Colbert, de camoufler l’absence de documents plus anciens4.
Les Le Prestre sont probablement d’anciens marchands5 : ils s’installent dans la commune de Saint-Saulge, puis à Bazoches d'où ils dirigent un flottage de bois vers Paris par la Cure, l’Yonne et la Seine.
Nous savons aussi qu'Emery Le Prestre, l’arrière-grand-père paternel de Vauban, acquiert, en 1555, le bailliage de Bazoches, situé à une lieue du château de Bazoches, château que Vauban rachètera… D’Hozier, examinant en 1705 les preuves de noblesse de Vauban, dit : « Quelle qualité que celle d’un bailli de village pour le père d’un chevalier du Saint-Esprit ? Et quelles alliances pour des tantes du maréchal que Millereau et Lambert ?… »6.
On ignore où est située sa maison et en quoi consiste son aménagement intérieur… « Vauban, écrit Saint-Simon, toujours cruel (et qui pourtant lui reconnaît bien des qualités), petit gentilhomme de campagne tout au plus […]. Rien de si court, de si nouveau, de si plat, de si mince. »
Son père (il a trente ans à sa naissance), Albin ou Urbain Le Prestre, suivant les généalogistes, qualifié d’« écuyer » sur le registre de baptême de son fils, appartient à une lignée noble depuis trois générations, mais cousinait par sa mère, Françoise de La Perrière (fille de Gabriel de la Perrière, seigneur de Billy et de Dumphlun), avec des maisons d’ancienne chevalerie, les Montmorillon et les Chastellux7. C'est un homme discret, peu causant, dont la passion principale semble être la greffe des arbres fruitiers (il a laissé à la postérité les pommes et les poires Vauban)…
Quant à la mère de Vauban, « damoiselle Edmée de Carmignolles (ou Cormignolles), fille de Jehan Carmignolles, escuyer », âgée de vingt-deux ans à sa naissance, elle sort d’une famille de marchands et de paysans enrichis, des « principaux du village », comme le mentionnent les documents[réf. nécessaire]. C'est elle qui apporte en dot une demeure paysanne à Saint-Léger-de-Foucherets4.
Les périodes de l'enfance et de l'adolescence de Vauban sont très peu documentées.
Il est probablement élevé avec une éducation sévère. Très tôt, il apprend à monter à cheval pour devenir un parfait cavalier. Il vit son enfance dans une ambiance de guerre (c’est en 1635 que la France entre dans la guerre de Trente Ans), avec les violences et les maladies (les troupes provoquent dans leur sillage des épidémies de peste) : en 1636, on compte plus de cent villages détruits dans la vallée de la Saône.On suppose qu’entre 1643 et 1650, Sébastien Le Prestre aurait fréquenté le collège de Semur-en-Auxois, tenu par les carmes. Il y fait ses « humanités » : il y apprend le latin, la grammaire, les auteurs antiques, notamment Cicéron et Virgile. Il dit de lui dans son Abrégé des services du maréchal de Vauban, qu’il a reçu, à l’orée de sa carrière, « une assez bonne teinture de mathématiques et de fortification, et ne dessinant d’ailleurs pas mal ».
On devine une enfance plutôt pauvre, au contact des campagnards, « mal vêtus, été comme hiver, de toile à demi pourrie et déchirée, chaussés de sabots dans lesquels ils ont les pieds nus toute l’année » (Description de l’élection de Vézelay, 1696). C’est parmi eux qu’il mesure l’âpreté de la vie et ce sont eux sans doute qui lui transmettent le goût de la terre : toute sa vie, il s’applique, avec persévérance, à se constituer un domaine, lopin par lopin3.Les « guerres intérieures » de la Fronde : Vauban condéen
Les troubles de la Fronde surviennent entre 1648 et 1652. Durant cette période, Vauban est présenté au prince de Condé par un oncle maternel qui est dans son état-major. Cette rencontre engage Vauban dans la rébellion. Au début de l'année 1651, probablement vers le mois d'avril, alors qu'il a 17 ans, il entre comme cadet dans le régiment d’infanterie du prince de Condé. Il se met à la suite du chef du parti frondeur en suivant l’exemple de nombreux parents et voisins. Ceux-ci suivent, par fidélité quasi féodale, les Condé, qui sont gouverneurs de Bourgogne depuis 1631.
En , alors que Vauban expérimente, sur le terrain, ses talents d’ingénieur militaire, il se trouve impliqué dans le siège de Sainte-Menehould prise le 14 novembre par le prince de Condé. Il se distingue au cours de cette bataille par sa bravoure. Dans son Abrégé des services faisant le récit de sa carrière, Vauban signale qu’il a été félicité par les officiers du prince pour avoir traversé l’Aisne à la nage sous le feu des ennemis. La place est finalement prise par les frondeurs. Et Vauban est promu maistre (sous-officier) dans le régiment de Condé cavalerie.
Au début de 1653, alors que le prince de Condé est passé au service de l'Espagne, le jeune Vauban, lors d'une patrouille, face aux armées royales « fit sa capitulation » mais avec les honneurs (il n'est pas démonté, on l'autorise à garder ses armes). Il est alors conduit au camp de Mazarin, qui le fait comparaître, l'interroge et se montre séduit par ce Morvandais râblé et trapu, vigoureux, plein de vie, à la vivacité d’esprit et la répartie remarquables. Le cardinal ministre n’a, semble-t-il, aucune peine à le « convertir ». Vauban change de camp. C’est là un décisif déplacement de fidélité : il passe de la clientèle de Monsieur le Prince à celle de Mazarin, c’est-à-dire à celle du roi.
Au service du roi
Il est volontaire auprès de Louis Nicolas de Clerville, ingénieur et professeur de mathématiques, chargé du siège de Sainte-Menehould, ville où Vauban s'était distingué auparavant dans l’armée rebelle. La ville capitule le , et Vauban, chargé de réparer cette place forte, est nommé lieutenant au régiment d’infanterie de Bourgogne, bientôt surnommé le « régiment des repentis », car il recueille beaucoup d’anciens frondeurs de la province.
Placé sous la tutelle du chevalier de Clerville (Colbert créa pour lui la charge de Commissaire général des fortifications), il sert en Champagne et participe à de nombreux sièges : notamment Stenay (siège dirigé par le marquis Abraham de Fabert d'Esternay), une place forte lorraine que le prince de Condé a obtenue, en 1648, en contrepartie de l’aide qu’il a apportée à l’État royal, « pour en jouir souverainement comme en jouissait Sa Majesté elle-même ». Pour le jeune roi, qui vient d’être sacré à Reims, le 14 juin, prendre Stenay, c’est achever la Fronde par la prise de cette ville au centre du territoire contrôlé par le prince de Condé. Le siège dure trente-deux jours et Vauban est assez sérieusement blessé au neuvième jour du siège. Rétabli, il est chargé de marquer l’emplacement où le mineur placera sa mine et il est à nouveau blessé, cette fois-ci par un coup de pierre alors que « les assiégés allumaient un grand feu au pied du bastion de la gauche, devant le trou du mineur, qui l’en chassa sans retour ». La ville est prise en présence de Louis XIV, le 6 août.
Au lendemain de ce siège, il est promu capitaine (ce qui lui vaut une solde de 50 livres, que lui verse chaque mois le trésorier des fortifications au titre de sa fonction d'« ingénieur ordinaire »), puis il participe au secours d’Arras (), au siège de Clermont-en-Argonne (), à la prise de Landrecies (juin-) — il est fait alors « Ingénieur ordinaire » du roi par brevet du , alors qu’il a vingt-deux ans8. L’année suivante, en 1656, il participe au siège de Valenciennes (juin-juillet), qui voit l’affrontement des troupes de Turenne (pour le roi) et de Condé (pour les Espagnols). Vauban, blessé au début du siège, porte un jugement sévère sur cette opération (la ville est obligée de se rendre, faute de vivres), dans son Mémoire pour servir d’instruction à la conduite des sièges. C’est, pour lui, une des opérations les plus mal dirigées (par Monsieur de la Ferté) auxquelles il ait participé :
« Il n’est pas concevable combien les Français y firent de fautes ; jamais les lignes ne furent plus mal faites et plus mal ordonnées, et jamais ouvrage plus mal imaginé que la digue à laquelle on travailla prodigieusement pendant tout le siège, et qui n’était pas encore achevée lorsqu’on fut obligé de le lever9. »
Puis, en juin-juillet 1657, c’est le siège de Montmédy, en présence du roi, où Vauban est de nouveau blessé : ce fut un siège long — quarante-six jours de tranchée ouverte — particulièrement coûteux en vies humaines.
Vauban évoqua ce siège dans son Traité de l’attaque des places de 1704 :
« Il n’y avait que 700 hommes de garnison qui furent assiégés par une armée de 10 000 hommes, que de quatre (ingénieurs) que nous étions au commencement du siège, destinés à la conduite des travaux, je me trouvais le seul cinq à six jours après l’ouverture de la tranchée, qui en dura quarante-six ; pendant lesquels nous eûmes plus de 300 hommes de tués et 1 800 blessés, de compte fait à l’hôpital, sans y comprendre plus de 200 qui n’y furent pas ; car dans ces temps là, les hôpitaux étant fort mal administrés, il n’y allait que ceux qui ne pouvaient faire autrement, et pas un de ceux qui n’étaient que légèrement blessés ; il faut avouer que c’était acheter les places bien cher…10 »
Il critique la manière dont ce siège sanglant a été mené : « elle (la citadelle) pouvait être (emportée) en quinze jours si elle eût été bien attaquée. » Désormais, il fait tout pour épargner les hommes : « Il ne faut tenir pour maxime de ne jamais exposer son monde mal à propos et sans grande raison10. »
Il est à Mardyck en septembre 1657, à Gravelines dans l’été 1658, puis à Audenarde, où il est fait prisonnier, libéré sur parole, puis échangé. Il est enfin à Ypres, en octobre, sous les ordres de Turenne. La ville est rapidement enlevée, ce qui lui vaut un nouvel entretien avec Mazarin, qu'il rapporte : « Il le gracieusa fort et, quoique naturellement peu libéral, lui donna une honnête gratification et le flatta de l’espoir d’une lieutenance aux gardes11 ». En fait, cette promotion se fera attendre (comme bien d’autres promotions…) : contrairement aux promesses de Mazarin, il n'est nommé lieutenant aux gardes que dix ans plus tard, en 1668.
À vingt-cinq ans, il a le corps couturé de blessures, mais sa bravoure et sa compétence sont reconnues, notamment par Mazarin.
Scènes de la vie familiale
Après la paix des Pyrénées le — il a 27 ans —, un congé d’un an lui permet de rentrer au pays pour épouser le , une parente, demi-sœur de cousins germains, Jeanne d’Osnay ou d’Aunay, fille de Claude d'Osnay, baron d'Epiry. Elle a 20 ans et est orpheline de mère. Le jeune couple s'installe dans le château d'Epiry. À peine marié depuis deux mois, Vauban est rappelé par le service du roi pour procéder au démantèlement de la place forte de Nancy rendue au duc de Lorraine. En fait, par la suite il ne revoit plus sa femme, que le temps de brefs séjours (en tout, pas plus de trois ans et demi soit 32 mois sur 44912 ) et, lorsque Jeanne en met au monde une petite fille, Charlotte, son mari est à Nancy.
Mais ces rares séjours dans ses terres morvandelles, il y tient par-dessus tout, comme il l’explique au printemps 1680 :
« Le roi ne pouvait me faire un plus grand plaisir que de me permettre d’aller deux mois chez moi, même si la saison est peu propice à séjourner dans un si mauvais pays que le mien, j’aimerai beaucoup mieux y estre au cœur des plus cruels hivers que de ne point y aller du tout13. »
Un de ses plus longs séjours à Bazoches a lieu en 1690 : le roi l’autorise à y rester presque toute l’année pour soigner une fièvre et une toux opiniâtres. Mais même à Bazoches, il ne cesse de travailler : tout au long de l’année 1690, Louvois lui adressa de multiples mémoires.
Sa femme lui donne deux filles survivantes (la progéniture mâle a prématurément disparu, ce qui est un drame intime pour Vauban) :
- Charlotte, née en , épouse le , en l’église d’Epiry, en Morvan, Jacques-Louis de Mesgrigny, neveu de Jean de Mesgrigny, grand ami de Vauban, compagnon de siège, ingénieur, lieutenant général et gouverneur de la citadelle de Tournai. Leur fils Jean-Charles de Mesgrigny, comte d’Aunay (1680-1763), reçoit les papiers de Vauban en héritage (dont les manuscrits des Oisivetés14, désormais dans la famille de Louis Le Peletier de Rosambo, président à mortier au parlement de Paris et héritier de Charlotte de Mesgrigny. Les manuscrits sont aujourd’hui conservés dans le château familial de Rosanbo dans les Côtes-d’Armor et microfilmés aux Archives nationales. Le couple a 11 enfants, mais un seul, Jean-Charles, eut une descendance avec deux filles et un garçon.
- Jeanne-Françoise, la cadette, se marie le en l’église Saint-Roch de Paris, avec Louis II Bernin, marquis de Valentinay, seigneur d'Ussé et de Rivarennes, apparenté au contrôleur général des finances Claude le Peletier, à deux intendants des finances, à des membres de la cour des comptes et à des trésoriers généraux des finances. Cette alliance rapproche Vauban du monde des officiers de la finance et des parlementaires. Vauban séjourne souvent à Paris dans le faubourg Saint-Honoré, chez sa fille, tout en ne cessant de demander au roi une maison parisienne. Elle meurt bizarrement à 35 ans au château de Bazoches et son fils unique Louis Sébastien Bernin de Valentinay meurt en 1772 sans enfant.
D’autres unions, de sa part, et passagères, engendreront une demi-douzaine d’enfants naturels, parsemés le long de ses voyages dans les provinces du Royaume (sur ce sujet, il laisse un testament émouvant dans lequel il prévoit de laisser des sommes d’argent aux femmes qui disent avoir eu un enfant de lui). Il lègue la coquette somme de 14 000 livres à cinq jeunes femmes avec enfants15. Grand voyageur, il fait des journées de 30 à 35 kilomètres chacune, avec un record de 250 jours en 1681, grande année d'inspection durant laquelle il parcourt 7 500 kilomètres, à cheval ou dans sa basterne16, une chaise de poste qui serait de son invention et suffisamment grande pour pouvoir y travailler avec son secrétaire17.
Ingénieur royal : le preneur de villes
« Ingénieur militaire responsable des fortifications »
Ses talents sont reconnus et le , à l'âge de 22 ans, il devient « ingénieur militaire responsable des fortifications ». En 1656, il reçoit une compagnie dans le régiment du maréchal de La Ferté18. De 1653 à 1659, il participe à 14 sièges et est blessé plusieurs fois. Il perfectionne la défense des villes et dirige lui-même de nombreux sièges. En 1667, Vauban assiège les villes de Tournai, de Douai et de Lille, prises en seulement neuf jours. Le roi lui confie l'édification de la citadelle de Lille qu'il appelle lui-même la « Reine des citadelles ». C'est à partir de Lille qu'il supervise l'édification des nombreuses citadelles et canaux du Nord, lesquels ont structuré la frontière qui sépare toujours la France de la Belgique. Il dirige aussi le siège de Maastricht en 1673. Enfin, il succède le à Clerville au poste de commissaire général des fortifications18.
1673 : le siège de Maastricht
Maastricht est une place stratégique, au confluent du fleuve Meuse et de son affluent la Geer, protégée par d’importantes fortifications et d’énormes travaux extérieurs l’enserrant dans une quadruple ceinture de pierre. L’effectif des assiégeants est de 26 000 fantassins et 19 000 cavaliers. L’artillerie dispose de 58 pièces de canon, un chiffre énorme pour l’époque, et les magasins renferment pour dix semaines de vivres et de munitions. Jamais un aussi grand appareil de forces n’a été déployé en vue d’un siège. Et pour la première fois, la direction des travaux est soustraite aux généraux et confiée à un ingénieur : Vauban a sous ses ordres le corps du génie tout entier et il est responsable de la conduite des travaux du siège. Appuyé sur le corps du génie, il inaugure un nouveau mode d’approche des prises de places. Jusqu’alors, les travaux d’approche consistent en une tranchée unique fort étroite, derrière laquelle s’abritent les travailleurs, mais qui ne donne pas aux troupes un espace suffisant, et provoque de terribles boucheries. « Du temps passé, écrit dans ses Mémoires le comte Pierre Quarré de Chateau-Regnault d’Aligny, alors officier aux mousquetaires, c’était une boucherie que les tranchées ; c’est ainsi qu’on en parlait. Maintenant, Vauban les fait d’une manière qu’on y est en sûreté comme si l’on était chez soi ». Vauban rationalisa le procédé d'attaque mis au point par les Turcs lors du long siège de Candie qui s'acheva en 1669.
Les douze phases du siège
L’ensemble du siège, union de tactiques traditionnelles et nouvelles, se décompose en douze phases :
- Phase 1. Investissement de la place.
- Il faut agir rapidement et par surprise. L'armée de siège coupe la place en occupant toutes les routes d'accès et en la ceinturant rapidement de deux lignes de retranchement parallèles (un vieux procédé, utilisé par les Romains).
- Phase 2. Construction de deux lignes de retranchement autour de la place investie :
- une ligne de circonvallation, tournée vers l'extérieur et qui interdit toute arrivée de secours ou de vivres et de munitions venant de l'extérieur ;
- une ligne de contrevallation est construite, tournée vers la place, elle prévient toute sortie des assiégés. Elle est située environ à 600 mètres, c'est-à-dire au-delà de la limite de portée des canons de la place assiégée.
- L'armée de siège établit ses campements entre ces deux retranchements.
- Phase 3. Phase de reconnaissance.
- Intervention des ingénieurs assiégeants qui effectuent des reconnaissances pour choisir le secteur d'attaque qui est toujours un front formé de deux bastions voisins avec leurs ouvrages extérieurs (demi-lune, chemin couvert et glacis).
- Il faut souligner le rôle des ingénieurs dans cette phase et l'importance des études de balistique, de géométrie, de mathématiques. On oublie parfois que les premiers travaux de l'Académie des sciences, fondée par Colbert en 1665, sont consacrés à des études qui ont des relations directes avec les nécessités techniques imposées par la guerre.
- Colbert suscite, en 1675, des recherches sur l'artillerie et la balistique afin de résoudre la question de la portée et de l'angle des tirs d'après les travaux de Torricelli qui prolongent ceux de Galilée. L'ensemble aboutit à la rédaction du livre de François Blondel, L'art de jeter les bombes, publié en 1683. Depuis 1673, l'auteur donne des cours d'art militaire au Grand Dauphin.
- Phase 4. Travaux d'approche (des nouveautés introduites par Vauban). Effectués à partir de la contrevallation, ils présentent deux tranchées (et non plus une seule) creusées en zigzag (ce cheminement brisé évitant les tirs d'enfilade des assiégés) qui s'avancent progressivement vers les deux saillants des bastions en suivant des lignes qui correspondent à des zones de feux moins denses de la part des assiégés. Vauban s'inspire des tranchées en zigzag utilisées sept ans plus tôt durant le siège de Candie par l'ingénieur italien Andrea Barozzi, un descendant de son homonyme vénitien passé au service des Ottomans. Il les multiplie et les rationalise19.
- Phase 5. Construction d'une première parallèle (ou place d’armes).
- À 600 mètres de la place (limite de portée des canons), les deux boyaux sont reliés par une première parallèle (au front attaqué), appelée aussi « place d’armes », qui se développe ensuite très longuement, à gauche et à droite, jusqu'à être en vue des faces externes des deux bastions attaqués et de leurs demi-lunes voisines.
- Cette première parallèle est une autre innovation de Vauban. Pelisson écrit que « Vauban lui a avoué qu’il avait imité des Turcs dans leurs travaux devant Candie » (Lettres historiques, III, p. 270).
- La parallèle a plusieurs fonctions :
- relier les boyaux entre eux, ce qui permet de se prêter renfort en cas de sortie des assiégés sur l'un d'entre eux, et de masser à couvert des troupes et du matériel ;
- placer des batteries de canons qui commencent à tirer en enfilade sur les faces des bastions et des demi lunes choisies pour l'assaut.
- Le système des parallèles, fortifiées provisoirement, a l'avantage de mettre l'assaillant à couvert pour l'approche des défenses.
- Louis XIV, lui-même, en témoigne, dans ses Mémoires :
« La façon dont la tranchée était conduite, empêchait les assiégés de rien tenter ; car on allait vers la place quasi en bataille, avec de grandes lignes parallèles qui étaient larges et spacieuses ; de sorte que, par le moyen des banquettes qu’il y avait, on pouvait aller aux ennemis avec un fort grand front. Le gouverneur et les officiers qui étaient dedans n’avaient encore jamais rien vu de semblable, quoique Fargeaux [le gouverneur de Maastricht] se fût trouvé en cinq ou six places assiégées, mais où l’on n’avait été que par des boyaux si étroits qu’il n’était pas possible de tenir dedans, à la moindre sortie. Les ennemis, étonnés de nous voir aller à eux avec tant de troupes et une telle disposition, prirent le parti de ne rien tenter tant que nous avancerions avec tant de précautions. »
- Phase 6. La progression des deux tranchées. Elle reprend, jusqu'à 350 mètres de la place, distance où l'on établit une deuxième parallèle tout à fait comparable à la première et jouant le même rôle.
- Phases 7, 8, 9. Progression à partir de la construction de trois tranchées : les deux précédentes, plus une nouvelle, suivant l'axe de la demi lune visée. Plus construction de tronçons de parallèles qui servent à faire avancer au plus près des canons.
- Phase 10. Tirs à bout portant sur les escarpes (parois des fossés) et les bastions pour les faire s'effondrer et pratiquer la brèche qui permettra l'assaut.
- Phase 11. Ouverture de la brèche par mine. Il s'agit là d'un travail de sape, long et dangereux pour les mineurs spécialisés dans ce type d'ouvrage.
- Phase 12. Assaut.
- Montée à pied sur l'éboulement de la brèche au sommet de laquelle on établit un « nid de pie » pour être sûr de bien tenir.
À ce stade, le gouverneur de la place assiégée estime souvent que la partie est perdue, et il fait « battre la chamade » : offre de négociation en vue d'une reddition honorable.
Qu'est-ce qu'un « siège à la Vauban » ?
C'est une méthode raisonnée dans laquelle l'ingénieur mathématicien coordonne tous les corps de troupe. Ce qui n’évite pas de nombreux morts (d’Artagnan notamment). Parmi les ingénieurs, beaucoup sont tombés sous les yeux de Vauban : « Je crois, écrivait-il à Louvois au début du siège, que Monseigneur sait bien que le pauvre Regnault a été tué roide, dont je suis dans une extrême affliction. Bonnefoi a été aussi blessé ce soir au bras. J’ai laissé tous les autres en bon état ; je prie Dieu qu’il les conserve, car c'est bien le plus joli troupeau qu’il est possible d’imaginer. »
À Maastricht, Vauban innove de plusieurs manières :
- il procède selon un système de larges tranchées parallèles et sinueuses pour éviter le tir des assiégés et permettre une progression méthodique et efficace des troupes, la moins dangereuse pour elles
- il ouvre la brèche au canon
- il perfectionne le tir d'enfilade
- il multiplie les tranchées de diversion
- surtout, il élargit les tranchées par endroits, en particulier aux angles et aux détours, pour former des « places d'armes » et des redoutes d'où les assiégeants peuvent se regrouper, de cinquante à cent soldats, à l'abri des feux des canons et des mousquets. Il peut réduire la place avec une rapidité qui étonne (« Treize jours de tranchée ouverte »), diminuant les pertes humaines : « la conservation de cent de ses sujets écrit-il à Louvois en 1676, lors du siège de Cambrai, lui doit être plus considérable que la perte de mille de ses ennemis ».
Dans son traité de 1704, Traité des sièges et de l’attaque de places, Vauban décrit sa propre fonction en expliquant le rôle joué par le « directeur des attaques » :
« Tout siège de quelque considération demande un homme d’expérience, de tête et de caractère, qui ait la principale disposition des attaques sous l’autorité du général ; que cet homme dirige la tranchée et tout ce qui en dépend, place les batteries de toutes espèces et montre aux officiers d’artillerie ce qu’ils ont à faire ; à qui ceux-ci doivent obéir ponctuellement sans y ajouter ni diminuer. Pour ces mêmes raisons, ce directeur des attaques doit commander aux ingénieurs, mineurs, sapeurs, et à tout ce qui a rapport aux attaques, dont il est comptable au général seul. »
Vauban relate le siège en détail avec des remarques critiques : « ce siège fut fort sanglant à cause des incongruités qui arrivèrent par la faute de gens qu’il ne veut pas nommer ». Et il termine par : « Je ne sais si on doit appeler ostentation, vanité ou paresse, la facilité que nous avons de nous montrer mal à propos, et de nous mettre à découvert sans nécessité hors de la tranchée, mais je sais bien que cette négligence, ou cette vanité (comme on voudra l’appeler) a coûté plus de cent hommes pendant le siège, qui se sont fait tuer ou blesser mal à propos et sans aucune raison, ceci est un péché originel dont les Français ne se corrigeront jamais si Dieu qui est tout puissant n’en réforme toute l’espèce. »
La gloire du roi guerrier
Vauban reçoit 80 000 livres, ce qui lui permet de racheter le château de Bazoches en février 1675.
Mais à Versailles, sur les peintures de la galerie des Glaces, Charles Le Brun fait du roi le seul bénéficiaire de cette victoire (« Maastricht, prise en treize jours ») dont Vauban, jamais représenté, n'est qu'un docile et invisible exécutant. Au début du mois de , Louis XIV écrit à Colbert : maître d'œuvre de ce fameux siège, vantant sa prudence à « régler seul les attaques », son courage « à les appuyer et les soutenir », sa vigueur « dans les veilles et les fatigues », sa capacité « dans les ordres et dans les travaux ».
Le , Vauban fait faire au prince de Condé, de passage dans la ville prise, le tour complet, « par le dehors et par le dedans ». Condé trouve les projets de Vauban très séduisants : « Le poste me paraît le plus beau du monde et le plus considérable, et plus je l’ai examiné plus je trouve qu’il est de la dernière importance de le fortifier. M. de Vauban a fait deux dessins, le grand dessin est la plus belle chose du monde20. »
Commissaire général des fortifications : le bâtisseur
Il continue de diriger les sièges : la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les sièges de Philippsbourg en 1688, de Mons en 1691 et de Namur en 1692. En 1694, il organise avec succès la défense contre un débarquement anglais sur les côtes de Bretagne à Camaret.
La victoire de Maastricht pousse le roi à lui offrir une forte dotation lui permettant d'acheter le château de Bazoches en 1675. Vauban est nommé « commissaire des fortifications » en 1678, lieutenant général en 168821, puis maréchal de France en 1703. Il devient si fameux que l'on dit même : Une ville construite par Vauban est une ville sauvée, une ville attaquée par Vauban est une ville perdue22.
Dans une lettre de Vauban à Louvois (concernant le paiement des entrepreneurs), d'autant plus célèbre qu'elle est apocryphe. Son original est introuvable. Elle serait datée de 1673, 1683 ou 1685. Elle serait archivée aux Archives Nationales de Paris, aux Archives de la Guerre, mais ces institutions n'en ont pas connaissance. Il existe bien une lettre de Vauban à Louvois du , mais elle traite d'un autre sujet.
La frontière de fer
Le nom de Vauban reste attaché à la construction d'une « frontière de fer » qui a durablement protégé le Royaume contre les attaques ennemies.
Afin de construire une frontière plus linéaire et cohérente, Vauban voulut avant tout rationaliser le système de défense déjà mis en place avant lui, en particulier dans le Nord, car il fallait répondre à la principale préoccupation stratégique du roi : protéger Paris (souvenir de l'année 1636, celle de Corbie, qui avait vu les troupes espagnoles avancer jusqu'à Pontoise). Par un jeu savant d'abandon et de restitution de villes fortifiées, le traité de Nimègue, en 1678, permit de diminuer les enclaves coûteuses et d'assurer ainsi une plus grande régularité du tracé de la frontière.
Vauban a multiplié les lettres, les rapports, les mémoires adressés à Louvois ou au roi ; dans ces écrits, Vauban avait violemment dénoncé les méfaits de ce qu'il appelait l'« emmêlement de places ». En par exemple, rédigeant un Mémoire des places frontières de Flandres qu'il faudroit fortifier pour la sûreté du pays et l'obéissance du Roi, il insistait sur la nécessité de « fermer les entrées de notre pays à l'ennemi », et de « faciliter les entrées dans le sien ». Aussi, pour le Nord du Royaume, proposait-il d'installer deux lignes de places fortes se soutenant mutuellement, « à l'imitation des ordres de bataille ».
La première ligne, la « ligne avancée », serait composée de treize grandes places et de deux forts, renforcée par des canaux et des redoutes, suivant un modèle déjà éprouvé dans les Provinces-Unies.
La seconde ligne, en retrait, comprendrait aussi treize places. Louvois lut le mémoire à Louis XIV qui souhaita aussitôt que la même politique défensive fût appliquée de la Meuse au Rhin. Cette année-là aussi, Vauban avait été nommé commissaire général des fortifications.
Si le Nord et l'Est furent l'objet d'un soin défensif particulier, l'ensemble des frontières du Royaume bénéficia de la diligence de l'ingénieur bâtisseur : partout, imitant la technique mise au point en Italie puis en Hollande et en Zélande par les Nassau, Vauban conçut le réseau défensif à partir du modelé du terrain et des lignes d'obstacles naturels (les fleuves, les montagnes, la morphologie du littoral), adaptant au site chaque construction ancienne ou nouvelle. Il accorda une particulière attention au cours des rivières, à leurs débits, à leurs crues. Dans tous les cas, après une longue observation sur le terrain, il rédigeait un long rapport afin de résumer les obstacles et les potentialités de chaque site :
En , par exemple, il rédigea pour Louvois un mémoire sur les fortifications à établir en Cerdagne au contact de la frontière espagnole : Qualités des scituations qui ont été cy devant proposées pour bastir une place dans la plaine de Cerdagne. Examinant six emplacements possibles, il en élimina cinq, découvrant enfin « la scituation idéale […] justement à la teste de nos défilés comme si on l'y avoit mise exprès […] » ; les rochers, « les meulières et fontaines du col de la Perche » forment autant de remparts naturels : la situation choisie offre de nombreux avantages, et elle « épargne au moins les deux tiers de remuement de terre, et plus d'un tiers de la maçonnerie et en un mot la moitié de la dépense de la place. »
Dans la plupart des cas, comme dans cet exemple de la Cerdagne (il s'agissait du projet réalisé de la ville-citadelle de Mont-Louis), « parce qu'il est nécessaire d'assujettir le plan au terrain, et non pas le terrain au plan », il transforma les contraintes imposées par la nature en avantage défensif, dressant des forteresses sur des arêtes rocheuses, ou les bâtissant sur un plateau dégagé pour barrer un couloir en zone montagneuse. Une des réussites les plus éclatantes fut celle de Briançon, avec la conception des Forts des Têtes, Fort du Randouillet, Fort Dauphin. Les chemins étagés sur les flancs de la montagne furent transformés en autant d'enceintes fortifiées et imprenables. Soit en les créant, soit en les modifiant, Vauban travailla en tout à près de trois cents places fortes. Sa philosophie d'ingénieur-bâtisseur tient en une phrase : « l'art de fortifier ne consiste pas dans des règles et dans des systèmes, mais uniquement dans le bon sens et l'expérience ».
L’État des places fortes du Royaume, dressé par Vauban en , se présente comme le bilan de l’œuvre bâtie suivant ces principes : il compte « 119 places ou villes fortifiées, 34 citadelles, 58 forts ou châteaux, 57 réduits et 29 redoutes, y compris Forteresse de Landau et quelques places qu’on se propose de rétablir et de fortifier. »
La liberté d'esprit de ce maréchal lui vaudra cependant les foudres du roi. Vauban meurt à Paris le d'une inflammation des poumons. Il est enterré à l'église Saint-Hilaire de Bazoches (dans le Morvan) et son cœur, sur l'intervention de Napoléon Ier, est conservé à l'hôtel des Invalides de Paris, en face de Turenne, depuis 1808.
Un acteur du Grand Siècle, un précurseur des Lumières
Vauban est apprécié et jugé comme un homme lucide, franc et sans détour, refusant la représentation et le paraître, tels qu’ils se pratiquent à la cour de Louis XIV. Il privilégie le langage de la vérité :
« […] je préfère la vérité, quoi que mal polie, à une lâche complaisance qui ne serait bonne qu’à vous tromper, si vous en étiez capable, et à me déshonorer. Je suis sur les lieux ; je vois les choses avec appréciation, et c’est mon métier que de les connaître ; je sais mon devoir, aux règles duquel je m’attache inviolablement, mais encore plus que j’ai l’honneur d’être votre créature, que je vous dois tout ce que je suis, et que je n’espère que par vous […] Trouvez donc bon, s’il vous plaît, qu’avec le respect que je vous dois, je vous dise librement mes sentiments dans cette matière. Vous savez mieux que moi qu’il n’y a que les gens qui en usent de la sorte qui soient capables de servir un maître comme il faut. »
— Lettre à Louvois, le .
Ses supérieurs, le ministre de la Guerre ou le roi, l’encouragent, dans un intérêt bien compris. Vauban est un « sésame aux multiples portes », comme l’écrit Michèle Virol, un lieu de mémoire de la nation France à lui tout seul, un homme à multiples visages : stratège (réputé preneur de villes, il a conduit plus de quarante sièges), poliorcète (il a construit ou réparé plus de cent places fortes), urbaniste, statisticien, économiste, agronome, penseur politique, mais aussi fantassin, artilleur, maçon, ingénieur des poudres et salpêtres, des mines et des ponts et chaussées, hydrographe, topographe, cartographe, réformateur de l’armée (substitution du fusil au mousquet, remplacement de la pique par la baïonnette à douille)23. En un mot, une sorte de Léonard de Vinci français du Grand Siècle… Il écrit en 1695, pendant son séjour à Brest (il s’agissait de repousser une attaque anglaise) un Mémoire concernant la caprerie, dans lequel il défend la guerre de course par rapport à la guerre d’escadre (débat depuis la bataille de la Hougue en 1692 qui a vu nombre de navires français détruits).
Ces métiers ont en commun que Vauban se fonde sur la pratique, et cherche à résoudre et à améliorer des situations concrètes au service des hommes : d’abord, ses soldats dont il veut protéger la vie dans la boue des tranchées ou dans la fureur sanglante des batailles24. Mais il ne cesse de s’intéresser aux humbles, « accablés de taille, de gabelle, et encore plus de la famine qui a achevé de les épuiser » (1695).
C’est pour ces femmes et ces hommes, tenaillés par la misère et la faim, qu’il écrit le mémoire intitulé Cochonnerie, ou le calcul estimatif pour connaître jusqu'où peut aller la production d'une truie pendant dix années de temps25. Dans ce texte singulier, d'abord titré Chronologie des cochons, traité économique et arithmétique, non daté, destiné à adoucir les rudesses de la vie quotidienne des sujets du roi, Vauban veut prouver, calculs statistiques à l'appui sur dix-sept pages, qu'une truie, âgée de deux ans, peut avoir une première portée de six cochons. Au terme de dix générations, compte tenu des maladies, des accidents et de la part du loup, le total est de six millions de descendants (dont 3 217 437 femelles) ! Et sur douze générations de cochons, il « y en aurait autant que l’Europe peut en nourrir, et si on continuait seulement à la pousser jusqu’à la seizième, il est certain qu’il y aurait de quoi en peupler toute la terre abondamment ». La conclusion de ce calcul vertigineux et providentiel est claire : si pauvre qu'il fût, il n'est pas un travailleur de terre « qui ne puisse élever un cochon de son cru par an », afin de manger à sa faim.
Dans ses Mémoires, Saint-Simon, toujours imbu de son rang, qualifie l'homme de « petit gentilhomme de Bourgogne, tout au plus », mais ajoute aussitôt, plein d'admiration pour le personnage, « mais peut-être le plus honnête homme et le plus vertueux de son siècle, et, avec la plus grande réputation du plus savant homme dans l'art des sièges et de la fortification, le plus simple, le plus vrai et le plus modeste… jamais homme plus doux, plus compatissant, plus obligeant… et le plus avare ménager de la vie des hommes, avec une valeur qui prenait tout sur soi, et donnait tout aux autres ». Par ailleurs, on est frappé par la multitude de ses compétences, de ses centres d’intérêt, de ses pensées, de ses actions :
- il est un précurseur des Encyclopédistes par sa façon d'aborder les problèmes concrets, ainsi le budget d'une famille paysanne, par exemple, ou sa Description géographique de l'élection de Vézelay de dans laquelle il propose de lever un vingtième, sans exemption, et qui se différencie en un impôt sur le bien-fonds et sur le bétail, sur les revenus des arts et métiers, sur les maisons des villes et des bourgs ;
- il est aussi dans le grand mouvement de penseurs précurseurs des physiocrates (il lit Boisguilbert ; à la même époque, écrivent Melon, Cantillon) par son intérêt pour l'agronomie et l'économie (il insiste sur la circulation de la monnaie et l’idée du circuit économique dont il est un des précurseurs). Il prône les valeurs qui seront défendues au XVIIIe siècle par Quesnay, et il encourage les nobles à quitter la cour pour le service des armes, mais aussi la mise en valeur de leurs domaines dans un mémoire intitulé Idée d’une excellente noblesse et des moyens de la distinguer par les Générations ;
- il fut encore un précurseur de Montesquieu par sa conception d'un État chargé d'assumer la protection de tous et leur bien-être : il veut éradiquer la misère, la corruption, l’incompétence, le mépris du service public.
Dans tous les cas, Vauban apparaît comme un réformateur hardi dont les idées vont à l'encontre de celles de la majorité de ses contemporains. Son contact avec le Roi lui permet de soumettre directement ses idées, comme le Projet de Dîme royale, qui fut bien reçu. Louis XIV lui sait gré de cette franchise, cette liberté de parole et de jugement, et lui accorde une confiance absolue en matière de défense du royaume, comme en témoigne cette lettre dans laquelle il lui confie la défense de Brest, visé par les Anglais en 1694 :
« Je m’en remets à vous, de placer les troupes où vous le jugerez à propos, soit pour empêcher la descente, soit que les ennemis fassent le siège de la place. L’emploi que je vous donne est un des plus considérables par rapport au bien de mon service et de mon royaume, c’est pourquoi je ne doute point que vous ne voyiez avec plaisir que je vous y destine et ne m’y donniez des marques de votre zèle et de votre capacité comme vous m’en faites en toutes rencontres. »
Réputé auprès de ses contemporains pour sa maîtrise de l'art de la guerre et de la conduite de siège ainsi que pour ses talents d'ingénieur, Vauban ne se limite pas à ces domaines. C’est le même homme dont toute l’œuvre, de pierre et de papier, témoigne d’une même obsession : l’utilité publique, que ce soit par le façonnement du paysage et la défense du territoire avec la « ceinture de fer » enfermant la France dans ses « bornes naturelles, point au-delà du Rhin, des Alpes, des Pyrénées, des deux mers » (1706), la transformation de l’ordre social au moyen d’une réforme de l’impôt, quand bien même, en bravant tous les interdits, faudrait-il, pour se faire entendre, passer par la publication clandestine de la Dîme royale, en 1707… « Je ne crains ni le roi, ni vous, ni tout le genre humain ensemble », écrivait-il à Louvois dans une lettre datée du (à propos d’une accusation lancée contre deux de ses ingénieurs). Et il ajoutait : « La fortune m’a fait naître le plus pauvre gentilhomme de France ; mais en récompense, elle m’a honoré d’un cœur sincère si exempt de toutes sortes de friponneries qu’il n’en peut même soutenir l’imagination sans horreur ».
Activités militaires
Apports à la poliorcétique
Les progrès de l'artillerie révolutionnent la guerre de siège : depuis la Renaissance, l'augmentation d'épaisseur des murailles ne suffit plus pour résister à l'artillerie. Les tirs de mitraille rendant extrêmement périlleux les assauts frontaux, l'assaillant approche les fortifications par des réseaux de tranchées26. Les ingénieurs italiens inventent les fortifications bastionnées et remparées : les murailles deviennent très basses, obliques et précédées d'un fossé26.
Vauban, que son contemporain Manesson Mallet juge « incomparable en l'Art de fortifier et d'attaquer les places »27, apporte trois innovations majeures décisives aux techniques d'attaque des places fortes :
- il codifie la technique d'approche en faisant creuser trois tranchées parallèles très fortifiées reliées entre elles par des tranchées de communications en ligne brisée pour éviter les tirs défensifs en enfilade (technique des parallèles inventée au siège de Maastricht en 1673)28.
- creusée hors de portée de canon à boulet sphérique métallique (portée utile de 600 m à l'époque mais cassant tout à 100 m29) et très fortifiée, la première tranchée sert de place d'armes et prévient une attaque à revers par une armée de secours ;
- à portée de tir, la deuxième tranchée permet d'aligner l'artillerie que l'on positionne vers un point de faiblesse des fortifications ;
- à proximité immédiate des fortifications, la troisième tranchée permet le creusement d'une mine ou l'assaut si l'artillerie a permis d'ouvrir une brèche dans la muraille. Le retranchement doit être suffisant pour interdire une sortie des défenseurs26 ;
- l'éperon des forteresses bastionnées créant une zone où l'artillerie de l'assiégé ne peut tirer à bout portant, il est possible de disposer des levées de terre devant la tranchée immédiatement au contact des fortifications assiégées (très basses pour éviter les tirs d'artillerie). Ces surélévations qu'il appelle « cavaliers de tranchées » (conçus lors du siège de Luxembourg, en 1684), permettent aux assaillants de dominer les positions de tir des assiégés et de les refouler à la grenade vers le corps de place et de s'emparer du chemin couvert30 ;
- en 1688 au siège de Philippsburg, il invente le « tir à ricochet » : en disposant les pièces de manière à prendre en enfilade la batterie adverse située sur le bastion attaqué et en employant de petites charges de poudre, un boulet peut avoir plusieurs impacts et en rebondissant balayer d'un seul coup toute une ligne de défense au sommet d'un rempart, canons et servants à la fois30,31.
Sa philosophie est de limiter les pertes en protégeant ses approches par la construction de tranchées, même si cela demande de nombreux travaux. Il est pour cela souvent raillé par les courtisans, mais il est soutenu par le roi32. Il rédige, en 1704, un traité d'attaque des places pour le compte de Louis XIV qui souhaite faire l'éducation militaire de son petit-fils le duc de Bourgogne32. Il invente le « portefeuille de casernement » (casernes modèles) destiné à remplacer le logement du soldat chez l'habitant33.
Le défenseur du « pré carré »
Vauban pousse le roi à révolutionner la doctrine militaire défensive de la France en concentrant les places fortes sur les frontières du Royaume c’est la « ceinture de fer » qui protège le pays : le pré carré du roi34.
Fort de son expérience de la poliorcétique, il révolutionne aussi bien la défense des places fortes que leur capture. Il conçoit ou améliore les fortifications de nombreux ports et villes françaises, entre 1667 et 1707, travaux gigantesques permis par la richesse du pays35. Il dote la France d'un glacis de places fortes pouvant se soutenir entre elles : pour lui, aucune place n'est imprenable, mais si on lui donne les moyens de résister suffisamment longtemps des secours peuvent prendre l'ennemi à revers et le forcer à lever le siège.
En 1686, Louis XIV, préoccupé par la situation en Angleterre, charge Vauban d'inspecter les côtes normandes. À la suite de ces inspections effectuées entre 1686 et 1699 (dont deux notamment sur le site de la Hougue), Vauban préconise différents ouvrages afin de protéger les côtes normandes, dont la fortification de la Hougue et le projet d'un grand port de guerre dans cette rade: « rade de la Hougue qu'on tient la meilleure de France »36.
À l’intérieur du pays, où le danger d’invasion est moindre, les forteresses sont démantelées. Paris perd ses fortifications, d’une part, pour libérer des troupes qui peuvent être affectées aux frontières et d’autre part, pour éviter que des révoltes puissent trouver asile dans l’une d’elles comme cela avait été le cas lors de la Fronde37.
Au total, Vauban crée ou élargit plus de 180 forteresses et donne son nom à un type d'architecture militaire : le « système Vauban ». Système qui est largement repris, même hors de France (voir les fortifications de la ville de Cadix).
Il participe à d'autres ouvrages, tels que le canal de Bourbourg. Entre 1667 et 1707, Vauban améliore les fortifications d'environ 300 villes et dirige la création de trente-sept nouveaux ports (dont celui de Dunkerque) et forteresses fortifiés[réf. nécessaire].
Édifié sur un emplacement stratégique, à partir de 1693, Mont-Dauphin est un avant poste chargé de protéger le Royaume des intrusions venues d’Italie : le village-citadelle constitue l’archétype de la place forte et fait entrer les Alpes dans la grande politique de défense de la « nation France ».
Voir :
- liste des fortifications de Vauban ;
- liste des citadelles de Vauban ;
- liste des villes créées par Vauban ;
- liste des forts de Vauban.
Il refuse de créer le fort Boyard, selon lui techniquement inconstructible, que Napoléon Ier tente de recréer lors de son règne à partir de ses plans sans plus de succès néanmoins. Finalement, sous Louis-Philippe agacé par des tensions entretenues avec les Britanniques, le fort Boyard voit le jour, grâce à une technique de construction du socle avec des caissons de chaux.
Maquettes et Plans-reliefs
Les plans-reliefs réalisés à partir du règne de Louis XIV sont conservés au musée des Plans-reliefs, au sein de l'hôtel des Invalides à Paris où 28 d'entre eux sont présentés. Une partie de la collection (16), est, après un long débat, présentée au palais des Beaux-Arts de Lille. Vauban est intervenu sur la plupart des places représentées. Les maquettes donnent une excellente vue du travail réalisé.
Activités civiles : Vauban critique et réformateur
Vauban construit l'aqueduc de Maintenon (tout en s'opposant au grandiose aqueduc « à la romaine » voulu par Louis XIV et Louvois, qu'il jugeait d'un prix beaucoup trop élevé : il militait pour un aqueduc « rampant »). Il s'intéresse à la démographie, concevant des formulaires de recensement38, ainsi qu'à la prévision économique .
Entre l'amour du roi et le bien public
Vauban prend, à partir de la fin des années 1680, une distance de plus en plus critique par rapport au roi guerrier, en fustigeant une politique qui s'éloigne de ses convictions de grandeur et de défense de sa patrie, le tout au nom du bien public.
Ce divorce apparaît dans son Mémoire sur les huguenots: il y tire les conséquences, très négatives, de la révocation de l’édit de Nantes en 1685, et souligne que l’intérêt général est préférable à l’unité du Royaume quand les deux ne sont pas compatibles. D’autant que travaillant sur le canal du Midi en 1685-1686, il a vu les effets des dragonnades sur la population. Dans ce mémoire, Vauban estime le nombre des protestants sortis du Royaume à :
« 80 000 ou 100 000 personnes de toutes conditions, occasionnant la ruine du commerce et des manufactures, et renforçant d’autant les puissances ennemies de la France. »
L’itinéraire de Vauban, une pensée en mobilité constante à l’image de ses déplacements incessants dans le royaume réel, font de lui un penseur critique tout à fait représentatif de la grande mutation des valeurs qui marque la fin du règne de Louis XIV : le passage du « roi État », incarné par Louis XIV, à l’État roi, indépendant de la personne de celui qui l’incarne.
Fontenelle, dans l’éloge funèbre qu’il rédige pour Vauban, l’a très bien exprimé :
« Quoique son emploi ne l’engageât qu’à travailler à la sûreté des frontières, son amour pour le bien public lui faisait porter des vues sur les moyens d’augmenter le bonheur du dedans du royaume. Dans tous ses voyages, il avait une curiosité, dont ceux qui sont en place ne sont communément que trop exempts. Il s’informait avec soin de la valeur des terres, de ce qu’elles rapportaient, de leur nombre, de ce qui faisait leur nourriture ordinaire, de ce que leur pouvait valoir en un jour le travail de leurs mains, détails méprisables et abjects en apparence, et qui appartiennent cependant au grand Art de gouverner […]. Il n’épargnoit aucune dépense pour amasser la quantité infinie d’instructions et de mémoires dont il avoit besoin, et il occupoit sans cesse un grand nombre de secrétaires, de dessinateurs, de calculateurs et de copistes »
— Fontenelle, Éloge de Monsieur le Maréchal de Vauban
Et, à la fin de sa vie, on sent Vauban profondément écartelé entre sa fidélité au roi et son amour de la patrie au nom du bien général qui ne lui semble plus devoir être confondu avec celui du roi. Cet écartèlement, il l’exprime dès le dans une lettre au marquis de Cavoye :
« Je suis un peu têtu et opiniâtre quand je crois avoir raison. J’aime réellement et de fait la personne du roi, parce que le devoir m’y oblige, mais incomparablement plus parce que c’est mon bienfaiteur qui a toujours eu de la bonté pour moi, aussi en ai-je une reconnaissance parfaite à qui, ne plaise à Dieu, il ne manquera jamais rien. J’aime ma Patrie à la folie étant persuadé que tout citoyen doit l’aimer et faire tout pour elle, ces deux raisons qui reviennent à la même[réf. nécessaire]. »
Dans une certaine mesure la Dîme royale, publiée en 1707, parce qu’elle dissocie le roi et l’État, peut être lue comme le résultat très concret de la tension et de la contradiction entre l’amour du roi et l’amour de la patrie…
Les années de misère : l'observateur lucide du royaume réel
Depuis longtemps, en effet, Vauban s'intéressait au sort des plus démunis, attentif à la peine des hommes. Ses déplacements incessants dans les provinces (Anne Blanchard estime la distance parcourue à plus de 180 000 km pour 57 années de service, soit 3 168 km par an !) sont contemporains des années les plus noires du règne de Louis XIV, en particulier la terrible crise des années 1693-1694. Et il a pu observer, comme il l’écrit en 1693, « les vexations et pilleries infinies qui se font sur les peuples ». Sa hantise c’est le mal que font « quantité de mauvais impôts (et notamment) la taille qui est tombée dans une telle corruption que les anges du ciel ne pourraient pas venir à bout de la corriger ni empêcher que les pauvres n’y soient toujours opprimés, sans une assistance particulière de Dieu ».
Vauban voyage à cheval ou dans sa basterne16, une chaise de poste qui serait de son invention et suffisamment grande pour pouvoir y travailler avec son secrétaire39, portée sur quatre brancards par deux mules, l’une devant, l’autre derrière. Pas de roues, pas de contact avec le sol : les cahots sur les chemins de pierres sont ainsi évités, il peut emprunter les chemins de montagne, et Vauban est ainsi enfermé avec ses papiers et un secrétaire en face de lui. En moyenne, il passe 150 jours par an sur les routes, soit une moyenne de 2 000 à 3 000 km par an (le maximum : 8 000 km de déplacement en une année !).
Il est fortement marqué par cette crise de subsistances des années 1693-1694, qui affecte surtout la France du Nord, provoque peut-être la mort de deux millions de personnes. Elle aiguise la réflexion de l'homme de guerre confronté quotidiennement à la misère, à la mort, à l'excès de la fiscalité royale : « la pauvreté, écrit-il, ayant souvent excité ma compassion, m'a donné lieu d'en rechercher la cause ».
L'homme de plume
Pendant ces années terribles (1680-1695) marquées par trois années de disette alimentaire sans précédent au cours des hivers 1692-93-94, l’homme de guerre se fait homme de plume :
- Oisivetés ou ramas de plusieurs sujets à ma façon.
C’est Fontenelle, qui révèle dans son éloge de Vauban, l’existence de ce recueil de « mémoires reliés et collationnés en volumes au nombre de douze »… C’est sans doute à partir de la mort de Colbert (1683), qu’il rédige ce « ramas d’écrits », extraordinaire et prolifique document, souvent décousu, où il consigne, en forme de vingt-neuf mémoires manuscrits (soit 3 850 pages manuscrites en tout) ses observations, ses réflexions, ses projets de réformes, témoignant d’une curiosité insatiable et universelle. Une brève note de Vauban, incluse dans un agenda, daté du , éclaire le recueil alors en cours de constitution40 :
« Faire un deuxième volume en conséquence du premier et y insérer le mémoire des colonies avec la carte et celui de la navigation des rivières avec des figures de far et d’escluses calculées ; y ajouter une pensée sur la réduction des poids et mesures en une seule et unique qui fut d’usage partout le Royaume. »
« La vie errante que je mène depuis quarante ans et plus, écrit-il dans la préface de la Dîme royale, m’ayant donné occasion de voir et visiter plusieurs fois et de plusieurs façons la plus grande partie des provinces de ce royaume, tantôt seul avec mes domestiques, et tantôt en compagnie de quelques ingénieurs, j’ai souvent occasion de donner carrière à mes réflexions, et de remarquer le bon et le mauvais état des pays, d’en examiner l’état et la situation et celui des peuples dont la pauvreté ayant souvent excité ma compassion, m’a donné lieu d’en rechercher les causes. »
Les Oisivetés, publiées pour la première fois en 2007 aux éditions Champ Vallon, sont détenues par la famille Rosanbo. L’ensemble représente 68 microfilms de papiers et mémoires (en tout 29 mémoires importants, plus de 2 000 pages), auxquels il faut ajouter 47 microfilms de correspondance.
- la Description géographique de l’élection de Vézelay (1696)
Parmi les mémoires, qui sont autant d’exemples des statistiques descriptives, l'ouvrage est le plus abouti : il décrit les revenus, la qualité, les mœurs des habitants, leur pauvreté et richesse, la fertilité du pays et ce que l’on pourrait y faire pour en corriger la stérilité et procurer l’augmentation des peuples et l’accroissement des bestiaux.
- Le Projet de Capitation (1694)
Ce qui domine dans ces écrits, c’est la notion d’utilité publique, au service des plus démunis. Vauban imagine une « réformation » globale, pour répondre au problème de la misère et de la pauvreté. Dès 1694, Vauban présente un Projet de capitation, fruit de multiples réflexions et de débats, notamment avec Boisguilbert, (qui publie en 1695 son Détail de la France que Vauban a lu et apprécié). Vauban profite de multiples entretiens « avec un grand nombre de personnes et des officiers royaux de toutes espèces qui suivent le roi ».
Le Projet de capitation annonce son futur essai : il y propose un impôt levé, sans aucune exemption, sur tous les revenus visibles (les produits fonciers, les rentes, les appointements…) et condamne la taille, « tombée dans une telle corruption que les anges du ciel ne pourraient venir à bout de la corriger ». Dans ce Projet, il dénonce « l’accablement des peuples, poussé au point où nous le voyons ».
En conséquence, il écrit « la capitation doit être imposée sur toutes les natures de biens qui peuvent produire du revenu, et non sur les différents étages des qualités ni sur le nombre des personnes, parce que la qualité n’est pas ce qui fait l’abondance, non plus que l’égalité des richesses, et que le menu peuple est accablé de tailles, de gabelles, d’aides et de mille autres impôts, et encore plus de la famine qu’ils ont soufferte l’année dernière, qui a achevé de les épuiser ».
L'année suivante, le , le pouvoir royal met effectivement en place une capitation, un impôt auquel, en théorie, tous les sujets, des princes du sang aux travailleurs de terre, sont assujettis, de 20 sous à 2 000 livres, en fonction de leur fortune. Mais contrairement à l'idée de Vauban, cet impôt s'ajoute aux autres, et la plupart des privilégiés, par abonnement ou par rachat, ont tôt fait de s'en faire dispenser.
L'homme politique
Bien qu'il soit militaire, Vauban donne son avis dans les affaires de l'État : en 1683, il propose un traité de paix avec l'Allemagne en y posant pour condition « la cession pure et simple de la part de l'empereur des pays nouvellement réunis aux trois évêchés, de toute l'Alsace et notamment de la ville de Strasbourg ». En échange, Louis XIV donnerait les villes de Brisach et de Fribourg. Cette proposition est loin d'être innocente puisque d'après l'intéressé, ces deux places sont plus une charge qu'autre chose pour le royaume de France. Cette proposition lui vaut une remontrance de Louvois par un courrier du : « […] je vous répondrai en peu de paroles que si vous étiez aussi mauvais ingénieur que politique, vous ne seriez pas si utile que vous êtes au service du roi »41.
1703-1706 : De l'amertume à la transgression
En , Vauban est à Dunkerque, une ville forte qu’il considère comme sa plus belle réussite et qu’il transforme en une « cité imprenable » : un formidable ensemble de forts de défense, de bâtiments, de jetées, de fossés remplis d’eau, et d’un bassin pouvant contenir plus de quarante vaisseaux de haut bord toujours à flot, même à marée basse, grâce à une écluse. Du reste, à propos de « son » Dunkerque, le , il écrit à Louvois, en faisant preuve, une fois n’est pas coutume, de peu de modestie :
« Dès l’heure qu’il est, ce port et son entrée me paraissent une des plus belles choses du monde et la plus commode, et si je demeurais six mois à Dunkerque, je ne crois pas que ma curiosité ni mon admiration seraient épuisées quand je les verrais tous les jours une fois. »
Pourquoi est-il à Dunkerque ? Parce que le roi lui confie le commandement de la frontière maritime des Flandres alors sérieusement menacée. Il a l’autorisation de construire un camp retranché à Dunkerque, puis un deuxième entre Dunkerque et Bergues. Mais les fonds nécessaires n’arrivent pas et il s’en plaint au maréchal de Villeroy, qui lui répond le :
« vous êtes le seul à pouvoir obtenir de la cour l’argent et les moyens nécessaires pour terminer les travaux des camps retranchés qui sont bien utiles. »
Vauban écrit à Chamillard, le ministre de la Guerre et des Finances, le :
« si M. Le Pelletier s’obstine davantage sur ce que je lui demande [il n’envoie pas les fonds], je serai obligé d’en écrire au roi et de le prier de me retirer d’ici. »
Ce qu’il fait à soixante-treize ans : c'est là, à Dunkerque, à « son » Dunkerque, que Vauban demande à être relevé de son commandement : « J'ai hier demandé mon congé, écrit-il de Dunkerque, le 25 octobre 1706, car je ne fais rien ici, et le rhume commence à m’attaquer rudement ». Quelques jours plus tard, il insiste auprès de Chamillard pour être relevé de son commandement :
« quand on sort d’un cinquième ou sixième accès de fièvre tierce qui s’est converti en double tierce, on n’est plus en état de soutenir la gageure. Je vous prie de trouver bon que je vous demande M. d’Artagnan pour me venir relever ici pour l’hiver. »
Il souffre depuis longtemps d’un rhume récurrent, en fait une bronchite chronique, et subit de violents accès de fièvre (et sa présence à Dunkerque, dans les marais des plaines du Nord, n’est pas faite pour le guérir !).
Mais il y a des raisons plus profondes, plus intimes, à cette demande de retrait : Vauban est amer depuis le siège de Brisach, en 1703, le dernier siège dont il a le commandement. Il enseigne au duc de Bourgogne, le petit-fils du roi, les choses de la guerre et lui écrit, — sur ordre de Louis XIV —, un traité De l’attaque et de la défense des places afin de parfaire son éducation militaire42 qui constitue le huitième tome des Oisivetés.
« La grâce que j’ose vous demander, Monseigneur, est de vouloir bien vous donner la peine de lire ce Traité avec attention, et qu’il vous plaise de le garder pour vous, et de n’en faire part à personne, de peur de quelqu’un n’en prenne des copies qui, pouvant passer chez nos ennemis, y seraient peut-être mieux reçues qu’elles ne méritent. »
(épître dédicatoire). Ce qui n’empêche pas la circulation de nombreux manuscrits : plus de 200, déplore en 1739 Charles de Mesgrigny, le petit-fils de Vauban…
Mais après ce siège, plus rien ne lui est proposé. Et il s’en inquiète auprès de Chamillart :
« … tout le monde se remue ; il n’y a que moi à qui on ne dit mot. Est-ce que je ne suis plus propre à rien ? Quoique d’un âge fort avancé, je ne me condamne pas encore au repos, et quand il s’agira de rendre un service important au roi, je saurai bien mettre toutes sortes d’égards à part, tant par rapport à moi qu’à la dignité dont il lui a plu m’honorer, persuadé que je suis que tout ce qui tend à servir le roi et l’État est honorable, même jusqu’aux plus petits, à plus forte raison quand on y peut joindre des services essentiels tels que ceux que je puis rendre dans le siège dont il s’agit… Ce qui m'oblige à vous parler de la sorte est qu'il me paraît qu'on se dispose à faire le siège sans moi. Je vous avoue que cela me fait de la peine, mettez y donc ordre43. »
Chamillart lui répond qu’il a lu sa lettre à Louis XIV, qui a résolu de faire le siège de Landau. Mais il ajoute dans sa lettre du : « Elle m’ordonne de vous dire en même temps qu’elle a résolu d’en laisser la conduite entière à M. le maréchal de Tallart… » Opportunément, Vauban est convoqué à Paris, chargé de l'instruction du duc de Bourgogne. Ce qui ne l'empêche pas de rédiger ses préconisations pour le siège en préparation.
L’amertume pour Vauban est alors à son comble. Et il exprime ses craintes dans une autre lettre écrite à Chamillard en 1705. Cette lettre accompagne un mémoire consacré au siège de Turin, car Vauban continue à suivre les opérations militaires, et il n’est pas satisfait de leur déroulement. Aussi multiplie-t-il avis et conseils. Après de nombreux détails techniques, Vauban ajoute ces lignes, des lignes particulièrement émouvantes, dans lesquelles le vieux maréchal continue à offrir ses services :
« Après avoir parlé des affaires du roi par rapport à la lettre de M. Pallavicini et à ce qui est de la portée de mes connaissances, j’ose présumer qu’il me sera permis de parler de moi pour la première fois de ma vie.
Je suis présentement dans la soixante-treizième année de mon âge, chargé de cinquante-deux ans de service, et surchargé de cinquante sièges considérables et de près de quarante années de voyages et visites continuelles à l’occasion des places et de la frontière, ce qui m’a attiré beaucoup de peines et de fatigues de l’esprit et du corps, car il n’y a eu ni été ni hiver pour moi. Or, il est impossible que la vie d’un homme qui a soutenu tout cela ne soit fort usée, et c’est ce que je ne sens que trop, notamment depuis que le mauvais rhume qui me tourmente depuis quarante ans s'est accru et devient de jour en jour plus fâcheux par sa continuité ; d’ailleurs, la vue me baisse et l’oreille me devient dure, bien que j’ai la tête aussi bonne que jamais. Je me sens tomber et fort affaibli par rapport à ce que je me suis vu autrefois. C’est ce qui fait que je n’ose plus me proposer pour des affaires difficiles et de durée qui demandent la présence presque continuelle de ceux qui les conduisent. Je n’ai jamais commandé d’armée en chef, ni comme général, ni comme lieutenant général, pas même comme maréchal de camp, et hors quelque commandement particulier, comme ceux d’Ypres, Dunkerque et de la basse Bretagne, dont je me suis, Dieu merci, bien tiré, les autres ne valent pas la peine d’être nommés. Tous mes services ont donc roulé sur les sièges et la fortification ; de quoi, grâce au Seigneur, je suis sorti avec beaucoup d’honneurs. Cela étant, comme je le dis au pied de la lettre, il faudrait que je fusse insensé si, aussi voisin de l’état décrépit que je le suis, j’allais encore voler le papillon et rechercher à commander des armées dans des entreprises difficiles et très épineuses, moi qui n’en ai point d’expérience et qui me sens défaillir au point que je ne pourrais pas soutenir le cheval quatre heures de suite ni faire une lieue à pied sans me reposer.
Il faut donc se contenter de ce que l’on fait et du moins ne pas entreprendre choses dans l’exécution desquelles les forces et le savoir-faire venant à me manquer pourraient me jeter dans des fautes qui me déshonoreraient ; ce qu’à Dieu ne plaise, plutôt la mort cent fois.
Quant à ce qui peut regarder mon ministère touchant la conduite des attaques, je pourrais encore satisfaire bien que mal aux fatigues d’un siège ou deux par campagne, si j’étais servi des choses nécessaires et que l’on eût des troupes comme du passé. Mais quand je pense qu’elles ne sont remplies que de jeunes gens sans expérience et de soldats de recrues presque tous forcés et qui n’ont nulle discipline, je tremble, et je n’ose désirer de me trouver à un siège considérable. D’ailleurs la dignité dont il a plu au Roi de m’honorer m’embarrasse à ne savoir qu’en faire en de telles rencontres. En de telles rencontres, je crains le qu'en-dira-t-on de mes confrères, de sorte que je ne sais point trop quel parti prendre, ni comment me déterminer.
Je dois encore ajouter que je me suis défait de tout mon équipage de guerre il y a quatre ou cinq mois, après l’avoir gardé depuis le commencement de cette guerre jusque-là.
Après cela, si c’est une nécessité absolue que je marche, je le ferai au préjudice de tout ce qu’on en pourra dire et de tout ce qui en pourra arriver, le roi me tenant lieu de toutes choses après Dieu. J’exécuterai toujours avec joie ce qui lui plaira de m’ordonner, quand je saurais même y devoir perdre la vie, et il peut compter que la très sensible reconnaissance que j’ai de toutes ses bontés ne s’épuisera jamais ; la seule grâce que j’ai à lui demander est de ménager un peu mon honneur.
Je suis bien fâché, Monsieur, de vous fatiguer d’une si longue lettre, mais je n’ai pas pu la faire plus courte. Je vous l’aurais été porter moi-même si le rhume que m’accable ne me contraignait à garder la chambre44. »Bientôt, dans les derniers jours de l’année 1706, il rentre à Paris dans son hôtel de la rue Saint-Vincent dans la paroisse Saint-Roch (loué aux neveux de Bossuet), où il s’est installé à partir de 1702 (dans l’actuelle rue de Rivoli : Une plaque y commémore la présence de Vauban il y a trois siècles. Il y retrouve, semble-t-il, Charlotte de Mesgrigny, sa fille. Il souffre, il tousse, plus que jamais (sa bronchite chronique n’a fait qu’empirer), son vieux corps est miné, mais son esprit a gardé toute sa vivacité.
C’est alors qu’il décide, peut-être incité par l’abbé Vincent Ragot de Beaumont, qui fait fonction de secrétaire, d’imprimer son livre, cette Dîme royale, celui, de tous ses écrits, qu’il estime le plus.
Qu'est-ce que La Dîme royale ?
En effet, la contribution majeure de Vauban à la réforme des impôts (question lancinante tout au long du XVIIIe siècle jusqu'à la Révolution française de 1789) est la publication en 1707 — malgré son interdiction — de cet ouvrage (publié à compte d'auteur), intitulé :
« Projet d'une dixme royale qui, supprimant la taille, les aydes, les doüanes d'une province à l'autre, les décimes du Clergé, les affaires extraordinaires et tous autres impôts onéreux et non volontaires et diminuant le prix du sel de moitié et plus, produiroit au Roy un revenu certain et suffisant, sans frais, et sans être à charge à l'un de ses sujets plus qu'à l'autre, qui s'augmenteroit considérablement par la meilleure culture des terres »
Dans cet ouvrage, il met en garde contre de forts impôts qui détournent des activités productives. Vauban propose dans cet essai de remplacer les impôts existants par un impôt unique de dix pour cent sur tous les revenus, sans exemption pour les ordres privilégiés (le roi inclus). Plus exactement, Vauban propose une segmentation en classes fiscales en fonction des revenus, soumises à un impôt progressif de 5 % à 10 %45. L'impôt doit servir une politique, les classes fiscales doivent être plus ou moins favorisées à fins d'enrichir la société et par conséquent l’État.
Bien qu'interdit, cet ouvrage bénéficie de nombreuses éditions à travers toute l'Europe — une traduction anglaise paraît dès 1710 — et ce texte alimente les discussions fiscales pendant une grande partie du XVIIIe siècle.
Mais, contrairement à la légende, le projet :
- n’est pas révolutionnaire : Boisguilbert avait déjà fait des propositions analogues, dont Vauban s’inspire (ainsi que de son secrétaire, l'abbé Vincent Ragot de Beaumont)46, et la capitation, impôt très semblable, est établie en 1695, ainsi que l'impôt du dixième, en 1710 ;
- n'est pas ignoré par le pouvoir. Le contrôleur général Chamillart a lu La Dîme royale sans doute à la fin de l’année 1699. De même, en , le premier président au Parlement de Paris, Achille III de Harlay. Et enfin et surtout, en 1700 toujours, Vauban présente au roi, en trois audiences successives — qui ont lieu dans la chambre de madame de Maintenon — la première version de sa Dîme royale par écrit et oralement. C’est ce qu’il explique dans sa lettre à Torcy :
« J’en ai présenté le système au roi à qui je l’ai lu, en trois soirées de deux heures et demie chacune, avec toute l’attention possible. Sa Majesté, après plusieurs demandes et réponses, y a applaudi. M. de Chamillart, à qui j’en ai donné une copie, l’a lu aussi, de même que M. le premier Président (Achille de Harlay) à qui je l’ai aussi fait voir tout du long. Je ne me suis pas contenté de cela. Je l’ai recommandé au Roi de vive voix et surtout d’en faire faire l’expérience sur quelques-unes des petites élections du royaume, ce que j’ai répété plusieurs fois et fait la même chose à M. de Chamillart.
Bref, j’ai cessé d’en parler au roi et à son ministre pour leur en écrire à chacun une belle et longue lettre bien circonstanciée avant que partir pour me rendre ici, où me trouvant éloigné du bruit et plus en repos, j’y ai encore travaillé de sorte qu’à moi, pauvre animal, cela ne me paraît pas présentement trop misérable. »
Et Nicolas-Joseph Foucault, intendant de Caen, note à la date du : « M. Chamillart m’a envoyé un projet de capitation et de taille réelle, tiré du livre de M. Vauban ». Une expérimentation est tentée en Normandie qui se traduit par un échec : « ce projet, ajoute-t-il, sujet à trop d’inconvénients, n’a pas eu de suite ».
En fait, ce qui déplait, c’est la publication et la divulgation publique en pleine crise militaire et financière. Vauban transgresse un interdit en rendant publics les « mystères de l’État » et, lui dit-on, se mêle d’une matière qui ne le regarde pas… C’est bien ce qu’explique Michel Chamillart, qui cumule les charges de contrôleur général des finances et de secrétaire d’État à la Guerre :
« Si M. le maréchal de Vauban avait voulu écrire sur la fortification et se renfermer dans le caractère dans lequel il avait excellé, il aurait fait plus d’honneur à sa mémoire que le livre intitulé La Dîme royale ne fera dans la suite. Ceux qui auront une profonde connaissance de l’état des finances de France et de son gouvernement n’auront pas de peine à persuader que celui qui a écrit est un spéculatif, qui a été entraîné par son zèle à traiter une matière qui lui était inconnue et trop difficile par elle-même pour être rectifiée par un ouvrage tel que celui de M. de Vauban. »
Et il avoue :
« j’ai peine à croire, quelque soin que l’on ait de supprimer les exemplaires et puisque ce livre a passé à Luxembourg et qu’il vient de Hollande, qu’il soit possible d’empêcher qu’il n’ait cours. »
— Lettre au comte de Druy, gouverneur de Luxembourg, 27 août 1707.
Effectivement, en 1708, un éditeur de Bruxelles imprime le livre avec un privilège de la cour des Pays-Bas et en 1710 une traduction parait en Angleterre. Et en France, un marchand de blés de Chalon-sur-Saône vante en 1708 « une espèce de dîme royale », et un curé du Périgord écrit en 1709 : « On souhaiterait fort que le Roi ordonnât l’exécution du projet de M. le maréchal de Vauban touchant la dîme royale. On trouve ce projet admirable […]. En ce cas, on regarderait ce siècle, tout misérable qu’il est, comme un siècle d’or » (cité par Émile Coornaert dans sa préface à l’édition de La Dixme royale, Paris, 1933, p. XXVIII).
- son échec est plutôt à attribuer à son mode de recouvrement en nature, choix coûteux (il est nécessaire de construire des granges) et désavantageux en temps de guerre (où l'on préfère un impôt perçu en argent).
« Grosso modo, pour tous ceux qui connaissaient la question en vue d'une application directe, le projet de Vauban n'était pas faisable et mal pensé, Au contraire, pour tous ceux qui n'avaient pas à gérer immédiatement la chose fiscale, il fut un slogan au moins, une utopie, une solution, au plus, d'autant plus séduisante qu'elle n'était pas approfondie47. »
Où et comment La Dîme royale a-t-elle été imprimée ?
Peut-être à Rouen (hypothèse Boislisle), peut-être à Lille, peut-être même en Hollande (hypothèse Morineau).
Nous sommes donc à la fin de l'année 1706 et au tout début de l'année 1707. Ce que nous savons, c’est qu’une demande de privilège de librairie pour un in-quarto intitulé Projet d’une Dixme royale a été déposée, sans nom d’auteur, auprès des services du chancelier, le .
Cette demande est restée sans réponse. L’auteur n’est pas cité, mais à la chancellerie, il est connu puisque nous savons que le chancelier lui-même est en possession du manuscrit. Sans réponse de la chancellerie, Vauban décide de poursuivre quand même l’impression. À partir de ce moment et de cette décision, il sait bien qu’il est hors-la-loi : son amour du bien public vient de l’emporter sur le respect de la loi.
L’impression achevée, sous forme de feuilles, est livrée en ballots. Mais comment les faire entrer à Paris, entourée, on le sait, de barrières, bien gardées ? L’introduction de ballots suspects aurait immédiatement éveillé l’attention des gardes, et tous les imprimés non revêtus du « privilège » sont saisis.
Aussi, Vauban envoie deux hommes de confiance (Picard, son cocher, et Mauric, un de ses valets de chambre), récupérer les quatre ballots enveloppés de serpillières et de paille et cordés, au-delà de l’octroi de la porte Saint-Denis. Chaque ballot contient cent volumes en feuilles.
Les gardiens de la barrière laissent passer, sans le visiter, le carrosse aux armes de Vauban, maréchal de France. À Paris, rue Saint-Jacques, c’est la veuve de Jacques Fétil, maître relieur rue Saint-Jacques, qui broche la Dixme royale, jusqu’à la fin du mois de , sous couverture de papier veiné, et relia quelques exemplaires, les uns en maroquin rouge pour d’illustres destinataires, les autres plus simplement en veau, et même en papier marbré (300 sans doute en tout). Ce sont des livres de 204 pages, in-quarto. Vauban en distribue à ses amis et les volumes passent de main en main (les jésuites de Paris en détiennent au moins deux exemplaires dans leur bibliothèque)… À noter qu’aucun exemplaire n’est vendu : aux libraires qui en demandent, Vauban répond « qu’il n’est pas marchand ».
Voici le témoignage de Saint-Simon :
« Le livre de Vauban fit grand bruit, goûté, loué, admiré du public, blâmé et détesté des financiers, abhorré des ministres dont il alluma la colère. Le chevalier de Pontchartrain surtout en fit un vacarme sans garder aucune mesure et Chamillart oublia sa douceur et sa modération. Les magistrats des finances tempêtèrent et l’orage fut porté jusqu’à un tel excès que, si on les avait crus, le maréchal aurait été mis à la Bastille et son livre entre les mains du bourreau. »
Le , le Conseil, dit « conseil privé du roi » se réunit. Il condamne l’ouvrage, accusé de contenir « plusieurs choses contraires à l’ordre et à l’usage du royaume ». Et le roi ordonne d’en mettre les exemplaires au pilon et défend aux libraires de le vendre. Pourtant aucun auteur n’est mentionné. Cette première interdiction n’affecte pas, semble-t-il, Vauban qui, tout au contraire, dans une lettre datée du (à son ami Jean de Mesgrigny, gouverneur de la citadelle de Tournai), manifeste sa fierté face au succès de son livre :
« … Le livre de la Dixme royale fait si grand bruit à Paris et à la Cour qu’on a fait défendre la lecture par arrest du Conseil, qui n’a servi qu’à exciter la curiosité de tout le monde, si bien que si j’en avois un millier, il ne m’en resteroit pas un dans 4 jours. Il m’en revient de très grands éloges de toutes parts. Cela fait quez je pourray bien en faire une seconde édition plus correcte et mieux assaisonnée que la première48… »
Et nous apprenons en même temps que l’abbé Vincent Ragot de Beaumont (l'homme de l’ombre qui a joué un rôle capital dans la rédaction de la Dixme royale), installé à Paris près de Vauban, prépare cette seconde édition :
« … L’abbé de Beaumont est ici qui se porte à merveille, et je le fais travailler depuis le matin jusqu’au soir. Vous savez que c’est un esprit à qui il faut de l’aliment, et moi, par un principe de charité, je lui en donne tout autant qu’il en peut porter44… »
Un second arrêt est donné le . Louis Phelypeaux, comte de Ponchartrain (1674-1747), en personne, le chancelier, a lui-même corrigé le texte de l’arrêt, dont l’exécution est cette fois confiée au lieutenant-général de police de Voyer de Paulmy, marquis d’Argenson. Et Pontchartrain ajoute en marge de l’arrêt : « le dit livre se débite encore », c’est-à-dire, au sens exact du mot, se vend facilement et publiquement. Au même moment, Vauban continue la distribution de son livre : ainsi, Jérôme de Pontchartrain, le fils du chancelier, et secrétaire d’État à la Marine, accuse réception, le , d’un exemplaire qui lui a été adressé le .
Les derniers jours de Vauban
Grâce aux dépositions de son valet de chambre, Jean Colas, de la veuve Fétil, de sa fille et de leur ouvrier Coulon, il est possible de savoir comment se sont passés les derniers jours de Vauban.
Colas, le valet de Vauban, qui fut interné pendant un mois au Châtelet, raconte dans une déposition conservée aux archives la réaction du vieux maréchal, le , quand il commence à s’inquiéter : « Toute cette après-dînée, le Maréchal parut fort chagrin de la nouvelle que M. le Chancelier faisait chercher son livre ». Sa réaction fut d’ordonner à son valet « d'aller promptement chez la veuve Fétil retirer les quarante exemplaires restés chez elle ». Toute la journée, il reste assis dans sa chambre, « en bonnet », près du feu. Deux dames lui ont rendu visite ce jour-là (la comtesse de Tavannes et Madame de Fléot, femme du major de la citadelle de Lille) et il a accordé sans doute, à chacune d’elles un exemplaire de sa Dîme. Sur le soir, « la fièvre le prend ». Il se met au lit, et fut « fort mal le vendredi et samedi suivant… »
Le dimanche, la fièvre est légèrement tombée : « ce dimanche matin, explique Colas, il donne ordre de prendre dans son cabinet deux de ses livres et de les porter au sieur abbé de Camps, rue de Grenelle, faubourg Saint-Germain, et de le prier de les examiner, et de lui en dire son sentiment ».
Et le soir même, il en fait aussi porter un aux Petits-pères de la place des Victoires, et « un autre à son confesseur, un frère jacobin qui prêche pendant le cours de cette année au couvent de l’ordre, rue Saint-Honoré, et ne donnant ledit livre [à son valet] le dit sieur maréchal lui dit qu'il priait [ce frère] de le lire et de lui dire si, en le composant, il n’avait rien fait contre sa conscience ».
« Le mercredi 30 mars, dit Colas, sur les neuf heures trois-quarts du matin, le Maréchal mourut… ».
Dès l’instant de sa mort, les exemplaires restants sont retirés, par Ragot de Beaumont, qui logeait dans une chambre de l’hôtel Saint-Jean, hôtel mitoyen et dépendant de celui de Vauban. Et dans cette chambre, explique Colas, « on y monte par un escalier qui débouche dans le cabinet du Maréchal ».
Vauban meurt dans une maison aujourd'hui détruite qui se situait au 1 rue Saint-Roch actuelle. En 1933, à l'occasion du tricentenaire de la naissance de Vauban, la ville de Paris y fait apposer une plaque commémorative.
Le no 1 de la rue Saint-Roch C’est Saint-Simon, on le sait, qui a fait naître l’idée que Vauban serait mort de chagrin : « Vauban, réduit au tombeau par l’amertume ». Et surtout, ce passage :
« Le roi reçut très mal le maréchal de Vauban lorsqu’il lui présenta son livre, qui lui était adressé dans tout le contenu de l’ouvrage. On peut juger si les ministres à qui il le présenta lui firent un meilleur accueil. De ce moment, ses services, sa capacité militaire, unique en son genre, ses vertus, l’affection que le roi y avait mise jusqu’à se croire couronné de lauriers en l’élevant, tout disparut à l’instant à ses yeux ; il ne vit plus en lui qu’un insensé pour l’amour du bien public, et qu’un criminel qui attentait à l’autorité de ses ministres, par conséquent à la sienne ; il s’en espliqua de la sorte sans ménagement :
L’écho en retentit plus aigrement dans toute la nation offensée qui abusa sans ménagement de sa victoire ; et le malheureux maréchal, porté dans tous les cœurs français, ne put survivre aux bonnes grâces de son maître, pour qui il avait tout fait, et mourut peu de mois après, ne voyant plus personne, consommé de douleur et d’une affliction que rien ne put adoucir, et à laquelle roi fut insensible, jusqu’à ne pas faire semblant de s’apercevoir qu’il eût perdu un serviteur si utile et si illustre. Il n’en fut pas moins célébré par toute l’Europe et par les ennemis mêmes, ni moins regretté en France de tout ce qui n’était pas financier ou suppôt de financier. »
Mais tout cela est une légende : Vauban n’a été ni inquiété ni disgracié et il est bien mort de maladie, d’une pneumonie (fluxion de poitrine), des conséquences de ce « rhume » dont il ne cesse de se plaindre depuis des dizaines d’années dans sa correspondance.
Reste que la Dixme royale est bel et bien une affaire, l’ultime recours d’un homme qui a voulu, par tous les moyens, se faire entendre… Et les mesures de censure n’ont pas réussi à empêcher la diffusion et le succès du livre, comme l’atteste cette lettre de Ponchartrain du à l’intendant de Rouen Lamoignon de Courson :
- « Nonobstant les deux arrests du conseil dont je vous envoie copie qui ordonne la suppression du livre de feu le maréchal de Vauban, la Dixme royale, ce même livre n’a pas cessé d’être imprimé à Rouen en deux volumes in 12. On soupçonne le nommé Jaure de l’avoir fait imprimer, ce particulié ayant esté chassé de Paris pour avoir imprimé plusieurs livres défendus ».
Effectivement, nous savons que les libraires de Rouen ont imprimé le Projet d’une dixme royale de Vauban en 1707, 1708, 1709… Et à partir de Rouen, le livre est diffusé dans toute l’Europe : le , un éditeur néerlandais demande à Antoine Maurry (l’imprimeur de Rouen qui a fabriqué le livre) six Dixme royale de Vauban in-quarto… Et en 1713, Jérôme de Pontchartrain, secrétaire d’État de la Marine et de la Maison du roi expédiait à Michel Bégon, intendant du Canada, un exemplaire de la Dixme royale en lui recommandant d’étudier avec Vaudreuil, le gouverneur, les possibilités d’appliquer au Canada les principes développés par Vauban50.
Et c’est la Régence, avec l’expérience de la polysynodie, qui confirme l’actualité, toujours présente, et réformatrice de Vauban : dans le Nouveau Mercure galant, organe officieux du gouvernement, on peut lire, en (p. 258) que « S.A.R. (le Régent) travaille tous les jours pendant trois heures à examiner les Mémoires de feu M. le duc de Bourgogne, de même que ceux de M. de Vauban »…
Sépulture
Vauban est inhumé dans l'église de Bazoches, un petit village du Morvan proche du lieu de sa naissance et dont il avait acheté le château en 1675.
Sa sépulture est une des rares qui n'a pas été profanée pendant la Révolution française51 et reste accessible aux visiteurs. Cependant son cœur, retrouvé sous l'autel, lors de fouilles entreprises en 1804 est transféré sur décision de Napoléon en 1808 sous le dôme des Invalides où il se trouve encore aujourd'hui. Initialement Napoléon avait aussi fait construire un monument funéraire afin de présenter l'urne contenant le cœur mais celui-ci fut remplacé en 1847 par un cénotaphe52.
Héritage
Un « bon Français » (Louis XIV)
Louis XIV reconnaît en Vauban un « bon Français ». Et à sa mort, contrairement à une légende tenace de disgrâce (légende dont Saint-Simon est en partie responsable), il parle de lui avec beaucoup d’estime et d’amitié et déclare à l’annonce de sa mort : « Je perds un homme fort affectionné à ma personne et à l’État ». Vauban est un homme de caractère, qui paie de sa personne, exigeant dans son travail et très soucieux du respect de ses instructions.
Mais c'est aussi un humaniste, qui se passionne pour la justice sociale : on rapporte par exemple qu'il partage ses primes et ses soldes avec les officiers moins fortunés, et prend même parfois sur lui les punitions des soldats sous son commandement lorsqu'il les trouve injustes…
Il mène une vie simple et ses rapports avec son entourage sont très humains, qu'il s'agisse de ses proches ou des gens de sa région natale, où il aimait à revenir lorsqu'il le pouvait (c'est-à-dire rarement). Son père, Urbain le Prestre, l'a éduqué très jeune dans le respect des autres, quelles que soient leurs origines. Ses origines modestes — famille de hobereaux désargentés — ont sans doute contribué à forger l'humanité de son caractère.
On peut dire aussi que Vauban est un noble « malcontent ». Mais au lieu d’emprunter le chemin de la révolte armée comme le font les gentilshommes du premier XVIIe siècle, il utilise la plume et l’imprimé, au nom d’un civisme impérieux, pleinement revendiqué, au service de la « nation France » et de l’État royal qu’il veut servir plus que le roi lui-même. Toute son œuvre de pierre et de papier en témoigne : son action ne vise qu’un but, l’utilité publique, en modelant le paysage, en façonnant le territoire, en transformant l’ordre social.
Vauban, apôtre de la vérité, apparaît, avec quelques autres contemporains (Pierre de Boisguilbert, par exemple, ou l’abbé de Saint-Pierre), comme un citoyen sans doute encore un peu solitaire. Mais au nom d’idées qu’il croit justes, même si elles s’opposent au roi absolu, il contribue à créer un espace nouveau dans le territoire du pouvoir, un espace concurrent de celui monopolisé par les hommes du roi, l’espace public, et à faire naître une force critique appelée à un grand avenir : l’opinion.
Par ses écrits progressistes, Vauban est considéré comme un précurseur des encyclopédistes, des physiocrates et de Montesquieu53.
Bilan de ses fortifications
Selon Napoléon, la frontière de fer édifiée par Vauban a sauvé la France de l'invasion à deux reprises : sous Louis XIV lors de la bataille de Denain, puis sous la Révolution54.
Hommages
- Timbres
- Timbre à l'effigie de Vauban, série célébrités , dessin de André Spitz, d'après Rigaud. Graveur : Claude Hertenberger, impression taille-douce France no 1029, catalogue Yvert & Tellier, année d'émission : ;
- Timbre à l'effigie de Vauban et une fortification en arrière-plan valeur 0,54 EUR France no 4031, catalogue Yvert & Tellier, année 2007 ;
- vignette commémorative sans valeur postale.
- Monnaies
- La monnaie de Paris, pour célébrer l'année Vauban, a émis en 2007 quatre monnaies créées par Fabienne Courtiade : une en or 1/4 d'once massif, à valeur faciale de 10 € et à tirage limité à 3 000 exemplaires ; deux en argent 5 onces, en qualités Brillant universel et Belle Épreuve ; une pièce de 20 €.
- Statues
- Buste en marbre, sculpté en 1706 par Antoine Coysevox, propriété depuis 1825 de la famille royale britannique, au château de Winsor55 ;
- autre buste en marbre exécuté par Pietro Marchetti pour le tombeau du maréchal, aux Invalides, inspiré du précédent56, aujourd'hui conservé au Musée des Plans-Reliefs57 ;
- Monument à Vauban, sculpture de Auguste Bartholdi à Avallon en 1873 ;
- Monument à Vauban, sculpture de Anatole Guillot en 1905 à Saint-Léger-Vauban ;
- statue par Henri Bouchard, place Salvador-Allende (Paris).
Toponymie
- Communes
- Vauban, commune française de Saône-et-Loire ;
- Saint-Léger-Vauban, commune française de l'Yonne ;
- Autres lieux ou bâtiments
- Vauban, quartier de Marseille ;
- Vauban Esquermes, quartier de Lille ;
- quartier Vauban, écoquartier de Fribourg-en-Brisgau en Allemagne ;
- barrage Vauban sur l'Ill à Strasbourg ;
- barrage Vauban à Wolxheim ;
- place Vauban à Arras ;
- place Vauban à Avallon ;
- place Vauban à Cannes ;
- place Vauban à Dunkerque ;
- place Vauban à Maubeuge ;
- place Vauban à Mérignac ;
- place Vauban à Montpellier ;
- place Vauban à Paris ;
- place Vauban à Saint Germain-en-Laye ;
- place Vauban à Saint-Malo ;
- place Vauban à Stenay ;
- avenue Vauban à Angers ;
- avenue Vauban à Briançon ;
- avenue Vauban à Dieppe ;
- avenue Vauban à Livry-Gargan ;
- avenue Vauban à Maisons-Laffitte ;
- avenue Vauban à Sens ;
- avenue Vauban à Sète ;
- avenue Vauban à Thionville ;
- avenue Vauban à Toulon ;
- avenue Vauban à Valenciennes ;
- avenue Vauban à Villepinte ;
- avenue Vauban à Villemomble ;
- boulevard Vauban à Abbeville ;
- boulevard Vauban à Guyancourt ;
- boulevard Vauban à Lille ;
- boulevard Vauban à Marseille ;
- boulevard Vauban à Nouméa ;
- boulevard Vauban à Valence ;
- chemin Vauban à Montargis ;
- rue Vauban à Angoulême ;
- rue Vauban à Arles ;
- rue Vauban au Boulou ;
- rue Vauban à Colmar ;
- rue de la caserne Vauban à Foug;
- rue Vauban à Lorient ;
- rue Vauban à Lyon ;
- rue Vauban au Mans ;
- rue Vauban à Metz ;
- rue Vauban à Mulhouse ;
- rue Vauban à Nancy ;
- rue Vauban à Nantes ;
- rue Vauban à Saint-Jean-de-Luz ;
- rue Vauban à Strasbourg ;
- rue Vauban à Toulouse ;
- rue Vauban à Versailles ;
- impasse Vauban à Blagnac ;
- impasse Vauban à Bourges ;
- impasse Vauban à Carpentras ;
- impasse Vauban à Cherbourg-en-Cotentin ;
- impasse Vauban à Joigny ;
- impasse Vauban à Malakoff ;
- impasse Vauban à Montauban ;
- impasse Vauban à Saint-Vaast-la-Hougue ;
- passage Vauban à Agde ;
- passage Vauban à Grasse ;
- passage Vauban à Mulhouse ;
- allée Vauban à Caluire-et-Cuire ;
- allée Vauban à Châtillon ;
- allée Vauban à Issy-les-Moulineaux ;
- allée Vauban à La Madeleine ;
- allée Vauban à Villeneuve-d’Ascq ;
- quai Vauban à Belfort ;
- quai Vauban à Besançon ;
- quai Vauban à Fécamp ;
- quai Vauban à Gravelines ;
- quai Vauban à Le Havre ;
- quai Vauban à Lille ;
- quai Vauban à Nevers ;
- quai Vauban à Perpignan ;
- quai Vauban à Saint-Vaast-la-Hougue ;
- quai Vauban à Saint-Malo ;
- quai Vauban à Sète ;
- canal Vauban à Belfort ;
- canal Vauban à Ensisheim ;
- canal Vauban à Lille ;
- canal Vauban à Neuf-Brisach ;
- port Vauban à Antibes ;
- Port Vauban à Gravelines ;
- Port Vauban au Havre ;
- port Vauban à Lille ;
- port Vauban à Saint-Malo ;
- caserne Vauban à Antibes ;
- caserne Vauban à Bayonne ;
- caserne Vauban à Belfort ;
- caserne Vauban à Besançon ;
- caserne Vauban à Bouillon ;
- caserne Vauban à Calais ;
- caserne Vauban à Lunel ;
- caserne Vauban à Luxembourg ;
- caserne Vauban à Neuf-Brisach ;
- caserne Vauban à Radolfzell ;
- caserne Vauban à Saint-Étienne ;
- caserne Vauban à Sète ;
- caserne Vauban à Toul ;
- caserne Vauban à Versailles ;
- porte Vauban au Palais ;
- lycée professionnel Vauban à Auxerre ;
- lycée Vauban, lycée scientifique, technologique et professionnel à Brest ;
- lycée Vauban, lycée polyvalent privé à Dunkerque ;
- lycée polyvalent Vauban à Lille ;
- lycée Vauban, lycée et collège français du Luxembourg ;
- lycée professionnel Vauban à Nice ;
- collège Vauban à Belfort ;
- collège climatique Vauban à Briançon ;
- collège et lycée privés Vauban à Pontoise ;
- école maternelle Vauban à Versailles ;
- bibliothèque Vauban de l’université catholique de Lille à Lille ;
- le plus grand amphithéâtre de l'université de Namur (Belgique) porte son nom ;
- bibliothèque universitaire Vauban à Nîmes ;
- bibliothèque municipale Vauban à Versailles ;
- le plus grand amphithéâtre de l'université de Namur (Belgique) porte son nom ;
- centre Hospitalier Vauban au Quesnoy ;
- scène Vauban à Gravelines ;
- auditorium Vauban au Lille Grand Palais à Lille ;
- salle Vauban à Saint-Omer.
- boulevard Vauban à Auxerre
Divers
- Un contre-torpilleur de la Marine nationale française (1931-1942) a porté son nom ;
- le prix Vauban est un prix littéraire français organisé par l'Institut des hautes études de Défense nationale ;
- le Vauban est un cuirassé de la Marine française ;
- la Maison-musée du Haut-Verdon58 lui consacre une exposition permanente dans une des salles des tours bastionnées ;
- la Maison Vauban, créée en 1996, elle est la 3e maison à thème du réseau de l'écomusée du Morvan, consacrée au maréchal de Vauban natif du village de Saint-Léger-Vauban ;
- la « barrière Vauban » est un type de barrière mobile utilisée pour mettre rapidement en place un périmètre de non circulation piétonne ;
- la première promotion de l'École Nationale Supérieure des Ingénieurs de l'infrastructure Militaire (ENSIM) a été baptisée en son honneur ;
- la promotion 2017 de l'École des commissaires des armées porte le nom de « Promotion Vauban » ;
- la promotion 2009 de l'École Nationale Supérieure de Techniques Avancées Bretagne (ENSTA Bretagne) porte son nom ;
- Amphithéâtre Vauban; université de Namur.
Armoiries
Figure Blasonnement D'azur, au chevron d'or, surmonté d'un croissant d'argent et accompagné de trois trèfles du second.59
Propriétés
- Château d'Epiry, provenant de son épouse.
- Domaine de Creuzet, voisin d'Epiry lui est adjugé le par décret du bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, pour remboursement de la dette de 15 000 livres contractée par le comte de Crux, en 1671, soit 120 arpents de bois, 41 hectares60, avec la justice à la Collancelle, attenants à Epiry et au Creuset.
- Château de Bazoches, acquis en 1675 soit 130 hectares de terre et de prés ainsi que 400 hectares de bois, acquis aux enchères par un certain Lemoyne le pour le compte de Vauban. Cette vente avait pris quatre ans avant de se faire61.
- seigneurie de Pierre-Perthuis acquise en 1680 au comte de Vitteaux soit 30 hectares de terre et 12 hectares de vignoble, le fief, le château en ruine ainsi que le moulin de Sæuvres.
- Seigneurie de Cervon, acquise en 1683.
- Château de Vauban à Bazoches, manoir familial qu'il achète 4 700 livres en 1684, auquel son père fut contraint de renoncer en 1632, et qu'il rachète à son cousin Antoine Le Prestre de Vauban endetté, soit 500 hectares de terre et de broussailles avec le château62.
- En 1693, il achète au comte de Nevers : Philippe Mancini (1641-1707), la seigneurie de Neufontaines à l'ouest de Bazoches, comprenant le domaine d'Armance, ainsi que 110 hectares de terre et prés.
- Le manoir de Champignolles[réf. nécessaire] qui jadis propriété des Le Prestre, était passé par mariage aux Magdelenet, revient dans son patrimoine par son secrétaire Friand le , qui se fait rembourser une dette contractée par le président de l'élection de Vézelay: Jean Magdelenet.
- Seigneurie de Domecy, acquise en 1690 à Claude La Perrière, représentant 3 fermes et 70 hectares de terres et de prés.
- La Chaume, achetée en 1690.
En 1693 il possède 1 200 hectares de terres dont quatre cents de bois. Dont plus de la moitié des 91 actes d'affaires agricoles des Le Prestre passés devant maître Ragon, notaire à Bazoches de 1681 à 1705, signés par Jeanne d'Osnay épouse de Vauban qui lui a donné une procuration.
Écrits de Vauban
- Les Oisivetés de Monsieur de Vauban, ou ramas de plusieurs mémoires de sa façon sur différents sujets, Seyssel, Champ Vallon, , 1721 p. (ISBN 978-2-87673-471-5, lire en ligne [archive]).
Édition intégrale établie sous la direction de Michèle Virol, Seyssel Il s'agit de la première édition intégrale des vingt-neuf mémoires laissés à l'état manuscrit par Vauban. Chaque mémoire est préfacé et annoté par un historien spécialiste.
- Vauban (17..) : Traité de l'attaque et de la deffence des places [Manuscrit] [lire en ligne [archive]].
- Vauban : Le directeur general des fortifications, 1689 [lire en ligne [archive]].
- Vauban, Projet d'une dixme royale : qui supprimant la taille, les aydes, les doüanes d'une province à l'autre, les décimes du Clergé, les affaires extraordinaires; & tous autres impôts onéreux & non volontaires : Et diminuant le prix du sel de moitié & plus, produiroit au Roy un revenu certain et suffisant, sans frais, & sans être à charge à l'un de ses sujets plus qu'à l'autre, qui s'augmenteroit considérablement par la meilleure culture des terres, 1707 [lire en ligne [archive]].
Documentation
Les papiers personnels de Sébastien Le Prestre de Vauban sont conservés aux Archives nationales sous la cote 260 AP (dossiers militaires, économiques et politiques) et 261 AP (correspondance). Ils furent remis aux fonds de la famille Le Peletier de Rosanbo et stockés dans le château de Rosanbo. Ils sont uniquement consultables sous forme de microfilms63.
Dans la culture populaire
A la télévision
- Vauban en héritage, documentaire de Jacques Plaisant, diffusé dans Des racines et des ailes du : Chefs-d’œuvre de bâtisseurs, de Vauban à Louis II de Bavière
- L'émission Secrets d'Histoire sur France 3 du , intitulée Vauban, le roi et les forteresses, lui est consacrée64.
Notes et références
- « Douze fortifications de Vauban au Patrimoine mondial de l'Unesco » [archive] dans Le Monde du 7 juillet 2008.
- « Douze sites de Vauban classés au Patrimoine mondial de l'humanité » [archive] dans Le Figaro du 8 juillet 2008.
- Michèle Virol, Vauban. De la gloire du roi au service de l'État, Éditions Champ Vallon, , p. 10.
- Joël Cornette, « Vauban : le génie du Grand Siècle », L'Histoire, no 316, , p. 78.
- Emmanuel Le Roy Ladurie, L'Historien, le chiffre et le texte, Fayard, , p. 403.
- Roland Mousnier, La Dîme de Vauban, Centre de Documentation Universitaire, , p. 2.
- Léon-Paul Desvoyes, « Généalogie de la famille Le Prestre de Vauban », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de Semur, , p.7 (lire en ligne [archive])
- Yves Barde, Vauban. Ingénieur et homme de guerre, Éditions de l'Armançon, , p. 21.
- Vauban, Mémoire pour servir d’instruction à la conduite des sièges.
- Vauban, Traité de l’attaque des places de 1704.
- Vauban, Abrégé des services du maréchal Vauban.
- La voix du combattant no 1733 de mars 2008.
- Albert de Rochas d'Aiglun, Vauban. Sa famille et ses écrits, ses Oisivetés et sa correspondance, Berger-Levrault, , p. 298.
- Recueil d'observations et de réflexions.
- Généalogie de la famille Le Prestre de Vauban, par L. P. Desvoyes, membre correspondant de la Société des Sciences historiques et naturelles de Semur.
- Litière dans laquelle voyageait le maréchal de Vauban [archive].
- Guillaume Monsaingeon, Les voyages de Vauban, Éd. Parenthèses, , p. 37.
- Michèle Virol, « Un bon génie à la cour du Roi-Soleil », Historia thématique [archive] no 106, mars-avril 2007, p. 7.
- Laurent Heyberger et Yves Pagnot, Vauban. L'homme, l'ingénieur, le réformateur, Université de technologie de Belfort-Montbéliard, , p. 12.
- Bernard Pujo, Le Grand Condé, Paris, Albin Michel, 1995, p. 324.
- Bernard Pujo, Vauban, page 144, ce qui correspond au grade de général de division dans l'armée française.
- Aurélien Fayet et Michelle Fayet, L'Histoire de France. Tout simplement !, Éditions Eyrolles, , p. 145.
- Pujo 1991, p. 143.
- Dans les stratégies d'attaque des forteresses, il recommandait systématiquement les techniques de siège lent à base d'approche par des travaux de tranchées, de remaniement des terrains plutôt qu'un assaut sabre au clair, bien plus meurtrier. « Plutôt la sueur que le sang. »
- « De la cochonnerie ou calcul estimatif pour connaître jusqu'où peut aller la production d'une truie pendant dix années de temps », dans Oisivetés de M. de Vauban : éditées par le Cel Antoine-Marie Augoyat, Paris, J. Corréard, 1842-1845, 3 tomes en 2 volumes (BNF 31741895), p. 404,lire en ligne [archive] sur Gallica
- La naissance de la fortification bastionnée, Association Vauban [archive].
- Alain Manesson Mallet, Les Travaux de Mars, ou l'art de la guerre, nouvelle édition augmentée, t. I, Paris, Denis Thierry, 1684.
- Michèle Virol, Vauban. De la gloire du roi au service de l'État, Éditions Champ Vallon, , p. 73.
- Frédéric Naulet, L'artillerie française, 1665-1765 : naissance d'une arme, Commission française d'histoire militaire, , p. 39.
- Martin Barros, « L'Attaquant maîtrise la défense », Historia thématique no 106 [archive], mars-avril 2007, p. 21.
- Pujo 1991, p. 150.
- Michèle Virol, « Un bon génie à la cour du Roi-Soleil », Historia thématique no 106 [archive], mars-avril 2007, page 8
- Michèle Virol, Vauban : de la gloire du roi au service de l'État, Champ Vallon, , p. 60.
- Claude Dufresnes, « Le bonheur est dans le pré carré », Historia thématique no 106, mars-avril 2007, [lire en ligne [archive]] p. 40.
- Barros, Salat et Sarmant 2006, p. ??.
- Edmond Thin, Le Val de Saire : Trésors d'un jardin du Cotentin sur la mer, Éditions OREP, , 165 p. (ISBN 978-2-915762-82-2), p. 63.
- Frédéric Négroni, La Révolution militaire aux XVIe et XVIIe siècles, [lire en ligne [archive]].
- Éric Vilquin, « Vauban, inventeur des recensements », Annales de Démographie Historique, vol. 1975, no 1, , p. 207–257 (DOI 10.3406/adh.1975.1282, lire en ligne [archive], consulté le )
- Guillaume Monsaingeon, Les voyages de Vauban, Éd. Parenthèses, , p. 37.
- Préface de la Dîme Royale, [lire en ligne [archive]], p. 33.
- Pujo 1991, p. 119.
- De l’attaque et de la défense des places, Chez Pierre de Hondt., 1742, [lire en ligne [archive]].
- Cité par Monsaingeon 2007, p. 306.
- Cité par Monsaingeon 2007, p. 311-312.
- L'économiste Jean-Marc Daniel fait de Vauban le père de l'impôt sur le revenu.
- Barros, Salat et Sarmant 2006, p. 117-118.
- Mireille Touzery dans Les oisivetés de Monsieur de Vauban sous la direction de Michèle Virol, Champ Vallon, p. 707.
- Cité par Monsaingeon 2007, p. 320.
- « Les tombeaux et monuments funéraires [archive] », sur Musée de l'Armée
- Charles Frostin, Les Pontchartrain ministres de Louis XIV. Alliances et réseau d’influence sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 384).
- André Larané, « Sébastien de Vauban (1633 - 1707) - Un Maréchal proche du peuple [archive] », sur herodote.net, (consulté le )
- « Présentation du Dôme des Invalides [archive] », sur Site du Musée de l'Armée (consulté le )
- Joël Cornette, L'Histoire no 317, février 2007, p. 78-79.
- lieutenant-colonel M. Tricaud, « Essai sur la fortification permanente actuelle », Bulletin technique du génie militaire, librairie Berger-Levrault, t. 53, , p. 470 (lire en ligne [archive]).
- « Antoine Coysevox (1640-1720) Sébastien Le Prestre, maréchal Vauban 1706 [archive] », sur Royal collection trust (consulté le ).
- « Buste de Vauban, Marchetti Pietro (1766-1846) [archive] », sur Réunion des Musées Nationaux (consulté le ).
- Alexandre Maral et Valérie Carpentier-Vanhaverbeke, Antoine Coysevox, le sculpteur du Grand Siècle, Paris, Arthena, , 579 p. (ISBN 978-2-903239-66-4), p. 382-386.
- « Chemin de ronde | France | Maison Musee Colmars [archive] », sur maison-musee-colmars (consulté le ).
- Michel Popoff (préf. Hervé Pinoteau), Armorial de l'Ordre du Saint-Esprit : d'après l'œuvre du père Anselme et ses continuateurs, Paris, Le Léopard d'or, , 204 p. (ISBN 2-86377-140-X).
- un arpent correspond à 51 ares ici , mais à Paris, il vaut 32,4 ares.
- Vente à Paris, aux requêtes de l'hôtel, A.N. VH1373, 17 août 1679, voir A. Blanchard, Vauban, p. 471-477.
- Contrat chez maître Ragon, notaire à Bazoches (AD de la Nièvre 3E 12/7).
- « ROSANBO (archives), fonds Vauban I et II. 260AP [155Mi] et 261AP [161Mi] [archive] », également les inventaires analytiques des fonds Vauban I [archive] et Vauban II [archive], sur Archives Nationales
- « L'émission "Secrets d'histoire" sur Vauban, tournée à Bazoches, sera diffusée le 14 septembre [archive] », sur Le journal du Centre, (consulté le )
- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Biographie de Sébastien Le Prestre de Vauban » (voir la liste des auteurs). *
Voir aussi
Bibliographie
- Daniel Auger, Bibliographie des ouvrages de Vauban ou concernant Vauban, Saint-Léger-Vauban, Association « Les Amis de la Maison Vauban », , 566 p. (ISBN 978-2-904576-22-5 et 2-904576-22-3).
- Sébastien de Vauban (1633 - 1707) Un Maréchal proche du peuple [archive].
Biographies générales ou spécialisées
- Fontenelle, Éloge de M. le maréchal de Vauban, dans Histoire de l'Académie royale des sciences. Année 1707, chez Gabriel Martin, Paris, 1730, p. 165-175 [lire en ligne [archive]].
- Daniel Auger, Vauban sa vie son œuvre, Saint-Léger-Vauban, Association « Les Amis de la Maison Vauban », , 101 p. (ISBN 2-904576-20-7).
- Arnaud d'Aunay, Vauban, génie maritime, Paris, Gallimard, , 93 p. (ISBN 978-2-7424-1912-8).
- Martin Barros, Nicole Salat et Thierry Sarmant, Vauban, l'intelligence du territoire, Paris, Service historique de la défense et Nicolas Chaudun, (réimpr. 2007) (ISBN 978-2-35039-044-4) (Michel Roucaud : comte-rendu) [archive].
- Anne Blanchard, Vauban, Fayard, (ISBN 978-2-213-59684-6).
- Robert Dauvergne, Vauban et la détresse économique dans la région de Vézelay, Clamecy, Impr. générale de la Nièvre, 1954, 7 p.
- Lieutenant-colonel Pierre Lazard, Vauban, Paris,
thèse de doctorat.
- Dominique Le Brun, Vauban, l'inventeur de la France moderne, La librairie Vuibert, , 238 p.
- Luc Mary, Vauban, le maître des forteresses, Paris, Éditions de l'Archipel, , 277 p. (ISBN 978-2-84187-919-9, OCLC 122328465)
- Philippe Ménager, Vauban, constructeur de génie, Paris, Christine Bonneton, , 191 p. (ISBN 978-2-8625-3886-0)
- Alain Monod, Vauban ou la mauvaise conscience du roi, Paris, Riveneuve Éditions, coll. « Bibliothèque des idées », , 234 p. (ISBN 978-2-914214-45-2, OCLC 287994971).
- Guillaume Monsaingeon, Les Voyages de Vauban, Marseille, Parenthèses, , 187 p. (ISBN 978-2-86364-179-8)
Édition brochée de 190 pages couleurs et photographies.
- Guillaume Monsaingeon, Vauban un militaire très civil, Paris, Éditions Scala, , 335 p. (ISBN 978-2-86656-385-1)
150 lettres de Vauban entre 1667 et 1707.
- Michel Parent et Jacques Verroust, Vauban, Jacques Fréal, , 319 p. (OCLC 306446).
- Émilie d'Orgeix, Victoria Sanger et Michèle Virol, Vauban. La pierre et la plume, Paris, Éditions du Patrimoine, Gérard Klopp, , 277 p. (ISBN 978-2-85822-937-6, OCLC 842215387).
- Stéphane Perréon, Vauban : l'arpenteur du pré carré, Paris, Éditions Ellipses, 2017, 528 p.
- Jean Peter, Le journal de Vauban, Economica, Paris, 2007 (Jean-Pierre Kintz, compte-rendu, dans Revue d’Alsace, 2008) [archive].
- Bernard Pujo, Vauban, Albin Michel, , 374 p. (ISBN 978-2-226-05250-6).
- Maurice Sautai, L'œuvre de Vauban à Lille, Paris : R. Chapelot, 1911 (lire en ligne [archive]).
- Michèle Virol, Vauban : de la gloire du roi au service de l'État, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », , 432 p. (ISBN 2-87673-376-5, présentation en ligne [archive]).
Réédition : Michèle Virol, Vauban : de la gloire du roi au service de l'État, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Les classiques de Champ Vallon », , 432 p. (ISBN 978-2-87673-464-7).
- Michèle Virol, Louis XIV et Vauban : Correspondance et agendas, Champ Vallon, 2017.
Articles
- Guy Caire, « Vauban, la Défense et la cohésion de l'économie nationale. », Innovations, nos 2/2008 (no 28), , p. 149-175 (DOI 10.3917/inno.028.0149, lire en ligne [archive], consulté le ).
Ouvrages généraux
- A. Allent, Histoire du corps impérial du génie, vol. 1 (seul paru) : Depuis l'origine de la fortification moderne jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, Paris, , p. 45-526. Étude sur Vauban.
- Lucien Bély (dir.), Dictionnaire Louis XIV, Paris, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1405 p. (ISBN 978-2-221-12482-6).
- Joël Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque, Payot, 2000 », , 488 p. (ISBN 978-2-228-88691-8, OCLC 415882479).
- Luc-Normand Tellier, Face aux Colbert : les Le Tellier, Vauban, Turgot… et l'avènement du libéralisme, Presses de l'Université du Québec, 1987, 816 pages [lire en ligne [archive]].
- Guillaume Monsaingeon, Vauban un militaire très civil, Paris, SCALA, , 326 p. (ISBN 978-2-86656-385-1), faire-part de décès page 324
Autres ouvrages
- Guy Thuillier et Arnaud d'Aunay, Vauban (1633-1707), Nevers, Bibliothèque municipale de Nevers et Société académique du Nivernais, 2007.
Carnet de dessins d'une exposition de 2007.
- Franck Lechenet, Plein Ciel sur Vauban, Éditions Cadré Plein Ciel, , 239 p. (ISBN 978-2-9528570-1-7)
Photographies sur une centaine de sites Vauban en vue aérienne ; textes historiques.
- Jean-Loup Fontana (ill. Jean-Benoît Héron), Vauban : homme de l'art, Grenoble, Glénat, , 143 p. (ISBN 978-2-344-03898-7).
- Arnaud de Sigalas, Guide du château de Bazoches-en-Morvan, rédigé et publié par A. de Sigalas, cahiers de 34 p. s.d.
Iconographie
- Angers, École supérieure d'Application du Génie : Louis-Eugène Larivière, Portrait de Vauban, huile sur toile, copie d'après (?) ;
- Aunay-en-Bazois, château d'Aunay :
- Le Maréchal de Vauban (XIXe siècle), buste en plâtre ;
- Anonyme, Portrait de Vauban, huile sur toile ;
- Avallon, place Vauban : Auguste Bartholdi, Monument à Vauban, inauguré le ;
- Bazoches, château de Bazoches :
- Antoine Coysevox, Vauban, buste en terre cuite ;
- Hyacinthe Rigaud, Portrait de Vauban, huile sur toile ;
- Anonyme, Portrait de Vauban, huile sur toile ;
- Briançon : Vauban, buste à mi-corps en marbre blanc ;
- Cambrai : Vauban à Cambrai, non signé, non daté, huile sur toile ;
- Dijon, musée des beaux-arts : anonyme, Portrait de Vauban, huile sur toile , copie d'après Hyacinthe Rigaud ;
- Gap : Augustin Lesieux (1877-1964), Vauban, 1937, sculpture en pierre, conseil général des Hautes-Alpes ;
- Paris, département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France :
- Portrait de Vauban de trois-quarts, en armure, dans un ovale, gravure éditée chez E. Desrochers ;
- Nicolas-Gabriel Dupuis (1695-1771), Portrait de Vauban, gravure ;
- Pierre François Bertonnier, Portrait de Vauban, gravure ;
- Robert Bonnart (1652-1733), Portrait de Vauban, en pied prenant une prise de tabac, estampe éditée chez N. Bonnart rue Saint-Jacques ;
- Paris, hôtel des Invalides :
- Antoine Étex, Mausolée de Vauban, 1846-1847 ;
- Paris, Monnaie de Paris : Michel Petit, Vauban, médaille (41 mm) ;
- Paris, musée du Louvre :
- Antoine Étex, Vauban, buste en plâtre, esquisse pour le Mausolée de Vauban commandé par le ministère de l'Intérieur le et destiné à l'hôtel des Invalides, érigé en 1852 dans le bras du transept de l'église du Dôme des Invalides (Inv RF.2189.D). Le , la commission refuse sa statue pour la façade des places Napoléon et du Carrousel (Archives nationales de France : F/21/1744, année 1855, F/21/1747, F/21/1753) ;
- Antoine Coysevox, Vauban, buste en plâtre ;
- Paris, place Salvador-Allende : Henri Bouchard, Monument au maréchal Vauban, 1962 ;
- Saint-Léger-Vauban : Anatole Guillot, Monument à Vauban, bronze, inauguré le par Bienvenu Martin, ministre de l'Éducation et ces cultes ;
- Valenciennes, musée des beaux-arts : Gustave Crauk , Statuette en pied de Vauban, esquisse pour la statue destinée à la façade du palais du Louvre en 1855-1856 (Archives nationales de France F/21/1751) ;
- Verdun, hôtel Vauban : Lucien Lantier, Portrait du maréchal Vauban, vers 1923, huile sur toile ;
- Versailles, musée de l'Histoire de France :
- Charles-Antoine Bridan, Statue de Vauban ;
- Atelier de François de Troy, Portrait de Vauban, huile sur toile ;
- Vincennes, bibliothèque du Génie, service historique de la Défense : Charles Le Brun, Portrait de Vauban, pastel.
Articles connexes
- Liste des membres de l'Académie royale des sciences
- Fortifications et constructions de Vauban
- Tracé à l'italienne
- Menno van Coehoorn, le principal rival de Vauban
- Réseau des sites majeurs de Vauban classé au patrimoine mondial de l'UNESCO le
- Description géographique de l'élection de Vézelay
- Société d'Ancien Régime
- Séré de Rivières, surnommé le Vauban du XIXe siècle
- Système Séré de Rivières
- Ligne Maginot
- André Maginot, ministre de la Guerre, promoteur à partir de 1928 de la ligne Maginot
Liens externes
- data BnF : Sébastien Le Prestre Vauban (marquis de, 1633-1707) [archive].
- Bio-bibliographie de Vauban [archive].
- Association Vauban [archive].
- Écomusée du Morvan - Maison Vauban [archive].
- Musée des Plans-reliefs (Paris, hôtel des Invalides) [archive].
Bases de données et dictionnaires
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